La Presse Anarchiste

Une manifestation en faveur de Paraschiv

Si nous publions ce repor­tage, c’est d’une part parce qu’il consti­tue un compte ren­du com­plet et irré­pro­chable d’une impor­tante action menée en faveur de Para­schiv et, d’autre part, pour que le lec­teur fran­çais puisse se faire une idée plus pré­cise sur ce poste de radio qui est, de loin, le plus écou­té en Rou­ma­nie. Néan­moins pour que cette idée ne soit pas erro­née, plu­sieurs remarques s’imposent.Fondée pen­dant la guerre froide, long­temps sur­veillée par la CIA, actuel­le­ment finan­cée par le Congrès amé­ri­cain Radio Free Europe est conçue, orga­ni­sée et fonc­tionne selon les inté­rêts des États-Unis. Ceci s’est véri­fié dans le pas­sé ― lorsque cette radio appe­lait la popu­la­tion à la résis­tance contre l’URSS et les par­tis satel­lites pro­met­tant déma­go­gi­que­ment un appui mili­taire amé­ri­cain ―, et appa­raît clai­re­ment aujourd’­hui lors­qu’il s’a­git des infor­ma­tions concer­nant les agis­se­ments impé­ria­listes des USA dans le monde, sur­tout en Amé­rique Latine. Néan­moins, la dés­in­for­ma­tion gros­sière et sur­tout l’ab­sence d’in­for­ma­tion qui règne à l’Est ain­si que le fait que les USA n’ont pas des inté­rêts pré­cis dans ces pays, confèrent incon­tes­ta­ble­ment à Radio Free Europe une marge d’au­to­no­mie et d’ob­jec­ti­vi­té dans le domaine des infor­ma­tions concer­nant le camp « socia­liste ». Le com­bat à l’Est tient compte et s’ap­puie sur cet aspect de la radio, la soli­da­ri­té avec ce com­bat ne peut pas l’i­gno­rer. Mais contrai­re­ment au pre­mier, dans le second cas on peut prendre une dis­tance cri­tique, poli­tique à l’é­gard de cette radio. Mal­heu­reu­se­ment peu le font notam­ment chez les rou­mains dont les struc­tures orga­ni­sa­tion­nelles en exil (revues, cercles, comi­tés, orga­ni­sa­tions poli­tiques) sont très faibles. Pour ce qui est de nous liber­taires, et de tous les oppo­sants de gauche, même si les infor­ma­tions nous concer­nant (indis­pen­sables pour se faire connaître en Rou­ma­nie) sont cor­rectes il est hors de ques­tion d’en­tre­te­nir la moindre ambi­guï­té quant à nos rap­ports avec Free Europe. Non seule­ment nous consi­dé­rons que l’on ne peut pas s’op­po­ser à une super­puis­sance (sovié­tique) en s’ap­puyant sur une autre (nord-amé­ri­caine), mais nous com­bat­tons pour l’au­to­no­mie totale aus­si bien des luttes à l’in­té­rieur que de la soli­da­ri­té à l’extérieur.

Le texte qui suit consti­tue, rap­pe­lons le, la seule infor­ma­tion que les gens en Rou­ma­nie ont eu sur l’ac­tion du Comi­té Paraschiv.

Radio diffusé par Radio Free Europe en Roumanie dans la soirée du 1er mars 1982

Ven­dre­di 26 février à 18 heures au coin de la rue St Domi­nique et de l’a­ve­nue Bos­quet, dans le VIIème arron­dis­se­ment, c’est à dire devant l’en­trée prin­ci­pale de l’am­bas­sade de Roumanie.

bande sonore : « Nous vou­lons, nous aurons la véri­té sur Paraschiv»…

L’am­bas­sade, pro­té­gée par de nom­breux poli­ciers, res­semble plus que jamais à une case­mate, avec toutes les lumières éteintes. Quel­qu’un dit, en bla­guant : « Tiens ils appliquent aus­si l’é­co­no­mie d’élec­tri­ci­té, comme à Buca­rest ! » Une autre per­sonne rétorque : « Mais non, ils ont peur de la lumière au propre comme au figuré ».

En effet ils ont peur. Ils ont peur de cette mani­fes­ta­tion orga­ni­sée par le Comi­té Para­schiv, comi­té de ten­dance anar­chiste, fon­dé à Paris en février 1981. Nous avons pu apprendre, par des indis­cré­tions pro­ve­nant de l’am­bas­sade même, qu’il y règne depuis quelques jours une atmo­sphère d’é­tat de siège, d’au­tant plus que l’am­bas­sa­deur n’a pas pu obte­nir auprès de la pré­fec­ture de Paris l’in­ter­dic­tion de la mani­fes­ta­tion. C’est pour­quoi M. Manes­cu a ten­té ven­dre­di en déses­poir de cause une manœuvre de der­nière heure. Deux des plus impor­tants syn­di­cats fran­çais, la CFDT et la FEN, essayaient ― en vain ― depuis plus d’une semaine d’en­voyer une délé­ga­tion pour obte­nir des nou­velles sur le sort de Para­schiv. Et voi­là que sou­dain, le jour même de la mani­fes­ta­tion, on leur télé­phone à 11h pour leur annon­cer que l’on veut bien les rece­voir à 13h. Les délé­ga­tions, diri­gées par les res­pon­sables des rela­tions inter­na­tio­nales des deux syn­di­cats, se sont entre­te­nues durant trois quart d’heure avec M. l’am­bas­sa­deur Manes­cu. Mais ce der­nier n’a pas pu ou n’a pas vou­lu don­ner des réponses concrètes aux demandes des syn­di­ca­listes concer­nant notam­ment l’en­voi d’une délé­ga­tion syn­di­cale fran­çaise en Rou­ma­nie afin de ren­con­trer Para­schiv. Quant au sort de celui-ci, l’am­bas­sa­deur a décla­ré ― en uti­li­sant le condi­tion­nel ― que selon les infor­ma­tions dont il dis­pose, Para­schiv serait en vie.

À men­tion­ner qu’un autre syn­di­cat, FO, est inter­ve­nu auprès de la CISL et que par consé­quent seule la CGT, com­mu­niste, ne s’est pas mani­fes­tée. Par ailleurs, une action en faveur de Para­schiv a été entre­prise éga­le­ment par Amnes­ty International.

Mais reve­nons à la mani­fes­ta­tion de ven­dre­di soir qui s’est dérou­lée confor­mé­ment à ce que l’on pou­vait pré­voir, dans l’ab­sence de toute infor­ma­tion sérieuse de la part de l’ambassade.

bande sonore : « En Pologne, en Rou­ma­nie, les tra­vailleurs veulent vivre dans des syn­di­cats libres ! »

Peu après 18h, comme l’am­bas­sade a refu­sé de rece­voir une délé­ga­tion du Comi­té Para­schiv, les mani­fes­tants se ras­semblent autour d’une ban­de­role en toile rouge et noire, longue de plu­sieurs mètres, sur laquelle est mar­qué en grosses lettres blanches : « Véri­té sur l’ou­vrier syn­di­ca­liste Para­schiv ». Tout de suite après, d’autres ban­de­roles sont dérou­lées et plu­sieurs pan­cartes sur­gissent, dont une exige la libé­ra­tion de Mme Car­men Popes­cu, membre du SLOMR récem­ment condam­née et qui a décla­ré une grève de la faim en pri­son. Sur une autre, en des­sous du nom et de la pho­to­gra­phie du prêtre Gheor­ghe Cal­ciu est mar­qué : « Deman­dez sa libé­ra­tion ! ». D’ailleurs les mani­fes­tants, par­mi les­quels de nom­breux rou­mains, ont crié à plu­sieurs reprises des slo­gans exi­geant leur libération.

Les membres du Comi­té Para­schiv dis­tri­buent aux pas­sants, nom­breux à cette heure-là, des mani­festes, dont l’un rédi­gé deux heures seule­ment aupa­ra­vant, pré­cise que la Secu­ri­tate a de nou­veau inter­rom­pu une liai­son télé­pho­nique du Comi­té avec la famille Para­schiv. Plus loin, le mani­feste démasque, nous citons : « les mesures tou­jours plus auto­ri­taires, anti-popu­laires et répres­sives prises par le régime rou­main » et finit par ces phrases, nous citons à nou­veau : « Non au décret anti-ouvrier du 29 février 1981 Vive la lutte des tra­vailleurs rou­mains pour la consti­tu­tion de syn­di­cats libres et autogérés ! »

Les res­pon­sables du Comi­té Para­schiv s’a­dressent par haut par­leur aux pas­sants ain­si qu’aux diplo­mates rou­mains ver­rouillés à l’in­té­rieur de l’ambassade :

bande sonore : « Nous avons lan­cé un appel public mais nous n’a­vons reçu aucune réponse de la part des auto­ri­tés rou­maines qui en ce moment se cachent là der­rière les fenêtres, pro­té­gées par la police. Nous vou­lons la véri­té ! Vous avez éteint les lumières, mais vous pou­vez très bien nous voir même sans lumière, ce n’est pas com­pli­qué n’est-ce pas Qu’est deve­nu l’ou­vrier syn­di­ca­liste V. Para­schiv, dis­pa­ru en Rou­ma­nie il y a trois ans ? Le comi­té demande qu’une délé­ga­tion soit reçue à l’ambassade ! »

À la mani­fes­ta­tion orga­ni­sée par le Comi­té Para­schiv ont pris éga­le­ment part plu­sieurs membres de la Ligue pour la Défense des Droits de l’Homme en Rou­ma­nie ain­si que le dis­si­dent sovié­tique Vic­tor Fain­berg et l’é­cri­vain Paul Goma. Le pre­mier nous a décla­ré en russe qu’il joint sa voix à celles des amis rou­mains et fran­çais qui exigent la libé­ra­tion de Paraschiv.

bande sonore

Les slo­gans et décla­ra­tions que vous venez d’en­tendre n’ont pas besoin de com­men­taires. Ceux qui à Buca­rest sont res­pon­sables de la répres­sion contre Para­schiv, Car­men Popes­cu, Gheor­ghe Cal­ciu et tant d’autres devraient réflé­chir un peu plus aux réac­tions de l’o­pi­nion publique occidentale.

Cor­res­pon­dance de Paris de Radio Free Europe


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