La Presse Anarchiste

Les prolétaires n’ont pas de patrie

Dans notre der­nier (et pre­mier) numé­ro, nous avons publié deux textes du mou­ve­ment syn­di­ca­liste liber­taire sué­dois, la S.A.C. (Sve­riges Arbe­tares Cen­tra­lor­ga­ni­sa­tion) concer­nant : 1) le pro­blème de la natio­na­li­sa­tion d’une entre­prise, 2) la posi­tion de nos cama­rades face à la guerre.

Si nous reve­nons sur le pre­mier de ces pro­blèmes dans notre no2, le cas de la S.A.C. face à un conflit inter­na­tio­nal nous semble éga­le­ment jus­ti­fier la paru­tion d’une étude plus appro­fon­die sur un sujet dont l’ac­tua­li­té peut deve­nir brû­lante d’un ins­tant à l’autre, et ce, mal­gré les toasts ami­caux d’un Khroucht­chev ou le bon sou­rire d’un Eisenhower…

Il va sans dire que le point de vue des cama­rades de Suède a sus­ci­té maintes réac­tions et dis­cus­sions dans les milieux liber­taires. En deux mots, rap­pe­lons celui-ci :

  1. La S.A.C. a tou­jours lut­té pour la cause de la paix. En cas de guerre ou de menace de guerre entre deux pays démo­cra­tiques, la S.A.C. se bat­tra pour exi­ger des négo­cia­tions. Si échec de celles-ci, la S.A.C. recom­mande l’ac­tion directe des masses des pays anta­go­nistes contre leurs propres gouvernements.
  2. Au cas d’un conflit entre une démo­cra­tie et une dic­ta­ture (fas­cisme, bol­che­visme, etc.) la S.A.C. se range aux côtés de la démo­cra­tie, sans tou­te­fois opter pour une notion de « Patrie » quel­conque. La S.A.C. Choi­sit sim­ple­ment la démo­cra­tie comme un moindre mal.

Nous ne pen­sons pas avoir défor­mé la pen­sée des cama­rades en rap­pe­lant aus­si suc­cinc­te­ment leur posi­tion. En affir­mant ici la nôtre nous ne pen­sons pas plus tran­cher défi­ni­ti­ve­ment la ques­tion car s’il est rela­ti­ve­ment facile d’ex­pri­mer des prin­cipes géné­raux, com­bien d’entre nous peuvent dire avec cer­ti­tude ce qu’ils feront au moment du suprême choix ? N’im­porte, le mérite des cama­rades de S.A.C. sera d’a­voir ouvert un dia­logue en pré­ci­sant très net­te­ment une posi­tion avec laquelle les liber­taires de nom­breux pays risquent d’être en désaccord.

C’est le cas des G.A.A.R., par exemple, et nous expri­mions déjà notre oppo­si­tion au texte de S.A.C. en écri­vant dernièrement :

« Le texte tend à pré­pa­rer « L’U­nion Sacréé avant même le déclen­che­ment d’un conflit. Récem­ment une dépêche d’a­gence annon­çait que selon un son­dage d’o­pi­nion effec­tué en Suède, envi­ron 80 % de la popu­la­tion était prêt à défendre le pays en cas d’at­taque. Il est donc pour le moins éton­nant pour nous de voir le syn­di­ca­lisme liber­taire ne pas se ran­ger par­mi les 20 % qui, par consé­quent, « ne marchent pas ».

En effet, com­ment ne pas se sen­tir éton­nés, pour ne pas dire plus, du choix de liber­taires en faveur de la « démo­cra­tie » en fait du capi­ta­lisme. Oui, bien sur, nous enten­dons bien que la S.A.C. fait abs­trac­tion de toute idée de « patrie », de toute idée de défense d’un ter­ri­toire déter­mi­né prend sans « hési­ter le par­ti de la démo­cra­tie contre la dic­ta­ture » mais le résul­tat est là et toutes les pré­ci­sions et jus­ti­fi­ca­tions ras­su­rantes pour notre concept inter­na­tio­na­liste n’y chan­ge­ront rien. Et d’a­bord, qu’en­tendent nos cama­rades par « démo­cra­tie » ? Le droit de se réunir dans une arrière-salle de café pour dis­cu­ter poli­tique alors que la réci­proque est inter­dite dans les pays dits du Rideau de Fer ? Que le droit de réunion, de parole, de publi­ca­tion soit plus grand dans nos « démo­cra­tie », d’ac­cord, nous serions stu­pides de le nier (encore que ces droits élé­men­taires en démo­cra­tiques s’a­me­nuisent de jour en jour, voir la situa­tion en France par exemple) mais c’est là que com­mence pré­ci­sé­ment la méprise. Oui, pour un cer­tain nombre de cama­rades liber­taires, consta­ter cette dif­fé­rence entre les régimes capi­ta­listes et bureau­cra­tiques équi­vaut à « choi­sir » le moindre mal. Toute une par­tie de notre optique se trouve faus­sée par un dilemme erro­né, par une for­mu­la­tion archi-boi­teuse : « Choi­si­rai-je la peste ou le cho­lé­ra ? » alors qu’il-serait peut-être plus logique d’es­sayer de ne pas être malade.

Il y a quelques années, un cer­tain nombre d’entre nous contri­buèrent au lan­ce­ment d’une cam­pagne en faveur du 3e front. Qu’en­ten­dions-nous par là ? Sim­ple­ment qu’il était temps d’es­sayer de démys­ti­fier les tra­vailleurs et qu’à la notion d’un choix-sui­cide iné­luc­table entre les blocs russes et amé­ri­cains, exis­tait un 3e front de com­bat com­mun, celui des exploi­tés. Sans doute, notre for­mule n’é­tait-elle pas par­faite car elle fut maintes fois diver­se­ment inter­pré­tée. Tou­te­fois, les G.A.A.R. n’en ont pas aban­don­né l’es­prit s’ils en sont légè­re­ment chan­gé la forme. Ils Constatent en effet le par­tage du monde en 2 blocs anta­go­nistes, l’im­pos­si­bi­li­té pour des révo­lu­tion­naires de s’in­féo­der à l’un ou l’autre de ces blocs, ni de les sou­te­nir. Le seul ter­rain de lutte est celui des classes, laquelle est menée sur le front inter­na­tio­nal et pro­lé­ta­rien, (extrait d’une réso­lu­tion sur la guerre adop­tée au pre­mier congrès des G.A.A.R.).

Certes, on nous répon­dra qu’il s’a­git de quelques mots et que la réa­li­té est plus simple. En effet, il est très simple de prendre le fusil en cas de guerre pour défendre la démo­cra­tie contre la dic­ta­ture. Il est par contre bien plus com­pli­qué d’es­sayer de ne pas se conduire en valets des ÉTATS où nous vivons, que quels qu’ils soient (puis­qu’il n’existe pas encore de pays en régime liber­taire, à ce que nous sachions) et cette deuxième atti­tude est évi­dem­ment en rela­tion direct. avec les « grands mots » cites plus haut.

Nous nous méfions des « Unions sacrées » et la défense d’un régime du moindre mal fit som­brer maints révo­lu­tion­naires dans un mili­ta­risme aux étranges sous-jacences, y com­pris Kro­pot­kine et Jean Grave au début de le « Grande Guerre » (sic) et en 1939 le dan­ger hit­lé­rien pou­vait éga­le­ment être une jus­ti­fi­ca­tion à prendre les armes et la livrée kaki pour défendre la « démo­cra­tie ». On nous per­met­tra de dire qu’en­vi­sa­ger le pro­blème sous cet angle est bien pri­maire pour des liber­taires car avant les effets, il faut voir les causes et nous ne croyons pas que les cama­rades qui par­tirent en 1936 en Espagne pour se battre dans la colonne Durut­ti furent moins anti­fas­cistes que les troupes gou­ver­ne­men­tales se bat­tant pour une répu­blique « démo­cra­tique ». Si les cama­rades de S.A.C envi­sagent, l’an­ti­fas­cisme en Espagne selon cette optique, nous sommes évi­dem­ment d’ac­cord. Quant à l’hit­lé­risme et pour prendre la situa­tion en France, cer­tains ont lut­té dans les maquis sans pour cela s’en­ga­ger chez Leclerc ou dans les F.F.L., en essayant de don­ner à leur com­bat le maxi­mum de carac­tère de classe. Il est vrai que sur ce der­nier point, les éta­tistes que sont les trots­kistes don­nèrent sou­vent la leçon aux anar­chistes, mais cela est une autre his­toire sur laquelle nous espé­rons reve­nir plus en détail.

En résu­mé, il res­sort de ces dif­fé­rentes obser­va­tions que nous sommes en désac­cord avec la posi­tion des cama­rades de S.A.C. Nous aime­rions que le dia­logue se pour­suive et s’é­lar­gisse, l’en­jeu en est suf­fi­sam­ment grave.

Chris­tian

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