La Presse Anarchiste

Lutte des femmes et lutte anti-fasciste

À la suite de l’ar­res­ta­tion d’une quin­zaine de per­sonnes. dont huit femmes, accu­sées d’a­voir par­ti­ci­pé le 13 sep­tembre 1974 à un atten­tat à la bombe dans un café de Madrid, le groupe de femmes « psy­cha­na­lyse et poli­tique » (groupe fran­çais), prit l’i­ni­tia­tive d’une péti­tion appe­lant à sou­te­nir les femmes empri­son­nées et plus particulièrement :

« Eva Forest, psy­chiatre, femme en lutte, prin­ci­pale accu­sée et qui risque la peine la plus forte.

Maria Paz Bal­les­te­ros, actrice.

Lidia Fal­can, avo­cate, auteur de plu­sieurs livres sur la condi­tion des femmes en Espagne. »[/​(Le Monde du 31 octobre 1974)./]

Il se trouve que l’é­clai­rage stric­te­ment « fémi­niste » [[« Fémi­niste » enten­dons par là : s’at­ta­chant stric­te­ment aux femmes. Loin de nous toute idée de polé­mique sur la reven­di­ca­tion de ce terme.]] de la péti­tion appe­la un cer­tain nombre de réac­tions. Pour­quoi, en effet, sépa­rer hommes et femmes, dans cet appel lorsque le des­tin d’E­va Forest et celui d’An­to­nio Duran risque d’être mal­heu­reu­se­ment lié ?

Pour­quoi s’en tenir à des pro­pos d’un lyrisme déma­go­gique quant à la per­son­na­li­té de la prin­ci­pale incul­pée, Eva Forest (voir à ce sujet l’ar­ticle du Monde, 17 et 18 novembre 1974, de Gisèle Hali­mi, « Eva mon amie… Blonde, rieuse, mili­tante de gauche et même d’ex­trême gauche, heu­reuse de vivre… ») Comme si c’é­tait la pre­mière fois que la répres­sion fran­quiste s’a­bat­tait sur des femmes ! Maria Angus­tias Mateos, 17 ans, fut jugée avec Puig Antich et José Luis Llo­bet, et condam­née à cinq ans de pri­son… Le texte des femmes de Bayonne (« Quo­ti­dien des femmes » same­di 23 novembre 1974) témoigne au contraire de cette répres­sion féroce qui s’a­bat sur tout ce qui s’at­taque au régime fran­quiste, femmes y comprises.

Dans le texte de la péti­tion il est rap­pe­lé : « Pour Puig Antich l’o­pi­nion inter­na­tio­nale a été aler­tée trop tard ». Nous disons que ce n’est pas par manque d’in­for­ma­tion que le sou­tien fut « enter­ré », mais pour des causes poli­tiques pro­fondes : le MIL (pré­sen­té par les mass média comme trop près des droits com­muns) ne consti­tuait pas un relais stra­té­gique pour les orga­ni­sa­tions de gauche. Der­rière les fronts com­muns et les grandes mani­fes­ta­tions uni­taires se cachent sou­vent des inté­rêts idéo­lo­giques, qui n’ont rien à voir avec l’ur­gence d’une situation.

Le conte­nu du texte de la péti­tion, confir­mé dans ses vues par le mee­ting orga­ni­sé par le comi­té de sou­tien Eva Forest (Bata­clan, same­di 23 novembre 1974) ren­force l’im­pres­sion que nous nous trou­vons devant l’ex­ploi­ta­tion, consciente ou non, d’un évé­ne­ment poli­tique, menée par un petit groupe au nom du mou­ve­ment des femmes à des fins d’hé­gé­mo­nie per­son­nelle. Car autre­ment, pour­quoi blo­quer le débat par des évo­ca­tions déchi­rantes et des chan­sons, lorsque se posent des pro­blèmes fon­da­men­taux tels : la nature du sou­tien, léga­lisme ou illégalisme ?

Pour­quoi appe­ler entre­prise de démo­bi­li­sa­tion une ten­ta­tive de poser la ques­tion du sou­tien sur un autre ter­rain que celui de la représentation ?

Nous repro­dui­sons ici un tract qui fut dis­tri­bué au mee­ting par un groupe de femmes, car à nos yeux, il résume le mieux cette posi­tion qui tente de décen­trer le débat. Ce qui ne veut évi­dem­ment pas dire que nous ne devons pas nous pré­oc­cu­per d’E­va Forest et Anto­nio Duran…

Gil­berte

Pourquoi les femmes ?

Un des groupes pari­siens du mou­ve­ment des femmes a fait paraître en publi­ci­té à l’a­mé­ri­caine dans Le Monde (31 octobre 1974) une péti­tion signée par des femmes en faveur des femmes espa­gnoles arrê­tées et tor­tu­rées (en par­ti­cu­lier de trois d’entre elles) par­mi un groupe d’op­po­sants au régime franquiste.

D’autres femmes du Mou­ve­ment n’ont pas par­ti­ci­pé à cette opé­ra­tion pré­cise, bien qu’elles ne soient pas moins soli­daires des per­sonnes arrê­tées et de toutes les actions anti-fas­cistes. Elles estiment en effet, que pra­ti­quer une ségré­ga­tion, dans un cas qui ne l’a pas impli­quée, est contraire à leur vision poli­tique. La répres­sion fran­quiste s’est abat­tue sur des anti-fas­cistes, sans consi­dé­ra­tion de leur sexe, âge, ori­gine, etc.

Nous n’a­vons pas à faire des choix par­mi les vic­times : les femmes (comme on ferait choix des vieillards, des juifs, ou des blonds) en lais­sant tran­quille­ment tom­ber le reste dans les mains des mêmes bour­reaux, subissent les mêmes sup­plices pour les mêmes rai­sons. Ce qui signi­fie­rait, qu’en ce qui nous concerne, on se fout de tout ce qui n’est pas nous. CE QUI S’APPELLERAIT RACISME.

Nous nous sou­ve­nons que, dans le même ordre d’i­dées, des mes­sa­gers de for­ma­tions poli­tiques, à appa­rence exté­rieure de femmes, se pré­sen­tèrent jadis, dans les assem­blées géné­rales du Mou­ve­ment, et ten­tèrent de nous mobi­li­ser pour la défense des seules femmes de leur par­ti, vic­times de la police. Nous avons été très trou­blées par ces demandes ; car effec­ti­ve­ment nous nous sen­tions soli­daires de ces femmes… Puis nous avons réflé­chi. Et nous avons répon­du que, en tant que femmes et oppri­mées, nous étions soli­daires de tout ce qui était oppri­mé au titre d’une action poli­tique d’op­po­si­tion au Pou­voir. Mais nous mobi­li­ser en tant que femmes et pour les seules femmes en cause dans une action com­mune appa­raît comme une OPÉRATION POLITIQUE DE RÉCUPÉRATION PROCHE DE LA MAGOUILLE, — volon­taire ou non.

Nous sommes allées mani­fes­ter en faveur de TOUTES les vic­times, en tant qu’ad­ver­saires du fas­cisme sous toutes ses formes, et non en tant que « femmes » appe­lées par « LE » Mou­ve­ment de Libé­ra­tion des Femmes.

Pourquoi ces femmes ?

La péti­tion semble défendre une action ter­ro­riste puisque tel est le chef d’in­cul­pa­tion, mais est-ce vrai­ment un hasard si les indi­vi­dus qu’on a choi­si de sou­te­nir nom­mé­ment ne le sont pas en rai­son de cette pra­tique pré­su­mée (ano­nyme et illé­gale), mais au contraire pour leur sta­tut de « per­son­na­li­tés » sou­te­nues et recon­nues par les ins­ti­tu­tions bour­geoises offi­cielles (presse, Amnes­ty Inter­na­tio­nal, etc.) ? En contraste, le silence épais qui entoure les « femmes » de la « bande à Baa­der » ou les femmes du M.I.L. (orga­ni­sa­tion dont fai­sait par­tie Puig Antich), qui crou­pissent et meurent à l’heure actuelle dans les pri­sons alle­mandes et espa­gnoles, montre clai­re­ment les limites de ce type de « solidarité ».

Des femmes anti-fascistes

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