Comme tu sais étaler ta pureté, ton désintéressement, ô bavard,
Et persuader avec astuce ceux qui t’écoutent bouche bée.
Et comme tu cries fort,
Homme de mauvaise foi,
Homme de mauvaise conscience,
Comme tu sais m’insulter quand je te dis :
Menteur.
Mais crie fort, et encore plus fort
Et insulte-moi :
J’agacerai ta hargne comme on agace celle des chiens qui tirent sur leur chaîne.
Écoute.
Sous cette terre
Où tu marches d’un pas assuré,
Sûr de toi,
Avec ton ricanement aux lèvres,
Ton mauvais regard fixé en avant,
Écoute, écoute sous cette terre
Le frémissement confus des morts,
Morts d’aujourd’hui et morts d’hier.
Écoute.
Dans le vent de la nuit, de la triste nuit noire,
Traînent des voix atroces
D’enfants, de femmes et d’hommes.
Et ces enfants et ces femmes et ces hommes,
Ils étaient mes voisins, ils étaient mes amis ;
Au hasard des prisons, des chemins ou des rues,
Ils sont morts.
Leurs voix aimées,
Dans la nuit noire monte comme une houle
Immense,
Mêlée aux voix des camarades que je n’ai pas connus,
Assassinés,
Torturés,
Trompés,
Oubliés, —
Morts d’aujourd’hui et morts d’hier.
Regarde.
De nouveau
Ce sang noir séché sur ces ruines,
Ces mères en deuil qui se souviennent
— Comme leur petit enfant était beau et gracieux —,
Ces orphelins qui n’ont plus de foyer,
Et tous ces hommes,
Tous ces hommes mutilés,
Estropiés,
Ombres de ce qu’ils furent.
Je t’entends, je t’entends :
Tu n’as pas voulu cela.
Il fallait en finir,
Sauver le monde,
Tuer la Bête,
Délivrer l’homme.
Les responsables, ce sont les autres.
Les autres là-bas,
Ce peuple de chacals,
Ce peuple de maudits.
Mais toi,
Cela tu ne l’as pas voulu,
Toi,
Héros de la sainte cause.
Tu ne l’as pas voulu.
Tu ne l’as pas voulu,
Ramassant dans la boue
Les oripeaux déchirés de tes mains,
Et les brandissant à la foule.
Tu ne l’as pas voulu,
Écrivant pour tes frères
Ce que tes maîtres t’ordonnèrent d’écrire.
(C’était les maîtres que tu méprisais jadis!)
Tu ne l’as pas voulu,
Injuriant,
Calomniant
Tes compagnons d’hier,
Tes compagnons perdus.
Tu ne l’as pas voulu,
Oubliant ton serment d’autrefois : jamais plus,
Oui, oubliant ce que tu fus.
Tu ne l’as pas voulu,
Non
Tu ne l’as pas voulu, — menteur.
Jean Prugot