La Presse Anarchiste

Aristippe de Cyrène

On a par­fois confon­du (et on le fait encore) l’eudémonisme (l’idée du bon­heur comme le bien suprême) d’Épicure avec l’hédonisme (qui fait de plai­sir le but de la vie) d’Aristippe de Cyrène qui flo­ris­sait en Cyré­naïque vers 380 avant l’ère vul­gaire. Il est évident que ce n’est pas en quelques lignes que nous pou­vons expo­ser la doc­trine cyré­naïque, dont on retrouve les pro­lon­ge­ments tant chez les phi­lo­sophes du xviiie siècle que par­mi les an-archistes. C’est ain­si qu’Aristippe et ses dis­ciples ne mon­traient que dédain pour la poli­tique ou le patrio­tisme ; apa­trides volon­taires, il leur était indif­fé­rent de lais­ser leurs os dans un pays plu­tôt que dans un autre.

Le fond de la doc­trine cyré­naïque est la recherche du plai­sir et la fuite de la souf­france ; entre le plai­sir et la souf­france existe une zone d’indifférence. Rien n’est par nature juste, hon­nête ou hon­teux ; seules les cou­tumes et les lois ont éta­bli ces dis­tinc­tions. Le sage peut com­mettre des lar­cins, des sacri­lèges, des adul­tères, car presque toutes ces choses ne consti­tuent des crimes que dans l’opinion des igno­rants et de la popu­lace ; de même le sage peut accom­plir publi­que­ment des actions qui sont tenues pour abo­mi­nables par le vulgaire.

Mais la recherche et l’obtention du plai­sir n’étaient pas les seules idées pro­fes­sées par Aris­tippe et ses dis­ciples ; ils ne vou­laient être les esclaves ni de la sujé­tion ni du pou­voir, somme toute « ni obéir ni com­man­der ». Le sage, selon Aris­tippe, n’est pas non plus un insen­sé qui va se bri­ser étour­di­ment contre l’obstacle : il sait que tous les plai­sirs sont égaux et, que l’un n’est pas plus sen­sible que l’autre ; il cal­cule, il choi­sit, il repousse le plai­sir dont l’acquisition entraî­ne­rait la souf­france. Le sage se pos­sède et n’est pas pos­sé­dé. On se sou­vient de l’anecdote qui veut qu’A­ris­tippe ait répon­du à ceux qui l’interrogeaient sur la pas­sion qu’il mani­fes­tait à l’égard de sa maî­tresse, la célèbre cour­ti­sane Laïs : « Je la pos­sède, elle ne me pos­sède pas ». C’est en résu­mé toute la phi­lo­so­phie d’A­ris­tippe qui assi­gnait à la sagesse deux ver­tus : l’intelligence et la maî­trise-de-soi. C’est grâce à cette der­nière que le sage n’est le ser­vi­teur, la pos­ses­sion de quoi que » ce soit. Contrai­re­ment à Épi­cure, il ne tenait pas l’amitié en grande estime.

Les anec­dotes foi­son­naient sur le compte d’Aristippe de Cyrène. Mal­gré toutes les bonnes rai­sons qu’il ait pu four­nir, sa situa­tion de cour­ti­san auprès de Denys, le tyran de Syra­cuse, n’est pas le fait d’un esprit vrai­ment libre ; s’il est celui d’un béat oppor­tu­niste. Et cepen­dant, se vou­loir des esprits libres, telle était la pré­ten­tion des adeptes d’Aristippe.

Le der­nier connu des dis­ciples (?) du phi­lo­sophe de Cyrène fut Hégé­sias qui vivait à Alexan­drie vers l’an 300 avant notre ère. Ce pes­si­miste disait que le plai­sir étant chose insai­sis­sable et fuyante, il engendre fina­le­ment la satié­té et le dégoût. Aus­si, la vie ne sem­blant un bien que pour l’insensé, le sage ne sau­rait éprou­ver pour elle qu’indifférence et la mort lui paraît la solu­tion pré­fé­rable. Sur­nom­mé le pisi­tha­nate (qui conseille la mort) ses dis­cours eurent un tel suc­cès que, le nombre des sui­cides crois­sant, le roi Pto­lé­mée enjoi­gnit aux magis­trats de la grande cité égyp­to-hel­lé­nique de pro­cé­der à la fer­me­ture de son école…

[/​E. A./]

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