La Presse Anarchiste

Garaudy découvre l’anarcho-syndicalisme

Dans le numé­ro de juin de la revue « Poli­tique d’au­jourd’­hui », Roger Garau­dy répond à un cer­tain nombre de ques­tions concer­nant la « stra­té­gie révolutionnaire ».

Nous avons cru devoir nous y arrê­ter car Garau­dy y fait un cer­tain nombre de « décou­vertes » ful­gu­rantes qui mettent de l’eau dans le mou­lin des anar­cho-syn­di­ca­listes, mais qui, aus­si, sont inquié­tantes dans la mesure où le contexte idéo­lo­gique tota­le­ment dif­fé­rent dans lequel il les place, risque de détour­ner ces points de l’ob­jec­tif révo­lu­tion­naire que nous leur don­nons : l’au­to­no­mie de lutte de la classe ouvrière.

Tout d’a­bord, Garau­dy veut « échap­per à la fausse oppo­si­tion entre grèves reven­di­ca­tives (…) et grèves poli­tiques (…) Le rap­port entre l’é­co­no­mique et le poli­tique et la sépa­ra­tion des deux, ne peuvent plus être conçus comme en 1905 (sic) au temps de la « charte d’A­miens », où l’on pou­vait encore à cette étape du capi­ta­lisme, limi­ter les syn­di­cats à la lutte dans l’en­tre­prise (…) alors que les par­tis poli­tiques de la classe ouvrière avaient pour tâche de com­battre un État et un régime où la force de tra­vail est une marchandise ».

À titre d’in­for­ma­tion, rap­pe­lons au cama­rade Garau­dy que la charte d’A­miens, écrite en 1906 par des syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires, refuse pré­ci­sé­ment cette sépa­ra­tion entre poli­tique et reven­di­ca­tif, refuse l’in­gé­rence des par­tis dans les syn­di­cats, refuse de limi­ter l’ac­tion du syn­di­cat à la reven­di­ca­tion immé­diate, et accorde enfin au syn­di­cat le rôle pré­pon­dé­rant dans l’or­ga­ni­sa­tion et la construc­tion de la socié­té socialiste :

« Mais cette besogne (il s’a­git de la reven­di­ca­tion maté­rielle) n’est qu’un côté de l’œuvre du syn­di­ca­lisme, dit la charte d’A­miens : il pré­pare l’é­man­ci­pa­tion inté­grale qui ne peut se réa­li­ser que par l’ex­pro­pria­tion capi­ta­liste ; il pré­co­nise comme moyen d’ac­tion la grève géné­rale et il consi­dère que le syn­di­cat, aujourd’­hui grou­pe­ment de résis­tance, sera dans l’a­ve­nir le groupe de pro­duc­tion et de répar­ti­tion, base de la réor­ga­ni­sa­tion sociale…»

Mais pour­sui­vons l’a­na­lyse de Garaudy.

Pour l’É­tat, qui aujourd’­hui est de loin le plus gros patron, « les inter­lo­cu­teurs prin­ci­paux ne sont plus les par­tis poli­tiques mais les syn­di­cats ». Quelle fla­grante confir­ma­tion des thèses syn­di­ca­listes révo­lu­tion­naires et anar­cho-syn­di­ca­listes, et venant en plus d’un des plus savants dia­lec­ti­ciens de notre temps ! Et, pour­suit-il très jus­te­ment : « Le seul dan­ger serait que les syn­di­cats calquent leurs démarches sur le modèle par­le­men­taire dans les négo­cia­tions avec le patro­nat et l’État ».

Ce sou­ci d’un cama­rade (exclu il est vrai) d’une for­ma­tion poli­tique dont la seule acti­vi­té « révo­lu­tion­naire » actuelle consiste uni­que­ment à bri­guer le maxi­mum de sièges au Par­le­ment, le sou­ci de ce cama­rade tou­che­ra au plus pro­fond du cœur tous les syn­di­ca­listes authen­tiques, ceux, entre autres, qui ont tou­jours affir­mé que la seule orga­ni­sa­tion de classe qui doit à la fois défendre les inté­rêts des tra­vailleurs et pré­pa­rer la construc­tion du socia­lisme, est le syndicat.

Ceux qui ont tou­jours affir­mé que les orga­ni­sa­tions de tra­vailleurs devaient refu­ser de s’en­ga­ger sur le ter­rain de la bour­geoi­sie, le ter­rain par­le­men­taire, mais au contraire for­cer la bour­geoi­sie à venir com­battre sur le seul ter­rain où les tra­vailleurs peuvent vaincre, le ter­rain de la lutte de classes, par la grève, reven­di­ca­tive et politique.

Nous sommes d’ailleurs heu­reux de voir un intel­lec­tuel de la valeur du cama­rade Garau­dy nous rejoindre sur ce point, puis­qu’il va jus­qu’à affir­mer que la forme prin­ci­pale de lutte (mais non la seule) est la grève géné­rale (que lui appelle « nationale»…)

La nuance est tel­le­ment sub­tile qu’en peut se deman­der si Garau­dy ne fait pas l’âne pour avoir du son. Il fait sem­blant de ne pas savoir ce qu’est la grève géné­rale, et c’est ce qui lui per­met d’in­tro­duire la sub­tile appel­la­tion de « grève nationale ».

En effet, selon Garau­dy, la grève géné­rale n’en­glo­be­rait que les ouvriers, alors que la grève natio­nale englo­be­rait, elle, « au-delà de la classe ouvrière », « de larges couches sociales » : fonc­tion­naires, étu­diants, intel­lec­tuels, etc. La deuxième dif­fé­rence fon­da­men­tale serait que la grève géné­rale ne visait qu’à para­ly­ser la pro­duc­tion, alors que sa grève à lui, la grève « natio­nale », vise­rait à faire fonc­tion­ner les entre­prises, admi­nis­tra­tions, etc.

Une fois de plus, nous devons rap­pe­ler que, pas plus que les syn­di­cats n’ont pour rôle exclu­sif de reven­di­quer, pas plus la grève géné­rale n’a pour objec­tif exclu­sif de para­ly­ser la pro­duc­tion. Au contraire, elle devait abou­tir à la ges­tion ouvrière de la pro­duc­tion, par l’in­ter­mé­diaire du syn­di­cat, comme le pas­sage de la charte d’A­miens cité plus haut nous le montre.

Que cher­chons-nous à démon­trer en nous en pre­nant à Garaudy ?

Que les véri­tés issues du plus pro­fond de la classe ouvrière sent sujettes à être détour­nées de leur esprit et récu­pé­rées par une mino­ri­té de politiciens.

Que nous devons être vigi­lants et dénon­cer sys­té­ma­ti­que­ment toutes les ten­ta­tives de détour­ne­ment et de récupération.

Que les tra­vailleurs, par leur pra­tique quo­ti­dienne de la lutte, n’ont pas atten­du le cama­rade Garau­dy pour lan­cer les mots d’ordre : GRÈVE GÉNÉRALE EXPROPRIATRICE et GESTION OUVRIÈRE.

L’Al­liance syndicaliste.

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