Tout mouvement qui se crée doit préciser ses principes fondamentaux grâce auxquels il déterminera et définira ses relations internes et sa place dans la société. Je ferai ici un résumé de ces principes en m’appuyant sur les thèses discutées par le Groupe de travail des mouvements pacifistes lors de sa rencontre plénière à Ljubljana en octobre 1984.
Le premier principe fondamental est un principe de spontanéité. On pense ici à une spontanéité fondée sur la conscience des contradictions élémentaires, et de notre société, et de la communauté internationale. Sans nier l’existence d’une contradiction entre le spontané et le conscient, ce principe affirme qu’une telle spontanéité est une des bases essentielles des mouvements sociaux. Il représente une négation directe de la bureaucratisation comme manière de travailler, de penser et de décider dans le système et dans toute autre forme d’organisation de notre société. Cela signifie qu’il est nécessaire d’utiliser la spontanéité des individus et des groupes sociaux (leurs impulsions, leur capacité d’auto-initiative, leur réaction rapide à une situation nouvelle, les individus eux-mêmes en tant que porteurs d’idées et de propositions) comme instrument servant non seulement à faire percer les intérêts et les propositions des mouvements, mais aussi à prévenir la mort et l’étouffement des individus en tant que porteurs d’idées et de propositions.
Le second principe fondamental est l’immédiateté du mouvement. Il signifie l’entrée dans le système politique d’un mouvement qui, de par ses formes d’organisation, ne permet pas le filtrage des intérêts authentiques par les représentants ou intermédiaires politiques classiques. Bien sûr, cette immédiateté existe aussi à l’intérieur du mouvement : caractère public du travail, dialogue démocratique, nomination publique des porteurs de projets dans le mouvement. Ainsi se développera une culture politique d’intervention en public et de participation active aux projets du mouvement. Cette immédiateté signifie aussi supprimer et s’opposer à la censure, favoriser la médiation des informations qui, du point de vue du mouvement, sont importantes pour l’opinion.
Le troisième principe fondamental est un principe de pluralisme dans le mouvement. Cela signifie pluralisme de la pensée politique, scientifique, pluralisme d’idées, tout en faisant que ce pluralisme ne soit plus l’instrument des monopoles du pouvoir (pouvoir du mouvement ou des institutions du système politique), mais l’expression d’un mouvement de conscience sociale définie par les rapports entre les porteurs d’une conscience, ou bien entre ceux qui se rendent compte de la situation sociale réelle dans le mouvement même, mais aussi dans la société dans son ensemble. Cela signifie que le mouvement doit favoriser la circulation des idées, ouvrir un lieu de confrontations démocratiques et argumentées, de rencontres de théories et concepts divers dans le mouvement.
Le quatrième principe fondamental est un principe d’autonomie et d’indépendance. Cela signifie que le mouvement ne doit pas devenir une courroie de transmission pour quiconque et pour quelque idée ou idéologie que ce soit. Indépendance signifie que le mouvement peut formuler son programme, ses positions et ses propositions de façon indépendante, sur la base d’un dialogue démocratique dans le mouvement même et dans la société. Mais, en même temps, le mouvement n’est pas totalement autonome et indépendant dans la société ; il est tout à la fois dépendant et lié aux institutions autogestionnaires, mais toujours sur la base de ses principes fondamentaux. L’autonomie ne sera jamais offerte, à chaque fois il faudra la gagner sur des cas tout à fait concrets.
La survie d’un mouvement social actif est l’une des unités de mesure d’une société démocratique et de son système politique, ainsi que de la solidité et de l’inventivité de ce dernier. Tout cela doit être reflété par l’acceptation des initiatives et des propositions d’un mouvement social, de citoyens, de groupes qui en sont les intermédiaires de diverses manières, y compris sous forme de rassemblements, de manifestations ou de pétitions, formes tout à fait normales et constitutionnelles d’exprimer des intérêts et des positions dans notre société.
Extrait de l’article Les Nouveaux mouvements sociaux, publié dans Les Cahiers du pacifisme, Ljubljana, aout 1986. Traduit du slovène pour Iztok.