La Presse Anarchiste

La solution égalitaire

GRÂCE aux pro­grès tech­niques (décou­vertes récentes, pers­pec­tives illi­mi­tées ouvertes par la cap­ta­tion de l’énergie infra-ato­mique) et à la géné­ra­li­sa­tion de l’instruction, le monde devient de plus en plus mûr pour l’égalité sociale.

Mais les par­ti­sans de l’égalité ont tou­jours été pré­sen­tés comme « des pri­maires au cer­veau trop court », comme des brutes dont l’idéal est la réduc­tion par­faite au niveau le plus bas, aus­si bien des talents que des for­tunes ». Il est évi­dem­ment facile de stig­ma­ti­ser l’absurdité, la folie, le néant de ces rêves bar­bares prê­tés com­plai­sam­ment aux adver­saires d’une socié­té pour­rie par le pri­vi­lège de l’argent.

Pour répondre effi­ca­ce­ment à ces attaques hypo­crites, il est néces­saire de pré­ci­ser les prin­cipes et l’organisation pra­tique d’une socié­té égalitaire.

Il faut convaincre les foules à la fois de la beau­té et de la pos­si­bi­li­té d’une telle socié­té pour qu’elle devienne la réa­li­té de demain – ou d’aujourd’hui.

a) Principes

HIÉRARCHIE DANS L’ÉGALITÉ telle est la for­mule d’organisation qui conci­lie le mieux les néces­si­tés d’ordre tech­nique et les aspi­ra­tions d’ordre moral.

1. Hiérarchie des fonctions.

Car la com­plexi­té de la vie éco­no­mique actuelle impose le diri­gisme tech­nique par les plus com­pé­tents. Il faut res­pec­ter tou­te­fois, dans la mesure du pos­sible, le tra­vail agri­cole et arti­sa­nal indé­pen­dants dans le cadre d’un ren­de­ment déterminé.

Nomi­na­tions, tou­jours révo­cables, effec­tuées au vote, par les tra­vailleurs de la même pro­fes­sion (Études préa­lables et appren­tis­sages sanc­tion­nés ou non par des exa­mens ou des tests, ne peuvent avoir qu’une valeur indicative).

Règle­ments inté­rieurs d’administration et d’atelier rédi­gés par l’ensemble des tra­vailleurs inté­res­sés qui, direc­te­ment ou par délé­gués élus, contrôlent leur appli­ca­tion et prennent les sanc­tions. (Sys­tème des Soviets non faus­sé par l’ingérence d’une auto­ri­té centrale.)

2. équivalences des conditions.

a) Tra­vail obli­ga­toire sauf pour les enfants, les vieillards, les malades, les mères de famille. – Non un tra­vail quel­conque, mais une acti­vi­té d’une uti­li­té maté­rielle indé­niable : pro­duc­tion, manu­ten­tion, trans­ports, livrai­sons, comp­ta­bi­li­té, sta­tis­tiques, postes, méde­cine et phar­ma­cie, tra­vaux de labo­ra­toire, ensei­gne­ment… (la liste de ces ser­vices est éta­blie après référendum).

Liber­té de choix de la pro­fes­sion. Il se peut cepen­dant qu’on ne trouve guère d’amateurs pour cer­taines besognes dures et répu­gnantes mais néces­saires. Dans ce cas, tour de rôle ou com­pen­sa­tion d’un nombre infé­rieur d’heures de tra­vail en atten­dant la relève de l’homme par le robot.

Pour le lieu du tra­vail, lais­ser s’effectuer spon­ta­né­ment, au gré des inté­res­sés la répar­ti­tion de la main‑d’œuvre. Pour­tant le ser­vice social peut exi­ger l’obligation de dépla­ce­ments gênants. Pro­cé­der alors, à défaut de volon­ta­riat par tirage au sort et roulement.

On ne peut pas inter­dire à un groupe d’individus de se char­ger de la tâche d’un cama­rade : artiste, écri­vain, prêtre… Tou­te­fois il vau­drait mieux évi­ter le dan­ger de créer une classe tota­le­ment para­si­taire au point de vue matériel.

b) Éga­li­té de bien-être. – Les talents conservent des pri­vi­lèges dont on ne veut point les dépos­sé­der : plai­sir de la création et de l’invention, satis­fac­tion du devoir accom­pli, recon­nais­sance, res­pect, admi­ra­tion des foules. Mais dans la dis­tri­bu­tion des biens exté­rieurs, on n’a à consi­dé­rer dans l’homme, que l’être maté­riel dont les besoins n’ont rien à voir avec les inéga­li­tés intel­lec­tuelles ou morales.

Tant que la sur­abon­dance n’est pas réa­li­sée dans tous les domaines, on donne à cha­cun, quelle que soit l’importance des fonc­tions, les mêmes moyens d’achat – majo­rés, s’il y a lieu, des mêmes sup­plé­ments pour des charges fami­liales égales et des frais acces­soires pro­ve­nant de l’exercice de la profession.

Mêmes avan­tages pour les non-tra­vailleurs régu­liers (cadets et « aînés ») que pour les pro­duc­teurs eux-mêmes.

La dis­tri­bu­tion éga­li­taire des moyens d’achat sup­pose la sup­pres­sion totale de la pro­prié­té pri­vée, des moyens de pro­duc­tion et d’échange et l’arrêt de toute thé­sau­ri­sa­tion par le renou­vel­le­ment pério­dique des signes monétaires.

Pas d’uniformité à craindre, le libre jeu des fan­tai­sies indi­vi­duelles n’étant nul­le­ment faussé.

— O —

La socié­té devient ain­si une com­mu­nau­té com­pa­rable aux com­mu­nau­tés fami­liales et reli­gieuses : les membres ont des fonc­tions diverses sui­vant l’âge, le sexe, le tem­pé­ra­ment, les apti­tudes – mais il y a théo­ri­que­ment du moins, éga­li­té dans le bien-être ou les pri­va­tions. La com­mu­nau­té fami­liale est en prin­cipe fon­dée sur l’affectation, la com­mu­nau­té reli­gieuse sur la foi. La com­mu­nau­té humaine repo­se­rait sur la jus­tice et sur l’intérêt de la qua­si-una­ni­mi­té des humains.

b) Méthodes de réalisation

MÉTHODE AUTORITAIRE À REJETER.— On ne peut pas comp­ter sur des mino­ri­tés même d’élite, pour impo­ser à tous et sur­tout pour s’imposer à elles-mêmes l’égalité sociale. Cette éga­li­té ne peut être acquise – dura­ble­ment acquise – qu’après adhé­sion des masses.

1. Travail de pro­pa­gande com­por­tant ce seul slo­gan : « Éga­li­té de condi­tions » et négli­geant toute autre consi­dé­ra­tion poli­tique, phi­lo­so­phique ou reli­gieuse. Le ras­sem­ble­ment des amis de l’égalité peut être rapide et mas­sif si la ques­tion. n’est pas com­pli­quée, embrouillée par la greffe inop­por­tune d’autres problèmes.

Inutile de s’illusionner au sujet de la conquête d’une bonne par­tie des classes moyennes. En France, par exemple, sur 11 mil­lions de familles, 600 000 envi­ron dis­posent d’un reve­nu supé­rieur à 4.000 francs or ne se lais­se­ront guère entraî­ner. Il ne faut pas déme­su­ré­ment comp­ter sur les 1.500.000 dont les reve­nus oscil­lent entre 2.000 et 4.000 francs or et qui ont oscil­lé elles-mêmes entre la droite et la gauche depuis 1919. Mais les 9 mil­lions de familles, dont les reve­nus sont infé­rieurs à 2.000 francs or et qui tota­lisent seule­ment la moi­tié du reve­nu natio­nal quoique for­mant les quatre cin­quièmes de la popu­la­tion, pour­raient et devraient être acquises à la doc­trine égalitaire.

Les thèmes de l’agita­tion sont simples :

L’Égalité éco­no­mique, est juste ;

L’Égalité éco­no­mique est pos­sible – fatale même à plus ou moins brève échéance ;

L’Égalité éco­no­mique serait maté­riel­lement et mora­le­ment pro­fi­table à la grosse majorité.

Il est évident que doivent être sou­te­nues éner­gi­que­ment toutes les réformes ten­dant à l’égalité – et com­bat­tues les mesures inéga­li­taires. Mot d’ordre : Fer­me­ture de l’éventail des salaires. Tac­tique : réor­ga­ni­sa­tion syn­di­cale en vue de la lutte contre les cadres et les « pro­lé­taires pri­vi­lé­giés » plus dan­ge­reux aujourd’hui que les vieux capi­ta­listes. Appro­ba­tion du prin­cipe du « reve­nu social » uni­forme pré­co­ni­sé par les abondancistes…

Des groupes nom­breux, bien liés entre-eux doivent être capables d’un pro­sé­ly­tisme effi­cace par confé­rences, bro­chures, jour­naux, tracts…

Mal­gré le sabo­tage des par­tis – de tous les par­tis – et des diri­geants actuels des syn­di­cats (La C.N.T. seule est timi­de­ment éga­li­taire), mal­gré les res­sources infimes du début et la répres­sion légale pos­sible, la pénu­rie « orga­ni­sée » camou­flant la sur­abon­dance capi­ta­liste est émi­nem­ment favo­rable au triomphe de la mys­tique égalitaire.

2. Révo­lu­tion. – Quoique le machi­nisme semble son­ner le glas de l’économie échan­giste, il serait naïf d’escompter un simple chan­ge­ment juri­dique par voie légis­la­tive nor­male – les pré­pa­ra­tifs de guerre, orga­ni­sa­tion métho­dique des trusts et ententes gou­ver­ne­men­tales pour frei­ner les pro­grès de la tech­nique et le retour de l’abondance peuvent retar­der long­temps encore l’avènement d’une éco­no­mie dis­tri­bu­tive éga­li­taire, s’il n’y a pas acte d’autorité révo­lu­tion­naire. Il serait sage de s’attendre dans l’avenir à ce que les pri­vi­lé­giés se cram­ponnent à leurs pri­vi­lèges, condam­nés cepen­dant par l’évolution nor­male du capi­ta­lisme, avec le même féroce entê­te­ment que par le pas­sé. On doit donc pré­voir des actions bru­tales (réduites au strict mini­mum des néces­si­tés révo­lu­tion­naires) pour évi­ter échecs et répres­sions sans merci.

Un « Comi­té de lutte », issu démo­cra­ti­que­ment du mou­ve­ment éga­li­taire, doit étu­dier les meilleurs moyens tech­niques pour neu­tra­li­ser le plus sûre­ment et le plus rapi­de­ment pos­sible les éven­tuelles forces adverses : Police d’État, gardes pré­to­riennes, polices inter­na­tio­nales si le mou­ve­ment, comme il est pru­dent de l’admettre, n’est pas universel.

Un « Comi­té d’action immé­diate » doit mettre au point les mesures propres à bri­ser, d’un seul coup, la toute-puis­sance arti­fi­cielle des adver­saires. Voi­ci quelques-unes de ces mesures devant suivre « immé­dia­te­ment » la chute du pou­voir politique :

Des­truc­tion de toutes les archives de police ;

Sai­sie des banques : des­truc­tion des titres, mise à l’abri de l’or ;

Annu­la­tion de la mon­naie existante ;

Inven­taire de tous les stocks, déblo­cage et répar­ti­tion éga­li­taire (avec tickets par exemple), des pro­duits indis­pen­sables : den­rées, vête­ments, etc.;

Éva­cua­tion des tau­dis et répar­ti­tion par les com­munes des loge­ments habi­tables (tirage au sort et rou­le­ment en cas de contestation);

Abo­li­tion de la pro­prié­té pri­vée et des­truc­tion des ter­riers : nota­riats, bureaux d’hypothèques, etc.;

Reprise de la pro­duc­tion en orga­ni­sant le ser­vice obli­ga­toire du tra­vail et en fai­sant pas­ser dans les sec­teurs utiles les tra­vailleurs des sec­teurs parasitaires.

Enfin, mal­gré la fécon­di­té de la libre entente et la spon­ta­néi­té créa­trice des foules sous le coup de fouet de l’enthousiasme, la Révo­lu­tion ris­que­rait d’être déviée ou de s’enliser si, des ruines de l’ordre ancien, on ne pou­vait – sans délai – faire sur­gir un ordre nou­veau. D’où la néces­si­té de plans d’organisation pra­tiques à éla­bo­rer d’avance, par les « Comi­tés d’Études » issus des congrès. Ces plans ne doivent pas res­ter dans les archives pour être mis en appli­ca­tion le moment venu, par des orga­nismes dic­ta­to­riaux. Il faut, dans leurs grandes lignes, tout au moins, les pré­sen­ter à l’adhésion des masses pour que toute polé­mique soit écar­tée pen­dant l’action. Il est évident d’ailleurs qu’ils doivent être à tout ins­tant modi­fiables dans le détail, dans la période pré-révo­lu­tion­naire comme pen­dant la Révo­lu­tion, sous la pres­sion des événements,

c) Organisation pratique

Voi­ci, à titre indi­ca­tif, un sché­ma d’organisation. Conçu dans un cadre natio­nal, il peut être ampli­fié à la mesure des conti­nents et même de toute la pla­nète. Il peut égale­ment être rétré­ci aux limites d’une région.

1.— Établissement des plans

L’économie ayant pour fin les besoins humains, il faut dres­ser la liste approxi­ma­tive de ces besoins par com­munes, régions, etc. Les sta­tis­tiques doivent pré­voir le renou­vel­le­ment de l’outillage, les expor­ta­tions, le tou­risme, le volant de réserve. D’autre part, il est néces­saire de savoir ce que peut don­ner en pro­duits ali­men­taires l’exploitation du sol et ce que peut four­nir, avec un tra­vail humain rai­son­nable, l’outillage indus­triel disponible.

Le bureau cen­tral du plan groupe ces sta­tis­tiques, et les publie. Comme en règle géné­rale – du moins au début – la liste des besoins sera vrai­sem­bla­ble­ment exa­gé­rée, le bureau sou­met­tra à l’approbation du peuple, par voie de réfé­ren­dum (les trans­mis­sions sont rapides aujourd’hui), un ou plu­sieurs pro­jets har­mo­ni­sant cette liste et les pos­si­bi­li­tés de production.

Les besoins essen­tiels auront auto­ma­ti­que­ment prio­ri­té sur le luxe. Les créa­tions seront conçues sui­vant les prin­cipes éga­li­taires : plus de classes par exemple dans les trains, mais voi­tures spé­ciales pour inva­lides. Plus de gar­gotes à côté de palaces ultra-chics… Fan­tai­sie dans les limites d’un confort moyen, en atten­dant les futures amé­lio­ra­tions générales.

Quoiqu’une bonne marge de sur­pro­duc­tion soit utile, il ne fau­dra pas sto­cker sans mesure : dans une éco­no­mie natio­nale, conti­nen­tale ou mon­diale, il ne peut guère sur­ve­nir de catas­trophe faus­sant appré­cia­ble­ment les pré­vi­sions : la sous-pro­duc­tion en cer­tains points est à peu près com­pen­sée par la sur­pro­duc­tion en d’autres.

En somme, il s’agit de faire ce qu’on a déjà ten­té et réus­si en U.R.S.S. et en Alle­magne en temps de paix et un peu par­tout en temps de guerre et dans l’après-guerre.

Deux grosses dif­fé­rences toutefois :

a) La ques­tion du finan­ce­ment ne se pose pas. La sup­pres­sion du capi­ta­lisme laisse intact le capi­tal réel (matières pre­mières et outillage) et éli­mine le capi­tal fic­tif. De même la sol­va­bi­li­té de la consom­ma­tion est hors de cause : on ne se pré­oc­cupe que de faire cadrer les besoins et les pos­si­bi­li­tés de production ;

b) Les plans ne sont pas impo­sés d’en haut par des auto­ri­tés déci­dant dic­ta­to­ria­le­ment de la hié­rar­chie des besoins pour la col­lec­ti­vi­té entière – pro­cé­dé com­mode et rapide mais exi­geant le main­tien de l’État poli­tique et poli­cier et sup­po­sant l’infaillibilité des équipes diri­geantes. Pas de des­po­tisme éclai­ré pré­ten­dant régen­ter la vie des masses, faire leur bon­heur mal­gré elles ou le bon­heur des géné­ra­tions futures aux dépens des géné­ra­tions pré­sentes. Pas même de tech­no­cra­tie ou de bio­cra­tie : les tech­ni­ciens peuvent don­ner des conseils – non des ordres.

2. – Production

Elle doit être sous le contrôle des syn­di­cats réno­vés deve­nus des organes de gestion.

Ils four­nissent au bureau du plan les ren­sei­gne­ments rela­tifs au ren­de­ment de l’outillage.

Dans leur « Union natio­nale », ils fixent et sou­mettent à l’approbation de tous les pro­duc­teurs, par voie de réfé­ren­dum, la durée du tra­vail par pro­fes­sion – durée variable sui­vant la fatigue mus­cu­laire où céré­brale et selon le nombre de volontaires.

Chaque fédé­ra­tion pro­fes­sion­nelle répar­tit les tâches entre les syn­di­cats régio­naux et locaux d’après l’importance de la main‑d’œuvre et le ren­de­ment des machines. Les réfrac­taires à toute orga­ni­sa­tion peuvent gar­der une indé­pen­dance totale ou une demi-liber­té. Dans le pre­mier cas, la col­lec­ti­vi­té leur four­nit les ins­tru­ments de tra­vail et ne s’occupe plus d’eux. Dans le deuxième, ils s’entendent avec le syn­di­cat local qui fixe l’ouvrage à exécuter..

Chaque syn­di­cat pro­fes­sion­nel, chaque groupe d’entreprises est maître abso­lu, dans sa sphère, pour les horaires, les règle­ments inté­rieurs. Il est libre, en par­ti­cu­lier, d’organiser à sa guise, au sein de la cor­po­ration, la lutte contre le para­si­tisme, ici par des moyens coer­ci­tifs, là par la méthode liber­taire de la seule contrainte morale.

Pour les « res­quilleurs » n’appartenant à aucune pro­fes­sion déter­mi­née, c’est « l’union locale » qui décide. Elle règle éga­le­ment la ques­tion d’exemption de toute tâche maté­rielle pour les artistes, les lit­té­ra­teurs, les savants – des groupes pou­vant d’ailleurs, en cas de refus de l’union, prendre à leur compte le ser­vice social des, intéressés.

Les plans ayant été conçus non par une auto­ri­té exté­rieure mais uni­que­ment d’après les pos­si­bi­li­tés de pro­duc­tion indi­quées par les syn­di­cats, leur exé­cu­tion par ceux-ci est assu­rée, à moins de cata­clysme exceptionnel.

3. – Distribution

La dis­tri­bu­tion est un ser­vice com­mu­nau­taire. Seules res­tent libres les tran­sac­tions concer­nant le bricolage.

a) MÉTHODES. – Quatre sys­tèmes à com­bi­ner sui­vant l’importance des productions :

1° la prise au tas gra­tuite pour tout ce qui est pro­duit aisé­ment en surabondance.

Le gas­pillage du début dimi­nue­rait très vite : effet de l’adaptation (sen­ti­ments sociaux déve­lop­pés avec les ins­ti­tu­tions nou­velles); res­pect humain (on n’oserait pas ouver­te­ment, accu­mu­ler des stocks de mar­chan­dises); bon sens (on n’accapare pas des biens gra­tuits); expé­rience (on s’habituerait à lais­ser dans les maga­sins com­muns des pro­duits inuti­li­sés et encombrants).

En atten­dant la géné­ra­li­sa­tion pro­gres­sive de ce sys­tème édu­ca­tif, les plans peuvent com­por­ter quelques essais pru­dents. Il serait sou­hai­table et il semble pos­sible d’établir la gra­tui­té de cer­taines den­rées indis­pen­sables et excé­den­taires en temps nor­mal (le pain par exemple, en France). La même gra­tui­té devrait s’appliquer aux pro­duits phar­ma­ceu­tiques déli­vrés sur ordon­nance, aux trans­ports après dis­pa­ri­tion de la pénu­rie de maté­riel, à l’eau, au gaz, à l’électricité. La méde­cine, l’enseignement à tous les degrés doivent être éga­le­ment des ser­vices publics gra­tuits. De plus, chaque com­mune doit pou­voir déci­der elle-même de la prise au tas de ses pro­duits sur­abon­dants non-expé­diables : bois, fruits…

2° L’UTILISATION DE LA MONNAIE pour les pro­duits normaux.

Pour chaque branche d’activité on connaît le total de la pro­duc­tion cor­res­pon­dant aux besoins. On fixe, arbi­trai­re­ment, un prix par uni­té – ce qui per­met de chif­frer la valeur totale. On émet la quan­ti­té de mon­naie cor­res­pon­dante dis­tri­buée men­suel­le­ment par exemple, sui­vant les prin­cipes éga­li­taires. En fin d’exercice, cette mon­naie fon­dante, annu­lée au moment de l’utilisation, est reti­rée de la cir­cu­la­tion comme des tickets périmés.

Le retour des billets au centre d’émission aide au contrôle des stocks res­tants. La mon­naie est ain­si par­fai­te­ment adap­tée à sa fonc­tion qui est de faire pas­ser la pro­duc­tion à la consommation.

3° LES TICKETS pour les pro­duits déficitaires.

On émet les tickets cor­res­pon­dants, valables pour l’exercice et dis­tri­bués, par les com­munes soit éga­li­tai­re­ment, soit d’après les besoins.

4° Pour les mar­chan­dises de grande valeur ne pou­vant être réglées en une fois, on pro­cède par rete­nues, de durée variable, sur le mon­tant des moyens d’achat des béné­fi­ciaires.

b) CENTRES. – Sim­pli­fi­ca­tion du sys­tème de dis­tri­bu­tion actuel. Eli­mi­na­tion de la mul­ti­pli­ci­té des bou­tiques aujourd’hui concur­rentes : Maga­sins dis­tincts spé­cia­li­sés ou bien maga­sin unique par com­mune ou quar­tier avec rayons cor­res­pon­dant aux diverses mar­chan­dises. (Chaque com­mune décide librement.)

Aux stades supé­rieurs, la dis­tri­bu­tion est assu­rée par les Conseils régio­naux et national.

4. – Organismes

Tous issus de la base par voie d’élection, directe pour les orga­nismes locaux, indi­recte pour les autres, les repré­sen­tants, à tous les degrés, ont uni­que­ment des rôles de ges­tion, sont renou­ve­lables à chaque exer­cice et, à tout moment, remplaçables.

Chaque indi­vi­du est repré­sen­té deux fois : à titre de pro­duc­teur et de consommateur.

a) Comme tra­vailleur

Dans le syn­di­cat pro­fes­sion­nel local (dans l’union locale pour les tra­vailleurs libres)

Dans le syn­di­cat pro­fes­sion­nel régio­nal et l’union régio­nale des syndicats ;

Dans le syn­di­cat pro­fes­sion­nel natio­nal et l’union natio­nale des bourses du travail.

Cha­cun de ces orga­nismes s’occupe de la pro­duc­tion dans ses limites pro­fes­sion­nelles et ter­ri­to­riales et élit un Conseil man­da­té, pour connaître de toutes les ques­tions inté­res­sant le tra­vail : outillage, règle­ments, horaires.

Il contri­bue à l’élaboration du plan en four­nis­sant, les ren­sei­gne­ments néces­saires – et le plan adop­té, il répar­tit les tâches.

L’Union des bourses du tra­vail, éta­blit la péréqua­tion des heures sui­vant les métiers.

b) Comme consom­ma­teur :

Dans le Conseil communal ;

Dans le Conseil régional ;

Dans le Conseil national.

Ces conseils cen­tra­lisent les sta­tis­tiques rela­tives aux besoins. Ils répar­tissent les moyens d’achat (mon­naie et tickets) et les récu­pèrent lors des retraits. Ils sont les orga­nismes de répar­ti­tion des marchandises.

« L’Union natio­nale du tra­vail » et le «.. Conseil natio­nal de la consom­ma­tion » forment « Le Grand Conseil éco­no­mique » qui ras­semble toutes les sta­tis­tiques rela­tives à la vie maté­rielle du pays. Les com­mis­sions spé­cia­li­sées, issues de son sein, s’occupent de l’élaboration du plan, de l’organisation des refe­ren­da, de l’émission et du retrait de la mon­naie, du com­merce exté­rieur (par or, devises ou troc sui­vant la conjonc­ture inter­na­tio­nale) des affaires « étran­gères » tant que n’est pas ter­mi­née l’organisation équi­table de toute l’humanité).

Cette orga­ni­sa­tion fédé­ra­liste résout le « pro­blème fon­da­men­tal » posé par Rous­seau dans le. Contrat Social : « Trou­ver une for­mule d’association qui défende et pro­tège de toute la force com­mune la per­sonne et les biens de chaque asso­cié et par laquelle cha­cun, s’unissant à tous, n’obéisse pour­tant qu’à lui-même. »

— O —

Certes, l’homme est autre chose que pro­duc­teur et consom­ma­teur, mais toutes ses formes d’activité « n’intéressent » point la col­lec­ti­vi­té entière. Lettres, arts, sports, reli­gions… pro­vo­que­raient des mou­ve­ments fédé­ra­tifs auto­nomes qui res­te­raient tota­le­ment libres de se for­mer et de se désa­gré­ger spon­ta­né­ment – et d’autant plus vivants qu’une exis­tence maté­rielle nor­male serait assu­rée à tous.

d) Conséquences
1° Administratives

Peut-on sérieu­se­ment craindre que ce diri­gisme éco­no­mique soit pra­ti­que­ment para­ly­sé par la néces­si­té d’innombrables sta­tis­tiques et par les com­pli­ca­tions comp­tables ? Chez les Incas, une éco­no­mie diri­gée a par­fai­te­ment fonc­tion­né sans écri­ture ni chiffres. On opé­rait avec des cor­de­lettes (kipous) où nœuds et com­bi­nai­sons de cou­leurs dis­tin­guaient les ordres d’unités en même temps que les divers objets. Nos comp­tables n’ont pas besoin de ces moyens de for­tune et ils sont si nom­breux dans nos socié­tés qui consomment des mon­tagnes de pape­rasses admi­nis­tra­tives, pour rien !

2° Économiques

Le machi­nisme – frei­né par notre archaïque orga­ni­sa­tion sociale et ren­du doré­na­vant à sa fonc­tion libé­ra­trice – pour­rait com­pen­ser lar­ge­ment les défaillances éven­tuelles des muscles humains.

L’étalement du tra­vail « utile » sur l’ensemble de la popu­la­tion valide achè­ve­rait de per­mettre le rem­pla­ce­ment du labeur-châ­ti­ment par « la légère ser­vi­tude d’un tra­vail de plus en plus court, de moins en moins pénible. » \

L’exploitation de l’homme par l’homme éli­mi­née, toute excuse légi­time à la « res­quille » dis­pa­raî­trait. Le mobile de l’intérêt per­son­nel qui joue un rôle insi­gni­fiant dans le tra­vail du pro­lé­taire repren­drait toute sa force par l’identification de l’intérêt col­lec­tif et de l’intérêt individuel.

Plus de néces­si­té de chair à tra­vail et de lois scé­lé­rates anti-néo-mal­thu­siennes. Or, si la courbe des excé­dents de nais­sances res­tait subor­don­née à celle de l’augmentation des res­sources, la socié­té éga­li­taire pour­rait rapi­de­ment éle­ver le stan­dard de vie de tous à un niveau capable de satis­faire le plus ven­tri­po­tent des bourgeois.

3° Politiques

Sup­pres­sion auto­ma­tique de l’État poli­tique dont le seul rôle est le main­tien du droit inégal. Obten­tion auto­ma­tique du maxi­mum de liber­té ration­nelle – l’inégalité sociale impli­quant la ser­vi­tude des uns ran­çon de la licence des autres.

4° Morales

Com­mu­nau­té inté­grale des inté­rêts créant la soli­da­ri­té totale et engen­drant la com­mu­nau­té des sen­ti­ments et des volontés.

Sup­pres­sion de l’aumône et épa­nouis­se­ment pos­sible de la vraie cha­ri­té. Gué­ri­son de toutes les tares qui résultent de l’adoration du veau d’or : véna­li­té, cor­rup­tion, « maté­ria­lisme sordide »

Dis­pa­ri­tion du mépris, d’un côté et de l’autre, des envies, des jalou­sies, que l’existence des classes entraîne nécessairement.

Au lieu de l’âpre lutte par laquelle les hommes se dis­putent féro­ce­ment les moyens de vivre et de s’enrichir, esprit de col­la­bo­ra­tion loyale pré­pa­rant la fra­ter­ni­té des len­de­mains. Dis­pa­ri­tion de toutes les formes vio­lentes ou lar­vées de la guerre sociale et des guerres inter­na­tio­nales, consé­quences d’un ordre injuste qui dresse fata­le­ment indi­vi­dus et col­lec­ti­vi­tés pro­lé­taires contre indi­vi­dus et col­lec­ti­vi­tés nantis.

Pro­di­gieux épa­nouis­se­ment de toutes les acti­vi­tés spi­ri­tuelles par la libé­ra­tion de forces men­tales à pré­sent cana­li­sées vers des pré­oc­cu­pa­tions exclu­si­ve­ment utilitaires.

5° Maximum de bonheur

Pour la masse, par l’élimination des souf­frances résul­tant de la misère : les enfances ché­tives, le tau­dis, le gra­bat, le haillon, la faim, la peur des len­de­mains sans pain et sans gîte, les tra­vaux for­cés jusqu’aux limites de l’extrême vieillesse, l’esclavage de l’hospice ou la pro­mis­cui­té de l’asile de nuit et la séquelle des dou­leurs morales s’ajoutant pour le pauvre aux souf­frances physiques.

Certes, le social n’épuise pas 1’humain et le bien-être n’est pas la condi­tion suf­fi­sante du bon­heur – mais pour les âmes com­munes (la qua­si-tota­li­té) il en est la condi­tion néces­saire. Par la dis­tri­bu­tion équi­table, les masses ver­raient leur enfer mué en pur­ga­toire plus sup­por­table. « Aux maux inévi­tables, à ces maux à la fois vul­gaires et augustes qui résultent de la condi­tion humaine ne s’ajouteraient plus les maux arti­fi­ciels qui résultent de notre condi­tion sociale ». – Ana­tole France.

— O —

Cette solu­tion éga­li­taire n’est guère dif­fé­rente de la solu­tion liber­taire esquis­sée par mon ami Gas­ton Leval.

Ques­tion de voca­bu­laire ? Soit. Mais je pré­fère mettre l’accent sur l’égalité plu­tôt que sur tout autre terme : fra­ter­ni­té, liber­té, solidarité.

En 1916, dans Le Feu, Bar­busse écri­vait : « La liber­té et la fra­ter­ni­té sont des mots tan­dis que l’égalité est une chose… L’égalité sociale est la grande for­mule des hommes ». Pour le com­mu­nisme sta­li­nien, dont Bar­busse fut un apo­lo­giste, l’idée-force d’égalité est plus dan­ge­reuse pour les pri­vi­lé­giés d’un régime quel­conque (le régime tech­no-bureau­cra­tique russe en par­ti­cu­lier) que les aspi­ra­tions à la liber­té et à la fraternité.

Si la fra­ter­ni­té était une ten­dance suf­fi­sam­ment puis­sante au cœur de la majo­ri­té des hommes, le pro­blème social ne se serait jamais posé ou, posé, aurait été vite réso­lu. Or ni Confu­cius ni le Christ n’ont réus­si à ébran­ler sérieu­se­ment les socié­tés axées sur l’exploitation et l’oppression de l’homme par l’homme.

Quant à la liber­té, c’est un terme tel­le­ment vague et incon­sis­tant que cette notion est « la ser­rure rouillée » de la socio­lo­gie aus­si bien que de la méta­phy­sique. La liber­té a sus­ci­té des dévoue­ments admi­rables, mais tout aus­si bien sur les champs de bataille des mal­propres com­pé­ti­tions inter­na­tio­nales que sur les bar­ri­cades des mou­ve­ments révo­lu­tion­naires les plus géné­reux. Et presque inuti­le­ment en ce qui concerne le triomphe des vraies liber­tés de l’individu. Pour­quoi ? Parce qu’il est dif­fi­cile de les défi­nir avec pré­ci­sion, de les déli­mi­ter ce qui, pour­tant, est indis­pen­sable, la liber­té totale étant un mythe. Les bate­leurs peuvent donc jon­gler à leur guise avec ce mot de lumière enve­lop­pé de ténèbres.

En revanche, l’équivalence totale des condi­tions est une notion mathé­ma­tique très claire ne per­met­tant aucune inter­pré­ta­tion équi­voque. Et elle a l’avantage de rendre pos­sible la pra­tique de la soli­da­ri­té, l’éclosion et le déve­lop­pe­ment de la fra­ter­ni­té sociale et l’obtention immé­diate, par tous, du maxi­mum de liber­té indi­vi­duelle conci­liable avec les ser­vi­tudes iné­luc­tables de la vie collective.

À une condi­tion tou­te­fois : que l’on orga­nise dans un esprit et sui­vant des méthodes liber­taires. Une socié­té éga­li­taire peut être conçue comme une caserne, comme un para­dis d’acier où l’individu est étouf­fé au nom du mythe col­lec­tif. Elle peut être conçue, au contraire, en vue d’assurer à chaque indi­vi­dua­li­té le déve­lop­pe­ment maxi­mum. Telle est ma concep­tion. Le sché­ma pré­sen­té me paraît être celui d’une socié­té liber­taire viable dès aujourd’hui et son orga­ni­sa­tion pré­sente assez de sou­plesse pour que, dans l’avenir, la tech­nique per­mette de pas­ser, sans heurts, à des formes de plus en plus libres par la dis­pa­ri­tion gra­duelle des obli­ga­tions encore lourdes qu’impose la néces­si­té du travail.

Lyg


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