« Manifeste socialiste libertaire », Gaston Leval, 115, avenue de Neuilly, Neuilly-sur-Seine
Cette brochure, éditée par « un groupe de camarades à Genève », mérite d’être signalée par un effort sérieux de joindre à l’exposé d’une critique sociale – traditionnellement inspirée du « Manifeste communiste » de Marx – un exposé constructif se séparant nettement des solutions provisoires autoritaires envisagées par Marx en 1848. Une prise de position « devant d’autres écoles du socialisme » fait pendant un siècle plus tard à la dernière partie du manifeste marxiste et complète l’opuscule.
Cette prise de position est en somme conciliatrice : elle équivaut à la recherche d’un plus grand dénominateur commun entre tous ceux qui se réclament sincèrement du nom de socialistes et de démocrates : « La démocratie est le gouvernement du peuple, donc du peuple par lui-même. C’est une espèce d’autarchie, et en donnant au mot sa valeur réelle, nous sommes de vrais partisans de la démocratie. » « Nous entendons par socialisme la prédominance des besoins sociaux et l’égale possibilité de satisfaction de ces besoins pour tous les membres d’une société sans classes. Le socialisme implique donc la solidarité de tous les êtres humains et la possession par la société et les organisations la composant, du sol et du sous-sol, des machines et de tous les éléments de production. »
Égalitaire dans son but, le « socialisme » ainsi préconisé est « libertaire » dans ses méthodes : « Dans l’ordre théorique, il n’y a pas de différence essentielle entre le socialisme de Louis Blanc, Marx, Engels et Proudhon, Bakounine et Kropotkine. Cette différence surgit dans le choix des moyens, mais elle devient énorme. » On peut à bon droit s’étonner du rapprochement intime opéré entre des « formes d’avenir » aussi radicalement diverses que le mutualisme proudhonien, le collectivisme bakouninien et le communisme de Kropotkine, pour ne pas parler du pan-étatisme implicitement contenu dans les postulats marxistes et même dans les idées de Louis Blanc sur l’organisation du travail. Que devient dans tout cela, « l’esprit anarchiste », comme antidote et seul adversaire irréconciliable du totalitarisme moderne ? Telle est la question qui reste en suspens lorsque l’on ferme le « Manifeste socialiste libertaire », et l’on doit bien convenir, réflexion faite, que, de ces trente-six pages assez denses, la révolte individualiste est absente.
[/A. P./]