J’ai pu fureter, au cours de ces dernières semaines ci, parmi toute une collection de revues et bulletins édités par les soins de diverses associations de membres de l’enseignement primaire.
Bien que connaissant particulièrement les milieux petit-universitaires, j’ai eu le courage de parcourir maints bulletins amicalistes, syndicalistes et aussi de nombreuses revues pédagogiques.
Je veux ici m’arrêter au seul mouvement syndicaliste. Je ne vois aucun intérêt à critiquer la tendance amicaliste ; d’ailleurs ce seraient peine et papier perdus que discuter avec les larbins laïques de la troisième République.
On ne saurait mieux se pénétrer de l’esprit syndicaliste primaire qu’en lisant la revue intitulée : l’École émancipée, l’organe de la Fédération nationale des syndicats d’institutrices et d’instituteurs publics de France et des colonies.
L’École émancipée se subdivise en trois parties dénommées : la vie sociale, la vie pédagogique, la vie corporative. J’ai été très étonné de la pauvreté intellectuelle qui s’étale dans les douze colonnes réservées à la vie sociale. À part quelques rééditions parfois intéressantes on croirait parcourir une quelconque annexe de la Guerre Sociale, ce « Petit Parisien révolutionnaire ». Entre autres choses il y est question du mouvement ouvrier, de la grève des chauffeurs, du syndicalisme manière R. Péricat, d’une lettre de Maurice Bouchor ! Voici aussi quelques échantillons de sous-titres partiaux et peu réfléchis que l’on y rencontre : l’Allemagne rouge (?) Échec au mouchard où il y est dit : « qu’avec tous les honnêtes gens l’École émancipée se réjouit de cet acquittement — affaire Métivier — qui retentit comme un soufflet sur ceux qui déshonorent le pouvoir par l’emploi de .…..» ( E. E. du 21 – 10-11- n04. ) Je ne serai pas fâché de rencontrer des individus susceptibles d’honorer un « pouvoir » quelconque, moi qui croyais que le gouvernant était oppresseur par destination. Bref, la Vie sociale de l’École Émancipée ne forme qu’un brelan de lieux communs socialistes, un délayage d’idées creuses, le tout entremêlé de considérations générales faciles ou de prophéties ridicules dans le goût de celle qu’on va lire : « vous (les pères de famille catholiques) aurez dans peu de temps des générations successives de révolutionnaires qui balayeront en un tour de mains tous les privilèges sociaux, y compris celui de la fortune. » Le farceur qui écrit cette niaiserie signe G. Tatout. (E. E. du 21 – 10-11 – no 4)
À de rares exceptions près (l’article de E. Hermitte intitulé : Notre maison — É.É. Du 16 – 12-11 – n°12 — en est une) on ne lit au compartiment de la vie pédagogique que des aperçus officiels. On chercherait en vain des points de vue spéciaux, des discussions ayant trait à la vie et à la psychologie de l’enfant. Au contraire on subit une sèche énumération de devoirs, de problèmes ou bien encore de détails concernant une préparation à des examens ou concours.
La Vie corporative étale tout le bluff du syndicalisme primaire, ce mouvement de mécontents impatients à sortir de la commune ornière. Les revendications y apparaissent aussi nombreuses que variées ; on sent trop que l’effort des syndicalistes porte uniquement sur ces demandes d’amélioration de traitement, d’indemnité de logement, de résidence, une accessibilité plus rapide au grade de première classe, le relèvement des indemnités accordées spécialement aux institutrices en couches. Le « camaradivore » Boisset, nous donne une haute idée de sa mentalité en mendiant des secours pour charges de famille ! (É.É. Du 16 – 12 – no 12.)
– O –
À la vérité, j’avoue avoir bien peu de sympathie pour le fonctionnaire ; et se colleterait-il gentiment avec son administration, que l’étiquette révolutionnaire dont il se pare avec la modestie que l’on sait, ne m’apparaît point comme un geste suffisant.
S’il fallait rassembler tout le papier noirci à l’occasion d’une demi-douzaine d’affaires genre Paoli-Léger, on aurait une jolie épinglée de sottises. Que l’on se rende compte que ces cancans de clochetons sont démesurément grossis ; de tels incidents auraient bien peu d’importance dans tout autre milieu. Et alors ces messieurs du syndicalisme primaire consentiraient-ils à nous flanquer la paix avec leurs petits potins de cuistres : petites histoires qui permettent à des Roux-Coustadeau en gestation de se faire mousser pour chercher et trouver par la suite la petite combinaison !
L’instituteur syndicaliste est avant tout un socialiste, un révolutionnaire théorique rarement il est anarchiste. L’anarchisme l’effraye parce qu’il ne peut vivre une vie anarchique.
D’ailleurs, bien souvent il se marie, fait son service militaire, est assesseur dans les bureaux de vote. À l’école il est rabatteur de la caisse d’Épargne, il gère des mutualités scolaires, exerce les grands élèves au tir à la carabine en vue des championnats scolaires. Si tous les instituteurs syndiqués n’ont pas la mentalité servile de l’instituteur amicaliste, j’en connais qui ne dédaignent pas promener leur suffisance ou leur besoin de relations utiles parmi les comités politiques, les ligues de libre-pensée, les loges maçonniques. J’en sais d’autres qui cesseront vite de faire risette à la C.G.T., dont ils s’exagèrent l’importance de 36ème ordre, lorsqu’ils jouiront du statut des fonctionnaires.
Comme je l’ai dit occasionnellement, les bulletins des sections syndicales d’instituteurs et institutrices se préoccupent bien trop peu de l’enfance. Bien que l’instituteur ne soit pas absolument libre dans sa classe, il pourrait s’il avait réellement le tempérament éducateur, tâter de cette éducation rationnelle que l’on admire tant sur le papier.
Ces quelques lignes critiques ne me permettent pas de donner toute ma compréhension de l’éducation, mais dès maintenant ne pourrait-on pas essayer de former des caractères, montrer à l’enfant l’harmonie existante entre le bonheur individuel et le bonheur collectif, éveiller chez l’enfant la bonté et la bienveillance mutuelles, suggérer aussi le désir d’apprendre.
Qu’attendent donc les syndicalistes de l’enseignement primaire pour réclamer, imposer la suppression de toutes punitions et récompenses, du certificat d’études, pour réclamer des classes plus salubres, moins surchargées d’élèves, des programmes plus soupes, une liberté plus grande dans la classe, une plus large part de l’emploi du temps, à consacrer aux exercices de culture physique, de danses, de chants, aux promenades en plein air
Qu’attendent également les instituteurs adjoints des grands centres pour se refuser à prêter leur concours à la surveillance des cantines scolaires, se désintéresser de ces associations d’anciens élèves. Que ne s’inquiètent-ils plutôt des parents de l’enfant, du milieu dans lequel celui-ci évolue, de la propreté de l’élève, de son hygiène corporelle et alimentaire.
Telles sont des choses qui me paraissent retenir l’attention de l’instituteur, de l’éducateur ; pour s’en inquiéter, pour s’y adonner point n’est même besoin d’être atteint de la maladie du groupement, de l’association. Chacun peut agir, sans tam-tam, dans sa sphère.
Mais … de tout cela l’instituteur syndicaliste n’en a cure ; ce que le monsieur-camarade réclame, c’est une pâtée plus grasse et se tournant vers l’État-Providence, son ventre crie : « Que l’on améliore mon traitement. »
E. Quimporte