La Presse Anarchiste

Du haut de mon mirador

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Sujet de méditation

« Je ne pense pas que c’est uni­que­ment par l’ac­ti­vi­té des par­tis, des ligues, des alliances, des mou­ve­ments, qu’on pour­ra réfor­mer le monde. Je crois que c’est de l’exemple indi­vi­duel que sur­gi­ra un monde meilleur. Tout indi­vi­du qui fait régner l’ordre dans sa propre mai­son et vit en paix avec proche voi­sin, accom­plit quelque chose de construc­tif en faveur de la paix uni­ver­selle. Sa vie elle-même consti­tue un exemple et une pro­pa­gande puis­sante pour la cause de la paix et des réformes sociales. » – John Bol­ley (Nlle Zélande)

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Des sta­tis­ti­ciens se sont éver­tués à com­pa­rer, pour une petite ville de pro­vince, les bud­gets d’une famille de trois per­sonnes en 1914 et en 1947. Il appert de cette com­pa­rai­son que le bud­get de 1947 est 20 fois plus éle­vé que celui de 1914. Voi­là le résul­tat de deux guerres soi-disant vic­to­rieuses. Il ne s’a­git pas de pleur­ni­cher sur « la dure­té » des temps, ni de regret­ter « la belle époque », mais de se mettre dans la tête, que ce qui valait un sou en 1914 vaut 4 fr.50 en 1947. Quelques-uns s’en insou­cient, car ils pos­sèdent d’a­van­tage que les 4 fr.50 en ques­tion, la grande majo­ri­té lutte pour les acqué­rir, tout au moins par­tiel­le­ment. Voi­là le monde où nous nous débat­tons ! Les expé­dients ne manquent pas, les remèdes non plus. Les uns sont sans len­de­main, les autres sans effi­ca­ci­té. Jus­qu’i­ci les diri­geants des socié­tés qui se sont suc­cé­dés n’ont jamais su que pro­po­ser la vio­lence comme solu­tion du pro­blème de l’hu­main – qu’il s’a­gisse de la désa­gré­ga­tion sociale ou de la désa­gré­ga­tion ato­mique. Et jus­qu’i­ci l’u­sage de la vio­lence n’a fait que per­pé­tuer la violence.

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Il y a une haute socié­té poly­game comme il y a une haute socié­té mono­game. Et tout ne va pas tou­jours pour le mieux dans ce monde-là, à en croire le Sudan star. « Peu importe qu’une femme soit la pre­mière ou non, ce qu’il faut c’est que tout le monde cherche à main­te­nir la paix au sein de la famille. L’aî­née ou pre­mière femme doit tou­jours trai­ter les autres comme ses sœurs et non se don­ner des “airs supé­rieurs » et se mon­trer dure. De même dans les ques­tions de ménage, ce n’est pas sur la plus jeune femme que tout le tra­vail doit tom­ber. Il est équi­table que lorsque l’une pré­pare la soupe, l’autre allume le feu, etc. Dans une socié­té poly­game, la paix fami­liale ne peut être réa­li­sée que par le tra­vail en équipe et la coor­di­na­tion des efforts. » Ce qui nous prouve que la morale isla­mique res­semble comme une sœur à la morale laïque.

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Ce réflexions me venaient en son­geant à un article où il était ques­tion de William Mor­ris, des « Nou­velles de Nulle Part », d’Ed­ward Car­pen­ter, et de toute cette école qui, reniant la morale cou­rante, aper­ce­vait la solu­tion de la ques­tion sociale dans un retour vers l’ar­ti­sa­nat, les métiers, la pro­duc­tion à la main des uti­li­tés sociales, le retour à la terre (envi­sa­gée poé­ti­que­ment, il faut bien le recon­naître). William Mor­ris est ses dis­ciples étaient impul­sés par cette convic­tion que la plu­part des objets pro­duits en régime capi­ta­liste ne sont ni beaux ni véri­ta­ble­ment utiles. Pour eux le xixe siècle pliait sous l’hor­rible faix des pro­duc­tions inutiles. Ils s’i­ma­gi­naient que l’é­ga­li­té sup­pri­me­rait les besoins super­flus, les mani­fes­ta­tions du luxe et de l’or­gueil que d’eux-mêmes les hommes limi­te­ront la pro­duc­tion afin de jouir de plus de loi­sirs, d’en­tou­rer leur exis­tence d’une ambiance plus agréable, plus artis­tique, d’ob­jets dus au tra­vail de leurs mains. Bien enten­du le rêve ne s’est pas réa­li­sé. Le monde se méca­nise de plus en plus. Les objets de pre­mière uti­li­té se fabriquent en série, le capi­ta­lisme ne craint point les assauts de l’es­thé­tisme. La Bête règne : la Bête du Pro­fit per­son­nel, la Bête de la tech­no­cra­tie, la Bête du Col­lec­ti­visme, la Bête du Socia­lisme d’É­tat, la Bête qui a déci­dé qu’en dehors de ce qu’elle éructe, il n’y a point de salut – et devant laquelle des fidèles se pros­ternent par millions.

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Les « Cha­vantes » – tel est le nom d’une peu­plade pri­mi­tive vivant nus, et le corps teint en rouge sur les hauts pla­teaux du Bré­sil, dans le Mat­to Gros­so. Ces gens-là n’a­vaient jamais vu d’a­vion ; aus­si quand l’an­née der­nière un appa­reil sur­vo­la leur ter­ri­toire, se défen­dirent-ils contre cet enne­mi volant en déco­chant contre lui des flèches empoi­son­nées, inof­fen­sives en l’oc­cur­rence. Les Cha­vantes igno­raient l’a­vion, la guerre mon­diale, la bombe ato­mique, bref, tout ce qui carac­té­rise la civi­li­sa­tion… Mais, qu’on se ras­sure : les abords de la région sont défri­chés, le domaine des Cha­vantes a été sur­vo­lé à plu­sieurs reprises. Déjà les tra­fi­quants et les forces de police se mettent en marche. Et voi­là les vête­ments, les conserves, les fils de fer bar­be­lés, les maté­riaux de construc­tion, la fer­raille, le che­wing-gum qui s’ap­prêtent à enva­hir les ter­ri­toires des Cha­vantes. Il y a aus­si l’al­cool, les mala­dies véné­riennes, l’im­ma­tri­cu­la­tion et l’en­rô­le­ment dans quelques for­ma­tions mili­taires. Était-ce la peine d’a­voir résis­té à la vipère rouge et aux fauves de la forêt vierge pour finir dans la toile de la civi­li­sa­tion ? Pitié pour les Cha­vantes, comme on l’a déjà réclamé.

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Lors­qu’on ouvrit le tes­ta­ment de Piran­del­lo, on décou­vrit qu’il dési­rait que « son corps nu fût enrou­lé dans un simple lin­ceul, dépo­sé dans un cer­cueil ordi­naire, por­té sur le cor­billard des pauvres, sans obsèques, sans fleurs, sans per­sonne pour l’ac­com­pa­gner. Le char, le cocher, le che­val et cela suf­fit. » Rien n’au­to­ri­sait Sil­vio d’A­mi­co, dans une émis­sion de radio consa­crée au grand dra­ma­turge (Milan, 3 décembre), à insi­nuer que s’il avait eu le temps, Piran­del­lo aurait modi­fié ses der­nières volon­tés. Cela étonne de la part de Sil­vio d’A­mi­co, qui est un artiste éminent.

Comme si cela ne suf­fi­sait pas, la repré­sen­ta­tion de la Volon­té de l’hon­neur ayant sui­vi l’ex­po­sé de Sil­vio d’A­mi­co, on s’a­per­çut que la cen­sure catho­lique avait sup­pri­mé quelques pas­sages, entre autres celui-ci (acte II, scène V) : ‘le curé (par­lant de S. Sigis­mond)… Il fut roi de Bour­gogne et se maria avec Adal­bergue, fille de Théo­do­ric… Puis res­ta veuf… Mal­heu­reu­se­ment, il épou­sa l’une de ses filles… une per­fide qui, par d’in­fâmes ins­ti­ga­tions, lui fit com­mettre… eh oui… le plus atroce des crimes sur son propre fils – Made­leine Mon Dieu. Sur son propre fils. Et que lui fit-il ? – le curé Eh ! (geste des deux mains)… il l’é­tran­gla. Made­leine (presque en criant, à Fabio) Avez-vous com­pris ? – le curé Mais il se repen­tit sur le champ. Et il se consa­cra en expia­tion aux exer­cices d’une péni­tence des plus rigides, il se reti­ra dans une abbaye, se vêtit d’un cilice, et ses ver­tus et son sup­plice qu’il sup­por­ta avec une sainte rési­gna­tion le firent hono­rer comme un mar­tyre. – Made­leine Il fut éga­le­ment sup­pli­cié ? – le curé (les yeux à demi fer­més, allonge le cou, le plie et avec un doigt fait le signe de la déca­pi­ta­tion). En 524, si je ne me trompe. »… Ce n’est guère édi­fiant, il est vrai. Pauvre Pirandello.

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On ne sait guère que chez les Kabyles du Riff et dans la zone du Maroc espa­gnol, souffrent, lan­guissent et suc­combent des répu­bli­cains espa­gnols, « concé­dés » par Fran­co en échange des Rifains tués au cours de la guerre civile, les bras man­quant pour l’ex­ploi­ta­tion agri­cole du Riff. Aucun docu­ment offi­ciel n’existe de la livrai­son de ces cen­taines de mal­heu­reux aux chefs kabyles qui les emploient et les exploitent comme bon leur semble, de la façon la plus cruelle, car les Rifains les consi­dèrent comme les assas­sins de leurs enfants. Ils sont astreints aux tra­vaux les plus durs et les plus répu­gnants, n’ont pas la nour­ri­ture suf­fi­sante, et pour la moindre faute encourent des châ­ti­ments et même des muti­la­tions du visage et du corps. Bref, les Rifains les consi­dèrent comme des « esclaves blancs » et les traitent en consé­quence. Jus­qu’i­ci per­sonne ne s’est ému de leur sort ; cer­tains de ces misé­rables comptent six ans de cap­ti­vi­té ! Voi­là une occa­sion pour les huma­ni­ta­ristes de l’O.N.U. d’in­ter­ve­nir ! Mais ils tiennent trop a ne point se mettre Fran­co à dos pour s’oc­cu­per de la question.

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Dans le Gud­je­rat, il y a plus de 50.000 ans, vivaient des hommes ; c’é­tait alors l’âge de pierre. Ce sont les plus anciens restes humains décou­verts jus­qu’i­ci dans l’Inde. Ces êtres, étaient-ils plus ou moins heu­reux que les Indiens d’au­jourd’­hui ? Mais quelle concep­tion se fai­saient-ils du bonheur ?

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N.J.C. Scher­me­rhorn vient d’at­teindre ses 80 ans. Scher­me­rhorn ! ce nom évoque toute l’his­toire de l’an­ti­mi­li­ta­risme et du paci­fisme néer­lan­dais ! Ce pas­teur libre pen­seur, ne vou­lut jamais se lais­ser enrô­ler dans un par­ti poli­tique, dans aucune église, abs­ti­nent total, an-archiste, ne tran­si­gea jamais. Neveu de Dome­la Nie­wen­huis on le retrouve par­tout on il faut payer de sa per­sonne. Indi­vi­dua­liste, il a confiance dans l’in­di­vi­du, il anime « De Wapen Neder » (Bas les armes), il sou­tient de sa foi, de son éner­gie, de sa parole les « objec­teurs de conscience », il lui importe peu d’être inquié­té. Par­tout où il appa­raît, il laisse une impres­sion inef­fa­çable et il n’est jus­qu’aux membres de la sin­gu­lière église de Nieuwe Nie­drop qui ne lui res­tent fidèles. N.J.C. Scher­me­rhorn ; un homme – à une époque où ils sont loin d’être légion.

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