OK pour tous ces termes, mais à condition qu’ils contiennent tous au minimum une société non hiérarchisée où chaque individu a tout pouvoir sur sa vie et sur sa production. où les privilèges sociaux n’existent plus, bref, une société sans État, et où toutes les divisions (pas forcément toutes les différences) manuels-intellectuels, etc., sont abolies.
Mais c’est à partir de là que se posent tous les problèmes ; si l’on considère que la division sociale du travail, c’est la position sociale, donc les privilèges, qui sont « affectés » à chacun en fonction de sa position dans le processus de production, d’où vient cette division sociale ?
— est-elle liée à la division technique du travail (c’est-à-dire à l’instrument précis que chacun utilise) ? Certainement, mais dans quelle mesure ?
— on prétend souvent que la division technique est nécessaire car tout le monde ne peut pas tout connaître. Mais alors dans ce cas là, comment faire pour que sur la base de la « compétence », de la « spécialité » ne se recréent pas des privilèges, de la hiérarchie, puis des classes ?
— si l’on pense que c’est la division technique elle-même qu’il faut supprimer, comment la vie sociale peut elle s’organiser, et avec quel type de production, avec quels instruments ?
— il est certain que la « rotation des tâches » sera un « instrument » nécessaire à la garantie de non retour aux privilèges et à la hiérarchie, mais alors comment faire pour que les techniques soient ouvertes à tous, comment ne pas donner un caractère totalitaire à cette rotation ? comment le désir peut-il s’insérer là-dedans, et que savons-nous de ce qui pourrait être alors le désir ?
— et puis quel rapport y a‑t-il entre l’organisation sociale d’une société et les techniques qu’elle utilise ? est-ce la machine à vapeur qui a engendré le capitalisme comme le pensait Marx, ou au contraire le capitalisme qui a créé la machine à vapeur (cf. S.A. Maglin dans « Critique de la division du travail » aux éd. du Seuil). Autrement dit, les techniques sont-elles liées pour toujours à une société dont nous ne voulons plus, ou bien peuvent-elles être subverties et remises au service de l’homme ?
Ou alors le problème n’est-il pas plutôt comme le dit M. Bookchin dans « Vers une technologie libératrice » (voir notre présentation) :
« …savoir s’il y a un potentiel libérateur dans la technologie moderne, et si cette technologie renferme des tendances capables de transformer la machine en vue de son utilisation dans une société « organique », tournée vers l’homme ? »
Face à ces problèmes, on se trouve souvent face à deux types de réponses :
— d’un côté une confiance aveugle et illimitée dans le développement du capitalisme, de la technique, de la technologie ; les problèmes ne sont que « sociaux », « politiques », d’« organisation », de « contrôle ». C’est la position de certains autogestionnaires, qui confondent gestion, même collective et à la base, du capital, et gestion de sa propre existence, ou du moins qui voient dans la première une « étape » vers la société sans classe (cf LIP et ses illusions).
Cette foi aveugle est en fait une foi cachée pour la hiérarchie comme chez Engels qui dit :
« Si l’homme à force de savoir et de génie inventif a domestiqué les forces de la nature, ces dernières prennent leur revanche sur lui en le soumettant, dans la mesure où il les emploie, à un véritable despotisme indépendant de toute organisation sociale. Vouloir abolir l’autorité dans la grande industrie, revient à vouloir abolir l’industrie elle-même, à détruire le métier mécanique pour en revenir au rouet. »
« On authority, almenacco republicano » 1894
Autrement dit, puisque pour lui, le socialisme est lié au développement du capitalisme donc au passage du rouet au métier mécanique, vouloir abolir l’autorité dans la grande industrie, c’est être contre le socialisme. Ben voyons !
— d’un autre côté, une critique radicale de la première position, mais avec à la clé, soit le retour à la nature, soit des incantations magiques pour une fin mythique du travail.
Aucune de ces réponses ne nous convenant, il s’agit bien sûr d’en trouver d’autres ; comment la division du travail intervient concrètement sur notre vie, qu’entraîne-t-elle dans tous nos rapports ? Il faut nous employer à trouver des réponses si nous ne voulons pas que l’autogestion, l’anarchie, le socialisme, le communisme, ne restent que des constructions intellectuelles, des religions, des utopies, et non une utopie que nous pensons pouvoir vivre un jour.