La Presse Anarchiste

Lectures

Déci­dé­ment, Jean-Jacques Mor­van, dont on a pu lire ci-des­sus les pages sur le livre de Vilal­lon­ga, est poète. Dès avant, – lors de notre der­nier pas­sage à Paris cet automne, – de se mettre ami­ca­le­ment en quatre pour nous pro­cu­rer le roman de Bion­di, il nous l’avait (croyait-il) racon­té : his­toire d’une cam­pagne élec­to­rale en pays bet­te­ra­vier, résu­mait-il, et au cours de laquelle les sta­li­niens ayant tué un pro­pa­gan­diste fas­ciste, réacs et cocos se met­taient fina­le­ment d’accord, avant l’enquête judi­ciaire, pour accu­ser du meurtre un vieux socia­liste mau­vaise tête éga­le­ment indé­si­rable pour les uns comme pour les autres.

Beau sujet.

Mal­heu­reu­se­ment, le livre ne res­semble pas tout à fait à celui que Mor­van avait recréé dans sa tête.

D’abord, sans qu’on puisse s’expliquer pour­quoi, car les anté­cé­dents de l’auteur n’autoriseraient aucu­ne­ment à admettre cette pro­mis­cui­té men­tale, Bion­di a éprou­vé le besoin de confier la plu­part de ses propres réflexions à un dis­ciple de Maur­ras, que, par-des­sus le mar­ché, le vieux socia­liste héros du livre s’abstient de livrer à la légi­time jus­tice des cama­rades lorsqu’il le découvre dans une cachette au cours d’une visite domi­ci­liaire effec­tuée par les ouvriers agri­coles à la suite de l’assassinat d’un copain, acte de vio­lence par lequel, en fait, la tra­gé­die a com­men­cé. Curieuse façon de conce­voir un vieux de la vieille.

Et de plus, loin d’être sacri­fié par la conni­vence des natio­na­listes et des sta­li­niens, le vieux socia­lo, expul­sé de sa pauvre piaule, tue effec­ti­ve­ment le sale mer­can­ti qui la lui louait. On ne peut l’en blâ­mer, mais le vrai sujet f… le camp.

D’ailleurs, si nous avons bien com­pris, ledit héros de l’histoire, qui vient du Nord, est pour ain­si dire liber­taire par… fidé­li­té à ses sou­ve­nirs de Jules Guesde. Pas impos­sible, vu la confu­sion qui a tou­jours régné dans cer­tains cer­veaux fran­çais des mou­ve­ments d’extrême gauche, et l’on pense à la réflexion iro­nique de Lénine éber­lué du mic­mac que lui avait bara­ti­né cer­tain grand intel­lec­tuel de chez nous, à qui il finit par dire : « Très heu­reux d’avoir vu de visu un mar­xiste fran­çais…» – Mais nous osons croire qu’il y a des limites et que le confu­sion­nisme prê­té au per­son­nage est bien plu­tôt le fait de la jeune géné­ra­tion à laquelle appar­tient évi­dem­ment l’auteur, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a ten­dance à tout mélanger.

Chose étrange, ça n’empêche pas le livre d’être, dans l’ensemble, sym­pa­thique, – à part une pro­pen­sion bien inutile, esti­mons-nous, à bouf­fer du curé à tout bout de champ.

Comme si la Résis­tance, avec laquelle, si nous ne nous trom­pons, Bion­di s’est trou­vé en étroit contact, ne nous avait pas démon­tré que même des catho­liques peuvent être chrétiens.

Et nous disons cela, que Bion­di veuille bien nous en croire, en qua­li­té de total agnos­tique pour qui les longues démons­tra­tions scé­niques de la pièce de M. J.-P. Sartre « Le Diable et le bon Dieu » sont plus que superfétatoires.

C’est curieux d’ailleurs l’influence de Sartre, peut-être même incons­ciem­ment subie, que l’on sent dans les livres de cette géné­ra­tion. Le résul­tat, pas tel­le­ment inat­ten­du, c’est que ces sortes d’ouvrages font invin­ci­ble­ment pen­ser aux pro­duits gueu­lés de l’Allemagne de Wei­mar. Et l’on sait com­bien cette époque de pseu­do lit­té­ra­ture alle­mande a vite vieilli.

Mais si récem­ment, dans un essai qui a fait quelque bruit et que Claude Mau­riac nous a paru bien poli de juger clair, Barthes écri­vait que l’une des meilleures récom­penses dont puisse se tar­guer Sartre est que per­sonne ne lui a dit qu’il écrit bien, il semble que Bion­di, à la dif­fé­rence de nombre de scri­bouilleurs de ce temps-ci, dont l’ambition paraît être de s’entendre accu­ser d’écrire mal, ait de véri­tables dons d’écriture. Sou­hai­tons, pour lui comme pour les idées non-confor­mistes qu’il vou­drait appa­rem­ment défendre, qu’il trouve un jour le temps et – nous nous sommes lais­sé dire qu’il est aus­si jour­na­liste – la dis­tance indis­pen­sables à la réa­li­sa­tion d’une œuvre authentique. 

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