Une lutte séculaire pour l’indépendance
De
tous les peuples opprimés, l’un fit particulièrement
preuve d’une persévérance tenace et d’une ingéniosité
sans cesse renouvelée dans la lutte pour sa libération :
c’est le peuple irlandais. Et son histoire est un livre ouvert pour
l’enseignement de tous les mouvements révolutionnaires et
libérateurs.
Comme
en Algérie, un peuple de paysans s’opposait par ses coutumes,
sa langue, sa religion à des conquérants qui peu à
peu s’installèrent en colons disposant d’énormes
domaines. L’Irlande, comme l’Algérie, était
juridiquement soudée à la « Métropole »
quoique les autochtones y gardassent un statut à part les
privant des droits des habitants de cette métropole. L’Irlande
était en fait une colonie et son exploitation agricole et
sociale était profitable à une Angleterre en voie
d’industrialisation, d’enrichissement et de libéralisation
internes. Selon Macaulay « La servitude de l’Irlande était
la condition de la liberté pour l’Angleterre ».
Depuis toujours la politique anglaise avait évité toute
« assimilation » de l’Irlande à
l’Angleterre mais avait tendu à ravaler l’île à
un niveau inférieur : à celui d’exutoire pour
l’émigration et l’exportation.
Un pays conquis
Une
première révolte ayant été réprimée
grâce à l’échec de l’aide espagnole en 1600, les
Irlandais se soulevèrent à nouveau en 1641 contre le
Roi d’Angleterre. C’est Cromwell qui, en 1649, au nom de la
République d’Angleterre parviendra à noyer dans le sang
les efforts des Irlandais. Ceux-ci sont exterminés en masse,
beaucoup, spécialement les femmes, sont vendus comme esclaves
en Amérique, les spoliations sont innombrables au profit des
militaires qui ont participé à l’Expédition
d’Irlande et des négociants qui l’ont financée.
« L’Acte
de Pacification » de 1652 confisquera les biens des
Irlandais parce que catholiques ; ceux qui n’avaient pas pris
part à la rébellion reçurent des terres dans la
région la plus reculée et la plus pauvre de l’île
(le Connaught). Les autres furent réduits sur leur propre sol
à la condition de « tenanciers »
c’est-à-dire de fermiers travaillant pour les nouveaux
propriétaires : les colons anglais.
Un
nouveau soulèvement n’est réprimé qu’après
2 ans de lutte (1689 – 1691) entre les partisans de l’ex-roi
d’Angleterre et les « orangistes » partisans du
nouveau roi protestant Guillaume d’Orange.
L’Irlande
restera agricole et ne devra faire concurrence à l’industrie.
Ses manufactures ont été détruites en 1690.
Le
mécontentement paysan contre les colons se manifeste souvent.
Au XVIIIe siècle les « niveleurs »
ou « Whiteboys » veulent niveler les barrières
des propriétaires.
L’exemple
de la révolution américaine accroît la
combativité irlandaise. À l’agitation rurale des
« coeurs de chêne » s’ajoute en 1779
l’organisation dans le cadre de la milice légale de 75.000
volontaires qui avec Grattan obtiennent par le simple poids de leur
présence quelques premières réformes.
Dix
ans plus tard la Révolution française à son tour
stimule la résistance irlandaise. Avec les restes dissous des
volontaires est créée en 1791 la société
des « Irlandais Unis » par le révolutionnaire
égalitaire et athée Wolf Tone.
En
1796 les Irlandais Unis sont 500.000, le soulèvement éclate
dans l’Est et le Sud puis dans le Nord avec à sa tête le
« Directoire Exécutif de la République
d’Irlande », en liaison directe avec le Directoire de la
République Française qui envoie trop tard il est vrai
des corps de débarquement. Les « Underdogs »
(Sales chiens), bandes armées de paysans sont défaites.
La Révolution n’est pas exportable.
En
1795 le Sud se soulève encore en vain à l’appel des
Irlandais Unis.
La
suprématie anglaise sera maintenue sur ceux que l’on appelait
officiellement « les anciens habitants du pays ».
Le Vice-Roi nommé par les Anglais définit lui-même
son gouvernement comme « une garnison protestante qui
tient la terre, la magistrature et le pouvoir dans le pays, garantie
dans cette possession par la puissance et la suprématie
britannique et à chaque instant prête à écraser
tout soulèvement des vaincus ».
En
1801 pour se débarrasser des derniers vestiges légaux
de particularisme, l’« Union » est proclamée
entre l’Angleterre et l’Irlande. « Union du requin et de
sa proie » dira Byron. Le parlement irlandais est
supprimé. L’Irlande enverra une petite minorité de
députés au Parlement anglais et tout sera réglé
à Londres.
En
1803 les derniers « Irlandais Unis » avec le
mot d’ordre « Indépendance Nationale et Liberté
de Conscience » font une vaine tentative de coup de force
contre le Château de Dublin pour s’emparer du Vice-Roi. Leur
chef R. Emmet sera pendu.
Liberté de conscience et légalisme
Au
XIXe siècle la lutte libératrice porta
d’abord sur la question religieuse. En effet les Irlandais étaient
en grande majorité catholiques. Or seuls des protestants
pouvaient être élus, avoir accès à la
fonction publique, aux professions libérales, etc. Et, d’autre
part chaque Irlandais devait payer un lourd impôt ―
la Dîme — à la seule Église « établie »
(officielle) : l’église anglicane. Un essai de concordat
visant à faire aussi de l’Église catholique un pilier
du régime britannique en Irlande fut proposé par le
gouvernement anglais (Pitt) à la hiérarchie catholique
locale et romaine qui était bien entendu disposée à
l’accepter. Cette nouvelle alliance du trône et de l’autel fut
tenue en échec par l’opinion populaire.
L’« Association
Catholique » fondée en 1823 prenait avec O’Connell
l’aspect d’un vaste mouvement de masse. Par une campagne d’élections
elle parvint à exiger des candidats un engagement en faveur de
l’émancipation des catholiques. De grands propriétaires
furent battus en 1828. O’Connell fut élu, refusa de prêter
serment de fidélité à la « succession
protestante ». Son élection annulée il fut
réélu. La guerre civile allait-elle se rallumer ?
L’émancipation des catholiques fut accordée en 1829,
nouvelle étape de ce que les Anglais appelèrent « la
politique des caresses et des coups de pieds ».
Puis
à partir de 1831 – 32 fut organisée la grève de la
Dîme. Les Irlandais ne payèrent plus l’impôt au
clergé qui rapporta en 1834 seulement un huitième de
son taux. Une première réforme fut promulguée en
1834 et une seconde en 1838 réserva son paiement aux
propriétaires, les paysans bénéficiant en plus
de l’amnistie fiscale.
L’agitation
quitta alors le plan de l’opposition religieuse. O’Connell avec la
« Ligue pour l’abolition de l’Union et l’indépendance
irlandaise » organisa une campagne monstre de meetings
pour une Convention Nationale. L’un en 1843 rassembla 250 000
personnes et le suivant devait en réunir un million quand il
fut interdit sous la menace d’une intervention de l’artillerie.
O’Connell recula devant l’épreuve de force et disparu peu
après de la scène. D’autres mouvements allaient naître,
d’autres questions allaient se poser et surtout la question agraire.
Lutte
agraire ou politique ?
Toutes
les terres du pays appartenaient à 19 000 propriétaires
dont moins de 4 000 détenaient 80 % des terres
cultivées. En face de cette toute petite oligarchie foncière
d’origine étrangère, un peuple entier de plusieurs
millions d’habitants était réduit à l’état
de tenanciers répartis en 5 classes plus ou moins défavorisées
suivant la longueur du bail et soumis à l’« éviction »
c’est-à-dire à être chassés de la ferme
quand il plaisait au propriétaire de résilier le bail.
Depuis
longtemps les plus misérables des paysans acculés à
l’illégalité se regroupaient en sociétés
secrètes comme les « Ribbomen » et se
réfugiaient dans le brigandage, le sabotage, les crimes
agraires aux cris de « No Property » (pas de
Propriétés). Des polices spéciales avaient été
créées contre eux, véritables corps
d’occupation.
Les
famines devenaient de plus en plus fréquentes ; une
grande partie de la population devait choisir entre la mort ou
l’émigration. L’Irlande est le seul pays d’Europe dont la
population ait décru au XIXe siècle passant
de 8,5 millions en 1845 4,4 millions en 1901, alors que celle de la
Grande Bretagne allait de 25 à 40 millions entre les mêmes
dates, et qu’au XVIIIe siècle elle n’atteignait pas
le double de celle de l’Irlande (respectivement 8 et 4,5 millions).
Dans les trois années précédant 1848 la famine
redoubla ainsi que les soulèvements armés, les
attaques, la répression, les déportations.
En
1848 alors que toute l’Europe s’enflammait un mouvement bien qu’à
l’origine plus littéraire et romantique que politique et, en
cela frère de tous les mouvements contemporains (Jeune Europe,
Jeune Italie, Jeune Allemagne, Jeune Hongrie, etc.) la Jeune Irlande
tenta une insurrection générale. Seule la province Sud,
le Munster se souleva et aucun appui ne vint des autres révolutions
d’Europe.
En
1850 est créée la « Ligue pour les droits
des tenanciers ». Mais déjà il apparaît
que le problème agraire ne pourra être résolu
isolément par des réformes. Le sort des paysans est lié
à celui du peuple irlandais entier, se débarrasser des
propriétaires terriens c’est se séparer de
l’Angleterre.
Les
Irlandais reçoivent alors l’aide de quelques-uns des plus
décidés d’entre eux, de ceux qui ont le plus
d’expérience politique et aussi le plus de ressources
financières et de moyens militaires : les Irlandais des
États-Unis. Avec leur appui est fondée l’I.R.B.
(Fraternité Républicaine Irlandaise) dont les membres
sont appelés les fenians du nom d’un ancien héros
celte. Les fenians se livreront à une méthodique et
progressive préparation de l’action révolutionnaire
clandestine et publique : un enterrement leur fournit en 1861
l’occasion d’un rassemblement de 100 000 personnes à
Dublin. Ils allient la lutte pour la terre à la lutte pour la
république.
En
1867 le soulèvement général qu’ils ont préparé
échoue en Irlande mais ils portent la guerre en Angleterre où
travaillent des dizaines de milliers d’Irlandais. Ils essaient de
prendre d’assaut des arsenaux (Chester), des prisons (Manchester),
d’en faire sauter d’autres (Londres).
Après
une dure répression le gouvernement anglais alors libéral
avec Gladstone, tente de se rallier les Irlandais par des lois de
réforme notamment en faveur des tenanciers (1869) mais qui
sont bientôt tournées par les propriétaires.
Réforme ou révolution ?
Le
syndicaliste ouvrier Davitt crée la Ligue Agraire (Land
League) en 1879 tandis que l’idée de l’autonomie (Home Rule)
fait des progrès et que se crée un Parti Irlandais. Ce
parti bien entendu minoritaire à Londres invente et met au
point la technique de l’obstruction parlementaire. Puisque le
parlement anglais ne veut rien faire pour les Irlandais ceux-ci
l’empêcheront de s’occuper même des affaires anglaises.
Utilisant toutes les ressources du règlement ils bloqueront
tous les débats de la Chambre en occupant la tribune à
tour de rôle par des discours sans fin, des amendements
répétés, etc. Le règlement devra donc
être réformé et le Parti Irlandais essayera alors
d’une tactique de bascule entre les deux grands partis en se faisant
l’arbitre des majorités.
Mais
la lutte s’exaspère en Irlande. Les paysans résistent
aux évictions. En 1880 est inventé le boycott du nom
d’un propriétaire particulièrement dur, à qui
personne ne parlera, n’achètera, ne vendra quoi que ce soit,
pour qui personne ne travaillera et qui finalement sera ainsi obligé
par les paysans à quitter le pays. Deux années plus tôt
un Lord propriétaire haï avait été
assassiné sans que jamais on ne trouvât de coupables.
La
Ligue Agraire est dissoute, le chef du Parti Irlandais Parnell « le
roi sans couronne de l’Irlande » emprisonné. La
soeur de ce dernier prend alors la tête du mouvement.
La
société des « invincibles »
organise le terrorisme. Le secrétaire d’État à
l’Irlande, sorte de Ministre-résident est tué (1882)
des attentats à la dynamite contre le Ministère de
l’Intérieur à Londres (1883) ou à la Chambre des
Communes (1885) font trembler le pouvoir. Les lois de répression
succèdent aux lois d’exceptions, « lois de
coercitions », lois scélérates (crimes
Bill). Les cours martiales siègent pendant trois ans.
À
la Ligue Agraire a succédé la « Ligue
Nationale » qui lance un « plan de campagne »
syndicaliste paysan.
Le
gouvernement anglais devient de plus en plus instable et divisé.
Le leader libéral Gladstone ayant accepté le principe
de l’autonomie « Home Rule » son parti est
victime d’une scission de la part des « unionistes »
qui veulent garder l’Irlande unie à l’Angleterre et appuient
les conservateurs et la répression.
En
1888 le pape lui-même, à la demande du gouvernement
anglais, a lâché les Irlandais et par une encyclique
condamné la lutte nationale, le Parnellisme et la Ligue
Agraire entraînant une scission dans le Parti Irlandais du Home
Rule. Des lois en faveur des tenanciers arrivent à passer
(1885, 1891, 1903, 1909), permettant le RACHAT des terres par les
paysans : l’État prête aux paysans et donne des
primes aux propriétaires. Les conservateurs espèrent en
effet « tuer le Home Rule par de bons procédés »
c’est-à-dire réaliser la réforme agraire pour
faire oublier la réforme politique.
Le
projet de loi de Home Rule présenté par les trois
gouvernements libéraux successifs est repoussé, au
cours d’interminables et passionnés débats d’opinion
analogues à ceux de l’actuelle Loi-Cadre en France, en 1886
par les chambres, en 1892 accepté par les Chambres mais rejeté
par les Lords, en 1905 encore adopté par les Chambres mais
rejeté par les Lords en 1912 et 1913. Ce qui décidera
les Libéraux à reformer la Chambre des Lords, si bien
que le veto de cette Chambre haute étant devenu suspensif la
loi le Home Rule pourra enfin être signée en septembre
1914. Mais d’autres événements ont surgi dans le monde
et en Irlande rendant la réforme vaine et dépassée.
Les
lenteurs et l’échec de l’action parlementaire ont poussé
l’Irlande à se replier sur elle-même dans l’action
révolutionnaire et le séparatisme.
Retour à l’action révolutionnaire
En
1893 est fondée la Ligue Gaélique qui entreprend de
défendre la langue irlandaise celte. Alors qu’en 1800 encore
la moitié des Irlandais la parlaient, les famines,
l’émigration, les évictions, les persécutions
diverses on fait que seulement un quart en 1851 et un huitième
en 1911de la population reste d’expression gaélique (celte).
Des cours pour adultes sont ouverts en liaison avec la « Société
pour l’Organisation Agricole Irlandaise » fondée en
1894 par Plumkett et qui jette les bases d’un vaste mouvement
coopératif. S’appuyant sur ces deux organismes Griffith,
s’inspirant des expériences sud-africaine et hongroise, fonde
le SINN-FEIN traduction gaélique du mot d’ordre hongrois Deak
« Soi-même » que l’on peut rapprocher de
la devise du Risorgimento « l’Italia Fara da se ».
Le Sinn Fein refuse les compromis et les tractations et veut donner
aux Irlandais la force de s’organiser par eux-mêmes sur place
par la résistance passive (cessation du paiement des impôts,
etc.) et le boycott de ce qui est anglais. « Vivre en
Irlande comme si les Anglais n’existaient pas. » Procédés
qui seront prônés avec combien de succès par le
tolstoïen Gandhi.
Si
le Sinn Fein demandait plus que la simple autonomie du Home Rule, et
préconisait le séparatisme et une République
indépendante, sur le plan social il était lui-même
à son tour dépassé par le mouvement ouvrier. Et
à partir d’août 1913 les grèves de Dublin
devenaient de plus en plus menaçantes pour le régime,
l’idée de la « République des travailleurs »
prônée par J. Larkin faisait son chemin, avec l’appui
d’ailleurs du mouvement ouvrier syndicaliste et socialiste anglais.
Les ouvriers s’arment et forment l’I.C.A. (l’Armée citoyenne
irlandaise) ayant à sa tête Conolly puis bientôt
le fenian Pearse.
Mais
les ouvriers ne sont pas les seuls à s’armer. La politique
anglaise est enfin parvenue à crier une division dans le
peuple irlandais. Son appui elle l’a cherché dans une partie
de la population de l’Ulster, Nord du pays descendant d’immigrants
écossais protestants traditionnellement « Orangistes »
et ayant toujours joui d’un régime social et agraire
privilégié. Ces « Orangistes »,
avec Carson, lèvent 80 000 miliciens d’une « armée
volontaire ». En réponse Redmond lève
100 000 volontaires nationalistes. Les uns et les autres
cherchent à importer clandestinement des armes d’Allemagne.
Bien entendu les forces armées anglaises interceptaient et
pourchassaient l’armement des nationalistes tandis qu’elles
laissaient faire les orangistes et refusaient même de
« maintenir l’ordre » en Ulster.
À
la fin juillet 1914 toute conciliation est reconnue comme impossible
et éclatent les premières escarmouches de la guerre
d’indépendance.
Au
même moment commence la Première Guerre mondiale. Le
gouvernement anglais fait appel aux Irlandais en échange du
Home Rule promis. Bien que la farce soit usée elle prend quand
même un peu. Les Volontaires de Redmond se divisent :
certains avec leur chef acceptent de défendre leur oppresseur
séculaire et une royauté haïe contre une Allemagne
avec qui ils n’ont jamais eu aucun démêlé. Ils
prennent le nom de « Volontaires Nationaux » et
envoient deux divisions en Europe. Les autres avec la jeunesse
considérant que toute difficulté de l’Angleterre est
une occasion pour l’Irlande restent sur place pour préparer la
guerre civile sans participer au conflit mondial et s’organisent en
« Volontaires irlandais ». Le gouvernement
anglais en guerre contre la « Triple:-Alliance »
redoute plus que tout la possible « Triple-Alliance
intérieure contre la guerre » celle des Mouvements
Ouvrier, Irlandais et Féministe. Pour faire patienter les
Irlandais. Il promulgue enfin la loi de Home Rule en septembre 1914.
― Tout en suspendant son
application à cause de la guerre. ―
l’Irlande ne sera encore même pas autonome.
L’action
révolutionnaire est de plus en plus proche. Casement part en
mission auprès des fenians d’Amérique pour trouver des
subsides et dans les camps de prisonniers irlandais en Allemagne
lever des combattants, il trouve surtout 20 000 fusils. Le
soulèvement général est prévu pour Pâques
1916 par les Volontaires. L’échec du débarquement des
fusils le fait décommander. Seule la section de Dublin des
volontaires part à l’attaque. Les bâtiments publics de
la capitale sont pris sauf le Château. La République est
proclamée. Les Anglais mettent sept jours à reconquérir
la ville. Pearse ― devenu
commandant en chef de l’I.R.A. (Armée Républicaine
Irlandaise, héritière de l’I.R.B. et de l’I.C.A.) et
Président du gouvernement provisoire ―
Conolly et 5 autres organisateurs de l’insurrection sont fusillés.
Après
la répression les Anglais tentent en vain de réunir une
Convention. Le Sinn Fein, vainqueur des élections refuse de
siéger. Le gouvernement anglais essaye aussi d’imposer la
conscription obligatoire. Le Sinn Fein déclare y opposer une
résistance active. Les volontaires reparaissent L’épiscopat
lui-même nie au gouvernement le droit de lever des conscrits.
L’armistice de 1918 survient alors.
Le choc décisif
Avant
la fin de l’année des élections générales
sont gagnées par le Sinn Fein. Il refuse à nouveau de
siéger à Westminster et réunit les députés
à Dublin en « Dail », Assemblée
d’Irlande qui s’affirme la continuation de la République
proclamée en 1916. C’est la naissance d’un deuxième
pouvoir qui conteste le pouvoir officiel. De Valera président,
emprisonné s’évade et recueil aux États-Unis le
premier emprunt de la République. Le pays est en proie à
une guérilla générale, les sabotages sont
innombrables. L’Armée anglaise ne suffit plus. Des corps
spéciaux de police sont créés comme. les « Black
and Tan », les « Noirs et Bruns ».
(selon leur uniforme).
Finalement
l’impérialisme britannique se décide à faire la
part du feu. Le partage de l’Irlande ou « Partition »
est décidé en 1920. Un Home Rule mitigé est
accordé… au Nord. En effet, les Anglais peuvent compter sur
la passivité de la partie protestante de la population et
l’aide des « Orangistes » pour garder le
contrôle de la région de Belfast où sont leurs
plus considérables investissements capitalistes (usines de
textile, premier chantier naval du monde, etc.). La province
septentrionale sera donc découpée : 6 comtés
de l’Ulster sur 9 seront détachés du reste de l’île.
2 autour de Belfast à majorité nettement orangiste, 2
en arrière d’avis partagé et 2 autres nettement contre
le partage. Tant bien que mal, par le bon vouloir de l’impérialisme
ils formèrent une entité administrative nouvelle
« L’Irlande du Nord » qui reçut un
Parlement à Stormont en 1921.
Dans
le Sud aux élections de la même année tous les
candidats républicains sont élus sans concurrents. Par
les négociations de Londres (1921) les Irlandais sont
contraints de choisir entre le statut de Dominion ou une « guerre
immédiate et terrible » selon la menace du
gouvernement toujours libéral de Lloyd George.
La
plus grande partie du pays formera l’État libre d’Irlande ou
Eire au sein de l’empire britannique et devra reconnaître la
Partition. Le Sinn Fein se divise entre ceux qui acceptent la
ratification avec Giffith et ceux qui refusent avec De Valera et
reprennent les armes.
Une
nouvelle guerre civile éclate, qui durera un an, au cours de
laquelle les Anglais prennent une deuxième fois Dublin contre
les Républicains
En
1923 les républicains avec De Valera acceptent le
cesses-le-feu tout en gardant les armes. En 1926 De Valera se
ralliera à son tour au régime laissant seuls dans
l’opposition contrainte à nouveau à la clandestinité
les extrémistes du Sinn Fein avec l’Armée Républicaine
I.R.A. Il participera au pouvoir et à la répression
contre les groupements d’extrême gauche républicains,
féministes, communistes agraires. Il gouvernera même
seul avec son parti de 1932 à 1948. En 1939 les attentats ont
repris en Irlande du Nord et même en Grande Bretagne. De tous
les Dominions l’Eire refusera seule d’entrer en guerre. En 1949 la
République est proclamée. L’Irlande quitte le
Commonwealth. Seulement les 6 comtés du Nord restent rattachés
au « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord »
avec une certaine autonomie que n’ont jamais reçue aucune
autre partie de l’Union ni l’Écosse ni le pays de Galles !
C’est là que l’I.R.A. continue son action révolutionnaire.
Seulement un État
de plus ?
Ainsi
les Irlandais achèvent-ils sous nos yeux un long processus
d’émancipation que l’on peut appeler aussi une révolution.
Expérience passionnante d’un peuple ayant éprouvé
et souvent inventé tous les moyens de lutte légaux ou
illégaux, violents ou non-violents, depuis la grève de
l’impôt, le boycott des biens et des gens, les manifestations
de masse jusqu’à la grève ouvrière et la grève
armée, toutes les tactiques parlementaires de la collaboration
gouvernementale jusqu’à l’obstruction systématique,
tous les sabotages politiques et économiques depuis le coup de
force isolé, l’attentat individuel jusqu’au terrorisme, à
la guérilla et au soulèvement généralisé ;
tous les modes d’organisation : sociétés secrètes,
ligues nationales ou religieuses, partis clandestins ou déclarés,
syndicats agricoles ou ouvriers, formations armées officielles
ou secrètes ; tous les appuis à l’intérieur
comme à l’extérieur depuis l’opinion publique,
populaire, ouvrière ou libérale du pays impérialiste
lui-même jusqu’auprès des émigrants installés
dans ce pays ou ailleurs, auprès de tous les autres peuples en
révolution comme auprès, même, d’impérialismes
rivaux.
Si
le résultat final ― un
État irlandais et une classe dirigeante irlandaise ―
n’a rien en soi qui satisfasse l’anarchisme, du moins cette lutte
vaut par elle-même notre admiration, par l’énergie
populaire qu’elle a nourrie, mais aussi par ce qu’elle a conquis :
la Terre et la Liberté. La terre à celui qui la
travaille, la liberté d’être soi-même avec ses
caractères nationaux. Assurément la petite propriété
même tempérée de coopératisme n’est pas un
idéal suffisant et d’autres libertés sont nécessaires.
Cette révolution, comme beaucoup d’autres, a amené une
nouvelle classe au pouvoir, mais un peuple a fait un pas de plus pour
saisir en main ses destinées.
Un
peuple de paysans certes plus « arriéré »
que la nation dominante, alors la plus « avancée »
du monde, a tenu tête au siècle du progrès au
premier pays industriel, à la plus grande puissance militaire
seulement séparés par un seul bras de mer. Bien qu’en
proie à la plus obscurantiste et à la plus totalitaire
des religions, le catholicisme, il a eu raison du plus libéral
des régimes politiques de ce temps, il a eu raison contre lui,
justement parce que son état même de pays sous-développé
était un témoignage, un reproche vivant à
l’impérialisme, à la civilisation moderne imposée
de l’extérieur.
Comme
les Polonais face aux Allemands ou les Algériens face aux
Français ils avaient la raison de ceux qui n’ont rien d’autre
que leur faim et leur révolte.
J.P