La Presse Anarchiste

Le Congrès de la Fédération des graveurs et guillocheurs

Les 18, 19 et 20 février der­nier, a eu lieu à Genève le Congrès des ouvriers gra­veurs et guillocheurs.Depuis quatre ans déjà, les dif­fé­rentes asso­cia­tions ouvrières de ces deux branches de notre indus­trie hor­lo­gère forment une Fédé­ra­tion, qui aujourd’­hui est arri­vée à un point de déve­lop­pe­ment et de puis­sance remarquable.

Alors que toutes les assem­blées par­le­men­taires bour­geoises nous donnent le spec­tacle de l’im­puis­sance et de la sté­ri­li­té, en pré­sence des pro­blèmes sociaux ; il est conso­lant de suivre les débats des Congrès ouvriers, où s’é­la­borent les Chartes du tra­vail, appe­lées à rem­pla­cer un jour toutes les consti­tu­tions poli­tiques que nous offre la bourgeoisie.

Sans doute, ces assises du tra­vail pré­sentent un carac­tère de sim­pli­ci­té qui contraste sin­gu­liè­re­ment avec la pompe offi­cielle des assem­blées natio­nales et autres. Au risque d’a­meu­ter contre nous tous les bour­geois, nous avoue­rons que le Congrès des gra­veurs a pour nous une signi­fi­ca­tion his­to­rique immense, lors­qu’on le com­pare au rado­tage bour­geois qui nous est ser­vi, depuis trois mois, par les vili­pen­deurs des deniers du peuple suisse qui siègent à Berne.

Lais­sons donc nos séna­teurs à leur impuis­sance, et occu­pons-nous du Congrès des graveurs.

La prin­ci­pale ques­tion à l’ordre du jour du Congrès était la révi­sion des sta­tuts fédé­raux et l’or­ga­ni­sa­tion de la résistance.

Nous n’en­tre­rons pas dans les détails des déli­bé­ra­tions qui eurent lieu à ce sujet. Nous nous bor­ne­rons à men­tion­ner les dis­po­si­tions fon­da­men­tales qui furent adop­tées et qui sont à la base des sta­tuts révisés.

La Fédé­ra­tion, en éta­blis­sant d’une manière posi­tive les liens d’une soli­da­ri­té pra­tique com­plète entre toutes les asso­cia­tions de gra­veurs et guillo­cheurs, laisse cepen­dant à cha­cune d’elles son auto­no­mie et sa libre admi­nis­tra­tion, pour tout ce qui ne rentre pas dans les dis­po­si­tions géné­rales com­munes à toutes les sec­tions. Elle est, au point de vue de l’exis­tence par­ti­cu­lière de chaque sec­tion et de l’in­té­rêt géné­ral de toutes, l’ap­pli­ca­tion du prin­cipe d’au­to­no­mie et de fédé­ra­tion qui devien­dra cer­tai­ne­ment la base de toute l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière comme aus­si le prin­cipe fon­da­men­tal de l’ac­tion socia­liste du pro­lé­ta­riat. — Un Congrès, com­po­sé de délé­gués de chaque sec­tion, se réunit tous les deux ans et déli­bère sur toutes les ques­tions sou­mises par les sec­tions, les réso­lu­tions du Congrès ne sont exé­cu­toires qu’a­près avoir été sanc­tion­nées par la majo­ri­té des deux tiers des sec­tions. — Un comi­té cen­tral, rem­plis­sant les fonc­tions de bureau cen­tral de ren­sei­gne­ments et de sta­tis­tique, sert de lien fédé­ral à toutes les sec­tions ; il veille à l’exé­cu­tion des sta­tuts fédé­raux. — Chaque socié­taire peut entrer d’une sec­tion dans une autre sans pas­ser par des for­ma­li­tés d’ad­mis­sion, pour­vu qu’il ait rem­pli ses obli­ga­tions envers la sec­tion qu’il quitte. — Tout ouvrier gra­veur doit faire par­tie de la sec­tion de la loca­li­té qu’il habite ; en cas de refus, il est signa­lé dans toute la Fédé­ra­tion, et le tra­vail dans les ate­liers adhé­rents à la socié­té lui est inter­dit. Les Comi­tés exercent un contrôle sérieux sur l’en­trée de tous les ouvriers dans l’as­so­cia­tion. — La jour­née de tra­vail est de 10 heures. Les enga­ge­ments entre ouvriers et patrons sont inter­dits. — Le nombre des appren­tis sera limi­té dans des pro­por­tions ration­nelles, sui­vant les résul­tats de la sta­tis­tique per­ma­nente éta­blie par la Fédé­ra­tion. Les sec­tions s’oc­cu­pe­ront dans la mesure de leurs forces du pla­ce­ment et du déve­lop­pe­ment pro­fes­sion­nel des appren­tis. — Lors­qu’une sec­tion doit entrer en lutte avec les patrons, elle doit préa­la­ble­ment obte­nir l’as­sen­ti­ment de la Fédé­ra­tion ; si les deux tiers des sec­tions donnent leur appro­ba­tion, la Fédé­ra­tion entière devient res­pon­sable de la sec­tion en grève, et toutes les dépenses occa­sion­nées par la grève sont à la charge de la Fédé­ra­tion, qui les répar­tit entre les sec­tions au pro­ra­ta de leurs membres. Si une sec­tion épuise ses res­sources, les autres sec­tions lui font des avances, dans des pro­por­tions déter­mi­nées par les sta­tuts. — Tous les six mois, chaque sec­tion adresse à toutes les autres un rap­port-cir­cu­laire, com­mu­ni­quant tous les ren­sei­gne­ments sur la marche de la sec­tion, sur l’offre et la demande de tra­vail, sur le nombre des ouvriers socié­taires ou non, sur les appren­tis, etc.

telles sont, en résu­mé, les dis­po­si­tions géné­rales des sta­tuts fédéraux.

Une dis­cus­sion de prin­cipes s’en­ga­gea sur la ques­tion d’o­bli­ga­tion, pour les ouvriers, d’en­trer dans l’As­so­cia­tion. Un délé­gué défen­dit le prin­cipe de liber­té indi­vi­duelle abso­lue, sou­te­nant qu’il fal­lait s’en remettre à la simple action morale des sec­tions et à la pro­pa­gande indi­vi­duelle pour arri­ver peu à peu à ce que l’u­na­ni­mi­té des ouvriers fassent volon­tai­re­ment par­tie des sec­tions. Cette opi­nion ne fut pas par­ta­gée par les autres délé­gués, qui firent valoir que, si la liber­té était une chose res­pec­table, la soli­da­ri­té ne l’é­tait pas moins, et que c’é­tait dans la com­bi­nai­son de ces deux prin­cipes que les ouvriers trou­ve­raient le salut ; que, du reste, l’é­poque de lutte que nous tra­ver­sons actuel­le­ment néces­si­tait des mesures, dis­cu­tables peut-être et en tout cas d’une nature tran­si­toire, mais indis­pen­sable dans la pra­tique ; que la liber­té indi­vi­duelle, au res­pect de laquelle nous convient aujourd’­hui les bour­geois, n’é­tait rien autre chose que cette liber­té bour­geoise au nom de laquelle le Tra­vail est oppri­mé et exploi­té et que les ouvriers devraient néces­sai­re­ment, s’ils veulent s’af­fran­chir, oppo­ser à cette fumeuse liber­té bour­geoise, la soli­da­ri­té ouvrière la plus complète.

La dis­cus­sion concer­nant la limi­ta­tion du nombre des appren­tis fut des plus inté­res­sante. Les mêmes prin­cipes de liber­té indi­vi­duelle, ain­si que les inté­rêts des enfants, don­nèrent de nou­veau l’oc­ca­sion à un délé­gué de com­battre la limi­ta­tion. — Il fut démon­tré qu’il ne s’a­gis­sait pas d’une limi­ta­tion arbi­traire, ayant pour but de faire des gra­veurs et guillo­cheurs une caste pri­vi­lé­giée, dans laquelle entre­raient seuls quelques rares enfants ; mais bien de mettre un frein à l’ex­ploi­ta­tion des appren­tis, en en limi­tant le nombre scien­ti­fi­que­ment, ensuite d’une sta­tis­tique bien éta­blie. Cette limi­ta­tion, bien loin de nuire aux enfants, est au contraire une garan­tie d’exis­tence pour eux, puisque par elle les fédé­ra­tions ouvrières arri­ve­ront à une répar­ti­tion plus ration­nelle des appren­tis, ce qui aura pour consé­quence de com­battre, dans cer­taines indus­tries, l’en­com­bre­ment de bras qui tôt ou tard abou­tit à un abais­se­ment du prix du travail.

Enfin la ques­tion de la résis­tance, certes la plus impor­tante, four­nit au Congrès l’oc­ca­sion de ce pro­non­cer caté­go­ri­que­ment contre le prin­cipe cen­tra­liste et en faveur du prin­cipe fédé­ra­liste en matière d’or­ga­ni­sa­tion ouvrière. Deux modes d’or­ga­ni­sa­tion s’of­frirent : créer une caisse unique et cen­trale, ou bien lais­ser à chaque sec­tion l’ad­mi­nis­tra­tion de ses res­sources finan­cières, tout en déter­mi­nant dans quelle pro­por­tion cha­cune d’elle doit contri­buer aux charges com­munes. C’est ce der­nier mode qui a été adopté.

La sec­tion du Val de St Imier deman­dait que le Congrès intro­dui­sit dans les sta­tuts fédé­raux quelques dis­po­si­tions concer­nant l’adhé­sion à l’In­ter­na­tio­nale de toutes la fédé­ra­tion des gra­veurs et guillo­cheurs. Mal­heu­reu­se­ment cette ques­tion n’est pas mûrie encore dans plu­sieurs sec­tions, et par crainte de pro­vo­quer des déchi­re­ments funestes, le Congrès à dû écar­ter cette ques­tion, en invi­tant cepen­dant toutes les sec­tions à étu­dier sérieu­se­ment la ques­tion de l’adhé­sion à l’In­ter­na­tio­nale. — ajou­tons que quatre sec­tions de gra­veurs et guillo­cheurs font déjà par­tie de l’In­ter­na­tio­nale : ce sont celles de Genève, appar­te­nant à la sec­tion romande, et celles du Locle, de Neu­châ­tel et de St Imier, appar­te­nant à la fédé­ra­tion jurassienne.

Les pro­cès-ver­baux du congrès seront publiés par les soins du Comi­té Cen­tral, qui sié­ge­ra à la Chaux-de-Fond. Nous enga­geons tous les ouvriers à étu­dier ces pro­cès-ver­baux ; les tra­vaux du Congrès des gra­veurs pour­ront être utiles à tous ceux qui tra­vaillent à la consti­tu­tion d’as­so­cia­tion ou de fédé­ra­tions ouvrières.


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste