La Presse Anarchiste

Marxisme et anarchisme selon les chercheurs yougoslaves

La revue « Gle­dis­ta » N°3 – 4 (mars-avril 1980) de Bel­grade a publié à la fin de l’an­née der­nière une par­tie des rap­ports pré­sen­tés lors d’une ren­contre uni­ver­si­taire sur Marx et son époque qui avait pour thème : « Anar­chisme et Mar­xisme ». Ce col­loque s’é­tait dérou­lé en jan­vier 1980 à Arandjelovac.

Dans un com­men­taire géné­ral, Slo­bo­dan Samard­zic sou­ligne l’im­por­tance de cette ren­contre qui per­met non seule­ment une étude de l’a­nar­chisme – et la paru­tion de plus de textes qu’on ne pou­vait l’es­pé­rer en You­go­sla­vie – mais qui oblige aus­si à abor­der les rap­ports du mar­xisme avec l’a­nar­chisme. Il en découle que le mar­xisme n’est pas du tout mono­li­thique et que « spé­cia­le­ment où il se pré­sente comme une vision monde offi­cielle », il pour­rait s’ins­pi­rer de la cri­tique de la bureau­cra­tie, de la tech­no­cra­tie, etc. pro­po­sé par l’anarchisme.

Bozi­dar Jak­sic donne une liste assez com­plète des opi­nions de Marx et Engels sur Bakou­nine et les anar­chistes. Et le texte finit, sans conclu­sion véri­table, sur le fait qu’En­gels en 1891, dans une lettre à Kauts­ky, défen­dait la liber­té de presse dans le Par­ti, c’est à dire le droit d’ex­pres­sion des ten­dances. C’est com­pré­hen­sible vu la force de la cen­sure en You­go­sla­vie contre les petites publi­ca­tions étudiantes.

« La pen­sée poli­tique anar­chiste » de Vuci­na Vaso­vic consti­tue une longue contri­bu­tion pour pré­sen­ter l’a­nar­chisme, exacte dans ses grandes lignes mais avec des erreurs éton­nantes sur les auteurs. Ain­si « Actuel­le­ment l’a­nar­chisme se pré­sente comme une alter­na­tive, non seule­ment au capi­ta­lisme, mais même au mar­xisme» ; « l’É­tat mène néces­sai­re­ment à une hié­rar­chie et une aris­to­cra­tie, qu’elles soient com­po­sées de pro­lé­taires, de fonc­tion­naires ou de reli­gieux ». A côté de cet expo­sé détaillé et fidèle des idées liber­taires, on trouve Mala­tes­ta affu­blé d’un pro­gramme « maxi­mum » « Fais ce que tu vou­dras », ce qui semble une confu­sion assez gros­sière avec Reclus. Il y a aus­si Kro­pot­kine qui est soit-disant pour une « orga­ni­sa­tion rigide », ce qui est plus que curieux. Mais la curio­si­té devient effroi lorsque dans une par­tie inti­tu­lée : « Rai­sons de la rela­tive expan­sion de l’a­nar­chisme »,Vaso­vic, après avoir évo­qué la crise de l’É­tat, les cri­tiques éco­lo­giques, cite les régimes occi­den­taux. En effet pour eux, l’a­nar­chisme serait tolé­ré comme alter­na­tive au mar­xisme et comme limi­ta­tion de l’É­tat. L’au­teur se garde bien de poser le pro­blème des par­tis com­mu­nistes, de l’eu­ro­com­mu­nisme dans les pays occi­den­taux, voire du rôle de la You­go­sla­vie entre l’Est et l’Ouest, bien plus utiles au capi­ta­lisme, et des faci­li­tés qu’ils reçoivent par rap­port aux anar­chistes. La par­tie finale est une sorte d’é­vo­ca­tion d’un mar­xisme auto­ges­tion­naire avec des conseils, des soviets réglant la vie poli­tique et éco­no­mique, accom­pa­gnée de « doit être », « peut deve­nir », puisque cela est bien loin d’exis­ter en Yougoslavie.

Le rap­port de Dar­ko Strain « Mar­xisme, Anar­chisme et Nou­velle Gauche », repose sur une connais­sance directe des textes et des auteurs. Il asso­cie l’ap­pa­ri­tion de la nou­velle gauche à la sta­li­ni­sa­tion des PC occi­den­taux. Mais sa des­crip­tion de la « nou­velle gauche » est très géné­rale : de Baa­der au Mani­fes­to et à l’I­RA. Les situa­tion­nistes manquent, les trots­kystes sont évo­qués indi­rec­te­ment. Mais Book­chin et l’au­to­ges­tion espa­gnole de 1936 – 1939 sont briè­ve­ment mais cor­rec­te­ment présentés.

« La cri­tique mar­xiste de l’a­nar­chisme » de Las­lo Sekelj est éton­nante : au lieu des pon­cifs com­mu­nistes, on a un feu d’ar­ti­fice de contra­dic­tions des cri­tiques, et Sta­line est pris en fla­grant délit de cita­tion défor­mée d’En­gels, Engels lui-même se contre­di­sant dans « Sur l’au­to­ri­té»… Puis Sekelj passe à de longues cita­tions de Rosa Luxem­bourg vue comme « par­tiel­le­ment » anar­chiste et syn­di­ca­liste. La conclu­sion affirme que 110 ans après la créa­tion de la 1ère Inter­na­tio­nale et 60 ans après la révo­lu­tion d’oc­tobre, « il est grand temps que le mar­xisme, dans sa cri­tique de l’a­nar­chisme, aban­donne sa posi­tion « théo­rique ». Hic Rho­dus, Hic Sal­ta ! Le mar­xisme s’il veut cri­ti­quer la théo­rie anar­chiste – et être en même temps au niveau de ses points fon­da­men­taux – ne peut se conten­ter de la seule cri­tique théo­rique. La cri­tique mar­xiste de l’a­nar­chisme doit être théo­rique et pra­tique.» On s’at­tend à une suite de reven­di­ca­tions qui pour­raient occa­sion­ner à l’au­teur cer­taines dif­fi­cul­tés, mais il finit habi­le­ment par une cita­tion de Mar­cuse (tra­duit en ser­bo-croate en 1968) de « L’homme uni­di­men­sion­nel » sur la révo­lu­tion syno­nyme de fin du capi­ta­lisme (donc des lois du mar­ché, etc… qui brillent en Yougoslavie).

Une biblio­gra­phie de I.aslo Sekelj montre qu’a­vant le titisme il y a eu 4 édi­tions d’au­teurs anar­chistes et que depuis il y en a eu 5, com­pre­nant 11 extraits d’a­nar­chistes. Quand aux articles sur l’a­nar­chisme, s’il y en eut 4 avant 1944, il y en a main­te­nant 34 depuis 1966.

On le voit, l’é­tude des rap­ports entre le mar­xisme et l’a­nar­chisme sus­cite indi­rec­te­ment une remise en cause de la socié­té you­go­slave, comme dans bien d’autres domaines. Mais une par­tie des cri­tiques adres­sées à l’a­nar­chisme sont à tenir en compte et nous tâche­rons dans l’a­ve­nir de faire de larges extraits de ces textes et d’autres.

Merak­lia


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste