La Presse Anarchiste

Le nudisme est dans les mœurs

La cou­tume de vivre nu, ou tout au moins de se mon­trer en état de nudi­té com­plète a l’oc­ca­sion des jeux de plein air, ne date pas de l’or­ga­ni­sa­tion des camps pour cures de bains d’air et de soleil, et elle n’est point imi­tée des mœurs de l’A­frique équatoriale.

Dans l’an­ti­qui­té grecque, si éprise d’art et de beau­té que, le rayon­ne­ment de sa civi­li­sa­tion s’est pour­sui­vie jus­qu’à nos jours, les ath­lètes se livraient aux com­pé­ti­tions du cirque entiè­re­ment nus, devant des foules immenses, sans en conce­voir aucune honte, et sans que ce spec­tacle pro­vo­quât le scandale.

Lors de la guerre rus­so-japo­naise, au début de ce siècle, le repor­ter Ludo­vic Nau­deau fit paraître, dans Le Jour­nal, une série d’ar­ticles au cours des­quels, décri­vant les aspects du Japon, il nar­ra que ses habi­tants ne pro­fes­saient point, au sujet de la nudi­té, les inquié­tudes de conscience des Euro­péens et que, dans les pis­cines publiques, on assis­tait aux ébats de per­sonnes des deux sexes, sans voile aucun, sans qu’il en résul­tât des scènes de désordre.

Il est éta­bli par l’ex­pé­rience — si para­doxal que cela puisse paraître —, que l’ac­cou­tu­mance du nu apaise plu­tôt qu’il n’ex­cite l’ins­tinct de la reproduction.

Pré­tendre, comme le font les puri­tains, que les idées de honte et de répro­ba­tion, à l’é­gard des organes qui font éclore la vie, sont innées chez l’homme, est une thèse qui ne sup­porte pas l’examen.

L’o­ri­gine du vête­ment est dans le besoin de se pro­té­ger contre les chocs, la piqûre des insectes, les intem­pé­ries. Elle est aus­si dans la recherche de l’es­thé­tique, la coquet­te­rie, le désir de mas­quer cer­taines difformités.

C’est de l’ha­bi­tude du vête­ment, et des curio­si­tés indis­crètes qui en résultent, qu’est né le besoin de dis­si­mu­ler aux regards ce qui leur échappe ordinairement.

Les mora­li­tés reli­gieuses, incul­quées dès l’en­fance, sous l’empire de la crainte, ont fait le reste. Non seule­ment le désha­billé est deve­nu un péché, mais la sur­abon­dance ves­ti­men­taire s’est éle­vée jus­qu’à la qua­li­té d’une ver­tu, au détri­ment de l’hygiène.

Quan­ti­té de gens, par­ti­sans du moindre effort, négligent, en effet, de culti­ver et main­te­nir en constant état de pro­pre­té ce qui, de leur per­sonne, n’est pas visible pour autrui.

Vers la fin du siècle der­nier on voyait encore aux bains de mer, sur la côte nor­mande, des femmes se plon­ger dans l’onde amère presque entiè­re­ment habillées. Elles por­taient des blouses des­cen­dant jus­qu’aux genoux, rete­nues à la taille par une cein­ture, et de larges pan­ta­lons jus­qu’à mi-jambes. Cer­taines se paraient de cha­peaux de ville ornés de fan­fre­luches, d’autres d’un affreux bonnet.

Il a fal­lu le déve­lop­pe­ment du sport, par­ti­cu­liè­re­ment du sport de cham­pion­nat, qui exige pour les mou­ve­ments du corps le maxi­mum de liber­té, pour que la jeu­nesse fémi­nine obtînt licence d’u­ti­li­ser, dans les concours, le maillot col­lant jusque-là réserve aux hommes.

La mode en fut bien­tôt géné­ra­li­sée. Puis la méde­cine conseilla les bains de soleil et, de se bru­nir la peau étant deve­nu de bon ton, par­ti­cu­liè­re­ment sur les plages de la Médi­ter­ra­née, cela encou­ra­gea les suprêmes audaces.

À l’ins­tar de l’Al­le­magne, où ils étaient nom­breux et fré­quen­tés par des tra­vailleurs des deux sexes, avides d’y com­battre, du same­di au lun­di, les effets nocifs du milieu des usines et ate­liers, voire de l’air confi­né des bureaux, des camps nudistes ― très fer­més néces­sai­re­ment — firent leur appa­ri­tion en France.

Ils dis­pa­rurent avec les vio­lences et les misères de la guerre, le regain d’in­to­lé­rance catho­lique qui en fut une des conséquences.

Ce qui avait été déter­mi­né par le goût, et même la néces­si­té de la vie au grand air, dans des sites jalou­se­ment clos, ou sur des rivages marins, devait se com­plé­ter, jusque dans les prin­ci­pales artères des cités mou­ve­men­tées, par le prix éle­vé et la pénu­rie des tis­sus, l’o­bli­ga­tion de rendre moins acca­blante en été la tenue des civils et même des soldats.

Pen­dant la grande bagarre j’ai obser­vé, à Mar­seille, des offi­ciers des armées alliées en blou­sons à manches réduites et sortes de cale­çons de bain, ce qui, avec un képi à galons dorés et des chaus­sures de mon­ta­gnard, fai­sait un contraste assez curieux.

Chez les femmes, après la jupe d’é­toffe, si légère et si brève qu’elle ne laisse presque plus rien igno­rer des des­sous, est appa­ru le short, ou petite culotte de toile, lequel, entré dans les tra­di­tions, tend déjà à être rem­pla­cé, chez les très jeunes, par une manière de slip de nata­tion que sur­monte un cor­sage lar­ge­ment échancré.

J’ai cru pen­dant quelque temps que ceci était spé­cial à la Côte d’A­zur, dont l’an­tique Pho­cée est une des portes, parce que le soleil y est durant la belle sai­son, très brû­lant et qu’elle est répu­tée pour la liber­té d’al­lure de ses estivants.

Quelle ne fut pas ma sur­prise lorsque je décou­vris der­niè­re­ment, en pre­mière page d’un quo­ti­dien illus­tré, la repro­duc­tion d’une pho­to prise a Londres, dans une voie très ani­mée, et sur laquelle étaient cinq jeunes filles en cos­tumes à la fois si élé­gants et si som­maires qu’on aurait pu les croire emprun­tés à une vision d’Holywood.

Naguère encore Londres était repré­sen­tée comme une des cita­delles de la pudi­bon­de­rie pro­tes­tante. Pour­tant le public ne s’in­di­gnait point, la police ne sur­ve­nait pas !

Tout cela per­met d’es­pé­rer que, dans un proche ave­nir, il y aura par­tout des stades et des plages réser­vés aux natu­ristes qui y pui­se­ront lar­ge­ment, aux sources de la vie, le bien-être et la santé.

Jean Mares­tan

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