La Presse Anarchiste

L’apothéose

Au pied d’un arbre mort, un mort est allongé,
Une balle, un éclat quel­conque l’a plongé
Dans le mor­tel som­meil plein de métamorphoses.
Hors de la pri­son où son des­tin la tenait close,
Se libé­rant de-la cel­lule et du bâillon,
L’âme a lais­sé tom­ber la chair comme un haillon
Qui garde un sou­ve­nir incer­tain de la forme.
L’harmonieux contour len­te­ment se déforme ;
Le visage plis­sé, par sac­cades, se fond.
Le corps s’affaisse, comme un paquet de chiffons ;
Les res­sorts déten­dus tra­hissent l’armature
De la matière qui revient à la nature
Et reprend un aspect ori­gi­nel. Les mains
Ont la cou­leur des vieux et sales parchemins ;
Les bouts de doigts rai­dis courbent comme des serres.
Un petit tas qui cherche à se cacher en terre,
C’est l’homme, enfin livré au ron­geur éternel.
Il offre en témoi­gnage à la splen­deur du ciel
Cette lèpre de vers dont sa face est salie.
De près, c’est une immonde et bouillon­nante lie
Qui voile len­te­ment les contours de la chair.
Sur les tempes, la pour­ri­ture aux ongles verts,
Enfon­çant peu à peu la pointe de ses griffes,
Des­sine un alpha­bet de pâles hiéroglyphes.
Les yeux sont col­ma­tés par un mor­tier tremblant,
Qui donne un regard blême à ces cieux cercles blancs.
Les lèvres sont gon­flées et noires ; la moustache,
Sous d’invisibles dents, brin par brin se détache ;
Les mâchoires déjà des­sinent le rictus
Du sque­lette chaque heure esquis­sé un peu plus.
Les joues, où le vio­let plaque de larges taches,
Tremblent sous la pous­sée convul­sive des larves,
Comme si la nature infli­geait à la mort
Cette nou­velle vie, plus agis­sante encor.
Ici, le fos­soyeur, ayant trop de besogne,
Spectre d’homme aujourd’hui, demain une charogne,
Tu risques de pour­rir loin du lit bienfaisant
Du pudique tom­beau qui voile le néant.
Fon­taine d’infection vomis­sant par cent bouches
Une effrayante odeur qui fait vibrer les mouches,
Où domine, fumée des impurs éléments,
L’équivoque rap­pel de loin­tains excréments,
Ta chair dis­so­ciée et len­te­ment pourrie
Grais­se­ra chaque jour le tuf de la patrie,
Et s’émiette d’abord comme un pain ténébreux
Dans le ventre invi­sible aux appé­tits joyeux.
Enfin, sous le soleil ami des pourritures,
La face éclate, ain­si qu’une figue trop mûre,
Tan­dis que se balance, au coin d’un œil bombé,
Une larme de pus qui ne veut pas tomber. 
[/Hen­ry-Jacques.

La Sym­pho­nie héroïque (marche funèbre)./]
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