La Presse Anarchiste

Réflexions sur la guerre de partisans comme type de lutte révolutionnaire

Introduction

     Une objec­tion nous est sou­vent faite : « Vous dites que la Révo­lu­tion se fait chaque jour et vous citez Malat­es­ta pour qui : 

    « L’Anarchie ne peut pas venir d’un seul coup, comme con­séquence immé­di­ate d’une insur­rec­tion laque­lle aurait abat­tu vio­lem­ment tout ce qui existe et l’aurait rem­placé par des insti­tu­tions vrai­ment nou­velles. Il est cer­tain que l’anarchie ne peut être l’effet d’un mir­a­cle et ne peut pas se réalis­er en con­tra­dic­tion avec la loi générale de l’évolution, que rien ne se pro­duit sans cause suff­isante, que rien ne peut se faire sans avoir la force de le faire. L’Anarchie ne peut se réalis­er qu’en aug­men­tant gradu­elle­ment en inten­sité et en exten­sion. Il ne s’agit donc pas de faire l’Anarchie aujourd’hui ou demain, tou­jours (Malat­es­ta, dans l’article « Vers l’Anarchie », paru dans « La ques­tion sociale » n°14, Pater­son – New York le 9/12/1899) …

    Mais, d’autre part, vous avez hor­reur du mot « réformisme » et vous pré­ten­dez qu’envisager une révo­lu­tion par étape plus ou moins éch­e­lon­nées (l’État sovié­tique est une étape néces­saire dans le pas­sage au com­mu­nisme, dis­ent les marx­istes), équiv­aut à s’imaginer l’accouchement et la nais­sance d’un enfant éch­e­lon­nés sur plusieurs années… Vous préférez couper le cor­don ombil­i­cal même si cela fait mal sur le moment et vous vous pronon­cez sur l’action directe et même pour la lutte armée s’il le faut. Autrement dit, en plus d’une con­tra­dic­tion au départ, vous gardez cet esprit quar­ante-huitard et vous rêver encore aux bar­ri­cades sur lesquelles flotte le dra­peau noir… À l’époque de la bombe atom­ique, vrai­ment, vous n’êtes bons que pour le mag­a­sin d’antiquités… »

    Anar­chistes, nous sommes tou­jours prêts à bous­culer mêmes les saints de notre chapelle quand même nous con­sta­tons leurs erreurs. Mais, sans aucun dog­ma­tisme, nous ne voulons pas le faire quand il s’agit de l’affirmation citée par Malat­es­ta car, en effet, on n’improvise pas une révo­lu­tion comme un pres­tidig­i­ta­teur sort des lap­ins de son haut-de-forme. Le sys­tème cap­i­tal­iste porte en soi une suite de con­tra­dic­tion qui se traduisent par une lutte de class­es per­ma­nente. Ori­en­ter, inten­si­fi­er cette lutte de classe c’est déjà faire la révo­lu­tion. Chaque acte anar­chiste, chaque parole anar­chiste, chaque preuve anar­chiste, chaque fois que l’autorité recule, chaque fois que les mass­es s’organisent et réalisent en dehors est un pas vers et dans la Révo­lu­tion (c’est d’ailleurs la rai­son même des G.A.A.R.). La somme de ces actes et de cette con­science repose sur une infra­struc­ture économique qui évolue dans un cer­tain sens – c’est ain­si qu’une sit­u­a­tion his­torique se crée, provo­quant le choc final dans lequel l’action directe, armée, doit, en général inter­venir. Nous sché­ma­ti­sons, car ce n’est pas le pro­pos de notre arti­cle, mais il est déjà clair que la pré­ten­due con­fu­sion, la « con­tra­dic­tion », est vite dis­sipée par une analyse anar­chiste, même brève, de l’avènement du fait révo­lu­tion­naire. Le prob­lème qui reste est celui de l’intervention armée. Le fait insur­rec­tion­nel – et c’est vieux comme… la lutte des class­es – prend en général deux formes : Com­bats de rues et Guerre de Partisans. 

De la guerre de Partisans en général 

    La guerre de par­ti­sans est la forme naturelle de résis­tance des peu­ples qui veu­lent se défendre con­tre les oppresseurs supérieurs en force, organ­isés, plus puis­sants économique­ment. Cette forme n’est ni spé­ci­fique ni lim­itée à un cer­tain nom­bre de peu­ples – comme on le pré­tend sou­vent – et ne dépend pas du degré de développe­ment atteint par une société dans une péri­ode his­torique déter­minée. Sans citer les clas­siques grecs (Xénophon en par­lait au 5e siè­cle avant notre ère…) nous la retrou­vons dans les guer­res des paysans en Europe au XIV, XV et XVIe siè­cles, au Mon­tene­gro pen­dant 5 siè­cles de résis­tance aux Turcs, au Mex­ique avec Vil­la et Zap­a­ta, au cours de la cam­pagne de Napoléon aus­si bien en Espagne qu’en Russie. Elle s’est main­tenue jusqu’à nos jours, avec des car­ac­téris­tiques ana­logues, comme le mode de com­bat de nom­breux peu­ples sur tous les con­ti­nents. Il est donc naturelle que les expéri­ences actuelles se basent sur les anci­ennes, qu’elle entrent dans une con­cep­tion com­mune de la lutte, mais les con­di­tions his­toriques étant totale­ment dif­férentes, elles com­por­tent de nom­breuses par­tic­u­lar­ités qui les dis­tinguent qual­i­ta­tive­ment parce que con­séquences et expres­sion des con­di­tions générales et aus­si du mode de réac­tion à ces con­di­tions. Il s’est même avéré que les con­di­tions con­tem­po­raines aus­si bien poli­tiques qu’économiques, per­me­t­tent un développe­ment inat­ten­du de la guerre de par­ti­sans et que tout ce qui entre temps est venu enrichir « l’art mil­i­taire » n’a eu qu’une influ­ence très rel­a­tive. Par con­tre, les buts qui se lim­i­taient jadis à la défense, se sont élar­gis et vont jusqu’aux con­tre-offen­sives. Cet élé­ment, qui est déjà par déf­i­ni­tion ori­en­té, influe puis­sam­ment sur la forme même de lutte et dépend directe­ment de sa ligne poli­tique à par­tir de ce stade, l’insurrection armée doit être dévelop­pée non seule­ment en largeur, quan­ti­ta­tive­ment, mais surtout qual­i­ta­tive­ment, idéologique­ment. Il ne s’agit pas seule­ment d’organiser, mais aus­si d’orienter poli­tique­ment le soulève­ment armé. C’est à par­tir de ce stade que l’objec­tif de la lutte devient le fac­teur prin­ci­pal. Pour com­pren­dre com­parons les traits fon­da­men­taux anar­chistes et marx­istes : Pour attein­dre, par la lutte armée, leur objec­tif : une société sans class­es, sans État, les anar­chistes dis­tinguent des actions com­binées de grèves générales, d’insurrections pop­u­laires, de com­bats de rue, et la guerre des détache­ments de par­ti­sans. À cela les marx­istes ajoutent la créa­tion d’une armée régulière (« rouge », « pop­u­laire », « de libéra­tion », etc.) La créa­tion de véri­ta­bles unités mil­i­taires, au sens très clas­sique du mot. – Le sché­ma est sim­ple : pour la créa­tion d’une société lib­er­taire et fédéral­iste – les moyens et la forme qui déjà déter­mi­nent l’objectif – Par con­tre quand on envis­age la créa­tion d’un nou­veau pou­voir, c’est-à-dire d’un nou­v­el État, le rôle dirigeant du par­ti pen­dant la lutte et la créa­tion d’une force capa­ble d’assurer ce pou­voir (« Nous sommes con­tre le « par­ti­sanisme » de l’Armée Rouge (de Chine)… L’élément par­ti­san est inutile dans une phase plus élevée et doit être réduit pro­gres­sive­ment et délibéré­ment… » Mao-Tsé-Toung. « Il s’est avéré qu’il faut pass­er à la créa­tion de véri­ta­bles unités mil­i­taires… pour résoudre non seule­ment la ques­tion de la lutte effi­cace con­tre l’occupant mais aus­si celle du pou­voir » Tito, 5e con­grès PCY.) 

    Cela est d’une grande impor­tance pour nous, car l’introduction de cet élé­ment con­firme ce que pen­sait déjà Malat­es­ta et ce que nous pen­sons et affir­mons nous-mêmes : « Pour com­mencer et men­er à bout une révo­lu­tion il faut une force armée et organ­isée. Cette force ou mieux : les mul­ti­ples organ­i­sa­tions armées des révo­lu­tion­naires, feraient l’œuvre révo­lu­tion­naire si elles ser­vent à libér­er et à empêch­er toute con­sti­tu­tion d’un gou­verne­ment ; elles seraient par con­tre l’instrument de la réac­tion et détru­iraient leur œuvre pro­pre si elles voulaient servir à impos­er un type prévu d’organisation sociale ou le pro­gramme spé­ci­fique d’un par­ti don­né » (Malat­es­ta : réponse à un com­mu­niste sur l’exercice de la lib­erté dans « Fédé » n°11, Rome 25/11/1920.)

    L’on peut nous objecter que la créa­tion une armée devient une néces­sité tech­nique si l’on veut arriv­er à une solu­tion par les armes. 

    Nous nous gar­dons bien de citer un auteur anar­chiste pour prou­ver le con­traire et nous lais­sons volon­tiers la parole à Marx et à Engels : « Lorsque les échecs de l’armée régulière furent devenus un phénomène con­stant, la guéril­la insur­rec­tion­nelle devint générale… Mais pen­dant la troisième péri­ode, les guéril­las imitèrent l’armée régulière et ce change­ment de sys­tème val­ut aux Français une grande supéri­or­ité sur eux. » (Marx-Engels, « l’Espagne révo­lu­tion­naire » 1854) 

    Tout en se défen­dant de « par­ti­sanisme », Mao-Tsé-Tung se trou­ve égale­ment obligé de se pronon­cer con­tre la guerre de posi­tions con­tre les opéra­tions à longue durée, con­tre les fronts immo­biles et pour la stratégie de la guerre à longue durée mais aux opéra­tions rapi­des. (« Il ne nous servi­rait à rien d’avoir honte de ce fait. ») sic ! Il a été prou­vé au cours des guer­res de par­ti­sans passées et il est super­flu d’insister, que le principe stratégique de par­ti­sans reste val­able : infliger la défaite à un grand nom­bre au moyen d’un petit nom­bre. Établir un plan de lutte sur une telle con­cep­tion est une ques­tion de con­di­tions spé­ci­fiques dans lesquelles la lutte a été déclenchée, en ten­ant compte du poten­tiel économique et du fac­teur moral. 

    En effet il est impos­si­ble d’organiser une guerre de par­ti­sans à la suite d’une insur­rec­tion déclenchée arti­fi­cielle­ment. Les paysans yougoslaves mobil­isés en 1941 par le P.C.Y. sur les mots d’ordre du genre : « Les Russ­es sont à 100 km… » ren­traient dans leurs foy­ers au bout de quelques jours. 

    Le fac­teur économique joue un rôle extrême­ment impor­tant aus­si bien matériel que moral. L’expérience a démon­tré qu’une pop­u­la­tion même très favor­able morale­ment, au début, et appuyant économique­ment la lutte des par­ti­sans, se retourne con­tre eux si elle con­state qu’ils vivent d’une façon par­a­sitaire « sur le dos du village ». 

    Autre prob­lème impor­tant est celui des réac­tions de la pop­u­la­tion devant les repré­sailles. Les « spé­cial­istes » bour­geois de la « petite guerre » ont eut trop vite ten­dance à con­clure que les par­ti­sans provo­quent con­sciem­ment les repré­sailles ou « com­pro­met­tent » une région afin de recruter la pop­u­la­tion qui, par réflexe de révolte, ou parce qu’elle ne voit pas d’autre issue, prend le maquis. Il y a là d’abord une dis­tinc­tion à faire entre le « maquis » qui est pas­sif presque par déf­i­ni­tion (« on prend le maquis » pour se cacher et on se bat seule­ment si on ne peut pas faire autrement), et le détache­ment des par­ti­sans (où l’on s’engage pour se bat­tre). Ensuite il n’est pas sûr que les par­ti­sans, dont une des prin­ci­pale force est leur mobil­ité, désirent s’embarrasser de toute une masse de femmes, d’enfants, de vieil­lards et aus­si d’une masse idéologique­ment peur sûre ; comme, d’autre part, il n’est pas intéres­sant de « com­pro­met­tre » une région impor­tante pour le rav­i­taille­ment (c’est l’explication d’un ami, actuelle­ment à Sétif du calme relatif dans cette région qui a tou­jours été à l’avant-garde de la lutte anti-colonialiste.) 

Guerre des partisans et la question coloniale 

Il est évi­dent que la ques­tion nationale et colo­niale devrait être liée avec la cause de la Révo­lu­tion. De là, les marx­istes et surtout Staline, ont vite con­clu qu’elle s’identifie tou­jours à la révo­lu­tion. Les guer­res colo­niales actuelles prou­vent bien le con­traire. Si la guerre des par­ti­sans est la forme naturelle de l’insurrection et la résis­tance con­tre un oppresseur beau­coup plus puis­sant, le développe­ment et le sens révo­lu­tion­naire de cette lutte ne peut être que la con­séquence de la matu­rité poli­tique du pro­lé­tari­at, de sa con­science de classe, de sa force idéologique et de sa capac­ité de s’organiser sans partager l’orientation du mou­ve­ment avec d’autres class­es. Car dans des sit­u­a­tions ana­logues la bour­geoisie a tou­jours peur en voy­ant le peu­ple pren­dre les armes, s’organiser et lut­ter en dehors de tous les cadres exis­tants. C’est la rai­son pour laque­lle, pleine­ment con­sciente, une par­tie de la bour­geoisie, se ral­lie aux par­ti­sans pré­cisé­ment pour fait échec au tour­nant révo­lu­tion­naire que ce genre de lutte à naturelle­ment ten­dance à pren­dre. C’est pour des motifs de classe donc con­tre-révo­lu­tion­naire qu’Alexandre Ier en Russie, Charles-Albert en 1848 en Ital­ie ou plus récem­ment le gou­verne­ment répub­li­cain espag­nol en 36, de Gaulle, Nas­sar, Bour­gui­ba, Mohamed V etc. ont apporté leur « sou­tien » aux mou­ve­ments des partisans. 

    La théorie mil­i­taire, aus­si bien des stratèges occi­den­taux (Dix­en) que marx­istes (Mao-Tsé-Tung, Tito) estime que l’ennemi ne peut être vain­cu sans inter­ven­tion d’une armée « régulière ». Pour­tant ce sont bien les détache­ment de par­ti­sans qui ont enlevé la vic­toire mil­i­taire en Chine et l’armée régulière chi­noise n’a été con­sti­tuée qu’après et dans un autre but : celui de pro­tec­tion du Régime de l’État. Le même cas s’est pro­duit en Yougoslavie où les par­ti­sans n’avaient pas besoin d’organiser une « armée régulière » pour vain­cre la bour­geoisie réac­tion­naire et où l’aide extérieure était insignifi­ante sinon nulle (Mocha Pijade : « La fable de l’aide sovié­tique ».) Depuis des années, les insurgés au Kenya et en Malaisie com­bat­tent seuls, sans l’appui d’une armée nationale. Et si les mou­ve­ments de par­ti­sans n’arrivent pas à une solu­tion défini­tive la faute n’est pas dans leur inca­pac­ité mil­i­taire, mais surtout dans la faib­lesse du con­tenu poli­tique et dans le manque de réal­i­sa­tions révo­lu­tion­naires (« le mou­ve­ment n’est pas désor­gan­isé par les actions des par­ti­sans mais par la faib­lesse du Par­ti. » Lénine) .

     Il faut con­clure que les Fel­la­gas, prob­a­ble­ment inca­pables d’enlever une déci­sion mil­i­taire, peu­vent infliger en Algérie une défaite poli­tique à la France. 

    Mais le principe selon lequel une guerre comme celle d’Algérie ne peut être gag­née que par le camp qui pos­sède des unités de par­ti­sans, est admis même par l’État major français… C’est surtout depuis l’avènement du fas­cisme, que la bour­geoisie emploie comme « con­tre-poi­son » les formes et la tac­tique jusque là spé­ci­fique­ment pro­lé­tari­enne mais où et com­ment recruter des par­ti­sans qui se bat­tront aux côtés du colo­nial­isme français ? Quant aux armes elles ne sont guère mod­i­fiées par les récents pro­grès tech­niques et les 2 adver­saires se retrou­vent à peu près à égal­ité devant les prob­lèmes de la guéril­la et con­tre-guéril­la. L’hélicoptère dont on par­le beau­coup actuelle­ment comme d’un moyen décisif con­tre la guéril­la, a été large­ment employé par les « Jagd­kom­man­dos » alle­mands con­tre les par­ti­sans : ce fut sans aucun succès. 

    Et com­ment men­er la con­tre-guéril­la con­tre la com­plic­ité de tout un peu­ple ? Car cette com­plic­ité est un fac­teur pri­mor­dial indis­pens­able dans une guerre de par­ti­sans. C’est pourquoi il serait impens­able de « porter la guerre en France » comme l’avait dit, paraît-il, un leader arabe. Ici, il n’y a que le pro­lé­tari­at de ce pays qui peut la déclencher. 

Et nous ?

    Il s’agit pour nous, d’étudier à fond et d’élaborer sur la base de ces prémiss­es, un riche matériel his­torique. Nous n’avons pas la pos­si­bil­ité matérielle, ni la pré­ten­tion de dire le mot, mais seule­ment d’éclairer briève­ment cette ques­tion à l’aide d’exemples et d’expériences anarchistes. 

    Tout d’abords nous devons nous expli­quer sur le fond même du prob­lème. En effet, on nous reprochera (et on nous a déjà reproché) le fait même d’envis­ager une guerre et on nous dira que nous sommes qu’hypocrites car révo­lu­tion­naires ou pas, faite par une armée régulière ou par les par­ti­sans, une guerre c’est tou­jours une guerre, basée sur la vio­lence, où l’on tue et où l’on est tué. Nous répon­drons avec Malat­es­ta : « la vio­lence est bien trop néces­saire pour résis­ter à la vio­lence de l’adversaire, que nous devons la pré­conis­er et la pré­par­er, si nous ne voulons pas que les con­di­tions actuelles de l’esclavage larvé dans lesquelles se trou­ve la grande majorité de l’humanité empire et se per­pétuent. Mais elle con­tient en soi le dan­ger de trans­former la révo­lu­tion en une mêlée bru­tale sans lumière de l’idéal et sans pos­si­bil­ité d’obtenir des résul­tats posi­tifs ; c’est pourquoi il faut insis­ter sur les buts moraux du mou­ve­ment et sur la néces­sité, sur le devoir de con­tenir la vio­lence dans les lim­ites de la stricte néces­sité. Nous ne dis­ons pas que la vio­lence est bonne quand nous l’employons et mau­vaise quand se sont les autres qui l’appliquent con­tre nous. Nous dis­ons que la vio­lence est jus­ti­fiée, est bonne, est « morale », est un devoir quand elle est employée pour la défense de soi-même et des autres con­tre les men­aces des vio­lents. Elle est mau­vaise, elle est immorale si elle sert à vio­l­er la lib­erté des autres. Toute la vio­lence néces­saire pour vain­cre, mais rien de plus ou de pire » (Malat­es­ta dans « Umani­ta Nova » du 21/10/1922).

     L’exemple sans doute le plus frap­pant de la lutte anar­chiste révo­lu­tion­naire sous la forme de guerre de par­ti­sans est celui du mou­ve­ment makhno­viste. Nous ne pou­vons pas entr­er dans les détails ni de l’analyse mil­i­taire ni poli­tique de la guerre civile en Ukraine, mais il nous sem­ble que, mal­gré la forte per­son­nal­ité de Makhno qui par­fois fait hésiter sur l’organisation « démoc­ra­tique » du mou­ve­ment, elle réu­nis­sait tous les fac­teurs, toutes les car­ac­téris­tiques d’une guerre de par­ti­sans telles que les anar­chistes peu­vent la concevoir. 

    En par­tant de cette expéri­ence Archi­noff écrivait : « Comme l’expérience russe nous l’a démon­tré, la guerre civile ne sera pas une affaire de quelques mois mais de quelques années. Pour défendre la Révo­lu­tion, les tra­vailleurs devront créer les organ­i­sa­tions de défense, opposant ain­si à l’offensive de la réac­tion, cette force com­bat­tante à la hau­teur de sa tâche. Dans les pre­miers jours de la révo­lu­tion, cette force com­bat­tante sera for­mée de tous les ouvri­ers et paysans armés. Cette force armée spon­tanée ne sera utile que dans les pre­miers jours… Mais dans la révo­lu­tion sociale le moment le plus cri­tique n’est pas celui de l’écroulement du Pou­voir, mais celui qui lui sur­vivra, celui où les forces du régime abat­tu relanceront une offen­sive générale con­tre les tra­vailleurs, celui où il fau­dra savoir main­tenir ses pro­pres con­quêtes. Le car­ac­tère même de cette offen­sive, comme la tech­nique et le développe­ment de la guerre civile obligeront les tra­vailleurs [Nous avons jugé néces­saire de faire cette longue cita­tion, mais elle n’im­plique d’au­cune façon notre accord inté­gral avec toutes les posi­tions pris­es ar Archi­noff dons la « Plate-forme ». ] à for­mer des con­tin­gents révo­lu­tion­naires déter­minés. La nature et la base de ces for­ma­tions devraient être déter­minées avant leur con­sti­tu­tion. Niant les méth­odes éta­tiques et autori­taires pour gou­vern­er les mass­es nous nions étale­ment pour les mêmes raisons la méth­ode éta­tique de l’or­gan­i­sa­tion de la force mil­i­taire des tra­vailleurs. En d’autres ter­mes nous nions le principe d’une arme d’É­tat basée sur le ser­vice mil­i­taire oblig­a­toire. C’est le principe du volon­tari­at qui devrait être à la base des for­ma­tions mil­i­taires des tra­vailleurs. Les détache­ments des par­ti­sans for­més par les paysans et les ouvri­ers qui ont mené l’ac­tion mil­i­taire pen­dant la Révo­lu­tion Russe peu­vent être cités comme exem­ple de telles for­ma­tions. Toute­fois il ne faut pas inter­préter le volon­tari­at et l’ac­tion des par­ti­sans dans le sens stricte de ces ter­mes, à savoir comme une lutte con­tre l’en­ne­mi menée par les détache­ments ouvri­ers et paysans locaux non liés entre eux sur un plan général d’opéra­tions et agis­sant cha­cun à ses risques et périls. L’ac­tion et la tac­tique des par­ti­sans devant être orién­tées dans la péri­ode de leur développe­ment com­plet, par une stratégie révo­lu­tion­naire générale, sem­blable à toutes les guer­res, la guerre civile ne pour­ra pas être menée avec suc­cès par les tra­vailleurs sinon en appli­quant les deux principes fon­da­men­taux de toute l’ac­tion mil­i­taire : l’u­nité au plan des opéra­tion et l’u­nité de com­man­de­ment général. Le moment le plus cri­tique de la Révo­lu­tion sera celui où la bour­geoisie marchera con­tre elle avec des forces organ­isées. Ce moment cri­tique oblig­era les tra­vailleurs à recourir aux principes sus-indiqués. 

    Sous cet aspect, con­sid­érant les besoins de la stratégie mil­i­taire et égale­ment la stratégie de la con­tre-révo­lu­tion, les forces armées de la révo­lu­tion devront se créer sur les principes suivants : 

a) Le car­ac­tère de Classe de l’Armée 
b) Le volontariat 
c) La libre dis­ci­pline (auto-dis­ci­pline révolutionnaire) 
d) La sub­or­di­na­tion com­plète de l’ar­mée révo­lu­tion­naire aux mass­es ouvrières et paysannes ain­si qu’aux organ­i­sa­tions ouvrières et paysannes comme à tous les pays qui seront chargés de la con­duite de la vie économique et sociale. 

    En d’autre ter­mes : l’or­gane de la défense de la Révo­lu­tion chargé de com­bat­tre aus­si bien sur le front mil­i­taire ouvert que sur ceux de la guerre civile secrète (com­plète de la bour­geoisie, pré­pa­ra­tion des actions con­tre-révo­lu­tion­naires etc…) sera entière­ment à la dis­po­si­tion des organ­i­sa­tions pro­duc­tri­ces ouvrières et paysannes aux­quelles il sera dirigé poli­tique­ment.

    Nota : Avant d’être organ­isée con­for­mé­ment aux principes anar­chistes déter­minés, l’ar­mée elle-même ne devrait pas être con­sid­érée comme une ques­tion de principes. Elle n’est que la con­séquence de la stratégie mil­i­taire de la Révo­lu­tion, une mesure stratégique à laque­lle les tra­vailleurs seront fatale­ment con­duits par le proces­sus même de la guerre civile. Mais cette mesure doit attir­er notre atten­tion, d’ores et déjà, elle doit être scrupuleuse­ment étudiée dès main­tenant dans le but d’éviter dans l’œu­vre de la pro­tec­tion et la défense de la Révo­lu­tion tout retard irré­para­ble, parce que le retard dans le temps de la guerre civile pour­rait être néfaste pour l’ac­com­plisse­ment de toute la Révo­lu­tion Sociale. « Plate-forme d’or­gan­i­sa­tion » d’un groupe anar­chiste russe en exil signée par son secré­taire : Pierre Archi­noff, le 20/6/1926.

    Quel enseigne­ment pou­vons-nous tir­er de la guerre d’Es­pagne l’autre récente expéri­ence à laque­lle le mou­ve­ment anar­chiste par­ticipât en tant que tel ? 

    « C’est une guerre civile à aspect de guéril­la et dont les développe­ments soci­aux revê­tent un car­ac­tère révo­lu­tion­naire col­lec­tiviste » (C. Berneri) Mais toute solu­tion au prob­lème des besoins de la guerre était sub­or­don­née à la solu­tion de la ques­tion poli­tique espag­nole et même inter­na­tionale. D’un côté une armée « régulière » organ­isée sur les principes clas­siques, bien équipée, encadrée d’of­ficiers pro­fes­sion­nels ; de l’autre les mil­ices ouvrières et paysannes, con­trôlées par les dif­férents par­tis syn­di­cats et organ­i­sa­tions poli­tiques, sans aucune expéri­ence dans la lutte con­tre une tech­nique mil­i­taire mod­erne. Mais « l’e­sprit de la colonne » se développe vite et met à prof­it les leçons de la guerre. Cepen­dant on reste con­stam­ment comme dis­ait Berneri « entre la guerre et la Révo­lu­tion ». Nous ne don­nerons qu’un exem­ple : Pour pou­voir exercer une pres­sion con­stante sur les points faibles de la struc­ture mil­i­taire de l’en­ne­mi, pour coor­don­ner les dif­férentes armées, pour ratio­nalis­er les trans­ports, pour stan­dard­is­er le matériel, l’arme­ment, la muni­tion, et en général, le plan économique de la guerre, la néces­sité d’un com­man­de­ment de coor­di­na­tion s’imposait. 

    On a dit que Berneri coupait les cheveux en qua­tre mais toute la ques­tion était là, est là : « Je suis con­tre le com­man­de­ment unique, mais pour l’u­nité de commandement ». 

    Voilà une des prin­ci­pales dif­férences entre l’ar­mée et les par­ti­sans comme nous les com­prenons. L’autre con­siste dans les réal­i­sa­tions sociales pen­dant la lutte même et qui font que « les aspects de la « guerre » mais son essence est celle de la révo­lu­tion sociale » (Berneri) La néces­sité de la sub­or­di­na­tion com­plète de l’ar­mée révo­lu­tion­naire aux mass­es ain­si qu’aux organ­i­sa­tions ouvrières et syn­di­cales dont par­le Archi­noff n’avait pas échap­pé à Berneri. C’est avec une extrême justesse qu’il sen­tit le « tour­nant dan­gereux » quand fut décidé la mil­i­tari­sa­tion des mil­ices. Nous savons main­tenant qu’en espérant ce tour­nant nous avons per­du poli­tique­ment la guerre des class­es en Espagne et que dès lors ne pou­vions, pas plus, et juste­ment à cause de cela, la gag­n­er mil­i­taire­ment : « La mil­i­tari­sa­tion des mil­ices n’est pas une solu­tion unique­ment d’or­dre tech­nique et c’est une faute poli­tique que de l’avoir paci­fique­ment accep­tée. La sup­pres­sion du pou­voir des comités d’ou­vri­ers et de sol­dats con­stitue un atten­tat au con­trôle syn­di­cal des mil­ices. » (Berneri : « Atten­tion, tour­nant dan­gereux ! » dans « Guerre des Classes »). 

    Comme nous l’avons fait remar­quer plus haut, le prob­lème de la guerre des par­ti­sans n’est pas seule­ment mil­i­taire et poli­tique : comme dans toute guerre, la con­di­tion indis­pens­able reste une « économie de guerre » qui « doit avoir comme rai­son d’être absolue et comme but, l’u­til­ité générale ». (Bern­er­di).

     En effet, c’est là que se pose le prob­lème du fameux pre­mier jour. « Réalis­er pra­tique­ment la trans­for­ma­tion même sur un petit ter­ri­toire arraché est mille fois plus impor­tant que tous les man­i­festes et, naturelle­ment, mille fois plus dif­fi­cile. » (Lénine, « Armée révo­lu­tion­naire ») Si les paysans par­ticipent très faible­ment à l’in­sur­rec­tion social­iste espag­nole en 1934, la rai­son en est la réforme agraire man­quée, comme la col­lec­tivi­sa­tion des ter­res et des usines furent un des prin­ci­paux fac­teurs de la défaite du fas­cisme deux ans plus tard en Cat­a­logne. « En réal­ité, le moyen le plus puis­sant pour la défense de la révo­lu­tion con­siste dans la juste solu­tion de ces prob­lèmes posi­tifs : celui de la pro­duc­tion, celui de là con­som­ma­tion, celui de la terre. » (Archi­noff) À cet aspect de la guerre des par­ti­sans doit se super­pos­er dans notre optique, une « phase inter­na­tionale » dans laque­lle la con­science de classe et la sol­i­dar­ité du pro­lé­tari­at inter­na­tion­al peu­vent être décisifs. Cette sol­i­dar­ité se man­i­feste dans les sab­o­tages, dans le refus de tra­vailler pour l’é­conomie de guerre du gou­verne­ment qui com­bat la révo­lu­tion, dans l’en­voi de volon­taires (brigades inter­na­tionales) et dans l’aide matérielle et tech­nique. Mais elle doit se man­i­fester surtout dans la lutte con­tre les class­es dirigeantes pro­pres. « Paris envoie des ambu­lances, des vivres et des volon­taires Cela ne suf­fit pas, Paris ne donne pas ce qu’il pos­sède de plus puis­sant : sa colère. » (Berneri).

Conclusion

    Nous ne faisons pas ici une apolo­gie sys­té­ma­tique de la guerre des par­ti­sans, sans-se préoc­cu­per des cir­con­stances poli­tiques et des con­di­tions par­ti­c­ulières, économiques et morales. Per­son­ne ne peut rat­tach­er le mou­ve­ment anar­chiste a une seule forme, bien déter­minée, de la lutte. Per­son­ne ne peul nier le car­ac­tère anar­chiste des détache­ments de par­ti­sans de Makhno ou de la colonne Dur­ru­ti, si leur forme était dif­férente, c’est que ces cama­rades ont su s’in­stru­ire de ten­dances spon­tanées de mass­es ; ont su com­pren­dre que divers­es formes de lutte cor­re­spon­dent aux divers moments de l’his­toire et dépen­dent des divers­es con­di­tions poli­tiques, économiques, démo­graphiques, cul­turelle, aux divers “cli­mats” psy­chologiques et moraux. Nous n’avons aucune pré­ten­tion d’en­seign­er aux mass­es les formes de lutte ni les lim­iter. La mod­i­fi­ca­tion de la con­jonc­ture, l’ag­gra­va­tion des crises, l’ex­péri­ence des guer­res et, d’autre part, l’ac­croisse­ment de la con­science et de lutte des class­es appor­tent des moyens nou­veaux et créent des formes nou­velles, nous tenons sim­ple­ment à affirmer que nous con­sid­érons la guerre des par­ti­sans comme une des formes les plus effi­caces à con­di­tion de lui don­ner un con­tenu révolutionnaire. 

Paul Zorkine



Nous don­nons ci-après la bib­li­ogra­phie des ouvrages ayant servis à l’élab­o­ra­tion de cet article. 

C. Berneri : « Guerre de classe en Espagne » 
Kotcha Popovitch : « Révi­sion du marx­isme lénin­isme au sujet de la guerre de libéra­tion en Yougoslavie », 1949. 
Boul­ga­nine « Trente années des forces armées sovié­tiques », 22 févri­er 1948. 
Tito : « Le car­ac­tère spé­ci­fique de la guerre de libéra­tion » n°1 du « Com­mu­niste »., oct 1946. 
Marx-Engels : « L’Es­pagne révo­lu­tion­naire », 1854. 
Lénine : « L’ar­mée révolutionnaire ». 
Mao-Tsé-Tung : « Les prob­lèmes stratégiques de la guerre révo­lu­tion­naire en Chine » 
Malat­es­ta : « Scrit­ti scelti » 
Général Aubry Dix­en et Otto Heil­brun : « Guéril­la et contre-guérilla ». 
P.C. Stand­ing : « Guéril­la lead­ers of the world ».
Archi­noff : « Plate-forme d’or­gan­i­sa­tion » (Paris, 20/6/1926)
Voline : « La révo­lu­tion inconnue »


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