« Eva Forest, psychiatre, femme en lutte, principale accusée et qui risque la peine la plus forte.
Maria Paz Ballesteros, actrice.
Lidia Falcan, avocate, auteur de plusieurs livres sur la condition des femmes en Espagne. »[/(Le Monde du 31 octobre 1974)./]
Il se trouve que l’éclairage strictement « féministe » [[« Féministe » entendons par là : s’attachant strictement aux femmes. Loin de nous toute idée de polémique sur la revendication de ce terme.]] de la pétition appela un certain nombre de réactions. Pourquoi, en effet, séparer hommes et femmes, dans cet appel lorsque le destin d’Eva Forest et celui d’Antonio Duran risque d’être malheureusement lié ?
Pourquoi s’en tenir à des propos d’un lyrisme démagogique quant à la personnalité de la principale inculpée, Eva Forest (voir à ce sujet l’article du Monde, 17 et 18 novembre 1974, de Gisèle Halimi, « Eva mon amie… Blonde, rieuse, militante de gauche et même d’extrême gauche, heureuse de vivre… ») Comme si c’était la première fois que la répression franquiste s’abattait sur des femmes ! Maria Angustias Mateos, 17 ans, fut jugée avec Puig Antich et José Luis Llobet, et condamnée à cinq ans de prison… Le texte des femmes de Bayonne (« Quotidien des femmes » samedi 23 novembre 1974) témoigne au contraire de cette répression féroce qui s’abat sur tout ce qui s’attaque au régime franquiste, femmes y comprises.
Dans le texte de la pétition il est rappelé : « Pour Puig Antich l’opinion internationale a été alertée trop tard ». Nous disons que ce n’est pas par manque d’information que le soutien fut « enterré », mais pour des causes politiques profondes : le MIL (présenté par les mass média comme trop près des droits communs) ne constituait pas un relais stratégique pour les organisations de gauche. Derrière les fronts communs et les grandes manifestations unitaires se cachent souvent des intérêts idéologiques, qui n’ont rien à voir avec l’urgence d’une situation.
Le contenu du texte de la pétition, confirmé dans ses vues par le meeting organisé par le comité de soutien Eva Forest (Bataclan, samedi 23 novembre 1974) renforce l’impression que nous nous trouvons devant l’exploitation, consciente ou non, d’un événement politique, menée par un petit groupe au nom du mouvement des femmes à des fins d’hégémonie personnelle. Car autrement, pourquoi bloquer le débat par des évocations déchirantes et des chansons, lorsque se posent des problèmes fondamentaux tels : la nature du soutien, légalisme ou illégalisme ?
Pourquoi appeler entreprise de démobilisation une tentative de poser la question du soutien sur un autre terrain que celui de la représentation ?
Nous reproduisons ici un tract qui fut distribué au meeting par un groupe de femmes, car à nos yeux, il résume le mieux cette position qui tente de décentrer le débat. Ce qui ne veut évidemment pas dire que nous ne devons pas nous préoccuper d’Eva Forest et Antonio Duran…
Gilberte
Pourquoi les femmes ?
Un des groupes parisiens du mouvement des femmes a fait paraître en publicité à l’américaine dans Le Monde (31 octobre 1974) une pétition signée par des femmes en faveur des femmes espagnoles arrêtées et torturées (en particulier de trois d’entre elles) parmi un groupe d’opposants au régime franquiste.
D’autres femmes du Mouvement n’ont pas participé à cette opération précise, bien qu’elles ne soient pas moins solidaires des personnes arrêtées et de toutes les actions anti-fascistes. Elles estiment en effet, que pratiquer une ségrégation, dans un cas qui ne l’a pas impliquée, est contraire à leur vision politique. La répression franquiste s’est abattue sur des anti-fascistes, sans considération de leur sexe, âge, origine, etc.
Nous n’avons pas à faire des choix parmi les victimes : les femmes (comme on ferait choix des vieillards, des juifs, ou des blonds) en laissant tranquillement tomber le reste dans les mains des mêmes bourreaux, subissent les mêmes supplices pour les mêmes raisons. Ce qui signifierait, qu’en ce qui nous concerne, on se fout de tout ce qui n’est pas nous. CE QUI S’APPELLERAIT RACISME.
Nous nous souvenons que, dans le même ordre d’idées, des messagers de formations politiques, à apparence extérieure de femmes, se présentèrent jadis, dans les assemblées générales du Mouvement, et tentèrent de nous mobiliser pour la défense des seules femmes de leur parti, victimes de la police. Nous avons été très troublées par ces demandes ; car effectivement nous nous sentions solidaires de ces femmes… Puis nous avons réfléchi. Et nous avons répondu que, en tant que femmes et opprimées, nous étions solidaires de tout ce qui était opprimé au titre d’une action politique d’opposition au Pouvoir. Mais nous mobiliser en tant que femmes et pour les seules femmes en cause dans une action commune apparaît comme une OPÉRATION POLITIQUE DE RÉCUPÉRATION PROCHE DE LA MAGOUILLE, — volontaire ou non.
Nous sommes allées manifester en faveur de TOUTES les victimes, en tant qu’adversaires du fascisme sous toutes ses formes, et non en tant que « femmes » appelées par « LE » Mouvement de Libération des Femmes.
Pourquoi ces femmes ?
La pétition semble défendre une action terroriste puisque tel est le chef d’inculpation, mais est-ce vraiment un hasard si les individus qu’on a choisi de soutenir nommément ne le sont pas en raison de cette pratique présumée (anonyme et illégale), mais au contraire pour leur statut de « personnalités » soutenues et reconnues par les institutions bourgeoises officielles (presse, Amnesty International, etc.) ? En contraste, le silence épais qui entoure les « femmes » de la « bande à Baader » ou les femmes du M.I.L. (organisation dont faisait partie Puig Antich), qui croupissent et meurent à l’heure actuelle dans les prisons allemandes et espagnoles, montre clairement les limites de ce type de « solidarité ».
Des femmes anti-fascistes