La Presse Anarchiste

Élection… perturbation

per­tur­bés, ceux qui pen­saient que les rap­ports de force qui entraînent des chan­ge­ments dans notre socié­té, sont les lames de fond de la lutte de classe, et non les rap­ports de la classe poli­tique, et qui ont quand même voté.

per­tur­bés, ceux qui ne font plus rien depuis 68, et qui, mau­vaise conscience ou bonne occa­sion, se sont réveillés pour appe­ler à voter Mit­ter­rand : som­met de l’é­lec­to­ra­lisme, celui qui consiste à ne par­ler et à n’a­gir que tous les 5 ou 7 ans. C’est vrai que les pers­pec­tives ne sont pas très claires, c’est vrai que ce qui doit être fait n’est pas évident, c’est vrai aus­si que l’on peut se reti­rer sans être pour autant un contre-révo­lu­tion­naire, mais alors de grâce, tai­sons-nous une fois de plus, dix jours de plus, et ne ren­trons pas sur la « scène » en lan­çant des appels comme une avant-garde en réserve pour les bonnes occa­sions. Votez, tran­quille­ment dans votre coin comme des mil­lions d’autres sans en faire une salade.

per­tur­bés, ceux qui essayent de se situer dans la pro­blé­ma­tique du « qu’est-ce qui serait le mieux » (pour qui ? pour quoi ?), alors que l’his­toire montre que l’on ne peut rien en savoir.

per­tur­bés, ceux qui après avoir fait la cri­tique de l’a­vant-gar­disme et de « ser­vir le peuple » appellent à voter Mit­ter­rand parce qu’il faut être avec ceux chez qui est l’espoir.

Bref, la réduc­tion du champ poli­tique à deux camps entre les­quels il fau­drait choi­sir à tout prix : est-ouest, droite-gauche, noir-rouge…

C’est curieux comme on aban­donne faci­le­ment ses posi­tions et ses ana­lyses de base dès qu’on a l’oc­ca­sion de pen­ser qu’on peut ne plus être mino­ri­taire. Le mar­gi­na­lisme a‑t-il mau­vaise conscience ?

Car en fait, aucune ana­lyse n’est plus convain­cante que l’autre.

  • on en marre de voir les gueules de Gis­card et des autres ; _​ avons-nous oublié celle de Mit­ter­rand, de la 4e et du Stalinisme ?
  • avec Mit­ter­rand, ça peut être le bor­del, ça risque d’être marrant ;

    la poli­tique du pire tra­duit un pro­fond désar­roi et des défaites prochaines.
  • si la gauche passe la social-démo­cra­tie et la sta­li­nisme seront démys­ti­fiés une bonne fois pour toute…

    comme en URSS, en 36 ou en 45 ? Cette vieille croyance qu’a­près février il y a le palais d’hi­ver, qu’a­près la social-démo­cra­tie il y a la révolution !
  • il faut être avec le peuple …

    même quand il est fasciste ?

D’un autre côté on peut dire aussi :

  • avec Gis­card les luttes vont redou­bler car il n’y a plus aucune rai­son de res­pec­ter la trêve.
  • la vic­toire de Gis­card ça va faire un cli­vage au PC avec ceux qui ne fai­saient des conces­sions qu’à contre-cœur, pour une vic­toire élec­to­rale certaine.

Bref aucun argu­ment sérieux, aucune ana­lyse pro­fonde, mais de piteuses ten­ta­tives de jus­ti­fier un simple mou­ve­ment du cœur que la rai­son ne connaît pas.

Et en défi­ni­tive, l’ar­gu­ment sui­vant : si tu votes pas pour la gauche, tu votes de fait pour la droite ! Argu­ment qu’il est triste de trou­ver dans la bouche de ceux qui ont tou­jours cri­ti­qué ce genre de rai­son­ne­ment : « si t’es pas à la C.G.T., t’es avec le patro­nat. » « si tu cri­tiques le PC, tu fais le jeu du pou­voir », etc… etc… On connaît !

En fait, der­rière cela, une ten­ta­tive de se rac­cro­cher à quelque chose qui semble avoir une impor­tance. Illu­sion, volon­té d’être quelque chose, d’être dans le coup, mais aus­si, bien sou­vent, refus de n’être plus un pou­voir, quel­qu’un que l’on écoute, comme une espèce d’a­vant-garde qui ne dirait pas son nom.

Ce que l’on peut pen­ser aus­si, c’est que Gis­card, avec le sou­tien du grand capi­tal inter­na­tio­nal et du patro­nat, et sous la pres­sion des tra­vailleurs, a plus de pos­si­bi­li­tés d’ac­cor­der des miettes que Mit­ter­rand, pri­vé de ce sou­tien una­nime, et har­ce­lé par la droite.

Mais enfin ce n’est pas là le problème.

Encore une fois, les élec­tions ont bien rem­pli leur rôle : celui d’une for­mi­dable machine de dépo­li­ti­sa­tion, qui par­vient à créer l’illu­sion d’un pou­voir quel­conque chez ceux qui en ont le moins ; elles ont été au moins le révé­la­teur de la confu­sion qui règne à l’ex­trême-gauche qui ne par­vient pas à se sor­tir des pro­blé­ma­tiques posées par la bourgeoisie :
« moi qui ne fais jamais rien, je vais au moins voter pour la gauche »,
« moi qui ai échoué dans telle ou telle lutte, je vais quand même dire ce que je pense ».

Ce dépla­ce­ment se fait bien sûr en faveur du pou­voir. On s’a­per­çoit que l’an­ti-élec­to­ra­lisme de beau­coup n’existe que lors­qu’il n’y a ni sus­pense ni hési­ta­tion. Suprême astuce du pou­voir : des scores ser­rés (la bipo­la­ri­sa­tion vou­lue par tous) pour faire croire davan­tage à l’u­ti­li­té de la voix de cha­cun. Or il semble que pour un anti-élec­to­ra­liste consé­quent, c’est pré­ci­sé­ment quand sa voix a une chance de comp­ter qu’il ne faut pas la donner.

Il est cer­tain que pour un cer­tain nombre de cama­rades, le fait de voter a eu dans leur tète une impor­tance consi­dé­rable (beau­coup plus en tout cas que pour des cen­taines de mil­liers de gens qui votent régu­liè­re­ment pour la gauche, sans y pen­ser outre mesure, sans y atta­cher plus d’im­por­tance qu’à d’autres rituels), à en juger par le temps pas­sé à peser le pour et le contre, et une fois déci­dés, à trans­po­ser leur mau­vaise conscience en agres­si­vi­té contre les quelques-uns qui, en ne
« votant pas », votent en fait pour la droite.

Pour ter­mi­ner, il ne s’a­gis­sait pas non plus de se lan­cer dans une cam­pagne abs­ten­tio­niste, qui se pla­çait encore dans la pro­blé­ma­tique de la sur­va­lo­ri­sa­tion du phé­no­mène élec­to­ral, mais de com­prendre que cette déban­dade idéo­lo­gique cor­res­pond bien à une période où les pers­pec­tives ne sont pas claires, où le désar­roi est immense (c’est peut-être lui qui nous mène­ra au fas­cisme plus que (Giscard)[[Voir page 12 l’ar­ticle sur les Pales­ti­niens.]], où les vrais pro­blèmes de la révo­lu­tion ne sont ni posés ni débat­tus (à notre sens). Notre revue sera peut-être une ten­ta­tive au milieu de beau­coup d’autres.
MARTIN

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