La Presse Anarchiste

Dans le silence

J’er­rais à l’a­ven­ture lorsque j’a­per­çus un homme, une femme, des amou­reux dis-je et pous­sé par une curio­si­té de psy­cho­logue je les sui­vis. Lui sem­blait las, fati­gué, sans un mot ils che­mi­naient. Arri­vés devant un enclos ils y péné­trèrent, là ils s’as­sirent. La figure de l’homme por­tait encore les traces d’une grande mala­die, sa com­pagne pro­non­ça le pre­mier mot es-tu bien main­te­nant ? — Oui je me sens revivre et suis dis­pos pour reprendre l’en­tre­tien délais­sé si tou­te­fois je ne t’en­nuie pas dit-il en riant : un bai­ser fut la réponse.

Nul besoin de remon­ter à l’âge de la pierre qui se perd dans les brumes du pas­sé, pour démon­trer dit-il que c’est par l’as­cen­sion des sciences, par le déve­lop­pe­ment de la tech­nique que nous arri­ve­rons à éta­blir des formes éga­li­taires de vie dans la société.

Inté­res­sé je me dissimulai

La voix de l’homme s’é­chauf­fait — Petit à petit l’hu­ma­ni­té prend conscience d’elle-même, les élé­ments déchaî­nés de la nature ne lui causent plus de frayeur parce qu’elle s’en explique les phé­no­mènes et qu’elle en connaît main­te­nant les causes. L’homme n’at­tri­bue plus à des esprits cour­rou­cés le droit de faire le mal, il ne prêle plus au pou­voir d’un dieu la facul­té de diri­ger la nature.

Vois l’in­fluence du téles­cope ! avec lui on fouilla le ciel, des mondes igno­rés nous furent révé­lés. la croyance en notre terre, centre du monde, cause de tant de mythes fut anéan­tie. Nous savons main­te­nant que nous appar­te­nons à un sys­tème solaire dont le soleil qui nous éclaire est le centre, que celui-ci ani­mé d’un mou­ve­ment de trans­la­tion, nous entraîne en une course ver­ti­gi­neuse dans l’in­com­men­su­rable cos­mos. Et nous savons aus­si que ce sys­tème n’est pas seul.

Le micro­scope eut une influence consi­dé­rable sur nos consi­dé­ra­tions dans la struc­ture des êtres, sur l’exis­tence, la vie, l’é­vo­lu­tion des infi­ni­ments petits. De lui découle nos connais­sances sur les mala­dies et nos pres­crip­tions sur l’hy­giène et la pro­phy­laxie. L’é­tude judi­cieuse de la nature nous fit décou­vrir les lois fon­da­men­tales de la phy­sique et de la chi­mie, leur mise en valeur bien com­prise et bien appli­quée contri­bua à l’ac­crois­se­ment de la civi­li­sa­tion et du bien-être. Nous pro­dui­sons vite en éco­no­mi­sant les forces de l’homme que l’on rem­place par la machine. Le machi­nisme a aus­si une influence consi­dé­rable sur l’o­rien­ta­tion du socia­lisme : par la concen­tra­tion des forces de pro­duc­tion dans d’im­menses usines nous arri­vons déjà au com­mu­nisme de pro­duc­tion, encore un pas et nous ferons le com­mu­nisme de consom­ma­tion par une juste répar­ti­tion des pro­duits. Ce que la conscience ouvrière n’a pas su faire l’in­dus­tria­lisme l’imposera.

Uto­pie ! S’exclama-t-elle.

Uto­pie aus­si l’a­via­tion lors­qu’on en par­la les pre­mières fois!?

Pour­tant, sem­blables aux hôtes aériens, l’homme s’é­lance par des­sus les arbres sécu­laires pour mieux contem­pler les forêts ; il plane sur les som­mets nei­geux des mon­tagnes au lieu d’en gra­vir péni­ble­ment les cimes escar­pées, bref l’u­to­pie du matin est deve­nue la réa­li­té tan­gible du soir.

Il se tut car il sem­blait fati­gué par l’ef­fort qu’il venait de faire.

Alors d’un ton calme, avec une voix dont jamais je n’ou­blie­rai le timbre tant elle était cares­sante et char­meuse, elle dit :

Mon pauvre ami, je n’ai jamais contes­té le grand che­min qu’a par­cou­ru l’hu­ma­ni­té et je ne nie pas qu’elle fut enfant et qu’elle a gran­di, je ne dis pas non plus qu’elle ne se dirige pas vers le plein épa­nouis­se­ment de ses capa­ci­tés. Je dis uto­pie de croire que seules les forces pro­duc­tives auront une influence pour sup­pri­mer les formes para­si­taires de nos socié­tés et éta­blir le bien-être pour tous.

Mon cher ami, tu résous le pro­blème social comme un pro­blème de méca­nique, l’ha­bi­tude des études abs­traites te fait perdre le sens du rela­tif et pour toi tout est abso­lu. En exa­mi­nant les pro­grès de civi­li­sa­tion, tu n’as pas vu ou vou­lu vou­lu voir l’in­fluence de cette civi­li­sa­tion sur l’homme par la façon dont elle est comprise.

Mais il suf­fit de regar­der autour de soi pour s’a­per­ce­voir que tout n’est pas diri­gé dans le sens que tu pré­tends. Le téles­cope a relé­gué dans le domaine des légendes la fic­tion de Dieu ? Regarde les Églises, elles regorgent de croyants.

Mal­gré nos connais­sances sur la bio­lo­gie, la patho­lo­gie, la micro­bio­lo­gie, l’hy­giène et la thé­ra­peu­tique, les ouvriers tra­vaillent dans les usines qui font ton admi­ra­tion, où la cha­leur l’hu­mi­di­té, la pous­sière, les gaz, les matières délé­tères exercent leur action morbide.

La néces­si­té de cher­cher du tra­vail oblige le tra­vailleur de res­ter à proxi­mi­té des villes et où des âmes phi­lan­thropes créèrent des quar­tiers ouvriers avec leurs mai­sons trop peu­plées. Joint à cela le dan­ger constant du machi­nisme, occa­sion­né par le sur­me­nage, la concur­rence des femmes et des enfants : jetés sur le mar­ché du tra­vail, ils rendent constante l’in­cer­ti­tude de l’exis­tence. Consta­tons que par les condi­tions qui sont faites aux tra­vailleurs et en dépit de nos connais­sances scien­ti­fiques, le pro­grès ne s’est fait sen­tir que dans les couches sociales riches qui n’ont jamais œuvré. La tuber­cu­lose est un mal social, que les tra­vailleurs ont été seuls à sen­tir réel­le­ment, il est vrai que dans toutes les civi­li­sa­tions, des épi­dé­mies cor­res­pon­daient à chaque époque. Mais tou­jours les classes pauvres ont eu le plus à souf­frir. Et cela parce que toutes les connais­sances humaines ont été sous la dépen­dance étroite des riches : toute l’ac­ti­vi­té pro­duc­trice des tra­vailleurs va se cana­li­ser dans les coffre-forts des impro­duc­tifs : ces para­sites sont comme, de gigan­tesques bêtes apo­ca­lyp­tiques qui éten­draient leurs ten­ta­cules sur toute, l’ac­ti­vi­té humaine pour en sucer le pro­duit. Les uns jouissent de tous les bien­faits de conquête des forces natu­relles et les autres, les arti­sans de ces conquêtes, végètent et meurent dans la misère.

Il y a à la base de la ques­tion sociale une ques­tion morale. Les ouvriers ont contrac­té des habi­tudes mau­vaises et cor­rup­trices au contact des bour­geois ; ceux-ci par l’oi­si­ve­té ont créé des dis­trac­tions nocives que les ouvriers ont vou­lu imi­ter, alors qu’il eût été plus sage à ces der­niers de com­prendre que chaque fois qu’un être vit au dépens de celui qui tra­vaille, il épuise ce dernier.

Par consé­quent, l’ac­ti­vi­té dépen­sée dans toutes les branches du savoir devrait pro­fi­ter à celui qui œuvre, elle devrait ser­vir à embel­lir la vie et non à être une source de douleur.

Nous repren­drons notre conver­sa­tion demain, allons dor­mir, dit-elle.

La nuit s’a­van­çait len­te­ment et je n’a­vais pas quit­té mon coin. Il se déga­geait des plantes une odeur forte et tiède. Je res­tais un moment seul n’o­sant bou­ger. Qui étaient-ils ? je ne savais que pen­ser. Les ténèbres enva­his­saient la cam­pagne appor­tant le silence et le mys­tère. La dou­ceur du carillon du vil­lage fusant jus­qu’à moi, me tira de mes méditations.

Richard Hen­ri.


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