La Presse Anarchiste

L’État et les vieux travailleurs

Le 11 juillet 1915, un com­mu­ni­qué nous appre­nait que la loi des Assu­rances Sociales subi­rait quelques modi­fi­ca­tions, entre autres les femmes malades, jour­na­lières, les pres­ta­tions au risque mater­ni­té subis­saient dif­fé­rents rema­nie­ments sur les­quels on ne nous don­nait que très peu de ren­sei­gne­ments, la retraite vieillesse était recu­lée de 60 à 65 ans, le cal­cul du taux de 40 % res­tant main­te­nu pour les assu­rés jus­ti­fiant de quinze années d’as­su­rance, le salaire de base était cal­cu­lé sur le salaire moyen des dix der­nières années.

Il était pré­vu que l’é­qui­libre finan­cier serait assu­ré pen­dant dix ans avec la coti­sa­tion actuelle, en y com­pre­nant la coti­sa­tion au fonds spé­cial des­ti­né aux allo­ca­tions des vieux tra­vailleurs, et qui est en prin­cipe sup­por­tée par les employeurs à rai­son de 4 % des salaires. Une autre note parue dans les jour­naux du 27 juillet indique que les pertes en hommes jeunes du fait de la guerre et la dimi­nu­tion de la nata­li­té ayant aug­men­té le nombre des vieillards dans la popu­la­tion, une ordon­nance en pré­pa­ra­tion vise­rait le relè­ve­ment de l’âge de la retraite des vieux tra­vailleurs, y com­pris les fonc­tion­naires. Les coti­sa­tions actuelles étant trop peu nom­breuses pour jus­ti­fier la retraite à 55 ans ou 60 ans.

Ain­si les vieux tra­vailleurs, ceux qui ont connu tous les slo­gans d’il y a trente ans, au moment où la guerre néces­si­tait des pro­messes en vue d’un apai­se­ment de la juste colère des vic­times de la crise 1914 – 1918, se voyaient bru­ta­le­ment pri­vés de ce que l’on avait fait, une aumône… un os au vieux chien.

Actuel­le­ment, ceux qui ont subi dans ces der­nières. années toutes les pri­va­tions, la sous-ali­men­ta­tion, le manque de soins et qui ont eu leur san­té usée pour la plus grande gloire du capi­ta­lisme, ceux dont la détresse phy­sique n’a d’é­gale que celle des enfants sont appe­lés à contri­buer à une pro­duc­tion dont ils n’ont jamais connu les bienfaits.

Le capi­ta­lisme, après avoir détruit les plus belles forces de la socié­té, les jeunes, entend dévo­rer les vieux. Le Moloch est insa­tiable, la pour­ri­ture du régime se mesure aux amé­lio­ra­tions sociales qu’il est en mesure d’é­di­fier ; quand il y a réduc­tion du bien-être social, on peut consi­dé­rer que le régime se mine de plus en plus. La mor­ta­li­té humaine chez les tra­vailleurs est en moyenne de l’âge de 60 ans en temps nor­mal. Quelle va être cette moyenne après l’hor­rible période que nous venons de tra­ver­ser ? Autant dire que la majo­ri­té des vieux que l’on va main­te­nir au tra­vail sera éli­mi­née avant d’at­teindre l’âge du repos fixé par la loi ; on espère donc, en fait, ne pas avoir à assu­rer le ser­vice de retraite.

Quand à la base de cal­cul, le salaire moyen des dix der­nières années, s’il est cal­cu­lé sur les bases des sta­tis­tiques offi­cielles, por­te­ra sur la période 1935 – 1945 pour les retrai­tés immé­diats, c’est-à-dire pour la période où les salaires ont été blo­qués à un taux qui ne per­met­tait pas à l’in­di­vi­du d’as­su­rer sa stricte maté­rielle, le salaire ne répon­dant plus, et de loin, au pou­voir d’a­chat ; de plus, pour béné­fi­cier d’une retraite vieillesse dans les termes de la loi, il sera néces­saire que l’as­su­ré ait coti­sé depuis 1930 pour avoir ses quinze années de coti­sa­tion ; or, on sait que dans les périodes de crise éco­no­mique, le patro­nat s’est empres­sé de mettre en dehors de la pro­duc­tion les vieux tra­vailleurs qui encom­braient les bureaux de chô­mage, que d’autre part il avait été envi­sa­gé qu’à par­tir de 60 ans les vieux tra­vailleurs seraient exclus de la pro­duc­tion afin de lais­ser plus de place aux jeunes. Il est donc à pré­voir que peu de vieux tra­vailleurs pour­ront se pré­va­loir de quinze années de coti­sa­tions. Il faut exi­ger pour les vieux tra­vailleurs la retraite à 55 ans, sur la base du salaire total moyen de la région ; ceux qui ont toute leur vie four­ni le pro­fit aux exploi­teurs y ont droit. Le capi­ta­lisme, par ses contra­dic­tions, nous met dans une situa­tion dif­fi­cile ; nous n’a­vons pas à venir à son aide ; au contraire, il a tué ou dimi­nué la jeu­nesse du pays ; s’il n’est pas pos­sible d’as­su­rer une exis­tence hon­nête à ceux qui res­tent, alors qu’il déclare for­fait. Les défen­seurs du peuple de la Consul­ta­tive gagnent 190.000 francs par an ; les géné­raux en mis­sion aux États-Unis émargent pour près de 40.000 fr. par mois ; nous ne par­le­rons que pour mémoire des soldes astro­no­miques des naph­ta­lines et autres mili­taires dont la période de tra­vail est d’en­vi­ron neuf ans pour trente ans de pré­sence, et quand on sait à quel tra­vail ils se livrent, on s’en pas­se­rait facilement.

Tous ces gens ne craignent pas la vieillesse et pour eux nous n’a­vons aucune appré­hen­sion ; on vit vieux dans la poli­tique ou dans l’ar­mée. Regar­dez Jean­ne­ney, Her­riot, Blum, Cachin, Marin et autres. Ce sont de beaux vieillards qui n’ont aucun sou­ci de leur ave­nir, qui est ins­crit déjà au Grand Livre de la Dette publique. Quant à Pétain, sa carte V et le manque de char­bon n’ont pas dû trop l’a­lar­mer, car il porte, à ce qu’on dit, gaillar­de­ment ses 90 ans, âge auquel peu de nos vieux com­pa­gnons parviendront.

Cama­rades liber­taires, fai­sons cam­pagne pour les vieux ; ne lais­sons pas aux poli­ti­cards en mal d’é­lec­tion une plate-forme dont ils se servent déma­go­gi­que­ment. Dénon­çons l’in­jus­tice sociale, l’i­gno­mi­nie du talon de fer ; exi­geons pour ceux qui ont mené la lutte avant nous un ave­nir meilleur que le retour au bagne capi­ta­liste ou la mort à l’hôpital.

La Presse Anarchiste