La Presse Anarchiste

À un tout jeune homme

… Comme je te l’ai dit, puisque tu vil­lé­gia­tures à la cam­pagne, aie soin de ton corps, de tes vête­ments, de tes chaus­sures. À table, sois cor­rect sans être gêné, mâche bien les ali­ments, ce qui t’é­vi­te­ra de trop boire. Mange des pêches, des figues, et sur­tout des rai­sins, peu de melon, pas ou presque pas de prunes ou d’a­bri­cots, ces der­niers fruits étant lourds et indi­gestes. Lève-toi de table avec un res­tant d’ap­pé­tit : tu e feras ain­si un bon estomac.

Fais des pro­me­nades, des marches peu longues, de la bicy­clette sans exa­gé­ra­tion, amuse-toi avec tes cama­rades aux jeux qui donnent de la sou­plesse au corps et n’a­tro­phient pas le cer­veau, res­pire à pleins pou­mons l’air pur et embau­mé des champs, rends-toi bien compte des beau­tés de la nature, écoute le chant de liber­té des oiseaux : cela amé­liore les sen­ti­ments et vous rend plus sociable.

Mais, dans tes ébats joyeux, n’ou­blie pas que tu vas bien­tôt faire l’ap­pren­tis­sage de la vie ; étant livré à toi même, il te sera moins pénible qu’a bien d’autres gar­çons de ton âge si tu sais ou si tu veux d’a­vance, prendre de bonnes dis­po­si­tions et d’u­tiles pré­cau­tions en vue de la lutte pour la vie, que tu pour­rais avoir à soutenir.

Rien ne te manque de ce qui peut faire de toi un homme dans la vraie signi­fi­ca­tion du mot : mémoire, intel­li­gence, volon­té. En appli­quant ces trois qua­li­tés pri­mor­diales du tra­vail, tu pour­ras obte­nir ta liber­té la conser­ver même dans un milieu d’es­cla­vage, même en étant au ser­vice d’un patron, que – si méchant et si vin­di­ca­tif qu’il puisse être – il craint tou­jours plus l’homme libre, fort, éner­gique, per­sé­vé­rant, que l’in­di­vi­du sou­mis, veule, ram­pant, lequel ne lui ins­pire sûre­ment qu’une médiocre confiance : les lâches étant capables de toutes les vile­nies et de toutes les bassesses.

Ibsen a dit : « L’homme seul est le plus fort. » Je le crois en ce sens qu’il agit par sa propre volon­té et non par ordre, ain­si que marchent et agissent les foules des­quelles il faut tou­jours se méfier.

Je pense bien que tu œuvre­ras pour deve­nir cet homme : ce qui ne t’empêchera, pas de mar­cher la main dans la main avec ceux qui te voue­ront une ami­tié réci­proque et qui te don­ne­ront des preuves de soli­da­ri­té en cas de plai­sirs ou de désagréments.

C’est beau de voir une jeu­nesse pleine de bon­té, de gaî­té, d’en­train, de gaî­té natu­relle et ani­mée du désir de vivre ain­si en bonne camaraderie!…

Ger­mi­nal

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