La Presse Anarchiste

Partialité ou impartialité de l’éducation

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L’importance de l’éducation

L’im­por­tance de l’é­du­ca­tion n’a jamais échap­pé aux ani­ma­teurs sociaux et dans les plus vieilles socié­tés, dans les plus pri­mi­tives civi­li­sa­tions, on trouve déjà toute une tech­nique plus ou moins empi­rique façon­nant « l’âme » des jeunes êtres, les ini­tiant, avan­ta­geu­se­ment ou non, à leur future acti­vi­té indi­vi­duelle et sociale. Cette néces­si­té de l’é­du­ca­tion se constate d’ailleurs beau­coup plus loin puis­qu’on la voit s’im­po­sant bio­lo­gi­que­ment chez les mam­mi­fères et les oiseaux, ini­tiant leurs petits à la chasse et à la recherche de leur nour­ri­ture, et à tous les actes offen­sifs et défen­sifs indis­pen­sables à leur conservation.

Cette édu­ca­tion ani­male et ins­tinc­tive s’est inévi­ta­ble­ment com­pli­quée chez l’homme en fonc­tion du déve­lop­pe­ment de son ima­gi­na­tion. Aux néces­si­tés bio­lo­giques réelles, il a ajou­té des néces­si­tés mys­tiques tota­le­ment ima­gi­naires, étran­gères aux faits expé­ri­men­taux les plus évidents.

Quelle que soit, a prio­ri, notre opi­nion sur l’é­du­ca­tion, force nous est de consta­ter sa puis­sance déter­mi­nante et son impor­tance pri­mor­diale sur l’é­vo­lu­tion sociale. L’en­fant est un petit ani­mal étran­ger à tout l’ac­quis ances­tral, igno­rant com­plè­te­ment cet acquis, et repar­tant à peu près à zéro en fait de connais­sances offen­sives ou défen­sives pour sa conservation.

Ceux qui nient l’im­por­tance et l’in­fluence de l’é­du­ca­tion sur les soi-disant ins­tincts héré­di­taires devraient obser­ver les ani­maux et expé­ri­men­ter son pou­voir sur l’o­rien­ta­tion de leurs com­por­te­ments. On a vu des chiens et des chats éle­vés ensemble jouant et s’ai­mant mutuel­le­ment et soi­gnant leurs petits réci­pro­que­ment sans aucune jalou­sie. Et on a vu ces mêmes ani­maux se défendre soli­dai­re­ment et mutuel­le­ment contre des ani­maux de leur propre espèce en faveur de l’a­mi d’une espèce dif­fé­rente. Des ani­maux dits sau­vages s’at­tachent affec­tueu­se­ment à leur maître, s’ils sont bien trai­tés, alors que l’é­du­ca­tion natu­relle de leur espèce en ferait irré­mé­dia­ble­ment ses enne­mis. On pour­rait accu­mu­ler les faits sur cette modi­fi­ca­tion édu­ca­tive du com­por­te­ment ani­mal, mais ceci nous écar­te­rait trop du sujet.

Si nous reve­nons à l’es­pèce humaine, nous sommes frap­pés par l’am­pleur gigan­tesque des mou­ve­ments psy­cho­lo­giques col­lec­tifs. Croyances féti­chistes, reli­gieuses, raciales, poli­tiques, natio­nales, voire éco­no­miques, étendent leur pou­voir d’ac­tion sur des masses humaines énormes et les meuvent avec une force irré­sis­tible. Ces hommes qui, pris indi­vi­duel­le­ment à leur nais­sance, n’ont aucune de ces croyances et vivraient n’im­porte quel sys­tème social s’im­po­sant à eux, deviennent, par l’é­du­ca­tion, des défen­seurs de sys­tèmes, bons ou mau­vais, dont on les sature en bour­rant leur enten­de­ment d’af­fir­ma­tions qu’ils ne peuvent contrô­ler et qu’ils assi­milent peu ou prou selon leur nature rebelle ou passive.

Il y a matière à médi­ta­tion sur les fluc­tua­tions, la dépen­dance ou l’in­dé­pen­dance de notre per­son­na­li­té et, dans un sens plus réduit, sur la valeur de notre choix per­son­nel. Je revien­drai sur ce point.

Consi­dé­rons sim­ple­ment ici les consé­quences sociales de ces croyances. Les der­niers évé­ne­ments nous ont mon­tré des mil­lions d’hommes se heur­tant à d’autres mil­lions d’hommes et s’ex­ter­mi­nant réci­pro­que­ment sans que cha­cun d’eux se soit déter­mi­né, en ces cir­cons­tances tra­giques, par une opi­nion réel­le­ment per­son­nelle et objec­tive. Et l’his­toire humaine n’est qu’une suite d’é­vé­ne­ments sem­blables tou­jours déter­mi­nés par l’é­du­ca­tion col­lec­tive et nul­le­ment par la déci­sion lon­gue­ment médi­tée et réflé­chie de chaque individu.

Et si jugeant néfaste cette édu­ca­tion col­lec­tive nous essayons d’en modi­fier les élé­ments, nous consta­tons qu’elle s’est répan­due et enra­ci­née dans les masses avec une telle ampleur que cette réédu­ca­tion nous paraît à pre­mière vue à peu près impos­sible, et que l’é­du­ca­tion tout court des jeunes humains nous semble aus­si dif­fi­cul­tueuse que celle des adultes par le côté contra­dic­toire même de toute éducation.

Absurdité de l’impartialité absolue

Deux concepts s’op­posent en effet, immé­dia­te­ment sur cette ques­tion : l’un veut for­mer des adeptes par l’im­po­si­tion d’un sys­tème l’autre, res­pec­tant la per­son­na­li­té humaine, ne veut point for­mer des sui­veurs et peut abou­tir, dans ses plus extrêmes consé­quences, à la néga­tion de toute édu­ca­tion. Inutile d’é­tu­dier le pre­mier concept, le concept clas­sique de la par­tia­li­té. C’est lui qui a tou­jours déter­mi­né les peuples, depuis les hordes pri­mi­tives jus­qu’à nos jours. Nous en connais­sons les méfaits. Tout ce que peuvent dire les bour­reurs de crâne en faveur de ce sys­tème édu­ca­tif, c’est qu’il serait excellent si les matières ensei­gnées étaient elles-mêmes excel­lentes. Or, tous les édu­ca­teurs pas­sés et pré­sents ont-dit trou­ver excel­lentes leurs méthodes, et le fait de fabri­quer en série des citoyens par­faits ayant toutes les ver­tus propres à faire durer et conser­ver une socié­té don­née, n’a qu’un seul incon­vé­nient : c’est que l’é­du­ca­teur, fabri­qué lui-même par cette édu­ca­tion, ne peut que la pro­lon­ger sans pou­voir l’a­dap­ter aux réa­li­tés qui seules pour­raient assu­rer l’é­vo­lu­tion et la conser­va­tion de cette socié­té. Et cet auto­ma­tisme fana­tique est la source de tous les conflits sociaux qu’il déchaîne et ne peut, en aucun cas, résoudre ration­nel­le­ment. C’est aux fruits qu’on recon­naît la qua­li­té de l’arbre.

Exa­mi­nons alors l’im­par­tia­li­té de l’é­du­ca­tion. Voyons tout d’a­bord si cette impar­tia­li­té est réelle ou si elle n’est qu’une illu­sion. Ici encore nous avons deux manières d’en­vi­sa­ger cette impar­tia­li­té : l’une d’ins­pi­ra­tion méta­phy­sique qui se situe dans l’ab­so­lu et s’illu­sionne sur l’in­dé­pen­dance du moi et devrait logi­que­ment abou­tir à l’af­fir­ma­tion du libre arbitre ; elle reven­dique le droit pour l’in­di­vi­du de se déve­lop­per tel qu’il est, sans aucune défor­ma­tion sociale, avec consé­quence inévi­table : la néga­tion de toute édu­ca­tion qui n’est en fait que l’im­po­si­tion de l’ex­pé­rience des adultes à l’en­fance. L’autre tenant compte des don­nées bio­lo­giques, veut faire pro­fi­ter l’en­fant de tout l’ac­quis réel de l’es­pèce, en lui évi­tant tous les appren­tis­sages inutiles, les recom­men­ce­ments coû­teux, les expé­riences dan­ge­reuses, le dotant du capi­tal temps-éner­gie pour l’en­ri­chir en quelques années de ce même capi­tal accu­mu­lé péni­ble­ment pen­dant des millénaires.

Ana­ly­sons le point de vue de l’im­par­tia­li­té abso­lue. Il repose sur la croyance mys­tique de la per­fec­tion ini­tiale du moi, sur l’exis­tence propre de ce moi issu d’on ne sait où, sorte de dieu se créant lui même, se tirant du néant, hors de toute contin­gences ou condi­tions déter­mi­nantes. Un moi de cette nature ne sau­rait d’ailleurs être édu­cable, puisque les carac­té­ris­tiques de son exis­tence ne doivent rien au milieu et ne peuvent par consé­quent rien en rece­voir. Ce moi méta­phy­sique, se suf­fi­sant à lui-même, ne peut se conce­voir. Exa­mi­né avec la meilleure volon­té nous voyons que le moi est un acci­dent for­tuit, fruit tar­dif d’une suite innom­brable d’a­ven­tures sexuelles remon­tant au-delà de l’a­mibe pri­mi­tive, jus­qu’aux pre­mières ébauches de la vie. La conju­gai­son de deux héré­di­tés, par le mélange des gènes, est une sorte de tirage au sort qui s’est répé­té des mil­lions de fois et notre moi est le der­nier gagnant de cette lote­rie. Ce pro­duit hasar­deux est ce qu’il est, il vaut ce qu’il vaut, mais n’est, a prio­ri, pas plus res­pec­table que n’im­porte quel phé­no­mène bio­lo­gique obser­vé autour de nous. L’en­fant peut être exces­si­ve­ment intel­li­gent comme il peut être sim­plet, sociable aus­si bien que per­vers, sain aus­si bien que mala­dif. Res­pec­ter ce phé­no­mène natu­rel revien­drait à res­pec­ter tous les phé­no­mènes de la nature, les bons comme les mau­vais, sans nous défendre contre leurs consé­quences néfastes pour notre propre sécu­ri­té et notre désir de bien vivre. Sans nous avan­cer plus loin sur ce sujet, rete­nons sim­ple­ment ce fait, à l’en­contre des défen­seurs du moi abso­lu, que la pro­créa­tion est déjà un acte arbi­traire, déter­mi­nant d’un coup la per­son­na­li­té du futur humain et que cet acte auto­ri­taire — inévi­table — rend déjà les pro­gé­ni­teurs res­pon­sables de la qua­li­té du moi des sujets tirés du néant. Et le refus de pro­lon­ger cet acte arbi­traire en s’abs­te­nant de toute édu­ca­tion est un acte incon­sé­quent et stu­pide, rap­pro­chant l’homme de l’a­ni­mal pro­créant aveu­glé­ment sans se sou­cier des suites de ses actes. La rai­son com­mande à l’homme de s’abs­te­nir de pro­créer s’il ne veut point se sen­tir lié à l’être qu’il engendre, s’il ne veut point sup­por­ter la res­pon­sa­bi­li­té de la qua­li­té du sujet ame­né à la vie consciente.

Ain­si donc l’im­par­tia­li­té abso­lue est une absur­di­té, puisque tout pro­créa­teur a déjà fait preuve d’une par­tia­li­té inévi­table et irré­mé­diable en dotant héré­di­tai­re­ment l’en­fant des carac­té­ris­tiques qui contri­bue­ront à for­mer sa per­son­na­li­té. Désor­mais, quelle que soit l’at­ti­tude des pro­gé­ni­teurs, les condi­tions de vie, l’in­fluence du milieu agi­ront sur l’en­fant et, avec ou sans leur inter­ven­tion, l’é­du­ca­tion s’ef­fec­tue­ra inévi­ta­ble­ment : mau­vaise si l’i­gno­rance, la sot­tise, la méchan­ce­té ont for­mé son enten­de­ment ; bien­fai­sante si la bon­té, la com­pré­hen­sion, le savoir l’ont gui­dé vers l’a­ve­nir. Apprendre à l’en­fant la sta­tion ver­ti­cale, le lan­gage des hommes, les prin­cipes d’hy­giène, les connais­sances spé­ci­fiques c’est indis­cu­ta­ble­ment le for­mer autre­ment qu’il ne le serait s’il pous­sait libre­ment et tout nu, dans la forêt. Mais cette der­nière for­ma­tion serait une édu­ca­tion tout de même et s’il n’é­tait pas dévo­ré avant sa matu­ri­té, il lut­te­rait pour vivre en appre­nant péni­ble­ment une bien faible par­tie du savoir que ses ancêtres ont mis des cen­taines de mil­lé­naires à recueillir et que des édu­ca­teurs nor­maux lui ensei­gne­raient tota­le­ment en quelques années. Ain­si l’a­ban­don des pro­créa­teurs aurait tout de même une influence déter­mi­nante sur le deve­nir de l’en­fant, enga­geant tota­le­ment leur res­pon­sa­bi­li­té, influence et res­pon­sa­bi­li­té tout aus­si impor­tante que s’ils l’a­vaient édu­qué eux-mêmes.

J’ai pous­sé à l’ex­trême cette impar­tia­li­té absurde pour en mon­trer les déve­lop­pe­ments contra­dic­toires, mais je ne pense pas qu’un être sain ait jamais dési­ré ou envi­sa­gé une impar­tia­li­té édu­ca­tive de cette nature.

L’impartialité raisonnable

Reste l’im­par­tia­li­té rai­son­nable. Puisque les pro­gé­ni­teurs ont déjà déter­mi­né invo­lon­tai­re­ment mais inévi­ta­ble­ment en grande par­tie la per­son­na­li­té de l’en­fant, pour­quoi ne conti­nue­raient-ils pas à la déter­mi­ner dans un sens don­né ? N’est-il pas rai­son­nable de vou­loir que l’en­fant devienne une valeur indi­vi­duelle et sociale, un être hau­te­ment conscient !

C’est ici que les abru­tis­seurs vont crier à la contra­dic­tion car, diront-ils, le but de toute édu­ca­tion est de don­ner à l’en­fant sa qua­li­té d’être social, qua­li­té éta­blie par les édu­ca­teurs eux-mêmes, les déter­mi­nant à for­mer l’en­fant selon leurs concep­tions sociales, ce qui exclut toute impar­tia­li­té. Conclu­sion, affir­me­ront-ils, toute édu­ca­tion est par­tiale et l’im­par­tia­li­té ne peut se concevoir.

Il est cer­tain que la qua­li­té d’une édu­ca­tion dépen­dra tou­jours de la valeur morale et intel­lec­tuelle de l’é­du­ca­teur. Il est éga­le­ment cer­tain que l’é­du­ca­tion s’ef­fec­tue­ra tou­jours confor­mé­ment à sa volon­té. L’homme étant un être volon­taire et conscient ne peut, dans cette grave ques­tion, aban­don­ner sa rai­son et sa volon­té, et il est tout à fait natu­rel qu’il veuille édu­quer l’en­fant selon son cœur et sa rai­son. Mais cela n’a rien à faire avec la stan­dar­di­sa­tion col­lec­tive, reli­gieuse ou poli­tique. Mon but est pré­ci­sé­ment de démon­trer ici la dif­fé­rence essen­tielle entre l’a­bru­tis­se­ment édu­ca­tif qui nous donne le monde tel qu’il est et l’é­du­ca­tion cri­tique capable de nous don­ner un monde nou­veau, ou tout au moins, des êtres capables de créer un monde nouveau.

C’est en contem­plant les masses humaines mues par le fana­tisme et l’i­gno­rance que l’on devine le côté dan­ge­reux de l’é­du­ca­tion réel­le­ment par­tiale. Ce fana­tisme ser­vant les pro­jets des meneurs de foules, des domi­na­teurs de peuples, des conqué­rants camou­flés en pas­teurs paci­fiques, il est com­pré­hen­sible qu’il fasse par­tie inté­grante du sys­tème édu­ca­tif. Mais il est facile, en obser­vant l’é­vo­lu­tion de ces masses, de pré­voir l’é­chec de toutes ces ten­ta­tives de trans­for­ma­tions sociales, car quelle que soit la valeur ini­tiale des réformes objec­tives exté­rieures, elles seront inévi­ta­ble­ment, tour­nées, défor­mées, anni­hi­lées si elles n’ont pu paral­lè­le­ment agir sur le déter­mi­nisme indi­vi­duel. De vieilles men­ta­li­tés, de vieilles méthodes dans un monde soi-disant nou­veau, refe­ront un monde vieux.

L’hu­ma­ni­té tourne en rond depuis l’au­rore de l’his­toire. En impo­sant des connais­sances cris­tal­li­sées, se répé­tant indé­fi­ni­ment, en s’op­po­sant à toutes les inno­va­tions sociales, essais ou réa­li­sa­tions coopé­ra­tives indé­pen­dantes, à base fédé­ra­tive, l’hu­ma­ni­té se prive du levain capable de la sor­tir de cette féro­ci­té qui risque de l’a­néan­tir tout net plus ou moins pro­chai­ne­ment. L’homme, cet ani­mal qui pèse les astres, mesure la lumière, éva­lue les dimen­sions de son uni­vers, observe et ana­lyse l’in­fi­ni­ment petit, décom­po­sé et recom­pose la matière, cet ani­mal génial par cer­tains côtés reste stu­pide en de nom­breux points. Il gas­pille sub­stance et éner­gie si sot­te­ment qu’en pleine sur­abon­dance il manque sou­dai­ne­ment de tout, et qu’au lieu d’ex­ploi­ter les richesses de sa pla­nète pour le plus grand bien-être de tous, il le fait avec l’in­ten­tion de rui­ner ses frères et de les mas­sa­crer. Voi­là le résul­tat de l’é­du­ca­tion par­tiale, éle­vant l’en­fant selon les prin­cipes conser­va­teurs de la jungle, sans autres issues et pers­pec­tives que la conti­nua­tion indé­fi­nie de cette jungle. Et cela, bien enten­du, à l’ombre des crois­sants, des cru­ci­fix, des dra­peaux plus ou moins rouges ou noirs.

Je n’ai pas la naï­ve­té de croire que les édu­ca­teurs fana­tiques vont deve­nir spon­ta­né­ment des sages et que les petits enfants d’au­jourd’­hui seront pro­chai­ne­ment les pion­niers fra­ter­nels d’un monde nou­veau. Je laisse cet opti­misme aux réfor­ma­teurs tré­pi­dants, aux pro­phètes de tous poils convain­cus et convain­cants. Nous avons vu ces pro­phètes hyp­no­ti­sant des mil­lions de mal­heu­reux et réus­sis­sant leur tour de force. Les uns ont mal fini ; les autres triomphent, triomphe à la Pyr­rhus d’ailleurs, et pour l’homme de rai­son, il reste une chose évi­dente : rien n’est chan­gé en réa­li­té ; les masses peinent tou­jours, quelle que soit leur natio­na­li­té et, coor­don­nant soi-disant ces masses, toute une élite, se qua­li­fiant telle, plus ou moins intel­lec­tuelle, plus ou moins hié­rar­chi­sée et hié­rar­chi­sante, s’offre un stan­dard de vie lar­ge­ment supé­rieur à elles.

Je pro­pose ici cet axiome social aux médi­ta­teurs éven­tuels et conscien­cieux : à tra­vers le temps et l’es­pace, les élites diri­geantes ont tou­jours vécu aux dépens de la masse.

Et je ne vois pas que quelque part cela ait chan­gé. L’art en cette matière consiste à bien maquiller cette exploi­ta­tion et à lui don­ner une forme savante et phi­lo­so­phi­co-sociale. C’est pour­quoi une bonne édu­ca­tion, une bonne stan­dar­di­sa­tion civique, voire mili­taire, est la base essen­tielle de son succès.

Donc une édu­ca­tion impar­tiale ne chan­ge­rait pas ins­tan­ta­né­ment le monde pour la simple rai­son que son effi­ca­ci­té exi­ge­rait son appli­ca­tion uni­ver­selle ; et si elle l’é­tait uni­ver­sel­le­ment, tous les édu­ca­teurs seraient des sages, et, ceux-ci étant des sages, l’hu­ma­ni­té serait sage elle aus­si, ce qui ren­drait inutile cette étude. L’hu­ma­ni­té étant — par l’in­fluence de sa tra­di­tion — aus­si folle que méchante, quelle peut bien être cette édu­ca­tion impar­tiale et que peut-on en attendre ?

C’est ici que l’é­thique de l’é­du­ca­teur prend toute son impor­tance. L’é­du­ca­tion impar­tiale doit être conçue pour l’é­pa­nouis­se­ment har­mo­nieux de l’in­di­vi­du au qua­druple point de vue sui­vant : phy­sique, éco­no­mique, intel­lec­tuel et moral. Je néglige volon­tai­re­ment le côté col­lec­tif, natio­nal et social pour les rai­sons que j’ex­po­se­rai plus loin et qui d’ailleurs se démon­tre­ront d’elles-mêmes.

L’im­par­tia­li­té pour­rait se défi­nir ain­si : évi­ter d’en­ga­ger l’in­di­vi­du dans un sys­tème quel qu’il soit, dont il n’a pas éprou­vé tous les élé­ments ration­nel­le­ment ou expérimentalement.

De cette défi­ni­tion il res­sort que l’é­du­ca­teur s’in­ter­dit toute affir­ma­tion dog­ma­tique, tout expo­sé mys­tique, toute apo­lo­gie doc­tri­naire, toute sys­té­ma­ti­sa­tion ten­dant à cris­tal­li­ser la conscience indi­vi­duelle autour d’im­muables véri­tés. L’im­par­tia­li­té relève encore de cette autre qua­li­té intel­lec­tuelle : le doute. Alors que les pro­phètes, les conqué­rants, les mes­sies affirment pos­sé­der eux seuls la seule et unique véri­té, oubliant, naï­ve­ment qu’ils sont eux-mêmes déter­mi­nés comme leurs frères en igno­rance, consta­ta­tion qui leur ôte­rait de leur superbe s’ils étaient plus conscients, l’é­du­ca­teur impar­tial déve­lop­pe­ra l’es­prit cri­tique évi­tant toute affir­ma­tion que ne peuvent jus­ti­fier l’ex­pé­rience et l’ob­ser­va­tion vécues.

Si nous ana­ly­sons dans ses grandes lignes cette édu­ca­tion, nous voyons que le déve­lop­pe­ment phy­sique cher­che­ra sur­tout l’é­qui­libre et la san­té orga­nique de l’in­di­vi­du par l’en­dur­cis­se­ment, la résis­tance à la fatigue, l’ac­crois­se­ment de la sou­plesse et de l’a­gi­li­té, la pré­ci­sion des gestes éco­no­mi­sant les dépenses inutiles d’éner­gie par la réa­li­sa­tion de mou­ve­ments har­mo­nieux et ryth­més dans la marche, la course, la nata­tion, les jeux, mou­ve­ments déve­lop­pant une mus­cu­la­ture équi­li­brée et des organes pro­por­tion­nés à ces efforts.

Il s’a­gi­ra ici beau­coup moins de faire des cham­pions que de faire croître les humains en force, en sou­plesse, en résis­tance, en par­faite san­té. Cela n’a rien de com­mun avec les acro­ba­ties spec­ta­cu­laires, les pugi­lats sau­vages et les entraî­ne­ments paramilitaires.

La ques­tion éco­no­mique paraît beau­coup plus com­plexe. Les fana­tiques du social, tou­jours en quête de défor­ma­tion de faits à leur pro­fit et d’in­ter­pré­ta­tion fan­tai­siste d’ob­ser­va­tions exactes se sont jetés astu­cieu­se­ment sur l’o­rien­ta­tion pro­fes­sion­nelle en vue sur­tout de leurs fins col­lec­ti­vistes. À les entendre, l’in­di­vi­du a des apti­tudes net­te­ment défi­nies révé­lées par les tests ou autres moyens de contrôle et la meilleure uti­li­sa­tion de ses dons natu­rels s’ef­fec­tue­ra par cette orien­ta­tion à son avan­tage et à celui de la socié­té. Ce point de vue, d’ap­pa­rence rai­son­nable, a mal­heu­reu­se­ment contre lui cet argu­ment solide qu’un test ne révèle que ce qu’on lui demande et pas davan­tage. C’est un peu comme un ques­tion­naire par oui et par non. Or, l’être humain est une créa­ture com­plexe, des­ti­né par sa nature à une acti­vi­té com­plexe, et non une pièce usi­née à des­ti­na­tion pré­cise. Il n’y a pas de tests capables d’é­ta­blir les apti­tudes réelles et totales d’un indi­vi­du, car ils sont éta­blis par des humains en vue de cer­ti­tudes limi­tées, beau­coup plus réduites que les pos­si­bi­li­tés mêmes des sujets exa­mi­nés, pos­si­bi­li­tés intel­lec­tuelles et morales débor­dant tou­jours la mesure étroite d’un exa­men. Il en résulte une igno­rance inévi­table du com­por­te­ment futur de ces sujets, car l’un d’eux peut par­fai­te­ment être doué pour une acti­vi­té don­née et ne pas l’ai­mer, et se plaire par contre à l’exer­cice d’une facul­té où il ne pour­ra pas briller. Nous avons tous, plus ou moins, notre vio­lon d’Ingres et même plu­sieurs, qui nous séduisent et font de notre vie un spec­tacle qui nous réjouit et nous agrée.

Ces larges pos­si­bi­li­tés humaines nous montrent toutes les dif­fi­cul­tés de l’o­rien­ta­tion pro­fes­sion­nelle, mais s’il est regret­table de voir des inaptes exer­cer des pro­fes­sions qui ne leur conviennent point, ou qu’ils sont inca­pables d’exer­cer, il est encore plus regret­table d’être clas­sé et cata­lo­gué dans une acti­vi­té que nous n’a­vons pas choi­sie et de ne pou­voir pra­ti­quer la diver­si­té qui nous conviendrait.

N’ou­blions pas ici tous les méfaits des défor­ma­tions pro­fes­sion­nelles et rap­pe­lons-nous que de nom­breuses amé­lio­ra­tions et inven­tions ont été réa­li­sées par des non-pro­fes­sion­nels, les­quels, peu embar­ras­sés du bagage tra­di­tion­nel et cor­po­ra­tif, peuvent sou­vent inno­ver plus aisé­ment que les vieux routiniers.

L’é­du­ca­tion éco­no­mique impar­tiale pour­rait s’ef­fec­tuer en ne s’oc­cu­pant que des pos­si­bi­li­tés indi­vi­duelles et en déve­lop­pant des facul­tés tech­niques d’ordre géné­ral. Au lieu de clas­ser les humains en intel­lec­tuels et manuels ou toutes autres qua­li­fi­ca­tions arbi­traires, on s’ef­for­ce­ra d’ob­te­nir des humains com­plets et non des moi­tiés d’homme par l’exer­cice des qua­li­tés humaines par excel­lence qui sont dans le domaine manuel et sen­so­riel : l’ha­bi­le­té, la sen­si­bi­li­té, l’a­dresse, l’é­va­lua­tion exacte, la pré­ci­sion et, dans le domaine intel­lec­tuel : la curio­si­té, l’ob­ser­va­tion, la com­pré­hen­sion, l’in­gé­nio­si­té, l’in­ven­tion, etc. L’en­fant doit être fier de ses mains créa­trices d’ob­jets finis et soi­gnés et de son cer­veau les conce­vant ; il doit aimer, pro­duire et créer, car il y a un créa­teur dans tout humain nor­mal et il doit aimer cette vraie richesse pour le plai­sir qu’il en retire per­son­nel­le­ment et pour l’ai­sance et le bien-être que toute pro­duc­tion et créa­tion utiles donnent à l’homme.

Cela sous-entend la diver­si­té pro­fes­sion­nelle et la pra­tique simul­ta­née de plu­sieurs arts ou tech­niques, quitte au cours de la vie à se lan­cer dans une spé­cia­li­sa­tion plus étroite et plus pro­fonde, si une ten­dance plus impé­rieuse oriente l’in­di­vi­du vers une acti­vi­té l’ab­sor­bant plus par­ti­cu­liè­re­ment. Je laisse volon­tai­re­ment de côté la réa­li­sa­tion des formes sociales, poli­tiques ou éco­no­miques. L’im­par­tia­li­té en ce cas consiste seule­ment à faire connaître toutes les phases de l’é­vo­lu­tion éco­no­mique des peuples depuis les plus loin­tains docu­ments jus­qu’à nos jours, sans inter­pré­ta­tions ten­dan­cieuses, dog­ma­tiques ou doc­tri­naires. Nous ver­rons en ter­mi­nant les consé­quences de cette neutralité.

L’im­par­tia­li­té intel­lec­tuelle se com­prend d’elle-même. Le savoir acquis par l’es­pèce est à l’heure actuelle d’une impor­tance telle, que l’on ne peut que don­ner à l’en­fant des connais­sances géné­rales sur toutes les sciences sou­mises à l’ex­pé­rience et à l’ob­ser­va­tion. Mais bien avant cet ensei­gne­ment, il fau­dra déve­lop­per l’ou­til mer­veilleux indis­pen­sable pour l’as­si­mi­la­tion avan­ta­geuse de tout savoir, c’est-à-dire l’es­prit cri­tique et la logique, c’est à dire la rai­son. Cela com­prend l’exer­cice de tout ce qui contri­bue à rendre l’es­prit clair­voyant, com­pré­hen­sif et lucide : dis­cer­ne­ment, appré­cia­tion, juge­ment, rap­pro­che­ment, com­pa­rai­son, ana­lyse, syn­thèse, etc.

En oppo­si­tion avec tous ceux qui estiment devoir pré­adap­ter l’en­fant à toutes les cra­pu­le­ries de la jungle sociale, en lui ino­cu­lant toutes ces cra­pu­le­ries qui en font un être tor­tueux et amo­ral pro­lon­geant indé­fi­ni­ment cette jungle, je pense que la plus grande richesse, le plus grand bien, la plus grande joie pour l’homme doit être sa rai­son et sa conscience.

Ce n’est pas tel­le­ment l’in­dus­trie qui dif­fé­ren­cie l’homme de l’a­ni­mal, car il y a des ani­maux très indus­trieux et par­fai­te­ment orga­ni­sés ; ce ne sont pas davan­tage la nour­ri­ture, l’or­ga­ni­sa­tion sociale, la pré­voyance, le chant, l’ins­tinct bel­li­queux et conqué­rant, la force ni le cou­rage. Ce qui donne toute sa valeur à notre espèce, c’est que sans se lais­ser absor­ber tota­le­ment par les besoins immé­diats, elle ait fait de l’u­ni­vers un spec­tacle et conçu sa vie comme la spec­ta­trice de ce pro­di­gieux spec­tacle. L’homme sachant le néant de tout n’ac­cepte et ne jus­ti­fie la vie, sa vie, que comme un spec­tacle conscient. Plus il sait, plus il com­prend et plus il étend son domaine dans le temps et l’es­pace ; puis il accroît son pou­voir conscient et l’in­ten­si­té de sa sen­si­bi­li­té, plus il vibre au spec­tacle immense de l’in­fi­ni­ment grand et de l’in­fi­ni­ment petit, embras­sant dans son ima­gi­na­tion toutes les richesses de l’u­ni­vers. C’est cela qui qua­li­fie l’homme et c’est cela seule­ment qui jus­ti­fie l’humanité.

La vie ne prend une valeur réelle que par la conscience qu’on en a. On peut par­fai­te­ment ima­gi­ner une huma­ni­té som­nam­bule, vivant auto­ma­ti­que­ment, accom­plis­sant la plu­part de nos actes actuels sans conscience et igno­rant sa propre exis­tence. Une telle vie serait équi­va­lente au néant.

Ici encore le but de l’im­par­tia­li­té n’est pas de créer l’homme pour le social, mais de créer l’homme pour l’homme, l’homme pour lui-même. Le jeune humain doit savoir ce que ses ancêtres ont décou­vert, inven­té, pra­ti­qué, réa­li­sé, mais il doit éga­le­ment connaître les causes sub­jec­tives et objec­tives qui les ont déter­mi­nés, en bien ou en mal, dans leurs réus­sites ou leurs échecs. Car il y a un ensei­gne­ment de haute impor­tance à tirer de l’his­toire, ensei­gne­ment géné­ra­le­ment faus­sé par les bour­reurs de crânes, et que l’é­du­ca­teur impar­tial se gar­de­ra bien de déga­ger lui-même, lais­sant ce soin à l’es­prit cri­tique de l’enfant.

Éthique de l’impartialité raisonnable

Enfin, le côté moral de cette édu­ca­tion doit être l’é­clo­sion des qua­li­tés psy­chiques néces­saires à la conser­va­tion et au plein fonc­tion­ne­ment de l’in­di­vi­du : éner­gie, fer­me­té, téna­ci­té, cou­rage, volon­té, esprit de suite, esprit d’en­tre­prise, assi­dui­té, ini­tia­tive, droi­ture, res­pect des conven­tions, des enga­ge­ments et des contrats, loyau­té, réa­li­sa­tion des déci­sions et pro­jets, etc. Paral­lè­le­ment devront être favo­ri­sés l’a­mi­tié, la tolé­rance, la patience, l’é­qui­té, la soli­da­ri­té, le res­pect des opi­nions adverses et sur­tout la bon­té, sans laquelle il n’y a pas de com­pré­hen­sion, de com­mu­nion avec le monde vivant. On s’é­ton­ne­ra de ce sou­ci moral dans une édu­ca­tion impar­tiale, mais il n’a jamais été démon­tré que la créa­tion d’une brute par­faite était la condi­tion néces­saire de l’im­par­tia­li­té et du déve­lop­pe­ment conscient de l’in­di­vi­dua­li­té. Tous les élé­ments moraux dési­gnés ci-des­sus sont des élé­ments géné­raux n’en­ga­geant l’in­di­vi­du dans aucune voie déter­mi­née à l’a­vance, mais le ren­dant apte à vivre tous les sys­tèmes sociaux ima­gi­nables. Et c’est uni­que­ment là que réside l’im­par­tia­li­té. Quant à la bon­té elle me paraît être le com­plé­ment indis­pen­sable de toute conscience, de toute com­pré­hen­sion. L’i­na­ni­mé ignore l’i­na­ni­mé, mais à mesure que l’a­ni­ma­li­té évo­lue vers l’é­tat conscient, la sym­pa­thie se crée entre les êtres éta­blis­sant ce lien mer­veilleux qui nous fait dési­rer l’har­mo­nie et l’é­qui­libre entre les vivants et sur­tout entre les hommes.

Sans bon­té, sans huma­ni­té, sans sym­pa­thie, sans conscience, sans rai­son, l’homme est un ani­mal prêt à écra­ser, à exploi­ter, à tuer son sem­blable. C’est l’in­sé­cu­ri­té pour l’in­di­vi­du. C’est le spec­tacle que nous donnent tous ces sys­tèmes sociaux plus pré­oc­cu­pés de fausses réa­li­sa­tions pra­tiques — qui laissent d’ailleurs tou­jours les masses écra­sées sous les besognes absor­bantes — que de véri­tables amé­lio­ra­tions morales dis­pen­sant à l’homme, durant sa courte vie, le maxi­mum de jouis­sance qui jus­ti­fie­rait sa rai­son d’être.

Le manque de bon­té et d’hu­ma­ni­té pous­se­ra tou­jours les humains à négli­ger le côté éthique et conscient de l’in­di­vi­du pour le sou­mettre à des dis­ci­plines inutiles à son bon­heur, mais indis­pen­sables pour les entre­mises maté­rielles gigan­tesques, issues des cer­velles conqué­rantes des pétris­seurs de foules.

Les peuples beso­gneux ont cou­vert la terre d’ou­vrages stu­pé­fiants : muraille chi­noise, murs cyclo­péens, temples mexi­cains, pyra­mides égyp­tiennes, ruines, de toutes sortes de cités pro­di­gieuses, Baby­lones gigan­tesques, édi­fices colos­saux, tours, aque­ducs, via­ducs, routes, etc., etc. Ils conti­nuent ce tra­vail for­ce­né, gas­pillant les res­sources de leur pla­nète dans la pour­suite d’on ne sait quel bût inac­ces­sible ou quel rêve fuyant, les yeux fixés sur ces terres pro­mises qu’ils ne connaî­tront jamais.

Il y a quelque amer­tume à consta­ter qu’il y a vingt-cinq siècles, un petit peuple pri­vé de notre confort, d’élec­tri­ci­té, d’u­sines, de moteurs, de che­mins de fer, d’a­vions, a tout de même enfan­té un art et une phi­lo­so­phie qui nous guident encore actuel­le­ment et que l’on n’a point dépassés.

Et l’on arrive à ce para­doxe, pour­tant réel, que plus l’homme cherche le bon­heur dans les réa­li­sa­tions maté­rielles en délais­sant l’é­thique et moins il y par­vient ; et, contra­dic­toi­re­ment, plus il le cherche dans l’é­thique plus il amé­liore son sort maté­riel. Car l’a­mé­lio­ra­tion maté­rielle dépend essen­tiel­le­ment de la limi­ta­tion volon­taire de nos besoins pro­por­tion­nés à notre pos­si­bi­li­té pro­duc­tive. Ce qui reste un pro­blème éthique et indi­vi­duel. Tan­dis que les besognes col­lec­tives entre­prises, sans sou­cis des indi­vi­dus, par une machine éta­tiste pro­di­gieu­se­ment coû­teuse et inhu­maine, asser­vit l’homme dans un labeur forcené.

L’é­du­ca­tion impar­tiale rapi­de­ment esquis­sée ici, condui­rait en quelques siècles à une trans­for­ma­tion pro­fonde des civi­li­sa­tions actuelles. C’est en lais­sant intacts les sens impro­vi­sa­teur et inno­va­teur, le besoin créa­teur des humains, que ceux-ci seront capables de fon­der d’autres civi­li­sa­tions plus morales et plus humaines. Ce n’est pas en endoc­tri­nant l’homme dans des sys­tèmes conçus par de vieux humains que les jeunes de l’a­ve­nir feront du nou­veau. La véri­té sociale, ils la trou­ve­ront selon leurs concep­tions futures. Cette œuvre d’art c’est eux qui la construi­ront, nous ne pou­vons que leur don­ner les outils et déve­lop­per leur habileté.

N’ou­blions pas que les trans­for­ma­tions et amé­lio­ra­tions sociales pro­fondes ne sont pas le fait d’actes volon­taires, arbi­traires et sou­dains de diri­geants phi­lan­thropes, mais bien la conquête incons­ciente, pro­gres­sive et réelle de tous les esprits dyna­miques d’un peuple par des prin­cipes nou­veaux, modi­fiant les concepts sociaux, créant une éthique nou­velle ren­dant accep­table, pos­sible et réa­li­sable ce qui eût été autre­fois consi­dé­ré comme une héré­sie, une stu­pi­di­té, une folie ou une monstruosité.

Et tan­dis que l’é­du­ca­tion par­tiale abou­tit à la per­pé­tua­tion des vieux sys­tèmes en dépit des ten­ta­tives exté­rieures de trans­for­ma­tion, pré­ci­sé­ment parce qu’elle néglige la conscience indi­vi­duelle, l’é­du­ca­tion impar­tiale réa­li­se­rait, avec le temps ne l’ou­blions pas, et si étrange que cela paraisse, cette flo­rai­son har­mo­nieuse de cités libres et indé­pen­dantes construites volon­tai­re­ment par le génie mul­tiple et créa­teur des fon­da­teurs de mondes nouveaux.

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La Presse Anarchiste