Introduction
« L’Anarchie ne peut pas venir d’un seul coup, comme conséquence immédiate d’une insurrection laquelle aurait abattu violemment tout ce qui existe et l’aurait remplacé par des institutions vraiment nouvelles. Il est certain que l’anarchie ne peut être l’effet d’un miracle et ne peut pas se réaliser en contradiction avec la loi générale de l’évolution, que rien ne se produit sans cause suffisante, que rien ne peut se faire sans avoir la force de le faire. L’Anarchie ne peut se réaliser qu’en augmentant graduellement en intensité et en extension. Il ne s’agit donc pas de faire l’Anarchie aujourd’hui ou demain, toujours (Malatesta, dans l’article « Vers l’Anarchie », paru dans « La question sociale » n°14, Paterson – New York le 9/12/1899) …
Mais, d’autre part, vous avez horreur du mot « réformisme » et vous prétendez qu’envisager une révolution par étape plus ou moins échelonnées (l’État soviétique est une étape nécessaire dans le passage au communisme, disent les marxistes), équivaut à s’imaginer l’accouchement et la naissance d’un enfant échelonnés sur plusieurs années… Vous préférez couper le cordon ombilical même si cela fait mal sur le moment et vous vous prononcez sur l’action directe et même pour la lutte armée s’il le faut. Autrement dit, en plus d’une contradiction au départ, vous gardez cet esprit quarante-huitard et vous rêver encore aux barricades sur lesquelles flotte le drapeau noir… À l’époque de la bombe atomique, vraiment, vous n’êtes bons que pour le magasin d’antiquités… »
Anarchistes, nous sommes toujours prêts à bousculer mêmes les saints de notre chapelle quand même nous constatons leurs erreurs. Mais, sans aucun dogmatisme, nous ne voulons pas le faire quand il s’agit de l’affirmation citée par Malatesta car, en effet, on n’improvise pas une révolution comme un prestidigitateur sort des lapins de son haut-de-forme. Le système capitaliste porte en soi une suite de contradiction qui se traduisent par une lutte de classes permanente. Orienter, intensifier cette lutte de classe c’est déjà faire la révolution. Chaque acte anarchiste, chaque parole anarchiste, chaque preuve anarchiste, chaque fois que l’autorité recule, chaque fois que les masses s’organisent et réalisent en dehors est un pas vers et dans la Révolution (c’est d’ailleurs la raison même des G.A.A.R.). La somme de ces actes et de cette conscience repose sur une infrastructure économique qui évolue dans un certain sens – c’est ainsi qu’une situation historique se crée, provoquant le choc final dans lequel l’action directe, armée, doit, en général intervenir. Nous schématisons, car ce n’est pas le propos de notre article, mais il est déjà clair que la prétendue confusion, la « contradiction », est vite dissipée par une analyse anarchiste, même brève, de l’avènement du fait révolutionnaire. Le problème qui reste est celui de l’intervention armée. Le fait insurrectionnel – et c’est vieux comme… la lutte des classes – prend en général deux formes : Combats de rues et Guerre de Partisans.
De la guerre de Partisans en général
La guerre de partisans est la forme naturelle de résistance des peuples qui veulent se défendre contre les oppresseurs supérieurs en force, organisés, plus puissants économiquement. Cette forme n’est ni spécifique ni limitée à un certain nombre de peuples – comme on le prétend souvent – et ne dépend pas du degré de développement atteint par une société dans une période historique déterminée. Sans citer les classiques grecs (Xénophon en parlait au 5e siècle avant notre ère…) nous la retrouvons dans les guerres des paysans en Europe au XIV, XV et XVIe siècles, au Montenegro pendant 5 siècles de résistance aux Turcs, au Mexique avec Villa et Zapata, au cours de la campagne de Napoléon aussi bien en Espagne qu’en Russie. Elle s’est maintenue jusqu’à nos jours, avec des caractéristiques analogues, comme le mode de combat de nombreux peuples sur tous les continents. Il est donc naturelle que les expériences actuelles se basent sur les anciennes, qu’elle entrent dans une conception commune de la lutte, mais les conditions historiques étant totalement différentes, elles comportent de nombreuses particularités qui les distinguent qualitativement parce que conséquences et expression des conditions générales et aussi du mode de réaction à ces conditions. Il s’est même avéré que les conditions contemporaines aussi bien politiques qu’économiques, permettent un développement inattendu de la guerre de partisans et que tout ce qui entre temps est venu enrichir « l’art militaire » n’a eu qu’une influence très relative. Par contre, les buts qui se limitaient jadis à la défense, se sont élargis et vont jusqu’aux contre-offensives. Cet élément, qui est déjà par définition orienté, influe puissamment sur la forme même de lutte et dépend directement de sa ligne politique à partir de ce stade, l’insurrection armée doit être développée non seulement en largeur, quantitativement, mais surtout qualitativement, idéologiquement. Il ne s’agit pas seulement d’organiser, mais aussi d’orienter politiquement le soulèvement armé. C’est à partir de ce stade que l’objectif de la lutte devient le facteur principal. Pour comprendre comparons les traits fondamentaux anarchistes et marxistes : Pour atteindre, par la lutte armée, leur objectif : une société sans classes, sans État, les anarchistes distinguent des actions combinées de grèves générales, d’insurrections populaires, de combats de rue, et la guerre des détachements de partisans. À cela les marxistes ajoutent la création d’une armée régulière (« rouge », « populaire », « de libération », etc.) La création de véritables unités militaires, au sens très classique du mot. – Le schéma est simple : pour la création d’une société libertaire et fédéraliste – les moyens et la forme qui déjà déterminent l’objectif – Par contre quand on envisage la création d’un nouveau pouvoir, c’est-à-dire d’un nouvel État, le rôle dirigeant du parti pendant la lutte et la création d’une force capable d’assurer ce pouvoir (« Nous sommes contre le « partisanisme » de l’Armée Rouge (de Chine)… L’élément partisan est inutile dans une phase plus élevée et doit être réduit progressivement et délibérément… » Mao-Tsé-Toung. « Il s’est avéré qu’il faut passer à la création de véritables unités militaires… pour résoudre non seulement la question de la lutte efficace contre l’occupant mais aussi celle du pouvoir » Tito, 5e congrès PCY.)
Cela est d’une grande importance pour nous, car l’introduction de cet élément confirme ce que pensait déjà Malatesta et ce que nous pensons et affirmons nous-mêmes : « Pour commencer et mener à bout une révolution il faut une force armée et organisée. Cette force ou mieux : les multiples organisations armées des révolutionnaires, feraient l’œuvre révolutionnaire si elles servent à libérer et à empêcher toute constitution d’un gouvernement ; elles seraient par contre l’instrument de la réaction et détruiraient leur œuvre propre si elles voulaient servir à imposer un type prévu d’organisation sociale ou le programme spécifique d’un parti donné » (Malatesta : réponse à un communiste sur l’exercice de la liberté dans « Fédé » n°11, Rome 25/11/1920.)
L’on peut nous objecter que la création une armée devient une nécessité technique si l’on veut arriver à une solution par les armes.
Nous nous gardons bien de citer un auteur anarchiste pour prouver le contraire et nous laissons volontiers la parole à Marx et à Engels : « Lorsque les échecs de l’armée régulière furent devenus un phénomène constant, la guérilla insurrectionnelle devint générale… Mais pendant la troisième période, les guérillas imitèrent l’armée régulière et ce changement de système valut aux Français une grande supériorité sur eux. » (Marx-Engels, « l’Espagne révolutionnaire » 1854)
Tout en se défendant de « partisanisme », Mao-Tsé-Tung se trouve également obligé de se prononcer contre la guerre de positions contre les opérations à longue durée, contre les fronts immobiles et pour la stratégie de la guerre à longue durée mais aux opérations rapides. (« Il ne nous servirait à rien d’avoir honte de ce fait. ») sic ! Il a été prouvé au cours des guerres de partisans passées et il est superflu d’insister, que le principe stratégique de partisans reste valable : infliger la défaite à un grand nombre au moyen d’un petit nombre. Établir un plan de lutte sur une telle conception est une question de conditions spécifiques dans lesquelles la lutte a été déclenchée, en tenant compte du potentiel économique et du facteur moral.
En effet il est impossible d’organiser une guerre de partisans à la suite d’une insurrection déclenchée artificiellement. Les paysans yougoslaves mobilisés en 1941 par le P.C.Y. sur les mots d’ordre du genre : « Les Russes sont à 100 km… » rentraient dans leurs foyers au bout de quelques jours.
Le facteur économique joue un rôle extrêmement important aussi bien matériel que moral. L’expérience a démontré qu’une population même très favorable moralement, au début, et appuyant économiquement la lutte des partisans, se retourne contre eux si elle constate qu’ils vivent d’une façon parasitaire « sur le dos du village ».
Autre problème important est celui des réactions de la population devant les représailles. Les « spécialistes » bourgeois de la « petite guerre » ont eut trop vite tendance à conclure que les partisans provoquent consciemment les représailles ou « compromettent » une région afin de recruter la population qui, par réflexe de révolte, ou parce qu’elle ne voit pas d’autre issue, prend le maquis. Il y a là d’abord une distinction à faire entre le « maquis » qui est passif presque par définition (« on prend le maquis » pour se cacher et on se bat seulement si on ne peut pas faire autrement), et le détachement des partisans (où l’on s’engage pour se battre). Ensuite il n’est pas sûr que les partisans, dont une des principale force est leur mobilité, désirent s’embarrasser de toute une masse de femmes, d’enfants, de vieillards et aussi d’une masse idéologiquement peur sûre ; comme, d’autre part, il n’est pas intéressant de « compromettre » une région importante pour le ravitaillement (c’est l’explication d’un ami, actuellement à Sétif du calme relatif dans cette région qui a toujours été à l’avant-garde de la lutte anti-colonialiste.)
Guerre des partisans et la question coloniale
Il est évident que la question nationale et coloniale devrait être liée avec la cause de la Révolution. De là, les marxistes et surtout Staline, ont vite conclu qu’elle s’identifie toujours à la révolution. Les guerres coloniales actuelles prouvent bien le contraire. Si la guerre des partisans est la forme naturelle de l’insurrection et la résistance contre un oppresseur beaucoup plus puissant, le développement et le sens révolutionnaire de cette lutte ne peut être que la conséquence de la maturité politique du prolétariat, de sa conscience de classe, de sa force idéologique et de sa capacité de s’organiser sans partager l’orientation du mouvement avec d’autres classes. Car dans des situations analogues la bourgeoisie a toujours peur en voyant le peuple prendre les armes, s’organiser et lutter en dehors de tous les cadres existants. C’est la raison pour laquelle, pleinement consciente, une partie de la bourgeoisie, se rallie aux partisans précisément pour fait échec au tournant révolutionnaire que ce genre de lutte à naturellement tendance à prendre. C’est pour des motifs de classe donc contre-révolutionnaire qu’Alexandre Ier en Russie, Charles-Albert en 1848 en Italie ou plus récemment le gouvernement républicain espagnol en 36, de Gaulle, Nassar, Bourguiba, Mohamed V etc. ont apporté leur « soutien » aux mouvements des partisans.
La théorie militaire, aussi bien des stratèges occidentaux (Dixen) que marxistes (Mao-Tsé-Tung, Tito) estime que l’ennemi ne peut être vaincu sans intervention d’une armée « régulière ». Pourtant ce sont bien les détachement de partisans qui ont enlevé la victoire militaire en Chine et l’armée régulière chinoise n’a été constituée qu’après et dans un autre but : celui de protection du Régime de l’État. Le même cas s’est produit en Yougoslavie où les partisans n’avaient pas besoin d’organiser une « armée régulière » pour vaincre la bourgeoisie réactionnaire et où l’aide extérieure était insignifiante sinon nulle (Mocha Pijade : « La fable de l’aide soviétique ».) Depuis des années, les insurgés au Kenya et en Malaisie combattent seuls, sans l’appui d’une armée nationale. Et si les mouvements de partisans n’arrivent pas à une solution définitive la faute n’est pas dans leur incapacité militaire, mais surtout dans la faiblesse du contenu politique et dans le manque de réalisations révolutionnaires (« le mouvement n’est pas désorganisé par les actions des partisans mais par la faiblesse du Parti. » Lénine) .
Il faut conclure que les Fellagas, probablement incapables d’enlever une décision militaire, peuvent infliger en Algérie une défaite politique à la France.
Mais le principe selon lequel une guerre comme celle d’Algérie ne peut être gagnée que par le camp qui possède des unités de partisans, est admis même par l’État major français… C’est surtout depuis l’avènement du fascisme, que la bourgeoisie emploie comme « contre-poison » les formes et la tactique jusque là spécifiquement prolétarienne mais où et comment recruter des partisans qui se battront aux côtés du colonialisme français ? Quant aux armes elles ne sont guère modifiées par les récents progrès techniques et les 2 adversaires se retrouvent à peu près à égalité devant les problèmes de la guérilla et contre-guérilla. L’hélicoptère dont on parle beaucoup actuellement comme d’un moyen décisif contre la guérilla, a été largement employé par les « Jagdkommandos » allemands contre les partisans : ce fut sans aucun succès.
Et comment mener la contre-guérilla contre la complicité de tout un peuple ? Car cette complicité est un facteur primordial indispensable dans une guerre de partisans. C’est pourquoi il serait impensable de « porter la guerre en France » comme l’avait dit, paraît-il, un leader arabe. Ici, il n’y a que le prolétariat de ce pays qui peut la déclencher.
Et nous ?
Il s’agit pour nous, d’étudier à fond et d’élaborer sur la base de ces prémisses, un riche matériel historique. Nous n’avons pas la possibilité matérielle, ni la prétention de dire le mot, mais seulement d’éclairer brièvement cette question à l’aide d’exemples et d’expériences anarchistes.
Tout d’abords nous devons nous expliquer sur le fond même du problème. En effet, on nous reprochera (et on nous a déjà reproché) le fait même d’envisager une guerre et on nous dira que nous sommes qu’hypocrites car révolutionnaires ou pas, faite par une armée régulière ou par les partisans, une guerre c’est toujours une guerre, basée sur la violence, où l’on tue et où l’on est tué. Nous répondrons avec Malatesta : « la violence est bien trop nécessaire pour résister à la violence de l’adversaire, que nous devons la préconiser et la préparer, si nous ne voulons pas que les conditions actuelles de l’esclavage larvé dans lesquelles se trouve la grande majorité de l’humanité empire et se perpétuent. Mais elle contient en soi le danger de transformer la révolution en une mêlée brutale sans lumière de l’idéal et sans possibilité d’obtenir des résultats positifs ; c’est pourquoi il faut insister sur les buts moraux du mouvement et sur la nécessité, sur le devoir de contenir la violence dans les limites de la stricte nécessité. Nous ne disons pas que la violence est bonne quand nous l’employons et mauvaise quand se sont les autres qui l’appliquent contre nous. Nous disons que la violence est justifiée, est bonne, est « morale », est un devoir quand elle est employée pour la défense de soi-même et des autres contre les menaces des violents. Elle est mauvaise, elle est immorale si elle sert à violer la liberté des autres. Toute la violence nécessaire pour vaincre, mais rien de plus ou de pire » (Malatesta dans « Umanita Nova » du 21/10/1922).
L’exemple sans doute le plus frappant de la lutte anarchiste révolutionnaire sous la forme de guerre de partisans est celui du mouvement makhnoviste. Nous ne pouvons pas entrer dans les détails ni de l’analyse militaire ni politique de la guerre civile en Ukraine, mais il nous semble que, malgré la forte personnalité de Makhno qui parfois fait hésiter sur l’organisation « démocratique » du mouvement, elle réunissait tous les facteurs, toutes les caractéristiques d’une guerre de partisans telles que les anarchistes peuvent la concevoir.
En partant de cette expérience Archinoff écrivait : « Comme l’expérience russe nous l’a démontré, la guerre civile ne sera pas une affaire de quelques mois mais de quelques années. Pour défendre la Révolution, les travailleurs devront créer les organisations de défense, opposant ainsi à l’offensive de la réaction, cette force combattante à la hauteur de sa tâche. Dans les premiers jours de la révolution, cette force combattante sera formée de tous les ouvriers et paysans armés. Cette force armée spontanée ne sera utile que dans les premiers jours… Mais dans la révolution sociale le moment le plus critique n’est pas celui de l’écroulement du Pouvoir, mais celui qui lui survivra, celui où les forces du régime abattu relanceront une offensive générale contre les travailleurs, celui où il faudra savoir maintenir ses propres conquêtes. Le caractère même de cette offensive, comme la technique et le développement de la guerre civile obligeront les travailleurs [Nous avons jugé nécessaire de faire cette longue citation, mais elle n’implique d’aucune façon notre accord intégral avec toutes les positions prises ar Archinoff dons la « Plate-forme ». ] à former des contingents révolutionnaires déterminés. La nature et la base de ces formations devraient être déterminées avant leur constitution. Niant les méthodes étatiques et autoritaires pour gouverner les masses nous nions étalement pour les mêmes raisons la méthode étatique de l’organisation de la force militaire des travailleurs. En d’autres termes nous nions le principe d’une arme d’État basée sur le service militaire obligatoire. C’est le principe du volontariat qui devrait être à la base des formations militaires des travailleurs. Les détachements des partisans formés par les paysans et les ouvriers qui ont mené l’action militaire pendant la Révolution Russe peuvent être cités comme exemple de telles formations. Toutefois il ne faut pas interpréter le volontariat et l’action des partisans dans le sens stricte de ces termes, à savoir comme une lutte contre l’ennemi menée par les détachements ouvriers et paysans locaux non liés entre eux sur un plan général d’opérations et agissant chacun à ses risques et périls. L’action et la tactique des partisans devant être oriéntées dans la période de leur développement complet, par une stratégie révolutionnaire générale, semblable à toutes les guerres, la guerre civile ne pourra pas être menée avec succès par les travailleurs sinon en appliquant les deux principes fondamentaux de toute l’action militaire : l’unité au plan des opération et l’unité de commandement général. Le moment le plus critique de la Révolution sera celui où la bourgeoisie marchera contre elle avec des forces organisées. Ce moment critique obligera les travailleurs à recourir aux principes sus-indiqués.
Sous cet aspect, considérant les besoins de la stratégie militaire et également la stratégie de la contre-révolution, les forces armées de la révolution devront se créer sur les principes suivants :
a) Le caractère de Classe de l’Armée
b) Le volontariat
c) La libre discipline (auto-discipline révolutionnaire)
d) La subordination complète de l’armée révolutionnaire aux masses ouvrières et paysannes ainsi qu’aux organisations ouvrières et paysannes comme à tous les pays qui seront chargés de la conduite de la vie économique et sociale.
En d’autre termes : l’organe de la défense de la Révolution chargé de combattre aussi bien sur le front militaire ouvert que sur ceux de la guerre civile secrète (complète de la bourgeoisie, préparation des actions contre-révolutionnaires etc…) sera entièrement à la disposition des organisations productrices ouvrières et paysannes auxquelles il sera dirigé politiquement.
Nota : Avant d’être organisée conformément aux principes anarchistes déterminés, l’armée elle-même ne devrait pas être considérée comme une question de principes. Elle n’est que la conséquence de la stratégie militaire de la Révolution, une mesure stratégique à laquelle les travailleurs seront fatalement conduits par le processus même de la guerre civile. Mais cette mesure doit attirer notre attention, d’ores et déjà, elle doit être scrupuleusement étudiée dès maintenant dans le but d’éviter dans l’œuvre de la protection et la défense de la Révolution tout retard irréparable, parce que le retard dans le temps de la guerre civile pourrait être néfaste pour l’accomplissement de toute la Révolution Sociale. « Plate-forme d’organisation » d’un groupe anarchiste russe en exil signée par son secrétaire : Pierre Archinoff, le 20/6/1926.
Quel enseignement pouvons-nous tirer de la guerre d’Espagne l’autre récente expérience à laquelle le mouvement anarchiste participât en tant que tel ?
« C’est une guerre civile à aspect de guérilla et dont les développements sociaux revêtent un caractère révolutionnaire collectiviste » (C. Berneri) Mais toute solution au problème des besoins de la guerre était subordonnée à la solution de la question politique espagnole et même internationale. D’un côté une armée « régulière » organisée sur les principes classiques, bien équipée, encadrée d’officiers professionnels ; de l’autre les milices ouvrières et paysannes, contrôlées par les différents partis syndicats et organisations politiques, sans aucune expérience dans la lutte contre une technique militaire moderne. Mais « l’esprit de la colonne » se développe vite et met à profit les leçons de la guerre. Cependant on reste constamment comme disait Berneri « entre la guerre et la Révolution ». Nous ne donnerons qu’un exemple : Pour pouvoir exercer une pression constante sur les points faibles de la structure militaire de l’ennemi, pour coordonner les différentes armées, pour rationaliser les transports, pour standardiser le matériel, l’armement, la munition, et en général, le plan économique de la guerre, la nécessité d’un commandement de coordination s’imposait.
On a dit que Berneri coupait les cheveux en quatre mais toute la question était là, est là : « Je suis contre le commandement unique, mais pour l’unité de commandement ».
Voilà une des principales différences entre l’armée et les partisans comme nous les comprenons. L’autre consiste dans les réalisations sociales pendant la lutte même et qui font que « les aspects de la « guerre » mais son essence est celle de la révolution sociale » (Berneri) La nécessité de la subordination complète de l’armée révolutionnaire aux masses ainsi qu’aux organisations ouvrières et syndicales dont parle Archinoff n’avait pas échappé à Berneri. C’est avec une extrême justesse qu’il sentit le « tournant dangereux » quand fut décidé la militarisation des milices. Nous savons maintenant qu’en espérant ce tournant nous avons perdu politiquement la guerre des classes en Espagne et que dès lors ne pouvions, pas plus, et justement à cause de cela, la gagner militairement : « La militarisation des milices n’est pas une solution uniquement d’ordre technique et c’est une faute politique que de l’avoir pacifiquement acceptée. La suppression du pouvoir des comités d’ouvriers et de soldats constitue un attentat au contrôle syndical des milices. » (Berneri : « Attention, tournant dangereux ! » dans « Guerre des Classes »).
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, le problème de la guerre des partisans n’est pas seulement militaire et politique : comme dans toute guerre, la condition indispensable reste une « économie de guerre » qui « doit avoir comme raison d’être absolue et comme but, l’utilité générale ». (Bernerdi).
En effet, c’est là que se pose le problème du fameux premier jour. « Réaliser pratiquement la transformation même sur un petit territoire arraché est mille fois plus important que tous les manifestes et, naturellement, mille fois plus difficile. » (Lénine, « Armée révolutionnaire ») Si les paysans participent très faiblement à l’insurrection socialiste espagnole en 1934, la raison en est la réforme agraire manquée, comme la collectivisation des terres et des usines furent un des principaux facteurs de la défaite du fascisme deux ans plus tard en Catalogne. « En réalité, le moyen le plus puissant pour la défense de la révolution consiste dans la juste solution de ces problèmes positifs : celui de la production, celui de là consommation, celui de la terre. » (Archinoff) À cet aspect de la guerre des partisans doit se superposer dans notre optique, une « phase internationale » dans laquelle la conscience de classe et la solidarité du prolétariat international peuvent être décisifs. Cette solidarité se manifeste dans les sabotages, dans le refus de travailler pour l’économie de guerre du gouvernement qui combat la révolution, dans l’envoi de volontaires (brigades internationales) et dans l’aide matérielle et technique. Mais elle doit se manifester surtout dans la lutte contre les classes dirigeantes propres. « Paris envoie des ambulances, des vivres et des volontaires Cela ne suffit pas, Paris ne donne pas ce qu’il possède de plus puissant : sa colère. » (Berneri).
Conclusion
Nous ne faisons pas ici une apologie systématique de la guerre des partisans, sans-se préoccuper des circonstances politiques et des conditions particulières, économiques et morales. Personne ne peut rattacher le mouvement anarchiste a une seule forme, bien déterminée, de la lutte. Personne ne peul nier le caractère anarchiste des détachements de partisans de Makhno ou de la colonne Durruti, si leur forme était différente, c’est que ces camarades ont su s’instruire de tendances spontanées de masses ; ont su comprendre que diverses formes de lutte correspondent aux divers moments de l’histoire et dépendent des diverses conditions politiques, économiques, démographiques, culturelle, aux divers “climats” psychologiques et moraux. Nous n’avons aucune prétention d’enseigner aux masses les formes de lutte ni les limiter. La modification de la conjoncture, l’aggravation des crises, l’expérience des guerres et, d’autre part, l’accroissement de la conscience et de lutte des classes apportent des moyens nouveaux et créent des formes nouvelles, nous tenons simplement à affirmer que nous considérons la guerre des partisans comme une des formes les plus efficaces à condition de lui donner un contenu révolutionnaire.
Paul Zorkine
Nous donnons ci-après la bibliographie des ouvrages ayant servis à l’élaboration de cet article.
C. Berneri : « Guerre de classe en Espagne »
Kotcha Popovitch : « Révision du marxisme léninisme au sujet de la guerre de libération en Yougoslavie », 1949.
Boulganine « Trente années des forces armées soviétiques », 22 février 1948.
Tito : « Le caractère spécifique de la guerre de libération » n°1 du « Communiste »., oct 1946.
Marx-Engels : « L’Espagne révolutionnaire », 1854.
Lénine : « L’armée révolutionnaire ».
Mao-Tsé-Tung : « Les problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine »
Malatesta : « Scritti scelti »
Général Aubry Dixen et Otto Heilbrun : « Guérilla et contre-guérilla ».
P.C. Standing : « Guérilla leaders of the world ».
Archinoff : « Plate-forme d’organisation » (Paris, 20/6/1926)
Voline : « La révolution inconnue »