L’État garantit et légitime la perpétuation du système établi. Par l’intermédiaire de l’école, de la police, de la justice, de l’armée, il détient le monopole de la force, de la violence, avec ou sans la complicité de leurs victimes.
La Révolution est la seule possibilité de changement. C’est le projet et l’action, la théorie et la pratique des classes exploitées face à la perpétuation des privilèges des classes dominantes. Une nouvelle situation résultera des forces mises en mouvement et de la profondeur de la contestation. C’est un aboutissement et un commencement.
Mais dans le processus révolutionnaire peuvent se transférer du vieux monde à la société qui naît, des éléments qui rendent possible la reconstruction de la structure de domination et d’exploitation (la hiérarchie, la délégation de pouvoir, la bureaucratie).
C’est ainsi que la Révolution, insurrectionnelle et expropriatrice, ne saurait être, ni s’attribuer, la représentation d’une quelconque catégorie sociale plus ou moins abstraite. Ni au « nom du peuple », ni du « prolétariat », ni de quoi que ce soit. Elle sera l’expression concrète de ces catégories-là, définies dans l’action et parlant par elles-mêmes. Ni la dictature d’un parti au nom d’une classe, ni le gouvernement d’une classe, serait-ce le prolétariat, sur d’autres classes exploitées (paysans, employés…). La Révolution sera la destruction de la forme capitaliste de production, la fin de la division de classes, de la domination d’une classe sur une autre.
Pour nous la Révolution signifie la disparition de la division sociale et technique du travail, de la séparation manuels/intellectuels, de la séparation ville/campagne et, fondamentalement, de la séparation dirigeants/exécutants. Et c’est dès maintenant que nous pouvons lutter contre ces divisions, y compris au sein de notre groupe, tout en sachant que la solution ne saurait être ni individualiste, ni groupusculaire, ni volontariste. Quoiqu’indispensables, les modifications au niveau des relations interpersonnelles sont nécessairement partielles. Pour qu’un changement de fond ait lieu il faut modifier en même temps le cadre structurel du mode capitaliste de production et de l’État. C’est-à-dire que la Révolution exige, dans la présente situation historique, un moment collectif insurrectionnel.
Changer le système de production, c’est aussi changer l’ensemble de la technologie liée à ces divisions, afin de changer la manière dont les hommes produisent, et établir des rapports égalitaires entre eux et dans tous les domaines, et non un simple contrôle, aussi démocratique soit-il, où l’ouvrier resterait « maître » de son usine, le paysan de son champ, etc… Cela implique une rotation des tâches entre différents types de production, et exclut tout État, même transitoire, toute forme de centralisme, même démocratique, tout réformisme, même musclé.
Nous ne savons pas comment cela est possible, mais plutôt que sans cela, rien n’est possible (en tout cas pas le socialisme). L’une de nos tâches est de discuter et d’envisager ces possibilités dès maintenant, en évitant tout dogmatisme.
Le fait que nous pensions que le prolétariat ne soit plus en voie d’expansion dans les pays développés, ni qu’il soit le seul moteur de l’histoire, ne veut pas dire qu’il est remplacé dans cette fonction. Remplacer ouvrier par jeune ou par marginal, ou par technicien, selon les cas ou les intérêts du moment, c’est tomber dans le mode de pensée abstrait qui fait du prolétariat d’usine la classe révolutionnaire.
Il y a dans chacun de nous, mais suivant des processus différents, du capitalisme, du fascisme, de la répression. Être révolutionnaire c’est lutter aussi contre cela, et en tenir compte, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une masse potentiellement révolutionnaire « trahie » par des méchants bureaucrates, mais que le capitalisme ne pourra sécréter ses éléments de stabilisation (tous les syndicats, tous les partis) qu’aussi longtemps que nous les aurons dans la tête. Cela ne signifie pas qu’il faille changer « l’individu » avant la société, mais que nous devons essayer de comprendre les rapports entre les institutions répressives et nous sans tomber dans la problématique de la poule et de l’œuf. Le changement et la « conscience » s’acquièrent dans la lutte contre tout ce qui dirige, centralise, contre toutes les institutions intermédiaires et idéologiques, et en définitive contre l’État, et ce, dans tous les domaines de la vie quotidienne et pas seulement dans nos lieux de travail.
Notre projet est donc anti-autoritaire et anti-étatique.
En conséquence, le rôle d’un groupe révolutionnaire, n’est pas de représenter ni d’organiser qui que ce soit, mais de participer (sans séparation entre théorie et pratique, autant que cela soit possible) à la destruction du capitalisme, en fonction de ce qu’il pense et de ce qu’il souhaite. Il n’est pas extérieur à des masses qui sans lui ne seraient que réformistes, il en est une partie minuscule qui ne désire ni diriger ni être dirigée et qui a décidé de s’exprimer, de proposer, d’analyser, de lutter.
La contradiction et les oppositions entre un groupe et le reste de la société existent, mais finalement pas davantage qu’entre différentes couches sociales, qu’entre différentes fractions du prolétariat. Le danger d’avant-gardisme existe aussi dans la mesure où tout le monde ne s’exprime pas et ne propose pas, et où des canaux égalitaires d’échange n’existent pas. Il nous faut donc favoriser au maximum l’éclosion de l’expression, la création de multiples canaux d’échange, et ce sans tomber dans le piège d’une radicalité élitiste qui n’est que le revers de la médaille du frontisme réformiste. Et cela n’est pas simple, quand il s’agit de définir une stratégie révolutionnaire, les groupes ont tendance à aller de l’une à l’autre, d’un jour à l’autre.
Nous ne pensons pas que le « socialisme » soit contenu inéluctablement dans le capitalisme à cause de ses contradictions internes. Cette vision idéaliste de l’histoire a plusieurs inconvénients :
— triomphalisme qui masque les difficultés profondes à résoudre,
— tendance à ne rien faire et attendre,
— situer toujours et uniquement le problème au niveau économique et politique,
— favoriser des institutions qui, au nom de leur prétendue place dans le « sens de l’histoire », acceptent la légalité, et ne sont en fait que des moyens de conservation du système.
Ces conséquences font que nous refusons cette conception de l’histoire non pas parce qu’elle est fausse ou vraie : il n’existe pas plus de science de la révolution que de science de l’histoire. C’est en fonction de notre projet révolutionnaire, anti-étatique, anti-autoritaire, anti-centraliste, que nous jugeons l’histoire et les systèmes politiques et économiques, et que nous luttons.