La Presse Anarchiste

Un sujet délicat

Il est réel­le­ment déli­cat ce sujet, qui consiste à démon­trer la néces­si­té d’ins­truire femmes, jeunes gens et enfants, per­sonnes inno­centes en un mot, sur les dan­gers des mala­dies véné­riennes en géné­ral et la syphi­lis en particulier.

Le nombre des femmes conta­mi­nées, par des hommes sans expé­rience, impru­dents ou cyniques est très nom­breux. Ce nombre jus­ti­fie un ensei­gne­ment de pré­ser­va­tion de ce mal, qui comme l’al­coo­lisme ne repose en par­tie que sur l’ignorance.

Toutes les per­sonnes sen­sées et de bonne foi venues de dif­fé­rents milieux le pro­clament. Mais cette ques­tion ne fait pas pour cela, au point de vue pra­tique, de pro­grès ; il est vrai que cette ques­tion est liée comme beau­coup d’autres à la solu­tion d’un pro­blème plus grand.

Soit au foyer, au dehors, à l’é­cole, etc. quand on écrit, ou quand on parle aux jeunes gens, on fait comme si les phé­no­mènes par les­quels la vie doit se conti­nuer n’exis­taient pas. C’est pour la plu­part de nos mora­listes un sujet secret qu’on ne doit pas déve­lop­per et qu’une tra­di­tion très ancienne nous impose. Pour­tant, aujourd’­hui, cha­cun de nous sent la néces­si­té de l’é­clair­cir. Mais il est très dif­fi­cile de s’y résoudre. C’est pour­quoi il est utile de dire et de répondre à des ques­tions que se posent sou­vent des mères de famille, inquiètes de ce mal caché qui se pro­page mys­té­rieu­se­ment, effrayées aus­si des révé­la­tions maladroites.

D’a­bord, de fait, le sujet déli­cat est bien secret. Dans presque tous les trai­tés d’his­toire natu­relle, les fonc­tions ani­males sont décrites avec un luxe d’i­mages qui est bien la carac­té­ris­tique des livres d’é­cole actuels. Le simple obser­va­teur s’a­per­ce­vra vite qu’une seule de ces fonc­tions en est ban­nie, comme n’exis­tant pas : c’est la fonc­tion sexuelle, celle de la repro­duc­tion de l’es­pèce. Les autres seront décrites par l’au­teur avec force détails, mais sur celle-ci il n’en souf­fle­ra mot, il res­te­ra silen­cieux sur l’o­vaire qui recèle les œufs où l’es­pèce humaine est cou­vée, ain­si que les tes­ti­cules cor­res­pon­dants. On ne peut admettre qu’on veut par là, en cachant la fonc­tion de la vie, lais­ser dans l’obs­cu­ri­té les bas-côtés de notre exis­tence, puis­qu’on ne peut pas dis­si­mu­ler les excré­tions qui n’ont rien de beau, en somme, au regard du sen­ti­ment. La plu­part des planches ana­to­miques sont fausses ou incom­plètes. Dans le sque­lette où toutes les chairs ont dis­pa­ru, on ne craint pas de tout décrire, parce que les os n’ont pas de sexe, du moins pour les profanes.

On ne s’é­ton­ne­ra pas que la science paléon­to­lo­gique, qui exhume les fos­siles, les restes de la vie pré­his­to­rique est citée plus abon­dam­ment que la phy­sio­lo­gie qui explique le fonc­tion­ne­ment des organes ain­si que l’embryologie qui explique le déve­lop­pe­ment des êtres. Il est une chose bizarre, sin­gu­lière même, c’est que la bota­nique est entiè­re­ment ensei­gnée jusque dans la repro­duc­tion des fleurs. Il est vrai que le nom des organes change, qu’ils paraissent plus conve­nables et dont les formes n’é­veillent guère chez les jeunes audi­teurs des pen­sées lubriques. — Mais vrai­ment, où les conve­nances et la pudeur vont-elles se nicher ?

Le pol­len et le pis­til sont des noms qui évoquent un sens poé­tique que n’ont pas leurs homo­logues zoo­lo­giques. C’est idiot, il faut en conve­nir, mais les pré­ju­gés sont tel­le­ment enra­ci­nés chez les gens qu’il est dif­fi­cile de les extir­per. Ces pré­ju­gés sont tel­le­ment tenaces, ces organes de la repro­duc­tion sont tel­le­ment réprou­vés qu’on inter­dit sou­vent de les faire figu­rer sur les sta­tues. Sou­ventes fois on a vu des gens qui au paroxysme de la chas­te­té ont muti­lé les héros en marbre des musées ou des parcs. Pour­tant les chiens ou d’autres ani­maux ne se gênent nul­le­ment d’é­ta­ler dans la rue et aux yeux de tous, ce qu’on s’a­charne à cacher ailleurs.

D’a­près les prin­cipes et les morales cou­rants, tout doit se pas­ser d’une façon conve­nable. Les entre­tiens sont expur­gés et il est admis que les jeunes filles doivent arri­ver à l’âge de l’u­nion dans un état d’ab­so­lue can­deur. Or, pen­dant ce temps, ce cha­pitre secret s’en­seigne sous une forme cou­verte, car il est aisé de pen­ser que la défense n’est qu’un empê­che­ment ano­din, et on se demande com­ment s’en­seigne cette chose prohibée.

Mais tout sim­ple­ment par les enfants qui jouent entre eux le rôle de pro­fes­seur clan­des­tin. Les plus grands, les plus vicieux l’en­seignent à leur façon aux plus petits, aux can­dides, et il est aisé de s’i­ma­gi­ner com­ment les cer­veaux faibles, igno­rants et naïfs et sur­tout sur­ex­ci­tés par une ima­gi­na­tion per­verse peuvent par­ve­nir à défor­mer, en vou­lant plus ou moins bien copier les gestes les plus simples et les plus natu­rels. Comme autre­fois pour les mys­tères reli­gieux, cette ques­tion de la géné­ra­tion est aujourd’­hui l’ob­jet d’un ensei­gne­ment bila­té­ral, chez les connais­seurs, les ini­tiés, il est ration­nel et chez les pro­fanes, les igno­rants, il est plein de gros­sières inep­ties et ces igno­rants se com­posent sur­tout de femmes et d’en­fants. Et l’on sait que ce sys­tème d’en­sei­gne­ment n’a­bou­tit qu’à sus­ci­ter les plus gros­sières super­sti­tions. D’a­bord cette pra­tique est dan­ge­reuse pour l’a­dul­té­ra­tion géné­rale de l’es­prit pro­vo­quée par toute erreur impor­tante. Et nous croyons qu’il serait impor­tant de l’é­car­ter radi­ca­le­ment, car on ne doit jamais lais­ser ensei­gner des notions fausses, pour la bonne rai­son qu’elles mécon­naissent les périls des rap­ports sexuels des jeunes gens et sur­tout des jeunes filles qui mal­heu­reu­se­ment sont inca­pables de se défendre contre ce mal, — la syphi­lis en l’es­pèce — et ignorent tota­le­ment les dan­gers du plai­sir recher­ché avec plus d’a­vi­di­té que de com­pé­tence. Ce qui pro­voque une atti­tude dis­si­mu­lée, pro­ve­nant de la pro­hi­bi­tion d’en­sei­gner sai­ne­ment ces choses et dont la gri­voi­se­rie n’est qu’un des aspects.

Dans cer­taines chan­sons liber­tines, il y a sou­vent le désir d’of­fus­quer un sen­ti­ment réser­vé qui est impo­sé à tout le monde. Dans la gri­voi­se­rie on se montre sur­tout gri­vois contre quelque chose, contre la pudeur d’au­trui. C’est là sur­tout un des élé­ments de ce plai­sir par­ti­cu­lier. Ce sens de connais­sances qu’on vou­drait empê­cher se déve­loppe vicieu­se­ment, d’une façon irré­gu­lière ; sou­vent, les pen­chants amou­reux inver­tis sont venus par la contrainte qu’ils ont dû subir dans la voie naturelle.

Nous savons très bien que l’on craint l’autre dan­ger : celui qui est éveillé par un ensei­gne­ment trop précoce

Il est enten­du que les enfants et les jeunes filles ne doivent rien savoir, mais ils savent. Et l’on se demande s’il vaut mieux les main­te­nir dans cette demi ignorance ?

Nous croyons qu’il serait pré­fé­rable de les ins­truire direc­te­ment d’une façon ration­nelle et saine que de les lais­ser caté­chi­ser par des cama­rades vicieux et per­ver­tis ou par des livres por­no­gra­phiques et, mal­heu­reu­se­ment, ces der­niers sont nom­breux. Nous ne pou­vons nier que la curio­si­té des enfants et des jeunes gens ne soit plu­tôt tour­née de ce côté, que la moindre allu­sion à cette pre­mière fonc­tion de la vie ne pro­voque des plai­san­te­ries idiotes — ce qui est peu impor­tant en somme — ain­si que des pen­sées licen­cieuses, ce qui com­porte quelque dan­ger. Nous ne pou­vons le contes­ter : l’a­do­les­cent se montre curieux mali­gne­ment, comme l’a­dulte se fait gri­vois. Et il ne ser­vi­rait à rien de se dis­si­mu­ler ce sen­ti­ment, qui sub­siste, avec lequel il faut comp­ter et qui reste un obstacle.

Pour­quoi est-ce ain­si se deman­de­ra-t-on ? N’est-ce pas jus­te­ment parce qu’une édu­ca­tion fausse nous a for­més tels en recou­vrant d’une honte et d’un mys­tère exci­tant la fonc­tion sexuelle par sa pro­hi­bi­tion même. Nous en sommes for­te­ment convain­cus. Il est une chose que nous croyons cer­taine, nous autres anar­chistes, c’est que l’é­du­ca­tion peut assa­gir, trans­for­mer la curio­si­té des enfants. Apprendre et connaître les phé­no­mènes, c’est le meilleur remède contre les inter­pré­ta­tions aber­rantes. La science anes­thé­sie ce qu’elle touche. Le savant et le phi­lo­sophe peuvent et doivent ins­truire les jeunes gens sur ces phé­no­mènes qui en deve­nant une étude sérieuse et ration­nelle, per­dront petit à petit tout air de per­ver­sion. Il serait temps que ces notions ne soient plus consi­dé­rées comme intan­gibles par les péda­gogues et autres édu­ca­teurs offi­ciels. De même que les facul­tés de méde­cine éloignent, chassent même les char­la­tans, l’en­sei­gne­ment et l’é­du­ca­tion sur ce sujet déli­cat, en se fai­sant au grand jour, démas­que­ra et décou­vri­ra l’en­sei­gne­ment clan­des­tin, pour­voyeur de vices et pour­ris­seur de cerveaux.

Mau­rice Imbard


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