Les socialiste n’ayant plus d’organe à eux en France, sont obligés de se servir des feuilles radicales, qui accueillent de temps en temps leurs communications. Ceci explique comment il se fait que le remarquable article ci-dessous, consacré à l’Internationale et écrit par un socialiste, ait paru dans la République française (n° du 11 mars) aux colonnes de laquelle nous l’empruntons. Nous attirons sur ces lignes, comme sur un symptôme de l’opinion des ouvriers parisiens, toute l’attention de nos lecteurs.
« Les grands mouvements populaires ont été juqu’ici environnés, surtout à leur début, d’un certain vague, nous dirions volontiers, pour faire nettement saisir notre pensée, d’un certain mysticisme qui en rend l’immédiate compréhension très difficile pour tous ceux dont les habitudes d’esprit sont antipathiques à l’idée nouvelle qui surgit. Les évolutions les plus fécondes de l’humanité ont toutes présenté ce caractère dont l’explication se découvre aisément. Avant de pouvoir être formulée nettement, l’idée qui donne naissance au mouvement progressiste n’est d’abord qu’un instinct, qu’un besoin, qu’un sentiment. Il se passe longtemps avant que les esprits en travail créent la claire notion de l’idée qui les anime. Pendant cette période nécessaire de gestation, tout paraît trouble, confus, contradictoire, dans l’évolution qui se presse et qui s’annonce, et se décèle par des négations hasardées, des affirmations audacieuses, qualifiées téméraires, qui jettent le désarroi dans les opinions admises.
L’Internationale n’a pas échappé, ne pouvait pas échapper à ces conditions du développement humain.
Quelles fausses notions n’a-t-on pas présentées sur son organisation, sur ses opinions et ses tendances ! Quelles erreurs monstrueuses n’a-t-on pas commises de très bonne foi peut-être, à cet égard !
En ce qui concerne l’organisation de l’Association internationale, on a parlé de mots d’ordre, d’impulsions venues de l’étranger, qui dirigeraient souverainement les ramification de cette vaste société ! Rien n’est plus chimérique que cette accusation. Pour y ajouter foi, il faut n’avoir jamais vu fonctionner une section de l’Internationale ; il faut aussi être imbu de préjugés autoritaires incompatibles avec les statuts généraux de cette association.
La section, qui est le point de départ, la base, de sa constitution à la fois si simple et si forte, jouit d’une pleine liberté d’autonomie, de même que les groupes de sections ou fédérations sont pleinement indépendants, sous réserve de se conformer, bien entendu, au pacte général constitutif de l’Association. Cette indépendance absolue des diverses sections, quel que soit le Conseil Fédéral dont elle fassent partie, est le point capital de l’organisation de l’internationale. On a pu le constater récemment , lors du différent soulevé par la Fédération jurassienne (l’un des rameaux de la branche suisse de l’association) à propos des résolutions prises par la dernière conférence tenue à Londres.
Cette conférence s’étant considérée, sans y être autorisée par les statuts, comme investie des droits que possèdent seuls les Congrès de l’Association, et ayant sanctionné ou pris des mesures de nature à porter atteinte à l’esprit des statuts généraux, la Fédération jurassienne protesta aussitôt contre cette tentative, qui pouvait avoir « pour résultat de faire de l’internationale, libre fédération de sections autonomes, une organisation hiérarchique et autoritaire de sections disciplinées, placées entièrement sous la main d’un Conseil général qui pourrait, à son gré, refuser leur admission ou bien suspendre leur activité ! » Et, comme sanction de sa protestation, la Fédération jurassienne en appela au prochain Congrès, dont elle demanda de devancer la réunion.
Cet appel de la Fédération jurassienne, adressé à toutes les sections internationales, rencontra en Espagne, en Belgique, en Italie, un accueil très sympathique. De toutes parts s’élevèrent d’énergiques protestations contre les tendances dont le Conseil général paraissait alors animé ! En aurait-il été ainsi si, comme le répètent les détracteurs de l’internationale, cette association était habituée à recevoir un mot d’ordre de Londres, et si les résolutions du Conseil général étaient considérées comme des décisions impératives ?
Quelque jugement qui ait été émis à ce sujet par des personnes qui ne connaissent l’internationale que par le livre de M. Oscar Testut, la vérité est que ce fameux Conseil général, agent de tous les désordres, instigateur de toute la conduite de l’Association, est simplement un bureau de renseignements, un centre de correspondance, et n’a pas mission d’inspirer et de diriger les actes de l’Internationale. L’initiative émane, non de lui, mais des sections et fédérations, qui ne reconnaissent d’autre autorité que les prescriptions des statuts généraux et ne reçoivent d’ordre de personne.
Ceci est, nous le reconnaissons, de nature à surprendre beaucoup ceux qui ne conçoivent une vaste association sous d’autre forme qu’un e forme hiérarchique. Cette façon, toute monarchique, d’envisager les groupements humains, résulte d’habitudes invétérées de l’esprit dont il est difficile de se débarrasser. Dès lors nous comprenons qu’on se refuse à admettre comme véridique cette organisation de l’internationale, où aucune section, aucun groupe n’est subordonné ; où aucun commandement ne peut être exercé par personne ; où la seule autorité respectable et respectée et le statut général, librement consenti. »