La vie morcelée, mesurée, assassinée. La misère et l’ennui. Le travail à la chaîne, les heures sans vie, la répétition, la reproduction du même geste, du même acte. La mort absorbant la vie. La mauvaise mort de la mauvaise vie.
La passivité, le spectacle généralisé, le conditionnement, la mode et le suffrage universel. Une illusion, toute petite, codifiée, réaliste, bien aménagée : les élections. Sans aventure, sans risque, un vote pour changer la vie. L’acte est minime, la promesse énorme, le résultat, nul.
Entre la consommation ostentatoire et la misère, entre la bourgeoisie exploiteuse et l’immigrant sans pain ni droit, la domination de classe s’installe ; l’idéologie unificatrice réduit le conflit aux limites prévues par le système, l’entoure du carcan matelassé de la légitimité. Le prolétariat, la paysannerie, assoupi, choisit ses délégués et attend s’adapte, choisit ses chefs et attend ; s’intègre, choisit ses gouvernants et attend.
Les ouvriers travaillent (les femmes avec deux patrons), les intellectuels écrivent, les syndicalistes et les bureaucrates transmettent la consigne, le code, les politiciens gouvernent ou se préparent à gouverner.
Mais la violence en sourdine de la vie quotidienne n’est pas seule à soutenir le vieux monde. La force, la seule force légitimée, celle de l’État, se montre à face dévoilée telle qu’elle est, violence de classe, quand la rébellion exige le changement et met en danger les privilèges, le capital, le pouvoir.
Et la rébellion existe. Le nouveau monde est en gestation. La vie, la véritable vie s’y concentre. Les grèves sauvages, le mouvement qui amalgame l’usine et la rue. La spontanéité du geste collectif qui unifie le long travail des idées et de l’action, l’action directe.
Et aussi l’attentat, la séquestration politique, la guérilla, la minorité, la lutte. Et la répression, la torture, la prison, le racisme, le génocide ou la guerre, suprême recours du parti de l’ordre.
Face au système établi, une hypothèse : la Révolution.
La Révolution, le changement total face à la totalisation de l’ordre d’État. Le monde du possible ouvrant une brèche dans le réalisme quotidien. L’abolition du salariat, de la propriété privée et de l’État. La Révolution, un mouvement collectif expropriateur et anti-étatiste. L’abolition de la division dirigeant-dirigé.
Est-elle possible ? En tout cas c’est un pari et une lutte. Il n’y a pas d’eschatologie, l’attente du Grand Soir est un alibi. Mais c’est la construction d’un mouvement, c’est un effort constant, ici et maintenant. C’est un risque. C’est une rupture. C’est la seule possibilité du changement.
Ne pas accepter les règles du jeu, jeu truqué par la domination de classe. Refuser les conditions imposées par la légitimité instituée, légale, d’État. La Révolution c’est la destruction de la division du travail, de l’autorité patriarcale, de la domination de classe, du pouvoir d’État.
Avant, pendant et après : Abats l’État.
Avant, parce que l’État est aussi à l’intérieur de chacun, intériorisé sous forme de relation entre les hommes. Révolutionnaires et conservateurs sont le fruit du même projet historique. Refus par les uns, acceptation par les autres, de la même socialisation, les mêmes institutions : l’élevage de nourrissons, l’école, l’armée, l’usine. Les mêmes mythes : l’église ou la patrie. La famille. La même vie quotidienne.
Pendant, parce que le vieux monde est dur à crever et l’insurrection, qui désarticule l’État constitué, a tendance à chercher un nouveau centre de légitimation de l’action révolutionnaire, un nouveau centre de décision, un nouveau groupe de délégués, spécialistes, bureaucrates, une nouvelle classe de dirigeants. Un nouveau pouvoir d’État.
Après, enfin, nous commencerons, nous continuerons. Abats l’État !
Nicolas