La Presse Anarchiste

Italie : Histoire d’un type de Salerne

Il y avait eu l’Af­faire Pinel­li (un che­mi­not anar que la police de Milan avait inter­ro­gé un peu trop fort, et qu’elle avait sui­ci­dé ensuite). 

Il y avait eu, et il y a encore l’Af­faire Val­pre­da (mas­sacre à la bombe à Milan) : aujourd’­hui on connaît par­fai­te­ment les vrais cou­pables, qui sont des mani­tous fas­cistes ; ils sont en fuite, mais une ins­truc­tion est conclue, leur pro­cès devrait s’ou­vrir… bientôt. 

Mais les juges vou­draient juger les deux pro­cès ensemble : Val­pre­da et les fas­cistes dans le même sac, l’in­no­cent et les cou­pables, c’est pas bête. 

Mais Val­pre­da se défend, et même il attaque : « Cela fait quatre ans que j’at­tends mon pro­cès, j’en ai pas­sé trois en pri­son, dont deux mois au cachot. Enfin, nous (avec ses co-incul­pés) pou­vons par­ler dans un débat public. Après ça, le juge lui a cou­pé la parole, mais comme le dit un quo­ti­dien ita­lien, le pré­sident Zeu­li (le juge) a dû endu­rer plus d’une inso­lence (fin mars 74).

Et puis, alors qu’ils avaient déjà Val­pre­da et ses copains sur les bras, voi­là l’af­faire Mari­ni.

Salerne, c’est un port dans le midi de l’I­ta­lie, un peu au sud de Naples. Depuis quelques années, les fas­cistes ita­liens, par­don, les néo-fas­cistes, ont déci­dé, avec la béné­dic­tion d’une par­tie du patro­nat ita­lien, de la Police, des Maf­fia et autre Camo­ra, que le sud de l’I­ta­lie, ça allait être à eux. Les muni­ci­pa­li­tés y sont plus ouver­te­ment pour­ries et inca­pables qu’ailleurs, les fas­cistes s’ins­tallent là-dedans comme chez eux, et tâchent de se pré­sen­ter comme les porte-parole des exploi­tés. On a vu ça lors des émeutes de Reg­gio de Calabre.

Mais pour que ça marche, il faut éli­mi­ner les empê­cheurs d’in­toxi­quer en rond, ceux qui montrent que patrons-fas­cistes — même combat.

Pour ça, les fas­cistes ita­liens ont une bonne vieille méthode, la même qu’ailleurs, mais expé­ri­men­tée depuis 1920 en Ita­lie. Ils appellent ça le squa­dris­mo, quelque chose comme la tac­tique de l’es­couade. On forme des escouades de gros-bras, des ner­vis, comme on dit à Mar­seille, on leur file des che­mises plus ou moins mili­taires, un arme­ment, un contact avec un fonc­tion­naire de la police pour être cou­vert, et ont les ins­talle dans un quar­tier popu­laire. Leur bou­lot : connaître tout le monde, flan­quer la trouille à ceux qui peuvent l’a­voir, recru­ter quelques aco­lytes, et se débar­ras­sé des irré­duc­tibles. Ils ont le fric, ils ont le temps, les moyens, les flics avec eux. Alors c’est tout simple, ils s’a­musent entre copains, à faire une grosse tête aux rouges. — Si t’es pas content, tu n’as qu’à aller te plaindre au com­mis­sa­riat, et de rire. C’est comme ça que le 7 juillet 1972, un squa­dro fas­ciste de Salerne, en che­mise noire et en cas­quette, est tom­bé à bras rac­cour­cis et même à matraque rac­cour­cie, sur trois types qui col­laient des affiches ; l’un des trois est tom­bé à terre assez vite, tou­ché à la tête ; les deux autres ont sor­ti leurs cou­teaux, les fas­cistes ont tiré les leurs. Mais cette fois-ci, c’est eux qui ont payé les pots cas­sés le chef du com­man­do, Fal­vel­la, est res­té sur le car­reau. Trans­por­té à l’hô­pi­tal, il y mour­ra peu après (il semble qu’il n’y avait per­sonne pour l’o­pé­rer quand il est arrivé). 

Des deux types qui ont résis­té aux fas­cistes, l’un a dis­pa­ru : l’autre, c’est Gio­van­ni Mari­ni, né à Salerne, dans une famille de sept enfants, père – ouvrier du bâti­ment, mère – sans pro­fes­sion, comme on dit. Mari­ni, la police l’a­vait déjà repé­ré ; il était un peu trop popu­laire dans les quar­tiers du même nom. Alors la police a déci­dé de prendre la relève de ses petits copains en che­mise noire. Dans ces cas-là, les flics, on peut comp­té sur eux Donc, vite fait, bien fait, ils mettent la main sur Mari­ni, et ils l’en­voient en tôle. Tout ça, très régu­lier, service-sévice.

Au début, on trim­bale Mari­ni de pri­son en pri­son quinze en un an, qui dit mieux (N.B. : le truc a été uti­li­sé récem­ment aus­si en Alle­magne de l’ouest, pour empê­ché les déte­nus d’être secou­rus par une orga­ni­sa­tion de défense : Secours Rouge). Un beau jour, on le débarque à la pri­son de Cal­ta­nis­set­ta. C’est joli, Cal­ta­nis­set­ta, et puis c’est en Sicile, exac­te­ment en plein milieu de la Sicile. C’é­tait en août. Pour aller le voir, la mère de Mari­ni part de Salerne : Salerne-Naples, 54 km ; ensuite le bateau jus­qu’à Catane, un peu plus de 600 km ; ensuite le car jus­qu’à Cal­ta­nis­set­ta, par des routes de mon­tagne, 150 km. Un gen­til voyage. Remar­quez, elle avait déjà pris l’ha­bi­tude de voya­ger, pour le voir, son fis­ton ; après les pri­sons de Salerne et de Naples, elle avait déjà visi­té le par­loir de la pri­son de Fog­gia (145 km de Salerne), de Poten­za (122 km de Salerne, une plai­san­te­rie), de Matéa (250 km de Saléne), de Rome (300 km de Salerne), de Brin­di­si (380 km de Salerne), etc. J’ar­rête, on va croire que c’est pour une agence de tourisme. 

Bref, la dame arrive à Cal­ta­nis­set­ta. Mari­ni vient de faire une grève de la faim, en soli­da­ri­té avec les déte­nus de Rome. Les flics et le matons ras­surent Madame Mari­ni : Je me rap­pelle que le gar­dien-chef m’a dit de ne pas m’en faire, que Gio­van­ni était bien, et n’a­vait pas d’en­nuis. Cette fois-là, je suis repar­tie de Cal­ta­nis­set­ta assez tran­quille.

Seule­ment après, les défen­seurs de la Loi et de l’Ordre se sont mis au tra­vail. Il s’a­gis­sait de trans­for­mé Mari­ni pour en faire un accu­sé pré­sen­table, assa­gi ; un peu comme dans les cor­ri­das, on tra­vaille le tau­reau avant de le lais­sé entrer dans l’a­rène, his­toire de faci­li­ter le tra­vail du Maes­tro. Mais lais­sons la parole à sa mère :

Quelques semaines après mon retour, un avo­cat, un ami de la famille, vint le voir pour lui par­ler, mais ils ne le per­mirent pas. Ils disaient que les per­mis (de visite) n’é­taient pas en règle. Per­sonne n’i­ma­gi­nait, per­sonne ne pou­vait ima­gi­ner que mon fils était dans une cel­lule sou­ter­raine, ligo­té à une ban­quette, entre la vie et la mort. Comme cela fai­sait long­temps qu’il n’é­cri­vait pas, je revins le voir. À peine arri­vée à Cal­ta­nis­set­ta, ils ne vou­laient pas me per­mettre de le voir. Le gar­dien-chef était très agi­té, et cela m’a inquié­tée. Après des heures d’in­sis­tance, enfin ils me l’ont por­té. Mon pauvre fils, il ne disait rien ; je ne le recon­nais­sais presque pas ; les yeux rouges de sang, le visage, les mains livides ; les larmes lui sor­taient en abon­dance, il ne disait rien. Je fais sem­blant, avec peine, de ne pas être émue. J’a­vais com­pris, je m’en allai. Cette sale­té de gar­dien-chef me regar­dait avec atten­tion ; j’ai trou­vé la force de lui sou­rire, ça m’é­tonne encore.

Depuis, on a su ce qui avait mis Mari­ni, qui n’é­tait pas pré­ci­sé­ment impres­sion­nable dans cet état : le let­to di conten­zione ; on vous colle en cel­lule, on vous attache sur une espèce de bas-flanc, et on vous laisse là ; on vous nour­rit quand on a le temps, pour vos besoin vous vous débrouillez. Le temps passe, si vous avez de la chance, pour vous dis­traire, les gar­diens viennent vous flan­quer une danse, mais c’est illé­gal. Et puis on vous rat­tache les deux pieds et les deux mains à votre lit. Au bout de quelques semaines, vous voyez le travail.

Je suis allée tout de suite à Rome, chez Man­ca (chef de l’ad­mi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire), dans sa vil­la, hors de la ville. Il m’a reçue très mal. Il criait tout agi­té et en sueur. Il disait que mon fils était tout juste bon pour la Sar­daigne. Et il n’ar­rê­tait pas de dire que la vil­la n’é­tait pas à lui. Mais qu’est-ce que j’a­vais à faire de sa vil­la ? Je pen­sais à mon fils, dans quel état, frap­pé dans le noir par de lâches poli­ciers. Et puis Spaz­za­li (avo­cat, défen­seur de Mari­ni) a fait la confé­rence de presse, et les jour­naux en ont parlé.

M. Man­ca et son gar­dien-chef de la pri­son de Cal­ta­nis­set­ta s’é­taient dit qu’a­près tout, le sep­tième enfant d’un ouvrier de Salerne, un anar, ça ne ferait pas beau­coup de bruit. Pas de chance, ça en a fait. Alors M. Man­ca s’af­fole un peu. Ques­tion : com­bien de jours, M. Man­ca et ses amis poli­tiques auraient-ils tenu sur le let­to di conten­zione ?

Bref, le 28 février 1974, on s’est déci­dé, après un an et huit mois, à faire pas­sé Mari­ni devant un tri­bu­nal. Il a fal­lu des mois de manifs, de prises de parole dans toute l’I­ta­lie pour en arri­ver là. Les néo-fas­cistes du M.S.I., de leur côté, essaient de pré­pa­ré le ter­rain à Salerne, cou­vrant les murs de la ville de menaces aux rouges, font venir des gros-bras de toute l’I­ta­lie pour qua­driller la ville (ils ont le temps, eux, ils sont payés pour ça). Fina­le­ment ils ont déci­dé une marche sur Salerne. Pas de chance non plus. Le jour de l’ou­ver­ture, la place était pleine de cen­taines d’a­nar­chistes et de gau­chistes. Alors, le pro­cès s’est ouvert ; le pré­sident (lunettes, l’air sérieux du juriste objec­tif) pro­pose à Mari­ni de lui faire enle­vé les menottes. Mari­ni répond :

Votre hypo­cri­sie ne m’in­té­resse pas. D’a­bord vous me tenez lié sur le lit de force, et puis, en public, vous vou­lez avoir l’air vrai­ment indulgent !

L’a­vo­cat de la par­tie civile (pour le fas­ciste Fal­vel­la) est Maître de Mar­si­co, très connu des ita­liens durant les années trente, Mari­ni met aus­si les choses au point :

Vous avez été ministre de la jus­tice de Mus­so­li­ni, vous avez été un des auteur du Code Roc­co (série de lois inter­di­sant la grève et don­nant le mono­pole aux syn­di­cats fas­cistes ver­ti­caux, 1926, 1934), vous êtes un fas­ciste, et puis c’est marre.

Et puis Mari­ni pro­fite de l’au­dience pour dénon­cé les condi­tions d’in­ter­ne­ment en Ita­lie, la mort récente d’un déte­nu à Salerne — quand on sait ce qui s’est pas­sé depuis, (mai 1974) à Ales­san­dria, on voit que la sur­vie dans les pri­sons n’é­tait pas seule­ment à l’ordre du jour à Salerne (et ici aus­si, à Saint-Paul…).

Il décrit ce qu’est le fas­cisme dans le sud, il fait le pro­cès des sys­tèmes auto­ri­taires. Dans la fou­lée, on en apprend de belles sur l’ins­truc­tion : pièces à convic­tion dis­pa­rues, témoi­gnages char­gés, inter­ro­ga­toires sans avocat.

De Mar­si­co est un vieux mon­sieur bedon­nant, à l’œil lourd et un peu éteint, quelques che­veux blancs sur son crâne chauve, bien propre ; à côté de lui, deux autres avo­cats, grosses lunettes, les lèvres minces, la bouche amère. Ils font la gueule, ça ne marche pas comme ça devrait. À l’au­dience du 13 mars, la force publique, dési­reuse de cal­mer l’en­thou­siasme du public, fait irrup­tion dans la salle et com­mence à matra­qué à tout va. Ripostes. Le pré­sident Fien­ga (un juriste objec­tif), fait éva­cuer la salle et sus­pend le pro­cès. Il faut quatre flics pour traî­né Mari­ni hors de la salle. Mari­ni retourne en tôle, à Poten­za ; c’est sa dix-hui­tième pri­son. Il réus­sit à mon­ter sur le toit. Cette fois-ci, les matons n’osent plus trop lui cas­ser la figure. Son pro­cès repren­dra en juin. Enfin, peut-être, on peut rien pro­mettre, rien ne presse. Ça fera déjà deux ans de tôle pré­ven­tive.

Les magis­trats veulent rou­vrir une cour d’as­sises, fer­mée depuis huit ans, à Valle del­la Luca­nia, à l’in­té­rieur des terres. Valle del­la Luca­nia est contrô­lée presque à 100 % par la Camo­ra (la maf­fia à Naples). Une jus­tice sereine, quoi.

Pen­dant ce temps-là à Salerne, l’ex­ploi­ta­tion et la pau­vre­té, les clien­tèles élec­to­rales, une sorte de grande rage popu­laire latente ; les com­man­dos du M.S.I. conti­nuent leur tac­tique d’ag­gres­sion dans les quar­tiers pauvres.

Quelques témoignages :

 — Ici, il y a beau­coup de chô­mage. Les patrons sont tous fas­cistes, et si on veut tra­vailler, il faut prendre la carte du M.S.I. Les cama­rades, for­cés par la faim, doivent prendre la carte s’ils veulent tra­vailler. Moi aus­si, je l’ai prise, et puis je l’ai déchi­rée. Je connais­sais Mari­ni. C’é­tait un vrai cama­rade, c’est pour ça qu’ils l’ont atta­qué. Ils vou­laient le des­cendre parce qu’il savait des choses sur les fas­cistes. C’est pour ça que même en pri­son, ils ont vou­lu le des­cendre. Dites aux cama­rades qu’ils se réveillent avant qu’ils le tuent. (Les choses que savait Mari­ni sur les fas­cistes… Mari­ni avait ima­gi­né de s’in­té­res­ser à la délin­quance du coin, et à accu­mu­ler pas mal de petits faits sur les liens entre le patro­nat, la police et les com­man­dos en che­mise noire. Ah ! diable !).

 — Mari­ni, c’é­tait un bon cœur. Je le connais­sais d’a­vant, quand il venait dans mon quar­tier ; je n’a­vais pas de tra­vail, et je fai­sais la contre­bande des ciga­rettes. Après on s’est revu en pri­son. C’é­tait lui le plus mal­trai­té par les gar­diens, mais il ne se pliait pas, nous au contraire, on fayo­tait avec les gar­diens. Tout le monde a fait ami­tié avec lui, mal­gré que les gar­diens nous avaient dit de nous tenir au large. Mari­ni, pour nous, c’é­tait un ami, pas un poli­tique ; les poli­tiques, ils s’es­quivent ; lui par­lait d’homme à homme, il mon­tait pas sur une estrade. Il par­ta­geait même sa der­nière ciga­rette. À moi, il m’a aidé à écrire aux miens ; moi je ne sais pas écrire. Les miens ont été très contents. Les fas­cistes venaient tous les jours l’in­sul­ter et le mena­cer sous la fenêtre de sa cel­lule. Après, il est venu tout un tas de gar­diens armés : on n’a­vait jamais vu ça. Ils l’ont trans­fé­ré. Nous, on a fait une espèce d’é­meute pour le saluer. Y en a qui pleu­raient. Il a reçu en cadeau avant de par­tir, quelque chose comme 200 ou 300 paquets de ciga­rettes. Lui disait de res­ter tran­quille, pas don­ner un pré­texte à la pro­vo­ca­tion (un ex co-déte­nu de Mari­ni au début de son incar­cé­ra­tion à Salerne).

 — Je vivais dans une cave humide, ça sen­tait mau­vais. Mes enfants en sont encore malades. J’ai écrit à tout le monde, même au Pré­sident de la Répu­blique, mais per­sonne n’a répon­du. Alors on a pris la mai­son. La police est venue, et on les a chas­sés ; les fas­cistes sont venus, on leur a don­né leur compte. Les cama­rades nous ont aidé. Mari­ni est un cama­rade, et il a bien fait de don­ner son compte au fas­ciste. Nous irons au pro­cès, il faut y aller (une femme qui a occu­pé, avec 50 autre familles, un immeuble muni­ci­pal, vide depuis deux ans. Les démo­crates-chré­tiens et les autres par­tis poli­tiques se servent de ces loge­ments pour main­te­nir leur clien­tèle électorale).

 — J’ai tra­vaillé quinze ans sur les chan­tiers, en France. J’ai construit pas mal d’im­meubles, et j’en suis deve­nu malade. Je suis retour­né à Salerne, et là ils m’ont refu­sé un loge­ment pour moi et ma famille. Mari­ni a bien fait de se défendre contre les fas­cistes. Je les ai vus, moi, les fas­cistes, en 43, quand ils pen­daient des gar­çons de 20 ans, cou­pables de vou­loir la liber­té du peuple Main­te­nant les fas­cistes veulent encore enchaî­ner le peuple : nous devons les arrê­ter, Mari­ni doit être libéré.

– O –

Voi­là, c’est le midi, son soleil, ses quar­tiers popu­laires, avec le linge aux fenêtres, où passent (rapi­de­ment) les tou­ristes. Pour les gens qui y vivent, peaux-rouges bou­gnoules du midi, c’est le chô­mage, la petite délin­quance, les caves. Si tu veux du tra­vail, un loge­ment, ça peut s’ar­ran­ger, prends la carte du M.S.I. (ailleurs, ou en France, ce sera une autre carte, un autre Par­ti). Si tu fais ta mau­vaise tête, méfie-toi, tu vas avoir des ennuis. Pen­dant ce temps, de vieux types minables, per­sua­dés d’être des têtes poli­tiques, dis­courent à la chambre ou dans les mee­tings sur la volon­té du monde poli­tique d’ar­ri­ver à résoudre la ques­tion méri­dio­nale. Et le par­ti com­mu­niste ita­lien, ici, ne vaut guère mieux : sa pre­mière réac­tion, au début de l’af­faire, a été d’ex­pri­mer offi­ciel­le­ment ses pro­fondes condo­léances pour cette jeune vie tran­chée, celle du fas­ciste Fal­vel­la. Faire des dis­cours à la tri­bune contre le Fâchisme. Ça va bien, mais quand on le ren­contre tous les jours dans son quar­tier, dans la peur des autres, dans les petites his­toires minables, ou bien un soir, au coin d’une rue sombre, qu’est-ce qu’on fait ? Pen­dant que les cré­tins par­le­men­taires addi­tionnent des votes, dans les quar­tiers popu­laires de Salerne et de pas mal d’autres villes ita­liennes, se livrent de vraies luttes, sour­noises, et jour­na­lières, contre la peur et la sou­mis­sion. Ces luttes, des gens comme Mari­ni peuvent les mener, ils sont chez eux, ils connaissent le ter­rain, c’est les leurs qu’ils défendent. Les mee­tings anti-fas­cistes ne sont peut-être pas inutiles. Ils sont dix fois moins dan­ge­reux pour le patro­nat et les fas­cistes qu’un seul Mari­ni. Ce sont des gens comme Mari­ni que les fas­cistes essaient d’a­voir, lors­qu’ils veulent s’im­plan­ter, comme ils disent, et contrô­ler plus étroi­te­ment les quar­tiers de cer­taines villes. Et der­rière les fas­cistes, on trouve vite l’É­tat, ses flics et ses poli­ti­ciens, les pro­mo­teurs, les urba­nistes, les ven­deurs de drogue.

Le com­mis­saire Moli­no, chef de la bri­gade poli­tique de Padoue, pro­té­geait les poseurs de bombes fas­cistes ; on vient seule­ment en haut lieu de s’en aper­ce­voir. Le com­mis­saire Cala­bre­si, son col­lègue de Milan, a été sup­pri­mé par les fas­cistes, parce qu’il deve­nait trop com­pro­met­tant. Mais des fois, ces gens-là tombent sur un os. Mari­ni, c’é­tait un os, ils sont en train de s’en aper­ce­voir ; il les emmerde autant en pri­son que dehors.

(Les inter­view sont extraits de Par­lan­do di Gio­van­ni Mari­ni, dans Rivis­ta A., nov.-déc. 1973. Le comi­té de défense G. Mari­ni de Flo­rence, a édi­té un dos­sier inté­res­sant. Se scam­pi ai fas­cis­ti ci pen­sa lo sta­to – Dal­la lot­ta al fas­cis­mo nel saler­ni­ta­no alle lotte nelle pri­gio­ni del­lo Sta­to, l’es­pe­rien­za di un pro­le­ta­rio, Flo­rence, 1974. Sur la « stra­té­gie de la ten­sion » des fas­cistes en Ita­lie, il y a pas mal de bou­quins, j’ai lu seule­ment L’É­tat mas­sacre, Edi­tions Champ Libre, Paris, 1971).

Tiré de « Infor­ma­tions ras­sem­blées à Lyon ». N° 3) 

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