La Presse Anarchiste

Que doit être le lien confédéral ?

Plus pré­ci­sé­ment, que doit être le lien orga­nique de notre C.G.T. auto­nome ? Jus­qu’à pré­sent ce lien a été ce qu’é­taient les hommes com­po­sant le bureau Confé­dé­ral. Je veux dire que l’ac­ti­vi­té de ce bureau se tra­dui­sait par l’ac­ti­vi­té per­son­nelle de ses membres. Et ceux-ci ont pu sou­vent être taxés de négli­gence ou d’au­to­ri­ta­risme sui­vant qu’ils se mon­traient enclins à la mol­lesse ou pleins d’éner­gie. En somme, un lien per­son­nel, plus poli­tique qu’organique.

N’est-il pas temps de don­ner au lien confé­dé­ral une autre base, conforme au rôle éco­no­mique qui est le sien ?

On a trop sou­vent déplo­ré l’i­gno­rance, où les syn­di­cats se trou­vaient les uns des autres, on a trop sou­vent cri­ti­qué les direc­tives que la tête confé­dé­rale don­nait aux syn­di­cats sans connaître au juste ni la situa­tion éco­no­mique du moment, ni l’é­tat d’es­prit, les ten­dances ou le niveau maté­riel des grou­pe­ments syn­di­caux, on a trop souf­fert, en un mot, de l’or­ga­ni­sa­tion empi­rique du pas­sé, pour ne pas com­prendre l’u­ti­li­té d’un organe ali­men­té par les syn­di­cats eux-mêmes et four­nis­sant à son tour à chaque syn­di­cat une infor­ma­tion fon­dée sur les don­nées par­ti­cu­lières éma­nant de tous, com­plé­tées, recou­pées au moyen d’une docu­men­ta­tion plus générale.

Comme rouage essen­tiel de ce méca­nisme, la fiche d’in­for­ma­tion, véri­table lien orga­nique de la Confédération.

Le plus grand soin devra être appor­té à la confec­tion de la fiche d’in­for­ma­tions, qui aura la forme d’un ques­tion­naire. Les ques­tions, dont le choix fera éga­le­ment l’ob­jet d’un exa­men atten­tif, vise­ront, entre autres points :

La com­po­si­tion, le déve­lop­pe­ment, l’ac­ti­vi­té du Syn­di­cat et de ses organes ;

Les reven­di­ca­tions en ins­tance, les conflits en cours ou en perspective ;

Les entre­prises aux­quelles appar­tiennent les membres du syn­di­cat (condi­tions par­ti­cu­lières de tra­vail, atti­tude de la direc­tion, état d’ex­pan­sion ou de crise éco­no­mique, etc.) ;

La situa­tion du mar­ché du tra­vail local (chô­mage, immigration) ;

Les mani­fes­ta­tions par­ti­cu­lières de la vie sociale de la loca­li­té et les évé­ne­ments inté­res­sant l’exis­tence des tra­vailleurs (prix des den­rées, par exemple).

Four­nies par la Confé­dé­ra­tion, les fiches d’in­for­ma­tions seraient rem­plies par chaque syn­di­cat et retour­nées pério­di­que­ment (tous les trois mois, par exemple) au ser­vice d’in­for­ma­tion où, avant d’être dûment clas­sées, elles ser­vi­raient à entre­te­nir des docu­men­ta­tions per­ma­nentes por­tant sur chaque caté­go­rie infor­ma­tions et à ali­men­ter des dos­siers consti­tués sur des faits particuliers.

À cette docu­men­ta­tion ori­gi­nale vien­draient s’a­jou­ter les élé­ments ordi­naires d’un ser­vice d’in­for­ma­tion : dépouille­ment de la presse ouvrière et patro­nale et des publi­ca­tions éco­no­miques et pro­fes­sion­nelles, tenue de sta­tis­tiques, etc.

Qui ne voit toutes les res­sources qui peuvent être tirées d’un ser­vice d’in­for­ma­tion scien­ti­fi­que­ment orga­ni­sé, tant au pointe de vue de la vie interne de l’or­ga­ni­sa­tion, inten­si­fiée par des échanges conti­nuels, et des pré­vi­sions éco­no­miques, si impor­tantes en cas de conflit, que de la pro­pa­gande géné­rale et de la connais­sance de la situa­tion sociale.

En gros, la tâche du ser­vice d’in­for­ma­tion sera une œuvre de syn­thèse des ren­sei­gne­ments ras­sem­blés de toutes parts, en vue de la meilleure uti­li­sa­tion pos­sible. La docu­men­ta­tion ser­vi­rait, en pre­mier lieu, à la rédac­tion d’un bul­le­tin heb­do­ma­daire. Les Fédé­ra­tions, de leur côté, y pui­se­raient une part des connais­sances indus­trielles dont leur rôle tech­nique leur fait un devoir de s’ar­mer. Aux Confé­rences et Congrès de l’or­ga­ni­sa­tion elle per­met­trait de prendre des déci­sions en connais­sance de cause, grâce à des rap­ports éta­blis avec des don­nées de pre­mière main. Aux pro­pa­gan­distes de la Confé­dé­ra­tion, enfin, elle four­ni­rait les maté­riaux néces­saires à leur action, qui serait ren­due, de ce fait, incom­pa­ra­ble­ment plus aisée, sûre, efficace.

Sans doute, l’ef­fi­ca­ci­té de la fiche d’in­for­ma­tions dépend-t-elle, pour une grosse part, du nombre des syn­di­cats qui l’emploient. Or, les syn­di­cats auto­nomes ne sont pas, à l’heure actuelle, très nom­breux. Mais ce n’est pas 1à une rai­son pour ne pas com­men­cer. On peut sou­te­nir au contraire que cette inno­va­tion sera un pré­cieux adju­vant pour nos mili­tants dans la cam­pagne qui sera menée à la suite de la consti­tu­tion défi­ni­tive de la nou­velle Confé­dé­ra­tion, car de telles réa­li­sa­tions sont en elles-mêmes une valeur de pro­pa­gande. Du reste, on arri­ve­rait peut-être à inté­res­ser au ser­vice d’in­for­ma­tion des Syn­di­cats appar­te­nant aux autres C.G.T. Il y a, de ce côté une idée à creu­ser. Il ne peut y avoir qu’a­van­tage à dif­fé­ren­tier net­te­ment toutes les méthodes de la nou­velle orga­ni­sa­tion de celles des autres et mon­trer que la C.G.T. de l’a­ve­nir ne peut se suf­fire, entre-autres, des méthodes admi­nis­tra­tives du siècle passé.

Une objec­tion dont il ne faut pas mécon­naître la valeur repose sur l’in­dif­fé­rence, l’im­pré­pa­ra­tion ou la négli­gence de cer­tains secré­taires de Syn­di­cats. Évi­dem­ment, il y aura, à l’é­gard de ces élé­ments en nombre, peut-être minime, toute une édu­ca­tion à faire. Ici aus­si, il se pour­rait que le méca­nisme de la fiche d’in­for­ma­tions porte en lui-même une ver­tu remar­quable, en fai­sant com­prendre au mili­tant local l’im­por­tance de cer­taines ques­tions, en lui appre­nant à obser­ver des faits qui lui échap­paient aupa­ra­vant. À ce pro­pos, j’in­siste sur l’u­ti­li­té de don­ner à la fiche-ques­tion­naire une forme très étu­diée, très par­lante, avec des cases toutes prêtes pour rece­voir la réponse.

Les vues théo­riques que je viens d’ex­po­ser sont sans doute appe­lées à être cor­ri­gées et com­plé­tées dans leur appli­ca­tion. Ain­si, il fau­dra pré­voir la situa­tion des Unions locales où régio­nales et des Fédé­ra­tions par rap­port au nou­vel orga­nisme. Ce sera le rôle des mili­tants en contact quo­ti­dien avez les réa­li­tés. C’est du reste cette absence de contact per­ma­nent, autre­ment dit ce manque de recul, qui les empêche bien sou­vent de se rendre compte des réformes à appor­ter dans l’or­ga­ni­sa­tion syndicale.

Quelles que soient les moda­li­tés d’ap­pli­ca­tion de la fiche d’in­for­ma­tions, je suis convain­cu que l’in­no­va­tion s’im­pose, et le moins on tar­de­ra, le mieux cela vaudra.

[/​Jacques Reclus./​]

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