La Presse Anarchiste

Les problèmes posés par l’évolution actuelle du parti communiste

    Il est hors de doute que l’exis­tence de la Rus­sie sovié­tique, de même que celle des par­tis com­mu­nistes des dif­fé­rents pays posent un nombre de pro­blèmes consi­dé­rables pour les hommes de notre temps. Pour les uns, tout ce qui vient de l’Est est néces­sai­re­ment bon et sans cri­tiques pos­sibles. Pour les autres, tout est néces­sai­re­ment mau­vais. Nous ren­con­trons d’ailleurs nombre de mili­tants anar­chistes qui pra­tiquent d’une manière sim­pliste une oppo­si­tion sys­té­ma­tique à tout ce qui est com­mu­niste. (Il y a quelques mois, nous aurions dit « sta­li­nien ») Il est temps de reprendre le pro­blème sans pas­sion et d’a­na­ly­ser les faits à la lumière de nos thèses anar­chistes révo­lu­tion­naires, c’est-à-dire avant tout par une méthode matérialiste. 

    Il est sou­vent amu­sant d’ob­ser­ver l’at­ti­tude des dif­fé­rents réac­tion­naires en face du fait sovié­tique. Pas un jour­nal bour­geois qui ne parle à lon­gueur de colonne du dan­ger que le bol­che­visme fait cou­rir à la Civi­li­sa­tion occi­den­tale. Pas un jour­nal bour­geois qui n’a déjà pré­sen­té au moins quatre ou cinq thèses contra­dic­toires sur ce régime et son com­por­te­ment. On com­mente les « tour­nants » de la poli­tique russe. On est tan­tôt ras­su­ré, tan­tôt inquiet. On voit telle ou telle menace ou tel ou tel espoir dans une décla­ra­tion ano­dine de Molo­tov à l’O­NU ou ailleurs. On cri­tique sou­vent le régime com­mu­niste pour ne pas avoir à conve­nir que le nôtre porte en lui les mêmes tares. On s’é­mer­veille devant les impres­sions des pas­sa­gers du « Bato­ry » et on parle ensuite des camps de concen­tra­tion. Mieux, après avoir voué Sta­line aux foudres de l’En­fer, de son vivant, les jour­naux bour­geois le consi­dèrent après sa mort comme le plus grand homme de tous les temps et déclarent que sa mort repré­sente une menace pour la paix. D’une façon ou d’une autre, les stra­tèges bour­geois sont inca­pables de pré­sen­ter une cri­tique et une ana­lyse cohé­rente du sys­tème sovié­tique, objet de leurs espoirs et de leurs craintes, tout à la fois. Les chefs com­mu­nistes sont consi­dé­rés comme des cri­mi­nels, mais si l’un d’eux vient à se déta­cher du sys­tème et à « choi­sir la liber­té » il est por­té aux nues et on accorde à ses décla­ra­tions une publi­ci­té consi­dé­rable. Le « Figa­ro » publie les décla­ra­tions du Cam­pe­si­no, on tire le livre de Krav­chen­ko à des mil­liers d’exem­plaires. On dit : « Vous voyez bien que le socia­lisme est impos­sible » et les mêmes d’af­fir­mer un autre jour que le Socia­lisme est inexis­tant en URSS ; sans s’a­per­ce­voir que les décla­ra­tions ce détruisent. Enfin, il faut savoir qu’il existe dans le monde capi­ta­liste occi­den­tal une conspi­ra­tion centre l’U­nion Sovié­tique qui est diri­gée par le Vati­can qui rêve, depuis la fameuse his­toire rocam­bo­lesque de Fati­ma de « conver­tir la Rus­sie ». Si cer­tains mili­tants anar­chistes véhi­culent sans dis­cer­ne­ment les dif­fé­rents boni­ments de la pro­pa­gande « aux ordres », d’autres sont impres­sion­nés par l’a­char­ne­ment des réac­tion­naires contre l’URSS et se défendent de faire ce que l’on appelle clas­si­que­ment l’« anti­com­mu­nisme ». Il suf­fit qu’un nou­veau tour­nant de la poli­tique bol­che­vique ait quelque allure démo­cra­tique pour que le désar­roi soit à son comble. Nous vivons certes dans le monde occi­den­tal et sommes soli­daires du cli­mat. En révo­lu­tion­naires véri­tables, nous devons, cepen­dant, avoir des posi­tions nettes. Pour ce faire, il n’y a pas d’autres solu­tions que de confron­ter le but à atteindre avec les méthodes propres à atteindre ce but. Et ceci, luci­de­ment, sans par­ti pris. 

    Cha­cun d’entre nous côtoie tous les jours, sur son lieu de tra­vail ou par­mi ses rela­tions, des mili­tants du P.C. Il faut bien dire que la plu­part du temps, ces hommes sont deve­nus com­mu­nistes ini­tia­le­ment pour les mêmes rai­sons que nous sommes deve­nus anar­chistes. Ils ne connais­saient alors pas du tout le fonds des doc­trines, pas plus que nous d’ailleurs, et le mili­tan­tisme les for­mant le fos­sé s’est creu­sé entre eux et nous. Devons-nous nous en réjouir ? Nous avons tou­jours été frap­pés par ce qu’é­cri­vait Gas­ton Leval dans « L’in­dis­pen­sable Révo­lu­tion » : « Ce qu’on appelle le Com­mu­nisme russe est une force énorme qui, si elle était vrai­ment ce que tant d’ad­mi­ra­teurs sup­posent, don­ne­rait à ceux dont la vie entière a été et conti­nue d’être un com­bat pour la jus­tice et la liber­té, la convic­tion que l’Hu­ma­ni­té est sur le point d’ar­ri­ver aux buts d’é­man­ci­pa­tion éco­no­mique, poli­tique et sociale qu’ils pour­suivent, pour elle, depuis tou­jours. Et ce n’est pas de gaie­té de coeur que nous, qui avons fait tou­jours le sacri­fice de notre bien-être, de notre liber­té, qui avons ris­qué et ris­que­rons notre vie sans hési­ter pour amé­lio­rer le sort de l’es­pèce à laquelle nous appar­te­nons, sommes obli­gés de décla­rer : La solu­tion bol­che­vique n’est pas une pro­messe d’émancipation. » 

    Il est, bien sûr, élé­men­taire de rap­pe­ler les points com­muns et les diver­gences que nous pou­vons avoir avec les com­mu­nistes. Nous en dirons néan­moins quelques mots pour situer le pro­blème. Les anar­chistes révo­lu­tion­naires sont par­ti­sans du COMMUNISME, ils s’es­timent eux-mêmes com­mu­nistes : c’est un lieu com­mun. La défi­ni­tion « De cha­cun selon ses moyens, à cha­cun selon ses besoins » est une défi­ni­tion qui nous satis­fait entiè­re­ment et nous la retrou­vons dans le Cours Élé­men­taire N°4 de l’É­cole du Par­ti Com­mu­niste. Dire que le Com­mu­nisme crée­ra une éco­no­mie entiè­re­ment sou­mise au besoins du déve­lop­pe­ment humain, dans l’a­bon­dance des biens et la réduc­tion de la part de tra­vail que cha­cun four­nit à la socié­té à ses forces et à ses capa­ci­tés réelle cor­res­pond à l’i­dée que s’en fait l’en­semble des mili­tants révo­lu­tion­naires de toutes ten­dances. Pen­ser que le but le plus pres­sant est de sup­pri­mer l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme est le fait de tout « com­mu­niste » : qu’il soit com­mu­niste anar­chiste ou com­mu­niste bol­che­vique. Où nous situons-nous donc ? Les anar­chistes-com­mu­nistes pensent que seule la Révo­lu­tion c’est-à-dire la des­truc­tion immé­diate du Capi­tal et de l’É­tat peut appor­ter le Com­mu­nisme. Il est évident pour nous que ce stade supé­rieur néces­site une évo­lu­tion même après le fait révo­lu­tion­naire. Mais le com­mu­nisme sera réa­li­sé avec le plus de chance que si nous créons au départ une éga­li­té de consom­ma­tion, c’est à dire une sup­pres­sion de la hié­rar­chie de consom­ma­tion. Notre forme de socié­té est basée sur un pou­voir éco­no­mique consti­tué par l’en­semble des sys­tèmes de ges­tion fédé­rés libre­ment entre eux en dehors de tout mono­pole poli­tique et rédui­sant au mini­mum la cen­tra­li­sa­tion admi­nis­tra­tive. Nous avons der­rière nous la Com­mune de Paris, l’ex­pé­rience de l’U­kraine et celle de l’Es­pagne. Il est ridi­cule de notre part d’al­ler au-delà de ces grandes lignes sans tom­ber dans le simple domaine uto­pique. Disons tout de suite que le fait révo­lu­tion­naire sera (à notre sens) très dif­fé­rent d’un peuple à l’autre et que le fédé­ra­lisme peut seul garan­tir à nos yeux l’o­ri­gi­na­li­té de cha­cun. Il est absurde de prendre argent comp­tant les décla­ra­tions d’un Pierre Ber­nard qui, dans son « Monde Nou­veau », nous donne des détails extra­or­di­nai­re­ment pré­cis sur la socié­té liber­taire future. James Guillaume écri­vait déjà en 1876 dans « Idées sur L’or­ga­ni­sa­tion Sociale » : « Il ne vien­dra à l’es­prit d’au­cun homme sérieux d’in­di­quer à l’a­vance les voies et moyens par les­quels doit s’ac­com­plir la Révo­lu­tion… Une Révo­lu­tion est un fait natu­rel et non l’acte d’une ou de plu­sieurs volon­tés indi­vi­duelles : elle ne s’o­père pas en ver­tu d’un plan pré­con­çu, elle se pro­duit sous l’im­pul­sion incon­trô­lable de néces­si­tés aux­quelles nul ne peut com­man­der. Aus­si, disons après Bakou­nine : « Entre les deux ten­dances (com­mu­nistes auto­ri­taires et com­mu­nistes anti-auto­ri­taires), aucune conci­lia­tion n’est aujourd’­hui pos­sible. Seule la pra­tique de la Révo­lu­tion Sociale, de grandes expé­riences his­to­riques nou­velles, la logique des évè­ne­ments pour­ront les rame­ner tôt ou tard à une solu­tion commune ». 

    Nous avons indi­qué « nos voies et nos moyens ». Le mou­ve­ment anar­chiste inter­na­tio­nal a fait des expé­riences. Une grande expé­rience his­to­rique nou­velle a eu lieu, c’est l’ex­pé­rience bol­che­vique qui s’é­tend sur la moi­tié du globe. Nous pou­vons déjà main­te­nant comp­ter les points et savoir si la fusion dont par­lait Bakou­nine est pos­sible aujourd’­hui. En un mot : au XIXe siècle, mar­xistes et anar­chistes posaient des idées et des méthodes dif­fé­rentes. C’est parce que nous avons des rai­sons pro­fondes, en face de l’a­na­lyse des résul­tats que nous sommes res­tés anar­chistes et que nous ne sommes pas deve­nus bol­che­viks. Les anar­chistes révo­lu­tion­naires croyaient au fait révo­lu­tion­naire natu­rel. Les mar­xistes ont vou­lu s’ap­puyer sur une socié­té inter­mé­diaire au com­mu­nisme, basée sur l’É­tat. Cepen­dant leur concep­tion maté­ria­liste les condui­sait néan­moins à pen­ser aus­si que le fait révo­lu­tion­naire était natu­rel. Cafie­ro dans une lettre à Engels qui est célèbre sen­tait déjà la contra­dic­tion pro­fonde et s’é­ton­nait que son cor­res­pon­dant puisse se dire maté­ria­liste en admet­tant la concep­tion auto­ri­taire. Qu’est-ce que cela a don­né ? Les « études Sovié­tiques » d’oc­tobre 1952 (page 5) nous répondent : « Le Par­ti Com­mu­niste uti­lise le Pou­voir d’É­tat comme un levier ». C’est en fait dans la concep­tion de la « dic­ta­ture du Pro­lé­ta­riat » le pro­lé­ta­riat qui a délé­gué ses pou­voirs à l’É­tat. Concep­tion idéa­liste qui n’est qu’une pure affir­ma­tion gra­tuite. On lit dans le même opus­cule à la page 5 : « La dic­ta­ture du Pro­lé­ta­riat s’exerce grâce aux forces du Par­ti et sous ses direc­tives », à la page 6, on lit : « Les direc­tives et les appels du Par­ti deviennent des direc­tives pour l’ac­tion de masse ». On voit, dans ce cas, que le pro­lé­ta­riat ne joue, en fait, aucun rôle réel dans l’exer­cice de la pré­ten­due dic­ta­ture qui porte son nom. Com­ment dès lors pen­ser que logi­que­ment le pro­lé­ta­riat exer­ce­ra un jour le pou­voir direct dans la socié­té com­mu­niste sans sim­ple­ment pré­ju­ger de la bonne volon­té des gou­ver­nants socia­listes qui sen­ti­raient science infuse le moment « his­to­rique » venu d’a­ban­don­ner leur Pou­voir per­son­nel ? On voit déjà que cette rai­son, à elle seule, peut nous faire conclure que la voie éta­tique ne peut en aucune manière mener au communisme. 

    Mais il serait sim­pliste de croire que les bol­che­viques en sont arri­vés à cette concep­tion du jour au len­de­main. Les sta­tuts de l’In­ter­na­tio­nale Com­mu­niste de 1919 décla­raient : « L’In­ter­na­tio­nale com­mu­niste se donne pour but la lutte armée pour le ren­ver­se­ment de la bour­geoi­sie inter­na­tio­nale et la créa­tion de la répu­blique inter­na­tio­nale des soviets, pre­mière étape dans la voie de la SUPPRESSION COMPLÈTE DE TOUT RÉGIME GOUVERNEMENTAL ». Il exis­tait donc encore à cette époque, mal­gré la recon­nais­sance de la néces­si­té de la Dic­ta­ture du Pro­lé­ta­riat, deux points com­muns fon­da­men­taux entre les anar­chistes-révo­lu­tion­naires et les bol­che­viques, à savoir : la néces­si­té du fait révo­lu­tion­naire et LA SUPPRESSION DE L’ÉTAT posée comme but à atteindre. Que s’est-il pas­sé ? Le cours n°4 de l’É­cole Élé­men­taire du P.C. cité plus haut nous l’ap­prend : « La socié­té com­mu­niste est carac­té­ri­sée par le DÉPÉRISSEMENT DE L’ÉTAT quand n’existe plus à l’ex­té­rieur de grands pays capi­ta­listes ». Tout est là ! C’est l’en­cer­cle­ment capi­ta­liste qui jus­ti­fie le main­tien de l’É­tat en Rus­sie, c’est l’en­cer­cle­ment capi­ta­liste qui jus­ti­fie tout. Cette jus­ti­fi­ca­tion a entraî­né tout le reste puisque Sta­line en venait à la concep­tion du Com­mu­nisme dans un seul pays qui don­nait des décla­ra­tions extra­va­gantes dans le genre de celles-ci : « Il est néces­saire de main­te­nir l’É­tat même dans le Com­mu­nisme, si l’en­cer­cle­ment capi­ta­liste subsiste ». 

    Et nous savons que le main­tien de l’É­tat, c’est le main­tien d’une classe domi­nante. (Marx ne disait-il pas que l’É­tat est l’ex­pres­sion de la classe domi­nante ?). Nous savons qu’en U.R.S.S. le main­tien de l’É­tat c’est le main­tien de l’i­né­ga­li­té de consom­ma­tion. (Fer­nand Gre­nier avouait dans les Études Sovié­tiques d’a­vril 1947 l’exis­tence de 8 caté­go­ries de salaires du manoeu­vra à l’ou­vrier qua­li­fié). Gas­ton Leval écri­vait fort jus­te­ment dans son livre « Le Com­mu­nisme » : « L’É­tat est, on le voit, l’oeuvre d’une classe qui se crée en le créant, qui s’im­pose à sa façon et qui exploite la socié­té à sa façon. Il sera tou­jours une source d’i­né­ga­li­té et il la fera naître là où elle n’existe pas. Ceux qui veulent par­ve­nir à l’é­ga­li­té éco­no­mique, ceux qui veulent atteindre le Com­mu­nisme véri­table doivent renon­cer à l’er­reur funeste d’y par­ve­nir par l’État… » 

    Mais tout ceci pose un pro­blème très grave, même pour nous, anar­chistes. On nous objec­te­ra tou­jours : L’U.R.S.S., le Par­ti Bol­che­vique pou­vait-il faire autre­ment ? En un mot, est-il pos­sible de main­te­nir un régime révo­lu­tion­naire tout seul, sans l’exis­tence d’une Révo­lu­tion mon­diale ? Ima­gi­nons que l’ex­pé­rience com­mu­niste liber­taire d’Es­pagne ait réus­si, que le régime de Fran­co ait été vain­cu. Aurions-nous pu tenir le coup devant l’en­cer­cle­ment capi­ta­liste qui n’au­rait pas man­qué de se pro­duire ? Je ne pré­tends pas répondre à la ques­tion. Nous aurions sans doute trou­vé une solu­tion. Cette solu­tion n’au­rait-elle pas été une entorse à nos prin­cipes ? Tou­jours est-il que la situa­tion de l’U.R.S.S. a pro­vo­qué une dic­ta­ture per­son­nelle san­glante jus­ti­fiée par l’ar­gu­ment de « tenir le bas­tion du Socia­lisme à tout prix ». 

    La posi­tion d’i­so­le­ment de l’U.R.S.S. a ame­né les Par­tis com­mu­nistes de l’Oc­ci­dent à com­po­ser avec l’ad­ver­saire et même à par­ti­ci­per aux gou­ver­ne­ments bour­geois sous pré­texte de tac­tique. Car bien sûr, il ne s’a­gis­sait que de tac­tique au départ. Au temps de Lénine, les bol­che­viques n’en­vi­sa­geaient la pré­sence de dépu­tés ouvriers dans le Par­le­ment bour­geois que dans un but d’a­gi­ta­tion. Sous le règne de Sta­line, ceux-ci par­ti­ci­pèrent. Pou­vaient-ils faire autre­ment ? Quand on a la main dans l’en­gre­nage, tout le corps y passe… 

    C’est à ce point de notre étude qu’il nous faut exa­mi­ner la théo­rie de l’autre ten­dance mar­xiste appe­lée « sociale-démo­cra­tie ». Les sociaux-démo­crates pensent que l’on peut arri­ver au Socia­lisme en uti­li­sant les ins­ti­tu­tions bour­geoises, en y par­ti­ci­pant et en les réfor­mant petit à petit. Ils nient donc le fait révo­lu­tion­naire. Ils pré­tendent que les révo­lu­tion­naires ne sont pas réa­listes et nient en fait la loi de l’é­vo­lu­tion natu­relle qu’ils sont cen­sés, eux, réfor­mistes, ne pas trans­gres­ser. James Guillaume, dans son livre « Idées sur l’or­ga­ni­sa­tion sociale » démon­trait déjà leur erreur : 

    « La socié­té moderne subit une évo­lu­tion lente : des idées nou­velles s’in­filtrent dans la masse, des besoins nou­veaux réclament satis­fac­tion, de nou­veaux et puis­sants moyens d’ac­tion sont mis tous les jours à la dis­po­si­tion de l’Hu­ma­ni­té. Cette trans­for­ma­tion s’ac­com­plit peu à peu. C’est une évo­lu­tion insen­sible, gra­duelle, tout à fait conforme à la théo­rie scien­ti­fique. Mais, chose dont ceux à qui nous répon­dons ici, ne tiennent pas compte, l’é­vo­lu­tion en ques­tion n’est pas libre. Elle ren­contre une oppo­si­tion sou­vent violente… » 

    En fait, les sociaux-démo­crates nient l’exis­tence de ce qu’il a été conve­nu d’ap­pe­ler la Réac­tion : c’est-à-dire les forces de résis­tance du Capi­ta­lisme. Cela les conduit à faire le jeu du régime qui se ren­force grâce aux réformes. 

    Jean GRAVE écri­vait en 1910 dans son livre « Réformes et Révo­lu­tions » : « Le Par­ti Socia­liste Révo­lu­tion­naire lors­qu’il débu­ta, après la Com­mune, se lan­ça dans la lutte élec­to­rale sous pré­texte de pro­pa­gande à faire ; se croyant sau­ve­gar­dé par les consi­dé­rants révo­lu­tion­naires de son pro­gramme, où il était dit que la lutte élec­to­rale n’é­tait qu’un moyen d’a­gi­ta­tion, la Révo­lu­tion res­tant le seul moyen d’é­man­ci­pa­tion du pro­lé­ta­riat. On sait ce qu’il en est adve­nu. Pris par la lutte élec­to­rale, les consi­dé­rants révo­lu­tion­naires se sont éga­rés en cours de route, il n’est res­té de révo­lu­tion­naire que l’é­ti­quette. La conquête du Pou­voir poli­tique est deve­nu le vrai cre­do et l’on fait espé­rer aux tra­vailleurs leur affran­chis­se­ment par des lois pro­tec­trices, et les élus socia­listes col­la­borent aux mesures de répres­sion que les minis­tères bour­geois (dont ils font par­tie) prennent contre leurs élec­teurs lors­qu’ils s’a­vi­sant de mon­trer l’énergie que, pour faire leur for­tune poli­tique, leur conseillèrent, autre­fois ceux qu’ils ont eu la naï­ve­té s’en­voyer prendre place au milieu de leurs pires enne­mis, les fai­seurs de lois. » On voit, par cette cita­tion que les socia­listes réfor­mistes eux-mêmes étaient, eux aus­si, comme les com­mu­nistes par­tis d’une défi­ni­tion d’un but révo­lu­tion­naire. Lénine avait repris, après eux, la même idée. Nous avons assis­té, sous Sta­line, aux mêmes résultats… 

    Mais Sta­line est mort… Il y a, paraît-il, quelque chose de chan­gé. Le XXe Congrès du Par­ti Com­mu­niste de l’U.R.S.S. vient d’a­voir lieu et ses conclu­sions sont toutes basées sur le fameux rap­port Kroucht­chev qui a défi­ni la soi-disant nou­velle poli­tique, jetant une fois de plus le désar­roi dans la presse bour­geoise et… par­mi les par­tis com­mu­nistes occi­den­taux eux-mêmes. Ce qui se passe aujourd’­hui infirme-t-il notre thèse ? Nous allons exa­mi­ner, pour ce faire, le fameux rap­port et ce qui en découle. 

    Toute la pre­mière par­tie du rap­port est consa­crée à une apo­lo­gie de l’in­dus­tria­li­sa­tion de l’U.R.S.S., des bien­faits de la pla­ni­fi­ca­tion. Sans nous arrê­ter sur les sta­tis­tiques pré­sen­tées par Kroucht­chev, disons que cette indus­tria­li­sa­tion qui s’ex­plique par le besoin de rat­tra­per le retard de l’é­co­no­mie d’un pays arrié­ré n’a rien de « socia­liste » par elle-même. Nous ima­gi­nons que le Japon au début du siècle aurait pu rai­son­ner de la même façon. Kroucht­chev voit, en face des réus­sites de la pro­duc­tion russe une accen­tua­tion des dif­fi­cul­tés des pays capi­ta­listes. Il pose ensuite le prin­cipe de la coexis­tence paci­fique. Voi­là qui n’est guère nou­veau et nous confirme sim­ple­ment qu’il n’y a, à aucun moment, renon­ce­ment à la théo­rie sta­li­nienne du « com­mu­nisme dans un seul pays » dont nous par­lions plus haut. « Le prin­cipe de la coexis­tence paci­fique des états aux régimes sociaux dif­fé­rents a été et demeure la ligne géné­rale de la poli­tique exté­rieure de notre pays » déclare Krouchtchev. 

    Cette ques­tion de la « coexis­tence paci­fique » a déjà fait cou­ler beau­coup d’encre. Kroucht­chev déclare : « Ce n’est pas une manoeuvre tac­tique mais un prin­cipe fon­da­men­tal de la poli­tique sovié­tique ». Remar­quons d’a­bord que nous avons ces­sé depuis bien long­temps d’être impres­sion­nés par les soi-disant prin­cipes fon­da­men­taux de la poli­tique « sovié­tique ». Quelles rai­sons y a‑t-il de la coexis­tence ? Kroucht­chev nous répond lui-même : « Man­que­rions-nous de débou­chés pour nos mar­chan­dises ? Non, nous avons tout cela ». On trouve un com­plé­ment à ce point de vue dans la péro­rai­son du rap­port (p. 101) : « Nous sommes réso­lu­ment pour la coexis­tence paci­fique, pour l’é­mu­la­tion éco­no­mique entre le socia­lisme et le capi­ta­lisme. » On se demande ce que signi­fie en fin de compte ce terme d’« ému­la­tion ». En fait, la Rus­sie ne manque pas de débou­chés et elle va, en même temps entrer en concur­rence sur le mar­ché avec les pays capi­ta­listes. Gageons que ce moment étant arri­vé, il ne sera plus ques­tion de coexis­tence paci­fique. On a vu, dans l’im­mé­diat, les réa­li­sa­tions de cette « coexis­tence » avec, par exemple, les orga­ni­sa­tions de confé­rences éco­no­miques à Mos­cou qui avaient pour but de faire des sou­rires aux capi­ta­listes de l’Eu­rope occi­den­tale et à ren­for­cer leurs posi­tions par rap­port aux capi­ta­listes américains. 

    Il s’a­git donc bien, en fait, d’une simple poli­tique économique. 

    Quel inté­rêt ont donc les diri­geants sovié­tiques à défendre les capi­ta­listes occi­den­taux, en dehors du fait com­mer­cial ? Il est pos­sible que, sachant que le pou­voir poli­tique, dont ils sont les pri­vi­lé­giés, ne pour­rait pas sub­sis­ter en cas de crise du Capi­ta­lisme mon­dial et en cas de Révo­lu­tion mon­diale, ils veulent pro­lon­ger le bail sous le faux pré­texte de défendre la Paix. Car enfin, peut-il y avoir la paix, dans l’exis­tence de ce régime qui, comme le disait Jau­rès « porte en lui la guerre comme la nuée porte l’o­rage ? ». Kroucht­chev déve­loppe d’ailleurs une curieuse argu­men­ta­tion : D’une part, l’U.R.S.S. veut la Paix et, d’autre part, il faut trai­ter avec ces diri­geants « agres­sifs ». Ceux-ci sans doute d’un seul coup seront trans­for­més en anges de la Paix. Car, c’est bien sur les diri­geants capi­ta­listes que compte Kroucht­chev, pour réa­li­ser sa paix. Cette théo­rie est per­ni­cieuse à plus d’un titre et pour­rait jus­ti­fier notre hypo­thèse quant à la conser­va­tion des pri­vi­lèges du dit Kroucht­chev. En fait, elle a contri­bué à répandre dans la classe ouvrière l’i­dée qu’il n’y a qu’à deman­der aux diri­geants des nations de trai­ter. C’est en même temps conclure à leur uti­li­té. Car, bien sûr, que devien­drions-nous (sic) si nous n’a­vions pas Eisen­ho­wer et Kroucht­chev pour s’en­tendre. Ceci rap­pelle les incons­cients qui disent : « S’il n’y avait pas de patron, qui paie­rait les ouvriers ? ». Paul Ras­si­nier déclare fort jus­te­ment dans son « Dis­cours de la Der­nière Chance » : « Ce fut un enfan­tillage de lais­ser s’ac­cré­di­ter cette légende selon laquelle il y aurait, d’un coté des capi­ta­listes et de l’autre des hommes en train de pla­cer un sixième du globe sur les voies qui conduisent au com­mu­nisme. Le Capi­ta­lisme et UN et sous des formes variées ou sim­ple­ment nuan­cées, il étend sa domi­na­tion sur toute la sur­face du globe. Il est seule­ment com­par­ti­men­té, poli­ti­que­ment, et ceci est à l’o­ri­gine des anta­go­nismes éco­no­miques entre ses divers com­par­ti­ments. » Il est curieux d’exa­mi­ner les ali­bis idéo­lo­giques employés par Kroucht­chev pour jus­ti­fier la « coexis­tence ». « Jus­qu’i­ci les enne­mis de la Paix s’ef­forcent de faire croire que l’U­nion Sovié­tique aurait l’in­ten­tion de ren­ver­ser le Capi­ta­lisme dans les autres pays en « expor­tant » la Révo­lu­tion. Il va de soi que, par­mi nous, com­mu­nistes, il n’y a pas d’a­deptes du Capi­ta­lisme. Mais cela ne veut point dire que nous nous sommes ingé­rés et que nous nous apprê­tons à nous ingé­rer dans les affaires inté­rieures des pays ou règne l’ordre capi­ta­liste ». Remar­quons, en pas­sant, que cette poli­tique est paraît-il léniniste…Pourtant, elle contre­dit la Décla­ra­tion de l’In­ter­na­tio­nale Com­mu­niste de 1919 que nous citons plus haut. Le mal­heur de l’his­toire est que les par­tis com­mu­nistes des autres pays sont bien sou­mis étroi­te­ment à la poli­tique de l’U.R.S.S. (nous venons de le voir à pro­pos du… renie­ment de l’an­cienne poli­tique sta­li­nienne), et que celle-ci aban­don­nant l’i­dée de détruire le Capi­ta­lisme, les sui­veurs n’y pensent plus non plus ! Mais Khroucht­chev ajoute cette phrase qui est très impor­tante : « Il est ridi­cule de pen­ser que les Révo­lu­tions se font sur com­mande. » Voi­là qui est nou­veau ! Ce n’est donc plus, d’a­près Khroucht­chev, le Par­ti Com­mu­niste qui dirige la masse et la conduit vers la Révo­lu­tion. La Révo­lu­tion est un fait natu­rel. Nous sommes bien loin des décla­ra­tions gran­di­lo­quentes sur la direc­tion des masses ! C’est l’as­pect le plus curieux de la phra­séo­lo­gie des diri­geants sovié­tiques que de se ser­vir d’ar­gu­ments révo­lu­tion­naires et maté­ria­listes pour jus­ti­fier leur poli­tique éta­tique du moment. Car, enfin, si les « révo­lu­tions ne se font pas sur com­mande », il fau­drait peut-être remettre on ques­tion le fonc­tion­ne­ment com­plet et les prin­cipes de la concep­tion auto­ri­taire de l’« avant garde ». Cette pre­mière remise en ques­tion en entraîne une autre, celle de la concep­tion éta­tique. Nous voi­ci reve­nus au temps de la polé­mique Cafiero-Engels ! 

    Mais Kroucht­chev ne tire pas (quant à lui) les mêmes conclu­sions que nous. Nous l’al­lons voir. 

    Il cite d’a­bord Lénine : « Toutes les nations vien­dront au Socia­lisme, cela est inévi­table ; mais elles y vien­dront d’une façon non pas abso­lu­ment iden­tique : cha­cune appor­te­ra ce qu’elle a d’o­ri­gi­nal dans telle ou telle forme de démo­cra­tie, telle ou telle varié­té de dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat, dans tel ou tel rythme de trans­for­ma­tion socia­liste des dif­fé­rents aspects de la vie sociale. Il n’est rien de plus pauvre au point de vue théo­rique et de plus ridi­cule du point de vue pra­tique, que de voir, sous ce rap­port « au nom du maté­ria­lisme his­to­rique » l’a­ve­nir sous une cou­leur uni­for­mé­ment grise : ce serait un bar­bouillage, rien de plus ». Nous avons don­né le point de vue anar­chiste-révo­lu­tion­naire sur cette ques­tion en citant James Guillaume. On voit que notre point de vue dif­fère peu de celui de Lénine en cette matière. Cepen­dant, qu’on nous per­mette de dire que les bol­che­viques n’ont jamais été capable vala­ble­ment de réa­li­ser ces ori­gi­na­li­tés de chaque peuple ou de chaque groupe social. Leur sys­tème du cen­tra­lisme démo­cra­tique s’y oppose seul, le fédé­ra­lisme peut res­pec­ter l’o­ri­gi­na­li­té de chaque peuple ou de chaque groupe social. Il n’est pas suf­fi­sant d’af­fir­mer, il faut énon­cer les pos­si­bi­li­tés de réa­li­sa­tion. L’exemple des démo­cra­ties popu­laires citées par Kroucht­chev à l’ap­pui de la thèse de Lénine n’est pas très convain­quant. Le régime de ces pays a été, ou bien impo­sé par les armes ou ben par un noyau­tage poli­tique : nous sommes loin du fait révo­lu­tion­naire natu­rel. Il est signi­fi­ca­tif que l’ar­gu­ment mas­sue de Kroucht­chev est consti­tué par l’exemple you­go­slave, alors que les réa­li­sa­tions de Tito ont été faites en dépit et contre le Kominform ! 

    Mais conti­nuons notre cita­tion de Kroucht­chev : « Le Léni­nisme nous enseigne que les classes domi­nantes ne cèdent pas le pou­voir de leur plein gré. Mais une acui­té plus ou moins de la lutte, l’emploi ou le non-emploi de la vio­lence pour pas­ser au socia­lisme dépendent moins du pro­lé­ta­riat que de la résis­tance oppo­sée par les exploi­teurs, que de l’emploi de la vio­lence par la classe exploi­tée elle-même. Dans cet ordre d’i­dées, la ques­tion se pose de la pos­si­bi­li­té d’u­ti­li­ser aus­si la voie par­le­men­taire pour pas­ser au socia­lisme. Cette voie était exclu pour les bol­che­viks russes qui ont les pre­miers réa­li­sé le pas­sage au socia­lisme… Mais, depuis lors, des chan­ge­ments radi­caux sont sur­ve­nus dans la situa­tion his­to­rique et ils per­mettent d’a­bor­der la ques­tion d’une manière nou­velle ». Et plus loin : « La conquête d’une solide majo­ri­té par­le­men­taire s’ap­puyant sur le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire de masse du pro­lé­ta­riat et des tra­vailleurs crée­rait pour la classe ouvrière des dif­fé­rents pays capi­ta­listes et d’an­ciens pays colo­niaux des condi­tions assu­rant des trans­for­ma­tions sociales radi­cales ». Avant d’exa­mi­ner le fond de la ques­tion, nous ferons une pre­mière remarque ; Kroucht­chev qui pré­tend (pour la pro­pa­gande) reve­nir au Léni­nisme déclare en toutes lettres que « des chan­ge­ments radi­caux sont sur­ve­nus dans la situa­tion ». Comme nous l’a­vons remon­tré plus haut, ce n’est pas d’au­jourd’­hui que les par­tis com­mu­nistes ont eu recours à la méthode par­le­men­taire. Il fau­drait deman­der à Kroucht­chev, à quel moment sont inter­ve­nus ces « chan­ge­ments radi­caux » ! Le plus curieux de l’af­faire, c’est que Kroucht­chev, pla­giant à l’en­vers, son pré­dé­ces­seur, feint de pré­sen­ter cette poli­tique comme nou­velle par rap­port à la concep­tion des pre­miers bol­che­viks : tout cela, comme si Sta­line n’a­vait jamais exis­té. Une pre­mière conclu­sion s’im­pose : Il n’y a rien dans les idées doc­tri­nales de Kroucht­chev qui se dif­fé­ren­cient fon­da­men­ta­le­ment du Sta­li­nisme. Cet oubli de l’existence de Sta­line montre que les pro­cé­dés sont les mêmes en ce qui concerne les arran­ge­ments avec l’his­toire. Il nous semble pour­tant que la méthode sta­li­nienne de par­ti­ci­pa­tion au par­le­men­ta­risme rele­vait d’un ensemble de posi­tions tac­tiques sans rap­port avec la doc­trine qu’au fond, on cher­che­rait vai­ne­ment chez Sta­line. Chez Kroucht­chev, au contraire, on sent le sou­ci d’é­non­cer un prin­cipe idéo­lo­gique. Il y aurait en quelque sorte une codi­fi­ca­tion de la par­ti­ci­pa­tion par­le­men­taire des par­tis ouvriers. Et c’est ici que nous dis­cu­ter. Depuis long­temps, l’a­na­lyse anar­chiste révo­lu­tion­naire voyait les P.C. s’en­ga­ger dans la voie réfor­miste. Kroucht­chev ne fait que confir­mer d’une manière écla­tante la jus­tesse de leurs pré­vi­sions. Que vaut le prin­cipe de la par­ti­ci­pa­tion au régime par­le­men­taire ? Y a‑t-il vrai­ment des faits nou­veaux pou­vant don­ner rai­son à Krouchtchev ? 

    Fixons notre posi­tion sur ce pro­blème. Le mou­ve­ment anar­chiste révo­lu­tion­naire se pro­nonce et s’est pro­non­cé au cours de son his­toire contre la par­ti­ci­pa­tion au régime par­le­men­taire et aux élec­tions. Cette atti­tude n’é­tait nul­le­ment consi­dé­rée par nos aînés comme une posi­tion tac­tique. Elle cor­res­pon­dait, en réa­li­té, à une posi­tion très pré­cise sur le plan idéo­lo­gique. La pre­mière orga­ni­sa­tion spé­ci­fique anar­chiste, l’Al­liance fon­dée par Bakou­nine, consi­dé­rait que son action ne devait avoir lieu qu’au sein de la Pre­mière Inter­na­tio­nale, c’est-à-dire du mou­ve­ment de masse de l’é­poque. Dans cet état d’es­prit, les mili­tants les plus conscients de la classe ouvrière ne devaient se sépa­rer à aucun moment du mou­ve­ment syn­di­cal avec qui ils fai­saient corps. Ce qui les sépa­rait de la concep­tion mar­xiste, c’é­tait pré­ci­sé­ment la néga­tion de la valeur de l’ac­tion poli­tique, c’est-à-dire de la conquête de l’É­tat (nous en avons abon­dam­ment par­lé déjà). Le congrès d’Al­ger de 1902 de la Fédé­ra­tion des Bourses du Tra­vail déclare : « La C.G.T. groupe tous les tra­vailleurs conscients de la lutte à mener pour la dis­pa­ri­tion du sala­riat et du patro­nat, et l’é­la­bo­ra­tion sur le ter­rain éco­no­mique de la socié­té com­mu­niste. » Il s’a­gis­sait donc bien dans l’es­prit de l’é­poque d’une conquête sur le seul ter­rain éco­no­mique. Nous avons tout lieu de pen­ser que cette posi­tion était fon­da­men­tale. Par la suite, d’autres cou­rants de l’a­nar­chisme ont ajou­té des rai­sons sur le plan éthique que nous ne renions pas d’ailleurs. Mais pour nous, anar­chistes révo­lu­tion­naires, la notion de non-par­ti­ci­pa­tion de la classe ouvrière au par­le­men­ta­risme est lié à notre notion de la lutte de classe. Nous avons cité Jean Grave et son livre de « Réforme et Révo­lu­tion ». Son argu­men­ta­tion peut se résu­mer de la façon sui­vante : Aucune réforme en faveur de la classe ouvrière n’est appli­quée si l’ac­tion ne l’im­pose. L’i­dée du vote contri­bue à faire croire au peuple qu’il est sou­ve­rain et qu’il peut influen­cer les évè­ne­ments par un simple bul­le­tin de vote dépo­sé dans l’urne, ce qui retarde sa prise de conscience. Les lois éla­bo­rées par les élus étant appli­quées dans un régime de classe ne peuvent fata­le­ment pas être édic­tées en faveur de tous et expriment for­cé­ment en pre­mier lieu les inté­rêts de la classe domi­nante. La par­ti­ci­pa­tion au par­le­men­ta­risme contri­bue à faire croire à la classe ouvrière que la solu­tion se trouve dans un chan­ge­ment de gou­ver­ne­ment ou de poli­tique alors que la conti­nui­té du régime éco­no­mique capi­ta­liste main­tient l’op­pres­sion et l’ex­ploi­ta­tion. Ceux qui veulent détruire l’au­to­ri­té ne doivent pas l’exer­cer. Mais si nous affir­mons et esti­mons que le point de vue anar­chiste repo­sait sur des bases sérieuses, nous pour­rions, en révo­lu­tion­naires conscients, exa­mi­ner si le point de vue de Kroucht­chev peut infir­mer nos thèses. Notre mou­ve­ment, lui-même, a déjà fait, dans une cer­taine mesure, un com­men­ce­ment d’ex­pé­rience dans ce sens, lorsque la C.N.T. d’Es­pagne deman­da, en 19365, aux tra­vailleurs de voter pour conju­rer le dan­ger fas­ciste. Non seule­ment le dan­ger ne fut pas conju­ré, mais les fas­cistes employèrent l’ac­tion directe pour leur avè­ne­ment. Lorsque nos cama­rades conti­nuèrent leur par­ti­ci­pa­tion au régime bour­geois en envoyant des ministres au sein du gou­ver­ne­ment répu­bli­cain espa­gnol, leur pré­sence ser­vit de cau­tion à l’é­tran­gle­ment de la Révo­lu­tion (Voir « Lettre ouverte à Fédé­ri­ca Mont­se­ny » par Camil­lo Ber­ne­ri dans « Guerre de Classes »). Que fai­saient pen­dant ce temps, les amis de Mon­sieur Kroucht­chev en Espagne ? Ils pra­ti­quaient déjà la par­ti­ci­pa­tion au régime par­le­men­taire bour­geois ! Alors que le peuple espa­gnol fai­sait sa Révo­lu­tion, les élé­ments bour­geois qui avaient peur de perdre leurs pri­vi­lèges furent favo­ri­sés par cette poli­tique des com­mu­nistes qui ne fai­saient d’ailleurs que se cal­quer sur les socia­listes. Mais lais­sons la parole à Camil­lo BERNERI : « Lorsque le Par­ti Com­mu­niste Espa­gnol publiait en août 1936 un mani­feste signé par Jesus Her­nan­dez décla­rant lut­ter uni­que­ment pour une Répu­blique Démo­cra­tique, lorsque le même par­ti confir­mait la même ligne de conduite le 15 décembre de la même année, ce n’est pas tant la plou­to­cra­tie exté­rieure et les gou­ver­ne­ments démo­cra­tiques que cette orga­ni­sa­tion vou­lait ras­su­rer, mais bien les mil­liers de pseu­do-néo­phytes qui se sont insé­rés dans ses cadres et dans ceux de l’U.G.T. » ― On sait la suite : étran­gle­ment de la Révo­lu­tion espa­gnole par les élé­ments petits bour­geois de Madrid et vic­toire de Franco… 

    Qu’ont fait les par­tis com­mu­niste et socia­liste en France depuis des décades ? Leur prin­ci­pale acti­vi­té se pas­sant au Par­le­ment et dans les dif­fé­rentes assem­blées. Ils en sont arri­vés à subor­don­ner l’ac­tion ouvrière à leur action poli­tique ; c’est d’ailleurs ce que dit clai­re­ment Kroucht­chev lors­qu’il parle de « Solide majo­ri­té par­le­men­taire s’ap­puyant sur le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire des masses. » Et nous avons vu les com­mu­nistes par­ti­ci­pant au gou­ver­ne­ment de la « libé­ra­tion » faire taire les reven­di­ca­tions ouvrières. Il fal­lait pro­duire et la grève était deve­nue « l’arme des trusts ». Nous les avons vus dis­soudre les « Milices Patrio­tiques » en échange d’une place pour Tho­rez dans le gou­ver­ne­ment. C’est dans le même ordre de choses qu’un ministre des P.T.T. socia­liste fit taire « Force Ouvrière » en 1947, au nom de l’in­té­rêt poli­tique géné­ral. Des mil­liers d’exemples de ce genre pour­raient être cités ! « Cette voie était exclue pour les bol­che­viks russes… » dit Khroucht­chev. Lénine décla­rait un effet : « Déci­der, une fois un quelques années, quel membre de la classe domi­nante oppri­me­ra, écra­se­ra le peuple au par­le­ment ― voi­là le fond du par­le­men­ta­risme bour­geois ! » (« L’É­tat et la Révo­lu­tion »). Comme nous l’a­vons vu plus haut, Lénine sou­te­nait la thèse de l’a­gi­ta­tion faite par les élus au sein de l’ap­pa­reil bour­geois. Il défen­dait ce point de vue, alors que les socia­listes avaient déjà som­bré dans le Pou­voir. Il s’a­gis­sait en quelque sorte d’une réci­dive. Les com­mu­nistes ont eux aus­si som­bré dans le Pou­voir. Khroucht­chev déclare qu’il y a des faits nou­veaux. Que s’est-il donc pas­sé ? ― Citons encore Jean Grave : « Par quelle aber­ra­tion un socia­liste, dont tous les efforts doivent tendre à la des­truc­tion des ins­ti­tu­tions qu’il recon­naît oppres­sives, peut-il s’i­ma­gi­ner faire ser­vir ces mêmes ins­ti­tu­tions à l’é­man­ci­pa­tion humaine, alors qu’elle n’a pour but que de faire durer l’é­tat de choses en se prê­tant un mutuel appui ? De même qu’à une machine mon­tée pour tis­ser de la toile, tordre des fils, on ne fera pas fabri­quer des cas­se­roles ou impri­mer le moindre pros­pec­tus, même lors­qu’on met­trait pour les conduire des chau­dron­niers ou des impri­meurs, de même on ne pro­dui­ra pas la liber­té de l’au­to­ri­té. La machine gou­ver­ne­men­tale étant mon­tée pour défendre l’ordre et la pro­prié­té, c’est-à-dire impo­ser silence aux récla­ma­tions, empê­cher les reven­di­ca­tions des volés et des oppri­més, on aura beau mettre à sa tête ceux qui auront fait les pro­messes les plus miri­fiques d’af­fran­chis­se­ment, les cri­tiques les plus vio­lentes contre le sys­tème éco­no­mique et l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme, ils ne pour­ront pas faire autre chose que d’a­ban­don­ner leurs récla­ma­tions d’a­ve­nir pour assu­rer la bonne marche du pré­sent. » Car les assem­blées bour­geoises ne sont faites que pour légi­fé­rer. Qu’ont fait les dépu­tés com­mu­nistes au sein des assem­blées bour­geoises ? Ils ont vite com­pris qu’il leur était impos­sible d’être constam­ment dans l’op­po­si­tion. Il se vote, en effet, de loin en loin, des lois, si caduques soient-elles, en faveur de la classe ouvrière. Le Par­ti Com­mu­niste ne peut s’en dés­in­té­res­ser, ne serait-ce que pour hono­rer un peu ses pro­messes élec­to­rales. L’ex­pé­rience nous montre que les lois sociales ne sont appli­quées et pro­fi­tables que lors­qu’elles sont appuyées par l’ac­tion ouvrière. C’est sans doute pour cela que Khroucht­chev prend bien soin de sou­li­gner le sou­tien néces­saire de la masse. Mais il est impos­sible de dire que l’ac­tion ouvrière seule impose l’ap­pli­ca­tion de la loi car cela rend la pré­sence des dépu­tés ouvriers inutile. D’où impos­si­bi­li­té pour un dépu­té com­mu­niste d’être vrai­ment un agi­ta­teur. Kroucht­chev nous dit que les actions des masses ne peuvent se créer arti­fi­ciel­le­ment. Il n’est pas du tout obli­ga­toire que la masse soit à la tem­pé­ra­ture suf­fi­sante pré­ci­sé­ment au moment où se vote une loi. Et les dépu­tés com­mu­nistes sont arri­vés au cas où une loi sociale a été votée sans la par­ti­ci­pa­tion directe de la classe ouvrière. Nous savons aujourd’­hui que les réformes sociales tendent à ren­for­cer le régime capi­ta­liste en le ren­dant plus viable. Et c’est là où, en fin de compte, les dépu­tés com­mu­nistes deviennent de simples réfor­mistes employant les mêmes méthodes que les sociaux-démo­crates avec les mêmes effets. Il est impos­sible de sor­tir de là et comme pour la dégé­né­res­cence de la Révo­lu­tion russe dont nous par­lions au début, nous concluons qu’il leur était impos­sible de faire autre­ment. Il ne fal­lait pas y aller !… 

    Khroucht­chev déclare encore : « Il importe de sou­li­gner avec force que si des condi­tions plus favo­rables à la vic­toire du Socia­lisme ont été créées dans les autres pays, c’est parce que le socia­lisme a triom­phé en Union Sovié­tique et triomphe dans les pays de démo­cra­tie popu­laires. Or, notre vic­toire aurait été impos­sible si Lénine et le par­ti bol­che­vik n’a­vaient pas défen­du le mar­xisme révo­lu­tion­naire dans la lutte contre les réfor­mistes qui avaient rom­pu avec le mar­xisme et s’é­taient enga­gé dans la voie de l’op­por­tu­nisme. » C’est une his­toire de fous : si les com­mu­nistes peuvent employer avec suc­cès des méthodes réfor­mistes c’est parce que Lénine avait dénon­cé le réfor­misme ; com­prenne qui pour­ra ! Mais cette phrase appelle d’autres com­men­taires. Il faut noter que Khroucht­chev a sen­ti le dan­ger d’une com­pa­rai­son pos­sible avec les « sociaux-démo­crates », de la part des mili­tants. Il s’en tire par cette pirouette. En fait si Khroucht­chev estime qu’il y a des condi­tions plus favo­rables de pas­sage au socia­lisme, c’est qu’il s’a­che­mine tout dou­ce­ment vers la théo­rie sociale-démo­crate de néga­tion de la Réac­tion que dénon­çait déjà James Guillaume. Enfin, que vaut cette condam­na­tion de l’op­por­tu­nisme des réfor­mistes ? Obser­vons donc le P.C. Fran­çais, par exemple : il est savou­reux de lire, dans le numé­ro de mars-avril 1956 de « Temps Modernes » cette phrase sublime de J.P. Sartre : « C’est le seul par­ti de France qui ait une poli­tique cohé­rente. » En fait on cher­che­rait vai­ne­ment une ligne idéo­lo­gique dans les dif­fé­rentes posi­tions du P.C. fran­çais entiè­re­ment sou­mis à la poli­tique de l’U.R.S.S. et à ses revi­re­ments : pour la pro­duc­tion en 1945, contre le réar­me­ment de l’Al­le­magne et ensuite pour une armée alle­mande auto­nome ; pour Tito, contre Tito, re pour Tito. Contre les « assas­sins en blouse blanche » ― pour leur réha­bi­li­ta­tion. Contre le réfor­misme de Pierre Her­vé ― pour prendre quelques mois après ses propres posi­tions etc., etc., c’est le modèle de l’op­por­tu­nisme. Oui, Khroucht­chev a rai­son d’af­fir­mer comme dépas­sés la doc­trine d’a­gi­ta­tion de Lénine et des pre­miers bol­che­viks. Voi­là le fait nou­veau ! Mais ce fait nou­veau montre qu’il n’y a, en fait, que deux posi­tions cohé­rentes pos­sibles : la posi­tion réfor­miste de la sociale démo­cra­tie et la posi­tion révo­lu­tion­naire des anar­chistes. Nous avons vu le résul­tat néfaste de la pre­mière ― force nous est de choi­sir la seconde. Le Bol­che­visme n’é­tait au fond qu’un com­pro­mis et pas une véri­table doc­trine. Khroucht­chev a levé l’é­qui­voque. Telle sera notre pre­mière conclusion. 

    C’est pour réa­li­ser la « solide majo­ri­té au Par­le­ment » dont parle Khroucht­chev que les par­tis com­mu­nistes arri­ve­ront de plus en plus à s’in­té­grer aux par­tis socia­listes. Des expé­riences d’« unions » mal­heu­reuses ont ren­du la plu­part des mili­tants socia­listes de tous les pays extrê­me­ment pru­dents dans leurs rap­ports avec les com­mu­nistes. On se rap­pel­le­ra l’ex­pé­rience de noyau­tage effec­tuée par les com­mu­nistes en Tché­co­slo­va­quie. Mais ce rap­pro­che­ment avec les sociaux démo­crates qui était au début pure­ment tac­tique est deve­nu, nous l’a­vons démon­tré, un prin­cipe idéo­lo­gique. Cela pro­fi­te­ra-t-il aux par­tis socia­listes ? Nous ferons pour cela une com­pa­rai­son : lorsque les Romains conquirent la Grèce, ce furent fina­le­ment les Grecs vain­cus qui leur don­nèrent leur forme de civi­li­sa­tion. De même, les socia­listes sou­vent vain­cus et noyau­tés par les com­mu­nistes leur ont fina­le­ment don­né leur doc­trine. Mais il est un aspect de ce pro­ces­sus qui reste très impor­tant pour nous anar­chistes révo­lu­tion­naires. Les par­tis com­mu­nistes essaient d’en­traî­ner la classe ouvrière dans leurs fluc­tua­tions doc­tri­nales par la cam­pagne du « Front Popu­laire ». Un grand nombre de tra­vailleurs qui aspirent à l’u­ni­té ouvrière se laissent abu­ser en confon­dant l’u­ni­té avec des socia­listes et des com­mu­nistes et un front uni de lutte de classe. Nous avons vu que ce phé­no­mène d’u­nion des doc­trines réfor­mistes ne peut avoir aucun rap­port avec les aspi­ra­tions à l’u­ni­té des tra­vailleurs : aucun rap­port ni dans la méthode ni dans les buts. C’est ici que le rôle des anar­chistes révo­lu­tion­naires devient très impor­tant pour mon­trer aux tra­vailleurs les consé­quences néfastes de cette uni­té arti­fi­cielle. Il est à remar­quer dans cet ordre d’i­dée que les dif­fé­rents « sou­ve­nirs » sur le « front popu­laire » publiés par la presse com­mu­niste sont extrê­me­ment dis­crets en ce qui concerne les mou­ve­ments reven­di­ca­tifs de 1936. Si nous étions méchants nous pour­rions même ajou­ter que l’u­ni­té avec les tra­vailleurs socia­listes doit sûre­ment être une chose très curieuse car pour notre part, nous n’a­vons que très rare­ment ren­con­tré des tra­vailleurs socialistes. 

    Nous par­lions au début de cette étude du désar­roi des stra­tèges bour­geois en face du fait sovié­tique. D’a­près ceux-ci il y aurait vrai­ment quelque chose de chan­gé en Rus­sie et tous les jour­na­listes paten­tés se déclarent très impres­sion­nés par la « désta­li­ni­sa­tion ». Nous avons vu que pour les prin­cipes idéo­lo­giques essen­tiels la posi­tion de Kroucht­chev ne se dif­fé­ren­cie pas sen­si­ble­ment de celle de Sta­line : coexis­tence paci­fique ame­nant la col­la­bo­ra­tion avec les ins­ti­tu­tions bour­geoises pour arri­ver en fin de compte aux posi­tions réfor­mistes. Nous avons remar­qué tout à l’heure que le seul chan­ge­ment rési­dait dans le fait que Kroucht­chev recon­naît le mou­ve­ment natu­rel des masses. Force nous est de ne pas nous réjouir puisque Kroucht­chev déclare : « Pour toutes les formes de pas­sage au socia­lisme la direc­tion poli­tique de la classe ouvrière avec son avant-garde à la tête est la condi­tion expresse, la condi­tion déci­sive. Sinon il est impos­sible de pas­ser au « socia­lisme ». Il s’a­git donc encore là d’un simple ali­bi idéo­lo­gique ; dans ces condi­tions, la sup­pres­sion du culte de la per­son­na­li­té est réduite à de plus justes pro­por­tions. Kroucht­chev déclare : « l’en­cou­ra­ge­ment du culte de la per­son­na­li­té amoin­dris­sait le rôle de direc­tion col­lec­tive dans le par­ti et abou­tis­sait par­fois à de sérieuses omis­sions dans notre tra­vail ». Sta­line est mort. Aucun de ses suc­ces­seurs n’a été capable de se rendre pré­pon­dé­rant, on en revient tout natu­rel­le­ment à une direc­tion col­lec­tive. Outre que cette direc­tion col­lec­tive est en fait exer­cée par un petit nombre d’in­di­vi­dus, il faut remar­quer que ce n’est plus un homme tout seul, mais le Par­ti tout entier qui est l’ob­jet du culte. Nous pour­rions sou­rire des expli­ca­tions embar­ras­sées des com­mu­nistes fran­çais au sujet de l’a­ban­don du fameux culte le la per­son­na­li­té. Mau­rice Tho­rez décla­rait devant le comi­té cen­tral du P.C.F. du 9 mai 1956 : « La for­mule du « par­ti de Mau­rice Tho­rez » est une expres­sion condam­nable, et ici je n’exa­mine même pas dans quelles condi­tions elle a pu sur­gir. Je dois dire que j’ai pro­tes­té maintes fois contre cette for­mule auprès du bureau poli­tique et de l’Hu­ma­ni­té. Je regrette que cela n’ait pas été por­té plus vite à la connais­sance du Comi­té Central. » 

    Il est vrai aus­si qu’on a don­né un peu trop d’é­clat à cer­tains anni­ver­saires. On sait où cela com­mence, on ne sait pas où cela finit. N’a-t-on pas vu récem­ment, dans une fédé­ra­tion, fêter le 25e anni­ver­saire du secré­taire fédé­ral ? Le culte de la per­son­na­li­té com­porte aus­si le culte de pas mal de mili­tants à de dif­fé­rents éche­lons ; dans sa région, le secré­taire fédé­ral est par­fois l’homme qui décide de tout, et peut-être avec plus de consé­quences graves pour le Par­ti qu’il n’en résul­te­rait d’une telle situa­tion au Bureau. Poli­tique. Nous pou­vons espé­rer peut-être, sans illu­sions, que ces prises de posi­tions amu­santes et embar­ras­sées pour­ront faire réflé­chir cer­tains mili­tants de base du P.C.F. Mais il serait faux de croire que la démo­cra­tie existe pour cela chez les com­mu­nistes. La condam­na­tion de Sta­line a été aus­si una­nimes que ses louanges. Tout au plus cette sup­pres­sion du culte per­son­nel est-elle des­ti­née à sup­pri­mer les bar­rières et la méfiance entre les com­mu­nistes et les socia­listes. Le fait que Kroucht­chev conti­nue néan­moins à stig­ma­ti­ser les trots­kystes prouve que son ouver­ture ne va pas vers la droite. 

    Les der­niers évè­ne­ments prou­ve­ront aux anar­chistes révo­lu­tion­naires qu’il est tou­jours vain de s’at­ta­cher à une attaque d’é­ti­quette poli­tique et que le pro­blème idéo­lo­gique reste celui de notre temps celui de la classe ouvrière. Tous nos coups se sont por­tés pen­dant des années contre les com­mu­nistes seuls et nous avons négli­gé sou­vent d’a­voir la même sévé­ri­té pour les socia­listes, dont les aspects nous appa­raissent plus débon­naires. En fait, main­te­nant comme tou­jours il y a d’un côté la Révo­lu­tion, et de l’autre, la contre-révo­lu­tion ou ce qui la favo­rise. Tout le reste n’est que lit­té­ra­ture. Dans cette pers­pec­tive de pen­sée, nous disons que nous com­bat­tons et com­bat­trons le Réfor­misme, quel que soit sa forme et le Par­ti dont il se couvre. Nous tien­drons compte néan­moins de l’exis­tence de mili­tants ouvriers éga­rés, qui rejoin­dront un jour le camp de la Révo­lu­tion, ou qui s’y trouvent déjà, sans le savoir ! 

Groupe Gér­mi­nal



    Nous regret­tons de ne pas avoir pu, pour des rai­sons tech­niques publier dans ce numé­ro l’o­pi­nion du GROUPE de PARIS sur la ques­tion de l’é­vo­lu­tion du Régime Sovié­tique et de sa réper­cus­sion sur les Par­tis com­mu­nistes. Nous ne man­que­rons pas de le faire dans notre pro­chain numé­ro, car il sera inté­res­sant de faire la confron­ta­tion, l’op­tique des cama­rades de Paris étant quelque peu différente.
La Presse Anarchiste