Le sujet de l’«État » est souvent abordé, traité, discuté dans la littérature anarchiste. Je n’en prendrai ici qu’un seul exemple, le travail d’Ernest Tanres (1898 — 1954) qui sous le pseudonyme d’Ernestan a publié une série d’études fort intéressantes, entre autres la brochure « la contre révolution étatique » (en 1948, c’est à dire quelques années avant sa mort). Il me semble personnellement que c’est un très bon travail, non seulement parce qu’Ernestan a participé très activement au mouvement libertaire belge et international, mais aussi par sa propre expérience de la guerre d’Espagne, du camp de Vernet (sous la démocratie française) et du camp de Breendock (camp de concentration nazi d’où il est sorti très affaibli et épuisé) qui a donné un relief pratique à ses conceptions théoriques.
Au lieu de résumer sa pensée, je préfère donner quelques longs extraits de son propre travail sur l’État, qu’il commence par un rappel historique : le capitalisme et le socialisme sont nés en même temps « au milieu du XIXe siècle », l’un provoquant l’apparition de l’autre.
« Le capitalisme libéral fut solidement implanté… Lorsque la bourgeoisie a fermement établi sa situation de classe dominante… Elle a acquis de l’assurance et de l’expérience et si l’on peut dire codifié son idéal. Celui-ci est, du reste, d’une simplicité et d’une clarté telles que jamais classe dirigeante ne fut mue par des impératifs moraux et sociaux si peu complexes : “gagner de l’argent”. Unique souci d’une classe qui poussa l’égoïsme jusqu’à l’absurde… Inutile de retracer longuement la marche du capitalisme libéral — concentration rapide du capital, développement du machinisme, création d’une classe de prolétariat industriel… Le capitalisme se déchaîne, il édifie des fortunes prodigieuses, ses méthodes d’exploitation du salariat sont d’une férocité qui dépasse l’esclavage antique… Gagner de l’argent, toujours plus d’argent, et pour le reste “laisser faire, laisser passer”.
C’est dans de telles conditions que le mouvement socialiste naquit… La lutte de classe était une réalité qu’il était vain de déplorer, mais dont il fallait… montrer l’inéluctable intensification. Dès lors, pas de paix sociale possible… Il ne restait au prolétariat qu’à lutter jusqu’au triomphe final, jusqu’à la suppression des classes, jusqu’au socialisme.
Telle est, énoncée dans une grande et belle simplicité, la vérité socialiste. Celle que l’on trouve dans Proudhon et dans Marx… Celle qui réunit les forces socialistes éparses dans la Première Internationale de 1866…
Doctrine révolutionnaire née du capitalisme, quasi en même temps que lui, avec comme raison d’être de le détruire, et de le remplacer, le socialisme a‑t-il su s’adapter au rythme du capitalisme et le devancer ? À‑t-il su dominer la marche des évènements et ne pas rester à sa remorque ? Là est toute l’explication de l’état présent du socialisme, et plus encore de son avenir…»
À cette question essentielle, Ernestan répond, et il fait ensuite la démonstration de son raisonnement.
« Répondons franchement qu’à cet égard le socialisme connut une rapide déchéance et que loin de rester essentiellement évolutionnel il devint rapidement lourdement traditionnel (tandis que) le capitalisme se révéla d’une extraordinaire souplesse, très souvent et d’instinct il parvint à parer aux dangers qui le menaçaient…
Le socialisme a commis l’erreur initiale fondamentale et exceptionnellement grave de systématiser des données sociales essentiellement évolutives. Que l’on reconnaisse ou non la valeur du marxisme, il reste incontestablement et exclusivement basé sur une histoire qui s’arrête au milieu du XIXe siècle, et sur la critique d’un capitalisme largement débordé par les faits. C’est malheureusement sur ces données des problèmes sociaux que le socialisme continue à vivre, et pour une bonne part vit encore.
À une époque de transformations sociales constantes et dans un régime perpétuellement instable, le socialisme ne tarda pas à se cristalliser en conceptions dogmatiques, en méthodes classiques, en mots d’ordre clichés, et loin d’être éclairé par ses échecs, il resta dans ses ornières et répéta ses slogans. »
Ernestan consacre un chapitre de son étude à « Heur et Malheur du capitalisme » pour démontrer l’extraordinaire souplesse d’accommodation du capitalisme.
« Les conditions de vie qu’il commença par imposer au prolétariat, au lieu d’aller en empirant, allèrent dans l’ensemble en s’améliorant. Amélioration toute relative sans doute, mais qui dissipait cette vision apocalyptique qui montrait les masses acculées finalement et fatalement à la révolution.
La prolétarisation générale d’un côté et la concentration capitaliste d’un autre, ne s’opérèrent pas non plus comme prévu. Les classes moyennes n’en furent pas éliminées et leurs amputations furent compensées, entre autres, par des techniciens spécialistes et administrateurs avantagés par le capitalisme. La concentration (capitaliste) consista plutôt en une concentration de direction et non de possession…
Dans le domaine politique, le capitalisme fit preuve de sa grande habileté. Tant et si bien que le socialisme, pour une bonne part, cessa d’être révolutionnaire pour devenir collaborationniste…
Une autre planche de salut que le capitalisme trouva juste à point fut le colonialisme intensif. »
Mais surtout Ernestan constate que dans ses efforts d’adaptation et par conséquent de sauvetage, de survie du capitalisme (qu’on avait condamné à mort historiquement et théoriquement !) sa grande trouvaille, c’est le recours à l’Étatisme chaque fois que le capitalisme « libéral » traverse des difficultés, des crises. Au départ la bourgeoisie « libérale » a exalté la libre initiative, la libre concurrence, etc. Elle accepte l’État uniquement dans la mesure où il lui fallait un moyen d’autorité et de coercition pour légaliser et protéger son exploitation de classe. L’État est essentiellement et uniquement un gendarme dont le rôle consiste à protéger les « honnêtes gens » entendant surtout par là les « gens bien » ou qui « ont du bien ». Mais progressivement pour des raisons économiques, de crédit, de travaux et de services publics, de force militaire pour son colonialisme, ses tâches « sociales », etc. le capitalisme libéral abdiquent de plus en plus entre les mains de l’État, et celui-ci se fortifient au point de devenir une force indépendante capable de surmonter les oppositions de classe, d’imposer sa volonté et son régime.
Le point tournant de cette évolution vers l’étatisation a été la guerre de 1914 — 18 qui a détruit non seulement le bel espoir de « fraternisation », a ruiné tous les efforts d’éducation et de propagande socialistes d’un demi-siècle, mais, en même temps que cette guerre, a sonné le glas du capitalisme libéral incapable de mener une guerre impérialiste de longue durée (ni de payer ses dettes ensuite).
« Lorsqu’on voudra résumer objectivement notre époque, on en dira à peu prés : le début du XXe siècle fut marqué par la faillite du capitalisme libéral conjointement à la carence du mouvement prolétarien et à des échecs de la révolution sociale. De cette double impuissance résultèrent tout naturellement des poussées victorieuses de l’étatisme totalitaire. »
Et Ernestan analyse dans son chapitre « La contre-révolution étatique le fascisme et l’hitlérisme. »
« Dire, comme certains doctrinaires socialistes obtus, que l’avènement du fascisme fut une victoire de la bourgeoisie libérale capitaliste est proférer une bêtise. L’adhésion relative de la bourgeoisie au fascisme fut un réflexe de défense contre la menace d’une révolution « rouge » et fut également basée sur l’ignorance du véritable caractère du fascisme. Au total ce n’était pas moins une abdication en tant que classe dirigeante exclusive et la fin du libéralisme et de la démocratie. Ce qui fait qu’en réalité rien ne ressemble plus au fascisme que le stalinisme ; cela ne tient évidemment pas au hasard, mais bien à ce que les causes de ces deux phénomènes sont, dans le fond, identiques. »
En réalité, si le fascisme et le stalinisme ont des éléments communs : culte de l’État, une économie et une culture étatique, un État policier et dictatorial (y compris les konzlager et les goulags), un parti politique unique, un chef unique, le refus du parlementarisme et de la démocratie, l’interdiction du mouvement syndical autonome, la haine de la liberté et le mépris de l’individu… leurs origines, leurs assises sociales, leurs justifications théoriques sont différentes. Il faut reprendre ce débat État-socialiste-ouvrier-bolchevique… (il existe là dessus déjà pas mal d’études). Car les théories d’Ernestan ne me semblent pas suffisantes :
« Malheureusement, les conditions politiques et psychologiques de cette révolution (celle de 1917) n’existaient pas!… La prise de pouvoir par la fraction bolchevique s’est transformée rapidement en dictature absolue, et le reste ne fut que le développement d’un système qui devait conduire au capitalisme d’État totalitaire. »
Le problème de 1917 est plus complexe : on peut discuter qu’il existe ou non des conditions favorables ; d’autre part quand une fraction minoritaire de gauche ou de droite prend le pouvoir, elle a toujours besoin d’une dictature pour garder son pouvoir usurpé. La bourgeoisie libérale a trouvé son instrument de pouvoir, par l’intermédiaire du « suffrage universel » et du « parlementarisme », elle donne l’illusion que c’est une majorité qui gouverne, mais en réalité c’est toujours une minorité économique et politique qui tient le vrai pouvoir. La social-démocratie a accepté cette illusion, tandis que la fraction bolchevique l’a refusée pour la remplacer par la mystification de l’État-ouvrier, le parti-ouvrier, le pouvoir-ouvrier.
La responsabilité de la dégénérescence de la révolution est due avant tout au rôle de Lénine et de son équipe : malgré ses propres contradictions ou plutôt précautions verbales (L’État et la Révolution, le dépassement et l’autodestruction de l’État, l’État-non État, etc) Lénine a accepté le rôle de l’État, un État prédominant, omniprésent, totalitaire. Son idéal, c’était le capitalisme d’État allemand, le militarisme allemand. Pour Trotsky, le rôle de l’État était encore plus important, il voulait même la militarisation des ouvriers ; le concept trotskyste de bureaucratisation, de la dégénérescence « bureaucratique » des soviets, est complètement faux et à côté du problème. C’est vrai que la bureaucratie possède effectivement le pouvoir en URSS, c’est elle qui en profite, mais son origine, sa raison d’être sont dans la structure et la conception même de l’État, de l’économie étatique et de l’administration étatique. Critiquer les bureaucrates, c’est-à-dire les employés, sans critiquer l’État, c’est-à-dire l’employeur, est complètement ridicule.
Mais revenons au texte d’Ernestan. La bourgeoisie libérale cherche d’abord à utiliser l’appareil d’État pour protéger « ses biens » et son exploitation ; ensuite elle cherche la protection de l’État quand elle a des difficultés ; ensuite elle accepte de partager certaines des tâches les plus ingrates avec l’État (santé, enseignement, etc.); ensuite l’État empiète de plus en plus non seulement sur les « fonctions publiques » (enseignement transport, PTT, police) mais aussi sur le plan économique et culturel ; la planification entre en jeu, l’équilibre entre les diverses formes bourgeoises libérales (avec libre initiative et libre entreprise) et l’économie planifiée, dirigée, contrôlée par l’État — cet équilibre oscille au cours des évènements historiques mais va de plus en plus vers l’Étatisme.
« L’Étatisme vise à instaurer son propre système d’oppression et d’exploitation ; à l’ancienne lutte de classe bourgeoisie-prolétariat, il substitue une opposition de caste et de classes plus catégorique et plus impitoyable encore. Tandis que la bourgeoisie libérale exploitait la collectivité dans le simple but de s’enrichir et n’avait pour tout idéal qu’un vague progressisme matériel, l’Étatisme fait de l’État un mythe tout puissant et absolu, c’est-à-dire une nouvelle totalité. Or pour imposer un régime aussi essentiellement autoritaire, il faut de toute évidence un appareil dirigeant et coercitif aussi puissant qu’étendu. C’est pourquoi aux anciens rapports de classe l’État superpose et substitue sa hiérarchie.
Au sommet, le Fuhrer, Caudillo, Duce ou d’autres “Pères du Peuple” entourés de grands dirigeants politiques qui forment la caste disposant des pouvoirs suprêmes et de l’autorité supérieure. Vient ensuite une cascade de pouvoirs… enfin tout en dessous, la grande masse des travailleurs, dont tous les droits se limitent à travailler dur, à obéir, à se taire… Les hautes fonctions récompensent le plus souvent l’ambition, l’intrigue, la servilité… Les privilégiés du régime n’auront pas de but plus clair que de conserver ou de consolider leurs privilèges, rapidement ils constitueront des castes. Espérer que ces hommes qui disposent de tous les pouvoirs se priveraient bénévolement d’en user et d’en abuser, c’est montrer qu’on ignore tout de la psychologie autoritaire. L’Étatisme restera fidèle à lui-même, et tendra toujours à plus d’autorité, plus d’oppression, plus d’absolu. »
Je suis convaincu que la majorité des êtres humains est consciente de ce phénomène, consciente aussi de son danger. Dans le journal d’aujourd’hui (Le Monde Dimanche, 08/02/81, p. XIV), je lis :
« Où se situent les vrais blocages ? (il s’agit de la misère en Afrique et plus particulièrement au Sahel) Le plus efficace de tous est constitué par une administration locale devenue parasitaire et qui, dans certains pays, hélas ! devenus de plus en plus nombreux en Afrique, ont par inertie, incompétence et corruption, tout bloqué… Il faut avoir le courage de dire que le « parti unique », et il se veut « socialiste »!, constitue la plus grande entreprise de racket du monde paysan jamais inventée.
Il est évident que pour beaucoup d’idéologues, on a confondu le sens de la collectivité qui est inhérent à la société africaine et le collectivisme, idéologie d’exportation sous forme d’un socialisme dévoyé, imposé par la terreur…Il paralyse l’initiative et la faculté de créer et concevoir. »
Cet article est signé Pierre Cros, qui non seulement n’est pas libertaire mais est responsable de la « Direction Générale de l’Information de la CEE ». Ernestan répond en partie à ces questions :
« L’État profite largement de la confusion qui règne toujours à son sujet ; et il est bien vrai que plus que jamais il est malaisé de définir aux yeux des masses en quoi consiste l’État, et même qui est l’État. »
Nous ne pouvons répondre ici en détail à cette question, elle mérite elle aussi une longue étude. Pour nous, l’État à l’Est et à l’Ouest appartient toujours à une minorité de la bourgeoisie qui n’a qu’une seule vocation, gouverner et exploiter. Cette minorité de l’ancienne ou de la nouvelle bourgeoisie change de forme, d’appellation, mais c’est elle qui dirige et profite toujours. À l’Ouest, c’est évident, les capitaines de la grande industrie choisissent eux-mêmes le futur président de la République qui, lié avec eux, gère la société en leur gardant toujours leurs avantages, leurs privilèges, le rôle de la bourgeoisie comme classe dirigeante.
À l’Est, c’est moins évident mais là aussi la lumière s’est faite progressivement avec Milovan Djilas et sa « Nouvelle classe », avec Anton Ciliga, avec « La Nomenklatura » récemment pour ne citer que les non libertaires. Si l’État est l’expression des classes, l’État lui-même crée et entretient de nouvelles classes. Il existe encore d’autres aspects qu’Ernestan évoque lui-même :
« On vous dira peut-être aussi, suprême argumentation et suprême erreur, que s’il est bien vrai que l’Étatisme comporte de pénibles inconvénients, il n’en est pas moins un régime dont l’intérêt personnel n’est pas le moteur et dont l’accumulation égoïste de profit est exclue. Que si l’État a ses profiteurs, son intérêt sera tout de même l’intérêt de tous, et qu’ainsi l’Étatisme reste, malgré tout, une forme de socialisme. Argumentation sophistique s’il en fut. Rappelons donc que l’État possède et poursuit son but en soi, sans aucun souci du bien-être matériel et spirituel des citoyens ; ceux-ci ne sont pour lui qu’un matériel humain propre à édifier sa grandeur et à réaliser sa « mission historique ». La dite mission historique étant renouvelable et interchangeable, peut donc parfaitement exiger que les dits citoyens vivent et meurent misérablement avec une parfaite soumission et un perpétuel enthousiasme.
…La barbarie étatique serait incontestablement plus effroyable que celle des premiers ages ; cette dernière était l’effet d’un primitivisme naturel, tandis que celle qui nous menace serait une barbarie savamment organisée et scientifiquement dirigée. »
Avant de terminer ces quelques pages, je voudrais souligner deux faits :
Le grand mérite, on peut même dire l’apport historique de Michel Bakounine se situe précisément dans son analyse et sa critique du phénomène de l’État. C’est extraordinaire car l’étatisme était à peine développé en comparaison à aujourd’hui et malgré cela il a vu d’une manière profonde son évolution et son danger. Même aujourd’hui, les textes de Bakounine sur les problèmes de l’État sont toujours valables, il n’y a aucun marxiste ni même Marx, qui aient pu les réfuter (les annotations de Marx sur le livre de Bakounine « Étatisme et Anarchisme » sont d’une pauvreté extraordinaire). Même combattu et exclu, Bakounine a fait une « brèche » dans la conception du socialisme étatique, il a mis le germe d’un doute.
En tout cas les marxistes sont toujours obligés de jouer dialectiquement avec le « provisoire » et « l’éternel » de l’État, entre son « dépérissement » et son « renforcement », entre les conceptions « anti-étatiques » de Marx (« La guerre civile en France ») elles conceptions hyperétatiques de ce même Marx (tout le reste) et même de Lénine (L’État et la Révolution et tout le reste)
Le deuxième fait que je veux souligner ici, c’est qu’une des raisons du triomphe du marxisme sur le plan politique et gouvernemental, c’est qu’il a épousé la courbe montante de l’épanouissement étatique. Si Ernestan constate, en 47 — 48, que le début du XXe siècle est caractérisé par « des poussées victorieuses de l’Étatisme totalitaire », qu’est-ce qu’on peut dire, nous, à la fin de ce même siècle, après les expériences étatiques et totalitaires de droite ou de gauche à travers la planète toute entière…
Le XXe siècle sera probablement étudié un jour par les historiens comme le triomphe de l’État. Peut-on envisager qu’un jour la courbe de cette ascension soit inversée, que l’humanité soit débarrassée de ses tyrans, de ce mythe, comme elle a réussi à se débarrasser de beaucoup de mythes et de tyrans dans son histoire millénaire.
Dimitrov,
février 1981
Le texte d’Ernestan dont nous avons reproduit ici une partie a été publié sous forme d’une série d’article dans la revue « Pensée et Action », et est sorti en brochure en 1948 ! aux mêmes éditions. En 1955, il faisait partie d’un volume consacré à l’auteur préparé par Hem Day et André Prudhommeaux. Je ne sais pas si ce texte est encore disponible.