La Presse Anarchiste

Algérie : Incidences (extraits)

Né en 1955 à El Hamel en Algé­rie, Moha­med Kaci­mi El Has­sa­ni vit depuis 1982 à Paris, où il tra­vaille comme for­ma­teur migrants. Il est le tra­duc­teur de plu­sieurs poètes arabes, notam­ment de Chaw­ki Abde­la­mir, en col­la­bo­ra­tion avec Eugène Guillevic.
Suicide

Las, il son­gea sérieu­se­ment au suicide.

Le jour fati­dique, l’É­tat socia­liste lui sau­va la vie. Il y avait pénu­rie de balles, de cordes, d’eau, de bar­bi­tu­riques et d’altitude.

Président

C’é­tait un pré­sident qui cumu­lait toutes les fonc­tions. L’a­che­vant, la mort crut com­mettre un génocide.

Preuve

Quand il apprit que l’É­tat, c’est le peuple, il se mit face au palais du gou­ver­ne­ment et s’am­pu­ta d’une jambe.

À sa grande sur­prise, aucun mur de l’é­di­fice ne s’écroula.

Viol

Las de péné­trer la femme par le même ori­fice, il le fit par les yeux. Aveugle, elle accou­cha neuf mois plus tard d’un exem­plaire du jour­nal gouvernemental.

Champ

« Les femmes sont votre champ, labou­rez-le tant qu’il vous plaira. »

Exci­té par cet aphro­di­siaque ver­set cora­nique, il se rua, soc en l’air, sur sa femme, mais ne tom­ba que sur son squelette.

En exé­gèse, l’É­tat avait été plus prompt. La pauvre venait juste de tom­ber sous le coup de l’or­don­nance por­tant limi­ta­tion de la pro­prié­té foncière.

Taxe

Il revint d’un long voyage à l’é­tran­ger où il avait pris quelques kilos et acquis beau­coup de connaissances.

Après une minu­tieuse fouille, la douane l’o­bli­gea à s’ac­quit­ter d’une taxe pour impor­ta­tion de pro­duits de luxe.

Myopie

Ayant per­du ses lunettes, dans un lieu public il prit par mégarde son jour­nal à l’envers.

La police l’ar­rê­ta pour opi­nions contraires à celles du régime.

Pétition

Para­phant on ne sait quel docu­ment, il trou­va sa signa­ture peu gra­cieuse et en refit une autre plus bas.

Le soir, la police vint l’ar­rê­ter pour signa­ture de pétition.

Énergie

Voyant les der­ricks qui par­se­maient sa terre, il se dit « Si telle est la richesse du sol, que serait celle des hommes. »

Alors, fré­né­ti­que­ment, il s’en alla forer la tête des mili­tants du Parti.

Le soir même, un ter­rible oura­gan dévas­tait la ville.

Eau

Robi­net à sec, chaus­sées inon­dées. Même l’eau s’est mise à tra­vailler au noir.

Chasse

L’eau devint si rare que l’É­tat n’au­to­ri­sa sa recherche que durant la sai­son de chasse.

Après une bat­tue de plu­sieurs jours, il réus­sit à abattre une source qu’il ne put, hélas!, exploi­ter ; la gros­seur du calibre l’a­vait desséchée.

Retards

Las des retards du bus, il alla chaque jour le cher­cher dix sta­tions avant la sienne.

Militantisme

Bien que l’eau ne fît plus d’ef­forts pour mon­ter au deuxième étage, il ne fit aucune récla­ma­tion, sachant que si elle agis­sait ain­si, c’est qu’elle avait dû, pen­dant la guerre, noyer une patrouille fran­çaise et que, depuis, elle était en pos­ses­sion d’une carte d’an­cien combattant.

Révolution

Frus­tré de n’a­voir pu par­ti­ci­per à la révo­lu­tion, il s’in­sur­gea contre lui-même et prit le maquis.

Là, il pas­sa des années à se tirer des­sus, à se vio­ler, à s’ex­tir­per aveux et coti­sa­tions, à se dénon­cer, à se pro­mou­voir et à se dégra­der, à se cou­per les lèvres après chaque ciga­rette, à dyna­mi­ter sa mai­son par représailles.

Puis, ne pou­vant venir à bout de lui-même, il enga­gea des négo­cia­tions assez longues et se don­na une indé­pen­dance totale.

Libres, ses pieds en pro­fi­tèrent le len­de­main pour ren­ver­ser le pou­voir dominant.

Paradis

Il lut pour la pre­mière fois le Coran où il apprit que Dieu réser­vait aux siens, dans l’au-delà, des foules d’é­phèbes et des fleuves de vin. Sans tar­der, il se soû­la toute la jour­née et, le soir, il fut pris en fla­grant délit de pédophilie.

Mal­gré les deux ans de peine, quelle ne fut sa joie quand il enten­dit le juge répondre aux motifs de sa conduite en lui disant sur le ton péremp­toire des magis­trats « Mais ici, ce n’est pas le para­dis, citoyen. »

Miracle

Las de l’a­no­ny­mat, il déci­da de deve­nir prophète.

Il se réfu­gia dans une grotte pour pré­pa­rer son livre et ses miracles. Un an plus tard, il était de retour. Les hommes furent peu inté­res­sés par son livre, mais recon­nurent en lui le pro­phète du siècle pour la qua­li­té de ses miracles : des lave-vais­selle pour toute la tribu.

Élections

Le jour de l’é­lec­tion pré­si­den­tielle, il mit son nom sur le bul­le­tin de vote.

Après le dépouille­ment, il ne trou­va nulle trace de sa voix, il n’y avait ni bul­le­tins contre, ni nuls, tout était pour l’u­nique can­di­dat. Se disant que si l’É­tat n’a­vait pas fait de dif­fé­rence entre les deux noms, une part du pou­voir devait lui revenir.

Dès sa pre­mière requête, il fut inter­né pour allé­ga­tions mensongères.

Silence

Un jour, il pria la nature de rete­nir son souffle et ses bruis­se­ments. Il y eut alors un silence horrible.

Désert

En manque, il enfon­ça son sexe dans le sable chaud qui, gor­gé de sa sub­stance, s’en­fla légè­re­ment. Mais quand il vit aux alen­tours la taille des dunes, il s’é­cria « Salauds de bédouins ! »

Nord

Il remon­ta au Nord afin de goû­ter sa terre. Là, il eut beau péné­trer le sol le plus com­pact, son sexe ne ren­con­tra que les cou­rants d’air.

Atmosphère

Il essaya maintes fois de sol­li­ci­ter l’at­mo­sphère, mais à toutes ses avances elle demeu­ra étanche,

Elle avait trop peur que l’É­tat n’ap­prenne son infidélité.

Mer

Il sol­li­ci­ta la mer, mais d’elle nulle réponse ne vint, elle ne com­pre­nait pas sa langue.

Ciel

En der­nier recours, il essaya le ciel. Mais à peine arri­vé devant la porte qu’il rebrous­sa che­min, ses oreilles venaient de sai­sir le si dis­tinc­tif mur­mure du bidet.

Délation

Il éja­cu­la sur l’en­ceinte des locaux du Par­ti. Celle-ci alla tout droit accou­cher de sa fiche anthro­po­mé­trique sur le bureau du commissaire.

Typographie

Répu­blique de Planton.

L’in­ci­dence qu’a eue cette erreur typo­gra­phique sur son his­toire le plon­gea dans un déses­poir absolu.

Postérité

Pen­dant des années, il fut tou­jours tra­cas­sé par le nombre de docu­ments à four­nir aux admi­nis­tra­tions. Mais quand il sut qu’ils étaient l’u­nique garant de sa pos­té­ri­té, il se mit à les four­nir en trois exemplaires.

Il leur fau­dra peut-être trois minutes pour l’en­ter­rer, mais des années seraient néces­saires pour inci­né­rer ses dos­siers administratifs.

Hérésie

Émer­veillé devant le nombre et la hau­teur des mina­rets, il se dit que les puits ne pou­vaient être qu’une œuvre d’incroyants.

Interrogations

Trop de ques­tions l’as­saillaient et il ne pou­vait s’empêcher de se deman­der si le mar­tyr des anciens est un patri­moine géné­tique, si le désert de ce pays n’est pas son nord, pour­quoi cette terre si vaste en super­fi­cie est si res­treinte en altitude.

Pour conju­rer ce malaise méta­phy­sique et pré­ve­nir d’é­ven­tuelles crises exis­ten­tielles, il prit sa carte du Parti.

Prohibition

Fas­ci­né par les armes, il se ren­dit à un défi­lé militaire.

Là, vou­lant tâter de près la tech­no­lo­gie sovié­tique, il mit sa main sur un char. La police l’ar­rê­ta aus­si­tôt pour déten­tion d’arme prohibée.

Obéissance

Il devint tel­le­ment dis­ci­pli­né qu’il obéis­sait même à l’ins­tinct d’autrui.

Éjaculation

Las, il déci­da de rédi­ger un tract, mais, à peine avait-il tapé la pre­mière lettre que la police était chez lui.

De sa cel­lule, il en rédi­gea un autre où il accu­sait l’É­tat d’é­ja­cu­la­tion précoce.

M. Kaci­mi El Hassani


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