Pour rétablir l’ordre dans les lycées : les laisser « autogérer » par les usagers… c’est l’exemple fourni par des expériences de « 10 % ».
Les 10 % désignent un capital horaire soustrait au temps d’enseignement (10 % de ce temps) et rendu disponible
« en priorité, pour des activités mettant l’accent sur le travail d’équipe des professeurs… il pourra être utilisé par exemple pour le développement du travail indépendant, pour la documentation, et pour d’autres activités éducatives liées à l’enseignement qui impliquent un contact extérieur à l’établissement, telles que stages d’élèves, excursions, etc. » (Circulaire du 27 mars 1973).
Aucune directive spécifique n’accompagne ces indications parce qu’il est dans l’esprit même de ces 10 % d’être une activité facultative, mal définie, permettant une utilisation très souple laissée au choix du consommateur.
Devant ce vague, les administrations des lycées ont réagi de façon différente. Soit, elles ont décidé d’appliqué autoritairement une mesure qui ne l’était pas. Soit, incertaines, prudentes, elles se sont contentées de diffuser l’information laissant l’initiative aux profs. Ceux-ci, tout aussi réticents, sont restés dans une situation d’attente. De fait, dans ce cas là, ce sont les élèves qui ont réclamé à grands cris l’application de ces 10 % ; non pas, pour purement et simplement mettre en pratique une réforme ministérielle, mais parce qu’ils voyaient, dans tout ce flou, une occasion de faire enfin quelque chose qui les intéressait. Et les 10 % ont bien failli devenir une activité subversive (projeter le film Histoire d’A, organiser des discussions avec le MLAC, des travailleurs). C’est là que profs et administration ont commencé à réagir devant une situation qui leur échappait.
Heureusement que les bons pédagogues libéraux étaient là pour expliquer, comme d’habitude, que ces 10 % il fallait les prendre, les détourner (ce qui n’est pas faux) et que, par conséquent, pour qu’on ne puisse pas nous les supprimer (et c’est là que se fait le clivage), il fallait que ce soit quelque chose de sérieux, qu’il n’y ait rien à leur reprocher, qu’on allait prouver, en gérant nos activités nous-mêmes dans le lycée, qu’on faisait mieux que tous les proviseurs, administrateurs, et ministres de l’Éducation nationale de tous poils.
Organisation
Les thèmes proposés par profs et élèves — à part une ou deux sorties dans Paris sous prétexte d’études géosociologiques ou de visite de musée, ce qui finalement était ce qu’il y avait de mieux — auraient pu à peu près tous figuré sur les listes de sujets d’agrégation.
Non pas que c’était sans intérêt, loin de là, mais déjà sur le papier ça vous prenait l’allure de cycles de conférences organisés par des cerveaux tristes et éminents… pour être sérieux, c’était sérieux !
Chacun de ces thèmes était patronné par un ou des profs, pas forcément spécialistes en la matière (ex : prof de langue sur un thème d’histoire), les élèves se répartissant dans tout ça selon leurs désirs évidemment, et même ô liberté suprême ils pouvaient ne pas y aller du tout. Dans ce cas, ils devaient aller en cours avec contrôle de présence à l’appui.
Exemple
Parmi tous les sujets proposés, il y avait inévitablement, puisque c’est toujours et pour cause, de la 6e à la terminale, le problème intéressant : la sexualité.
Déroulement des 10 % sur le thème de la sexualité :
- élèves entassés dans la salle, sur les tables, par terre, debout serrés contre les murs ;
- le prof (ou les profs selon les salles) seul, debout sur l’estrade, derrière le bureau ;
- trois ou quatre heures de discours professoral, quasi ininterrompu, sur la sexualité devant une salle silencieuse et attentive. Discours paternaliste, scientifique, philosophique, sociologique, moraliste, selon les cas et les moments, souvent complètement faux, débile, réac. . bref, triste.
Résultat
Ça a dû faire tellement bander les profs, qui y ont participé qu’ils en ont redemandé et on remit ça au plus vite.
Le pouvoir, le sentiment de puissance du prof qui croît à son truc, qui déballe son savoir seul face à sa classe, et qui le fait ingurgiter, c’est déjà pas rien en temps ordinaire (et c’est ça le feu pédagogique qui fait le bon prof, brillant intellectuel de gauche ou sombre crétin réac). Mais c’est malgré tout limité (par le nombre d’élèves, la spécialité du prof…). Jamais jusqu’à maintenant, un prof dans l’exercice de ses fonctions n’avait pu étendre cette puissance à tout un lycée, sur un champ intellectuel aussi vaste. Mais grâce aux 10 %, quelle jouissance !
- au lieu d’avoir en face de soi ses trente élèves habituels on en a cinquante, soixante… et inconnus. Des nouveaux-vierges en quelque sorte ;
- au lieu de dégoiser ses maths ou sciences-nat habituelles on dégoise avec maîtrise sur n’importe quoi où on est censé ne pas être spécialiste, mais en prouvant bien qu’on l’est malgré tout. Savoir dont on ne s’était jamais sévi, puissance toute neuve ;
- pas besoin d’user de tactiques répressives quelconques puisque les élèves qui sont là sont consentants.
Conséquence logique : les élèves se sont bien fait baiser. S’en sont-ils aperçus ? quelques-uns sans doute, les asociaux caractérisés dont on ne pourra jamais rien faire qui se sont bien rendu compte qu’entre çà ou le cours, pour eux, il n’y avait souvent, au mieux, qu’une différence d’appellation. Mais dans l’ensemble, même parmi les dits gauchistes, ceux qui font chier en classe, toujours prêts à semer le bordel quelles que soient les circonstances, tous ont écouté bien sagement, la bouche ouverte. La pilule a changé de couleur ; même que là où on l’a bien ingurgitée, on en a oublié de se battre sur la réforme Fontanet.
Conclusion
Réforme gouvernementale, sous couverture de libéralisation, pour récupérer dans l’institution des activités déviantes + profs de gauche organisant cette récupération sous couverture d’autogestion = les vaches sont mieux gardées.
Gudule