Introduction
Pourquoi cette brochure.
– Pour répondre à des faux camarades, qui nous attaquent, refusent, la loi à la bouche, d’insérer nos réponses et profitent de ce que nous n’avons aucune feuille à notre disposition ;
– Pour expliquer l’attitude de ces faux camarades qui pactisent avec la basse police dans des guets-apens contre les vrais. Il s’agit aujourd’hui de montrer comment un groupe de soi-disant anarchistes n’est en réalité composé que d’estampeurs-assassins, de faux anarchistes de mèche avec les mouchards et de fanatiques d’idées fausses.
Bien entendu, nous n’avons personnellement aucun reproche à leur adresser. Déterministes, nous savons qu’ils agissent conformément à leur nature, pervertie par les détestables circonstances des milieux actuels et nous ne voyons pas de moyen meilleur de réagir contre cette perversion que de l’exposer. Quant au danger qu’elle nous fait courir, nous prenons soigneusement toutes les mesures nécessaires à notre sauvegarde. Toutefois, en légitime défense, prêts à tout, nous sommes en parfaite sérénité et sans haine contre ces « anciens camarades (?)» que la nécessité vitale peut nous amener à détruire. Nous préférerions cependant les amener à se modifier et c’est, dans notre intérêt d’abord, mais aussi dans le leur aussi, que nous voulons rechercher comment, à côté de notre propagande (organisation sociale raisonnable obtenue par la camaraderie scientifique méthodiquement et logiquement obtenue en dehors de toute coercition), a pu se développer un milieu tel que les « Causeries populaires » et le journal L’Anarchie milieu qui dépasse en pourriture et en horreur tout ce que la société actuelle peut imaginer.
Désignations.
Afin d’éviter toute trace d’acrimonie ou de réclame, je ne donnerai aucun nom. Les désignations seront suffisantes pour ceux qui savent. Elles n’intéressent pas les autres.
Mon travail
Avant de parler de mes relations avec les autres, il importe de donner des renseignements sur mon travail.
Depuis 1899, dans de nombreuses conférences, faites dans tous les milieux indistinctement, dans des journaux, des brochures et des livres, j’ai publiquement exposé mon ensemble de doctrines que l’article suivant résume assez bien. Il a été publié le 5 août 1907 dans un quotidien et paraîtra dorénavant sous le titre « La bonne méthode ».
La bonne méthode
Les deux méthodes.
En matière sociale, comme en toute autre matière, les humains ont, pour déterminer leur morale (règle de conduite) le choix entre deux méthodes :
La méthode autoritaire ;
La méthode scientifique.
La méthode autoritaire (presque universellement pratiquée dans les sociétés actuelles) consiste à essayer d’imposer à autrui, par la force, des opinions sans aucune garantie qu’elles soient raisonnables.
La méthode scientifique (que seuls, parmi les humains, pratiquent les anarchistes) consiste à s’imposer à soi-même, par la raison, ce qu’on a reconnu juste après examen.
La méthode autoritaire s’appelle aussi la méthode a priori, celle des individus qui agissent avant examen, avant d’avoir jugé, avec préjugé, sans tenir compte des connaissances physiques.
La méthode scientifique s’appelle aussi la méthode a posteriori, celle des individus qui agissent après examen, après avoir jugé, sans préjugé, en partant toujours de connaissances physiques.
Les conséquences de ces deux méthodes sont remarquables :
La méthode autoritaire donne toujours de mauvais résultats ;
La méthode scientifique donne toujours de bons résultats.
Dans le passé et dans le présent, l’explication a priori des phénomènes naturels mal interprétés a conduit les humains au surnaturel. L’explication a priori des phénomènes dits sociaux (à savoir ceux qui concernent les actions et réactions des humains les uns sur les autres) les a conduits à la morale officielle, à l’oppression réciproque, à l’arbitraire légal, à l’organisation du malheur.
Dans le passé et dans le présent l’explication a posteriori des phénomènes naturels interprétés correctement a conduit les humains à la science. L’explication a posteriori des phénomènes sociaux les conduit à la morale rationnelle, à la camaraderie, à la détermination des lois naturelles, à l’établissement de relations raisonnables entre les humains.
Les deux lois.
Chose curieuse, les humains appellent du même mot « loi », les conséquences opposées de deux méthodes contraires.
On appelle loi, la loi positive, la loi politique, à savoir un certain arbitraire inepte, bon plaisir d’une partie des législateurs, imposé a priori par la force.
On appelle également loi, la loi naturelle, la loi scientifique, à savoir la constatation (imposée non par la force, mais par la raison) qu’un ensemble de phénomène se reproduit de la même manière, ce qui permet, connaissant un détail, de prévoir le reste.
Peu importe que la loi positive soit absurde, vexatoire. Elle est, prétend-on, la loi à subir, pourvu qu’elle ait été votée et promulguée selon l’usage.
Au contraire, une loi crue naturelle, mais reconnue fausse, ne peut être maintenue dans la science. En pareil cas, elle est, après examen, immédiatement rejetée.
L’avenir.
Il résulte de ce qui précède que les sociétés humaines demeureront déraisonnables tant que les humains s’occuperont de lois positives, et qu’elles deviendront raisonnables dès qu’elles s’occuperont exclusivement de lois naturelles.
Les humains actuels, presque tous ignorants, tabagiques, alcooliques, mégalomanes, métaphysiciens, pratiquent la méthode autoritaire. Cette méthode les divise à tel point que, pour eux, l’harmonie sociale est impossible à concevoir.
Pour des individus sains, décidés à étendre au domaine social la méthode scientifique, cette harmonie sera le résultat logique des connaissances classées. Ce classement permet actuellement de déterminer avec précision (et nous l’avons fait ailleurs) les mouvements à faire, en dehors de toute coercition et dans la joie d’une camaraderie rationnelle, pour organiser le bonheur.
Notre méthode (Libre examen étendu à tous les domaines) est, on le voit, précise. Elle nous a conduit dans le domaine trop restreint qu’on appelle actuellement « la science » à rejeter la métaphysique1Voir Le mécanisme du raisonnement et les Principes de grammaire physique, de géométrie physique, d’arithmétique physique, de morale physique, etc., et dans la sociologie qui est aussi de la science, à rejeter, d’une part, la politique2Voir L’absurdité de la politique, etc., c’est-à-dire l’imposition par la force d’un certain arbitraire et, d’autre part, la révolution inconsciente 3Voir L’organisation du bonheur, les faux droits de l’homme et les vrais, etc. c’est-à-dire le renversement d’une organisation défectueuse par des individus ayant la mentalité actuelle. Une telle révolution ne pourrait aboutir, étant donné cette mentalité qu’à une organisation sociale également défectueuse. Et nous avons démontré que, seule, une RÉVOLUTION CONSCIENTE, résultant de la méthode scientifique rigoureusement appliquée au point de vue social par des individus convenablement évolués, peut amener, dans un avenir très proche ou plus éloigné, une organisation sociale raisonnable.
Les Causeries populaires
Comment je fis la connaissance de L…
Parmi les nombreux groupements que j’ai contribué à fonder ou à détruire, je ne m’occuperai aujourd’hui, pour les motifs indiqués ci-dessus, que des causeries populaires.
Or il est impossible de comprendre l’état actuel de ce groupement sans connaître, au préalable, mes relations avec l’individu qui en est actuellement le mauvais meneur.
En automne 1900, passant avec des camarades dans une rue de Nanterre, j’entendis d’épouvantables hurlements qui sortaient de la boutique où était installée l’Université Populaire et l’on m’apprit qu’un infirme, nommé L…, lisait là une pièce de théâtre.
Je faisais, depuis un certain temps, des conférences à Nanterre et, peu après, L… y assistait à l’une d’elle, faite dans une circonstance spéciale. Nous fîmes connaissance et, depuis, pendant plusieurs années, il ne m’a pas quitté un seul instant de mon travail public, avide de se maintenir autour de ma personne, d’être considéré comme mon vrai camarade, dépensant une grande activité à organiser des réunions, à grouper des hommes, à répandre mes brochures et mes livres.
J’ai fait la grosse erreur, en échange de cette exubérance et de cette activité, et aussi, comme bien d’autres, par pitié pour son état physique, de lui donner sans compter mon amitié et des bénéfices et de le laisser trop longtemps répéter, en les déformant, mes idées. J’ai couvert d’une indulgence trop grande sa saleté, son ignorance, sa mégalomanie, sa promiscuité avec la basse police, son âpreté au gain, sa perversion de l’instinct génital, et toutes dégénérescence qui proviennent sûrement des difformités congénitales qu’il importerait de connaître en détail, et des milieux dans lesquels il a évolué.
Je regrette d’autant plus mon erreur que j’en ai été souvent averti. Mais je ne crois pas qu’il m’eût été possible d’influencer en bien une nature aussi pervertie et de l’amener aux mouvements de modifications indispensables au bon équilibre cérébral. À ma première observation, son amitié effrénée pour moi a fait place à une hostilité qui a maintenant progressé jusqu’à la haine.
Il ne me reste de nos relations passées que la camaraderie précieuse de son ancienne compagne dont l’intelligence et la droiture l’ont gêné.
Genèse d’un groupe.
J’eus, à un moment donné, l’idée de faire, à Montmartre, comme je l’avais fait ailleurs, une série de leçons pour expliquer longuement aux camarades le transformisme universel. Ces leçons, faites tous les 15 jours, sous le titre : « l’organisation du bonheur », durèrent environ une année, dans des arrières-boutiques, où, joyeusement, se faisait un travail de vulgarisation fraternelle que tous reconnaissaient le seul bon. Toutefois, nous circulions de troquets en troquets, les propriétaires ne supportant pas longtemps des clients qui n’étaient pas consommateurs et subissant, en outre, l’intimidation des « indicateurs » attachés à nos groupements.
C’est alors que furent réellement fondées des « Causeries populaires » et ce sont les circonstances qui précèdent qui nous obligèrent à trouver le moyen d’avoir des locaux spéciaux, rue Muller et cité d’Angoulême. C’est moi-même qui ai trouvé ce titre peu subversif de « Causeries populaires » et qui l’ai pour la première fois, avec l’aide de 3 bons camarades, peint sur le panneau d’un de ces locaux.
Après les leçons sur le transformisme universel, je fis d’autres séries sur la géométrie et l’esprit géométrique, sur l’arithmétique physique, sur la couleur et la forme. Elles attiraient un public nombreux et je me réjouissais de penser qu’à force d’expliquer aux camarades la circulation de la substance universelle, les transformations de cette substance sous forme de matière et d’énergie, ils arriveraient à comprendre que le problème sociale est facile à résoudre, qu’il faut savoir, qu’il faut apprendre et que la formule d’une société raisonnable est « sélection universelle de la substance au profit de la substance humaine. »
Je fis plus. Désireux de ne plus être seul à effectuer ce travail, je tentai d’amener des spécialistes, incapables de traiter la partie philosophique, mais tout à fait qualifiés pour traater des sujets particuliers et c’est ainsi qu’il y eut des leçons sur l’énergie électrique et sur la préhistoire.
La question d’argent. – Une bande d’estampeurs de camarades.
Il est bien entendu que nous n’avons pas le préjugé argent 4Voir L’absurdité de la propriété.. La vie moderne est tellement dure que nous ne saurions reprocher à qui que ce soit les actes quels qu’ils soient faits pour ne pas mourir dans ce groupe de bêtes féroces qu’est l’humanité actuelle. Mais il est un refuge contre les monstruosités de la concurrence. C’est la douceur de la camaraderie. Quand donc nous exposerons les vilenies qui vont suivre, que l’on comprenne bien qu’il s’agit pour nous, non de vol, mais de manque à la camaraderie.
En dehors des séries de leçons sur un sujet donné, j’ai, à toutes les époques, fait des conférences, soit destinées à des publics particuliers, soit d’ordre général, pour nous faire connaître « a posteriori » de la foule qui nous jugeait « a priori ».
Ces conférences étaient organisées par des groupements ou des individualités qui sollicitaient mon concours, soit pour la propagande, soit à l’occasion d’une fête pour montrer la vitalité d’un groupe, soit pour alimenter une caisse vide. Ces conférences ne m’ont jamais, en aucune occasion, rapporté personnellement. Pendant la première période (Université Populaire, Groupements, etc.), on sollicitait mon concours gratuit. Pendant la seconde (après rupture avec les Causeries populaires, Groupe d’études scientifiques), il n’y a jamais eu pour nous de bénéfices, les dépenses ayant toujours largement dépassé les recettes et le déficit ayant toujours été comblé par les uns ou par les autres. Les sommes encaissées ont servi à couvrir les éditions, impressions d’affiches, de programme et autres, loyers et locaux pour conférences, timbres, etc., et à indemniser momentanément certains camarades qui donnaient au groupe leur concours à des moments où ils étaient sans ressources.
Pendant la première période, les Causeries populaires, comme les autres groupements, organisèrent, avec mon concours, de grandes conférences et firent parfois d’importants bénéfices. Minimes ou importants, d’ailleurs, on n’a jamais eu l’idée de m’en parler, ni de me tenir au courant, et l’idée ne m’est pas venue à moi-même de me préoccuper de ce côté de la question.
Cependant certaines réunions furent particulièrement fructueuses à un moment où j’avais les plus grandes difficultés à faire mes éditions. Il me parut injuste de voir des individus vendre à bon profit mes ouvrages, me suivre partout, quêter aux portes, vivre autour de mon travail au point d’essayer de le monopoliser jalousement, répéter mes arguments en les déformant grossièrement et cependant ne faire aucun effort pour m’aider à publier mes livres. Ils savaient pourtant le mal que j’avais à encaisser quoi que ce soit des groupes dont la plupart ne réglaient jamais le montant des stocks vendus par eux à bénéfice et dont il me répugnait de réclamer le paiement. Ils savaient aussi que plus de la moitié de mes publications était donnée. Enfin, L…, non seulement vendait mes ouvrages en grande quantité et à des prix largement rémunérateurs, mais encore presque à l’exclusion de tous autres, et son principal bénéfice sur cette vente consistait à me donner ce qu’il voulait, et à pratiquer d’habiles passages au bleu sur lesquels j’ai toujours fermé les yeux, qui forment un respectable total et dont certains (commande d’imprimés, par exemple), seraient bien joli à raconter.
Je ne mentionnerais rien de tout cela aujourd’hui s’il n’importait de bien fixer la date et le motif de notre brouille. Cette brouille eut lieu au moment précis où des camarades et moi décidèrent, pour assurer nos éditions, d’organiser nous-mêmes nos conférences et ne donner des livres à L… que contre paiement.
À partir ce ce jour, nous avons sans arrêt fait des éditions et écoulé, à certains moments, jusqu’à 5 et 10.000 brochures par mois. Nous avons obtenu par nous-mêmes considérablement plus de résultats en 2 ans qu’en 6 ans avec L…, et tous les groupements. Mais, en échappant à L…, je m’en suis fait un ennemi implacable et mon indulgence à son égard, en souvenir du passé, n’a servi qu’à augmenter l’audace et la fureur de ses attaques.
La brouille.
Ainsi que je l’ai dit plus haut, certaines de mes conférences organisées par les Causeries populaires, avaient été particulièrement fructueuses à un moment où j’avais les plus grandes difficultés à publier mes ouvrages. Un des organisateurs de ces conférences était un jeune camarade (?), retour du régiment, cabotin-amateur et que nous appellerons I… Je l’avais, comme bien d’autres, sorti des groupements arriérés et, depuis le jour où il avait assisté Quai Valmy à une causerie dur les droits de l’homme, il n’avait pas cessé de me suivre.
J’eus le grand tort de lui dire un jour : « Dites-donc, I…, il y a eu de bons bénéfices le 1er novembre. Il y en aura encore la prochaine fois ; c’est une controverse. Ne croyez-vous pas qu’il serait intéressant de réserver quelque chose pour mes éditions ? » I… me répondit par un ricanement et m’expliqua clairement que j’étais bon à estamper, que mon travail l’intéressait à ce point de vue spécial ! Je lui expliquait qu’en ce cas, nous organiserions dorénavant nos réunions sans son concours. Il me supplia cependant de faire la controverse promise, me laissant entendre qu’on tiendrait compte de mon observation. Je consentis, mais naturellement on ne fit rien et c’est alors que des camarades et moi fondèrent le groupe d’études scientifiques.
(À suivre)
P.J.
- 1Voir Le mécanisme du raisonnement et les Principes de grammaire physique, de géométrie physique, d’arithmétique physique, de morale physique, etc.
- 2Voir L’absurdité de la politique, etc.
- 3Voir L’organisation du bonheur, les faux droits de l’homme et les vrais, etc.
- 4Voir L’absurdité de la propriété.