Je te vois, mon vieux Pouget, tout comme moi simple observateur attentif, qui pense avec un certain Helvetius, écrivant à Laurin qui craignait d’offenser Montesquieu (autour de 1748):
« Soyez tranquille ; vos avis ne l’ont point blessé. Il aime, dans ses amis, la franchise qu’il met avec eux. Il souffre volontiers les discussions ; il répond par des saillies et change rarement d’opinions. Je n’ai pas crû, en lui exposant les vôtres, qu’elles modifieraient les siennes ; mais, quoiqu’il en coûte, il faut être sincère avec ses amis… »
Mais tout le monde n’a pas la hauteur de vue de Montesquieu. Hélas ! Tu as pu en juger en lisant La Bataille, du 29 septembre : « Face à l’opposition » :
« C’est ce bourgeois démagogue, Amédée Dunois, ce combineur de toujours, qui recueille la confession de quatre fossiles. »
Attrape, mon vieux Père Peinard, ça t’apprendra de faire des feuilletons pour L’Humanité, au lieu de pondre ta copie dans La Bataille Syndicaliste.
J’admets encore que vous ayez mal choisi votre phonographe, en prenant « le transfuge de l’anarchie » d’hier. (Mais pourquoi le collègue de Dumoulin a‑t-il la maladresse d’accuser Dunois, d’avoir quitté l’anarchie ?)…
Oubliés tes efforts pour l’idée, oubliés tes conseils, tes avis et tes écrits. Comme tu n’es plus dans l’équipe des sauveurs actuels, tu n’es plus bon qu’à f… aux ordures ou aux chiens. J’ai sous la main et les yeux une de tes brochures, le Syndicat, 4e édition. Je lis page 11 :
« Les fonctions du Conseil syndical, strictement délimitées, ne sont qu’administratives… »
Cré Dieu ! je vois parmi les étoiles du jour, des gars qui ont revendiqué, propagé les idées de Stirner et de Nietzsche… Et ce ont, aujourd’hui, les admirateurs d’Ibsen, Stirner et Tucker, qui se cramponnent à la loi des majorités, bonne à rendre jaloux un Keufer ou un Paul Brousse…
Ils vont si loin dans le ton amical que l’invective « vous êtes des salauds » est sortie de la bouche d’un président de séance à leur Congrès d’Orléans. Et les deux camps réciproquement se jettent cette injure à la face. Il n’y en a pas un qui ne pense cela de l’autre. Que c’est beau, charmant, encourageant, éducatif, fraternel.
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