La Presse Anarchiste

Aimer la liberté

Je ne connais rien qui vaille la liber­té. Ce bien, le plus cher de tous, fut refu­sé de tout temps ; avec rai­son, à tra­vers les âges, les hommes l’ont reven­di­qué comme un droit.

Mais vou­loir la liber­té pour soi-même exige la recon­nais­sance de ce droit à autrui ; nul ne se res­semble ; les mots, le lan­gage eux-mêmes ont une signi­fi­ca­tion par­ti­cu­lière, hors des géné­ra­li­tés conven­tion­nelles l’in­di­vi­du a un sen­ti­ment par­ti­cu­lier des choses dans ce qu’elles expriment : l’a­mour de la liber­té s’é­rige en Dogme. Je recon­nais donc a autrui le droit de pen­ser ce qu’il lui plait, et, si son acti­vi­té selon les cas m’in­dif­fère, je n’y trouve rien à redire dès l’ins­tant qu’elle ne se tra­duit pas en actes de contrainte à mon égard. C’est d’ailleurs l’a­mour de la liber­té qui nous fait recher­cher ce qui est vrai dans les actions des hommes, il nous incite à trou­ver dans les rai­son­ne­ments adverses la logique, qui contri­bue à mettre en évi­dence l’im­per­son­na­li­té de la Vérité.

À lire les publi­ca­tions actuelles qui font com­merce de poli­tique et de phi­lo­so­phie — à part de très rares excep­tions — on éprouve de la sur­prise : la liber­té a trou­vé sa limite ultime, la véri­té a des cadres rigides… Hélas ! pour les pauvres hommes, l’é­glise avait abu­sé de ces méthodes… N’est-il donc point un terme au fana­tisme et à l’intolérance ?

Les modestes connais­sances actuelles nous incitent pour­tant à tolé­rer autrui et ses opi­nions, à l’heure où l’on acquiert le sen­ti­ment de notre igno­rance vis-à-vis des choses qui nous entourent, il importe de dis­cu­ter froi­de­ment, en toute rai­son, l’ac­ti­vi­té sociale pour ne pas retom­ber dans de fâcheux errements.

Aimer la liber­té, à notre époque où le pou­voir du centre aug­mente chaque jour davan­tage, c’est amoin­drir la force de ce centre ; c’est lorsque, selon ses moyens, on l’a réa­li­sée pour soi-même, s’ar­ra­cher à cette dépen­dance ; ain­si l’on contri­bue à rui­ner l’au­to­ri­té col­lec­tive. Toute acti­vi­té à fins de liber­té a des causes défi­nies : phy­siques et morales. La cause morale déter­mine l’acte, le met au point ; la cause phy­sique l’exé­cute. Ain­si vu à tra­vers l’his­toire, l’a­mour de la liber­té a déter­mi­né des périodes de révo­lu­tion. Celle de 1789 en est un illustre exemple : les Ency­clo­pé­distes, en émet­tant des idées nou­velles, ont rui­né celles d’a­lors ; ils furent pour une grande part dans ce bou­le­ver­se­ment : cause morale. Les idées se tra­dui­sant en fait sous des pré­textes divers : cause phy­sique.

Ain­si évo­lue la men­ta­li­té socié­taire. Des indi­vi­dus dis­so­cient la vie ; ils mettent à nu les tares de la socié­té, œuvrant ain­si pour la liber­té, car tôt ou tard des évé­ne­ments impré­vi­sibles vien­dront jus­ti­fier leurs cri­tiques ; les idées nou­velles, sub­ver­sives, seront admises : néces­si­té fera loi.

Et les apôtres du Des­po­tisme sont mal venus de nous offrir leur « auto­ri­té pater­nelle », ils ne peuvent que cris­tal­li­ser la véri­té du jour : or, aujourd’­hui est aus­si loin d’hier que demain le sera d’au­jourd’­hui ; la loi des hommes même admise comme véri­té d’au­jourd’­hui sera men­songe demain. Il n’est plus per­sonne pour reon­naître l’es­sence divine du Roy : pour­quoi ce droit serait-il recon­nu à d’autres maîtres démo­crates ou plé­béiens qui for­ge­raient des chaines… tou­jours des chaines ?

L’a­mour de la liber­té s’ex­plique et se légi­time dans tous les temps, il est l’es­sen­tiel fac­teur du pro­grès ; je ne crois pas que l’homme sera jamais satis­fait de son sort. Issu de la bête, il l’a vou­lu moins dou­lou­reux ; pour obte­nir sa liber­té, ce fut la lutte contre elles, contre les élé­ments, ensuite contre les hommes ; et la sécu­laire force de l’ha­bi­tude en a fait un être sou­mis, crain­tif envers le martre et les préjugés.

Il faut faire aimer la liber­té aux esclaves ; leur faire com­prendre les immenses joies qu’ils pour­ront goû­ter lorsque leur rai­son et leur conscience se seront péné­trées de ce Renou­veau Vital qui les trans­for­me­ra ; l’a­mour de la liber­té est de nos jours pour notre conscience, le stade idéal de l’é­vo­lu­tion humaine capable de créer des hommes à esprit clair, à tem­pé­ra­ment sociable.

Il faut faire aimer la liber­té aux auto­ri­taires qui veulent impo­ser un uni­forme bon­heur aux peuples… Pour cela, il leur faut une telle évi­dence qu’ils se disent devant l’ex­clu­sif de la liber­té vécue par d’autres : en effet, là, est notre salut.

Il faut aimer 1a liber­té pour soi-même ; s’ef­for­cer de n’en jamais gacher une par­celle en un empri­son­ne­ment sté­rile, car notre place est au sein de la foule, pour l’exal­ter à la révolte ; en pleine mêlée et même, selon les tem­pé­ra­ments, hors la mêlée. Je pré­fère voir l’homme ermite, déta­ché du monde que pri­son­nier de ce monde ; car si l’op­pri­mé me reste plus sym­pa­thique que l’op­pres­seur, l’on doit s’ef­for­cer « d’être » ni l’un ni l’autre.

Diverses rai­sons empêchent les socié­tés et les hommes d’é­vo­luer ; qui, pris sépa­ré­ment, sera sociable et humain, devien­dra, par la crainte des lois et des cou­tumes socié­taires, le plus égoïste des hommes, Il prend comme modèle la men­ta­li­té sociale et, sous pré­texte de lut­ter pour la vie, devient un loup pour son sem­blable. Cela parce qu’il n’est pas libre, les pré­ju­gés le tiennent plus sûre­ment que des chaines. Faire péné­trer chez l’in­di­vi­du l’a­mour de la liber­té et détruire les pré­ju­gés, c’est révé­ler l’homme a lui-même : c’est le rendre digne et fier.

[| – O – |]

Sur la grande route de la vie quelques hommes ont lan­cé à la contrainte leur cri d’es­poir en l’a­ve­nir ; presque tou­jours la bêtise les a châ­tiés ; et si, aujourd’­hui, l’on peut sans crainte du bûcher ne pas saluer les pro­ces­sions et images divines, soyons-en recon­nais­sants à tous les che­va­lier de la Barre qui sacri­fièrent leur vie par esprit de liberté.

Connus ou ano­nymes, et quoi­qu’il y ait moins de dan­ger à le faire, nous sui­vrons leur route vers l’obs­cur Deve­nir, sans illu­sions comme sans espoirs, mais por­tant en nous-mêmes notre cer­ti­tude d’une vie meilleure et d’un monde plus juste. Le temps, d’ailleurs, tra­vaille pour nous, car il détruit, en créant des habi­tudes nou­velles, les mœurs que des vieillards imposent dans leur folie de régle­men­ter l’impossible.

Aimons ardem­ment la liber­té pour la sous­traire à l’empire de ces mou­rants, sachons la défendre et ne l’a­lié­nons jamais ; soyons par Elle des hommes nou­veaux capables, par Rai­son, de don­ner l’exemple de la fra­ter­ni­té uni­ver­selle aux peuples avilis.

Nadaud

La Presse Anarchiste