La Presse Anarchiste

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Pen­dant toute l’af­faire, la grande presse a joué fidè­le­ment son rôle de « cour­roie de trans­mis­sion » pour la police, relayant ses « infor­ma­tions », fai­sant écho à ses com­mu­ni­qués de vic­toire, puis à sa per­plexi­té : la voix de son maître, quoi… Cette concep­tion de leur métier est nor­mal chez des jour­na­listes qui vivent à lon­gueur d’an­née en rap­port (c’est le mot juste) avec les gens de la « grande mai­son », et dépendent, en fin de compte, de ceux-ci pour leur pain quotidien. 

Libé­ra­tion pose un cas par­ti­cu­lier, d’a­bord parce qu’il s’a­dresse à une clien­tèle par­ti­cu­lière : les mili­tants et sym­pa­thi­sants d’ex­trême gauche ; ensuite, parce que sa rédac­tion reflète — par­tiel­le­ment — les contra­dic­tions de cette extrême gauche. 

Aus­si la Pré­fec­ture de Police a‑t-elle dû se réjouir de voir avec quelle faci­li­té on pou­vait mani­pu­lé cet ins­tru­ment for­ma­teur d’o­pi­nion gau­chiste : four­nis­sez un rap­port de police qui sert l’in­té­rêt poli­tique de la frac­tion la plus sta­li­nienne, en ali­men­tant la sus­pi­cion contre tout ce qui est anar­chiste, et Libé­ra­tion marche-à- fond.

C’est l’ex­pli­ca­tion la plus cha­ri­table de l’ar­ticle signé « P.C. » qui fut publié en pre­mière page de Libé du 29 mai. Sous le titre « Des bar­bouzes dans le com­man­do », l’in­tro­duc­tion affirme d’emblée que « der­rière cette affaire se pro­file le spectre de l’in­fil­tra­tion des poli­ciers ou autres bar­bouzes dans le groupe anar­chiste. Et aujourd’­hui nous sommes à même de don­ner quelques détails sur ces infil­tra­tions. Plus, nous don­ne­rons pro­chai­ne­ment d’autres infor­ma­tions. » Cette der­nière pro­messe ne devait — bien enten­du — jamais être tenu ; mais voyons un peu les « informations ».

D’a­bord, le rap­pel d’ar­ticles paru dans Libé sur « les acti­vi­tés d’une agence de bar­bouzes qui recru­tait à Ali­cante et à Zurich, sous la direc­tion du doc­teur Géhard Har­mut von Schu­bert », ancien nazi, « expert de la guerre secrète » et adjoint du « pro­fes­seur Johannes von Leers (…) qui sévit en Argen­tine, puis, après la chute de Per­on, en Égypte et en Irak. » Suit un luxe de détails sur cette agence, le « Pala­din Group », qui aurait depuis le début de 1974 « deux axes de tir : l’in­fil­tra­tion des groupes anti-fran­quistes et la neu­tra­li­sa­tion de leurs élé­ments les plus durs. Neu­tra­li­sa­tion, c’est-à-dire enlè­ve­ment, mise à l’ombre ou éli­mi­na­tion phy­sique pure et simple. » Pointe d’i­ro­nie suprême, on prend la peine de nous pré­ci­ser : « Pas de fuite pos­sible, les ren­sei­gne­ments remontent la pyra­mide et au som­met c’est le « Doc­teur Miracle » qui négo­cie avec le gou­ver­ne­ment espagnol. » 

Après cette pré­pa­ra­tion, P.C. peut en venir au cœur du sujet. Lais­sons-lui donc la parole : 

« Il est curieux de consta­ter que dans les jours qui ont pré­cé­dé l’ar­res­ta­tion « à Cli­chy (Seine-Saint-Denis) (sic) d’Anne et Lucio Urtuia (re-sic), deux frèles com­parses de l’en­lè­ve­ment du ban­quier, une Porsche blanche 911, imma­tri­cu­lée dans le can­ton du Tes­sin, en Suisse, sta­tion­nait des heures à proxi­mi­té du domi­cile du basque et de son épouse. Nous avions déjà signa­lé ce véhi­cule, dans notre numé­ro du 23 jan­vier 1974, comme étant celui d’un agent recru­teur de von Schu­bert, Pao­lo Bar­zel, ex-ter­ro­riste au Tyrol du Sud. Curieux non ? 

« Tout est bizarre, la pré­sence en Avi­gnon de Jean-Vincent Mar­ti­ni, un Belge de 32 ans, figure bien connue des milieux mer­ce­naires et bar­bouzes de Bruxelles et de Vienne. Mar­ti­ni, qui cir­cule à bord d’un crabe Mer­cé­dès, imma­tri­cu­lé en Ita­lie, à Gênes plus exac­te­ment, a pas­sé près de douze jours dans la région avi­gnon­naise en com­pa­gnie de deux jeunes gens et d’une jeune femme non iden­ti­fiés. Or, Mar­ti­ni est un homme de von Schu­bert. Assez curieux, n’est-ce pas ? 

« Si les prin­ci­paux auteurs de ce rapt com­bien bizarre sont encore en liber­té, ce n’est peut-être pas pour rien. Les hommes du groupe Pala­din sont rom­pus à tous les types de pro­vo­ca­tion et ne font pas la fine bouche sur le choix des moyens, encore moins main­te­nant appuyés comme ils le sont par le vieillard san­glant de Madrid. »

Et ain­si de suite…

Ces élu­cu­bra­tions au relent carac­té­ris­tique per­mettent de poser deux pro­blèmes. D’a­bord, il serait vain de nier que le pour­ris­se­ment de cer­tains milieux de l’exil espa­gnol (ou russe, on tchèque…) est tel — et ceci bien avant que P.C. n’ait ces­sé de por­ter la culotte courte — qu’il pose un pro­blème réel ; c’est d’ailleurs un sujet sur lequel nous pen­sons qu’il fau­dra se pen­cher sérieu­se­ment. Mais cet article, insi­nuant sans prou­ver, don­nant des « infor­ma­tions » qui sou­lèvent autant, et même plus de ques­tions qu’elles ne pré­tendent en résoudre, n’est pas fait pour cla­ri­fier la situa­tion : au contraire il l’obs­cur­cit, et c’est peut-être, à terme, encore ain­si que ce texte poli­cier risque de faire le plus de mal au mou­ve­ment libertaire.

Deuxiè­me­ment, de manière plus immé­diate, cet article, outre qu’il tend à jeter le dis­cré­dit sur l’en­semble des milieux anti­fran­quistes, charge nom­mé­ment cer­tains indi­vi­dus — les Urtu­bia — au moment ou la police cherche à jus­ti­fier leur arres­ta­tion. Faut-il dire que son auteur n’a jamais cher­ché à contac­ter leurs défenseurs ? 

Et, au-delà, ce qu’il faut poser, c’est le vieux pro­blème de la concep­tion poli­cière de l’his­toire comme conspi­ra­tion des forces du mal (et son coro­laire, le héros défen­seur du bien), et ses rap­ports avec l’i­déo­lo­gie sta­li­nienne, mais aus­si avec la per­son­na­li­té tota­li­taire en géné­ral (et ceci pour­rait être ins­truc­tif pour beau­coup de camarades…). 

Lais­sons à P.C. le soin d’as­su­mer ses res­pon­sa­bi­li­tés. Remar­quons que trois semaines plus tard, Libé­ra­tion n’a tou­jours pas jugé utile de publié la moindre infor­ma­tion sur l’af­faire, et sur­tout pas d’ac­cor­der le droit de réponse qu’a aus­si­tôt récla­mé le Comi­té de Défense des Incul­pés. Le texte de cette réponse fut « per­du » après trois jours où per­sonne n’a­vait trou­vé le temps de la lire (ben voyons…). L’en­voi d’une deuxième copie eut pour seul effet de rendre insai­sis­sable le rédac­teur qui l’a­vait reçue. 

Ayant reçu une copie de cette réponse, il a sem­blé néces­saire de la publier. Peut-être la publi­ca­tion de cette polé­mique — à l’ex­té­rieur de Libé­ra­tion — amè­ne­ra-t-elle un de ces débats si ardem­ment sou­hai­tés par ce quo­ti­dien « démo­cra­tique » ? En atten­dant, il reste à Libé­ra­tion à jus­ti­fier sa conduite jus­qu’à présent.

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