À partir de là, la discussion s’est efforcée de déterminer ce qu’est cet imaginaire social, comment il s’articule avec la position de classe (définie au niveau de la structure sociale), quel rapport il y a entre imaginaire, idéologie, illusion, fausse conscience, inconscient, irrationnel. Tous ces termes se rattachant à des schémas conceptuels, à des systèmes d’explication différents, les diverses interventions ont porté sur la position mène du problème dans le texte ci-dessus [[Dans le texte ci-dessus. il est énoncé que s’il y a décalage entre la position d’une classe et la perception que cette classe en a, c’est parce qu’interviennent des phénomènes ayant à voir avec les représentations et avec l’imaginaire. Mais sur la façon dont cet imaginaire fonctionne dans le sens de l’intégration, et parfois dans le sens de la rupture, peu d’éclaircissements nous sont donnés.]], sur la recherche d’une articulation possible entre ces notions, d’un champ qui leur soit commun, d’exemples historiques révélateurs.
Dans la problématique du texte, si l’exemple cité de la Révolution française est clair, en ce qui concerne le décalage entre une, ou des classes exclues du système (alors que la bourgeoisie s’empare seule du pouvoir), et la non-perception de cette exclusion du fait du système de représentations qui se met en place (égalité, liberté, suffrage universel…) — on ne voit pas bien néanmoins s’il s’agit dans ce cas de l’idéologie, ou de l’imaginaire, ou bien des deux à la fois ; on peut seulement observer que ces mécanismes sont de toute façon intégrateurs.
Comment l’idéologie et l’imaginaire social s’articulent-ils ? On sait effectivement que si la situation de classe, l’exploitation, la domination, peuvent n’être pas perçues, c’est parce que l’idéologie dominante est là pour les masquer ; c’est un des traits de la société capitaliste ; on sait d’autre part que cette production de « fausse conscience » ne passe pas pas seulement par le discours rationnel (ou. pseudo-rationnel), mais qu’elle joue aussi sur des mécanismes irrationnels, de l’ordre de l’inconscient.
Si l’on définit « l’imaginaire social » comme un ensemble de représentations vécues, plus ou moins conscientes, on a affaire alors à une notion que recoupe ce qu’on appelle « idéologie », et qui a parfois la connotation « d’illusion », ou de « falsification »… Ce qui laisserait supposer, par l’emploi de ce terme, qu’il y a d’une part une réalité « objective » (des classes antagonistes) et d’autre part l’idée qu’on s’en fait, la représentation sociale plus ou moins illusoire, imaginaire ou idéologique.
Or il est certain que la réalité s’ancre à la fois dans la matérialité et dans l’imaginaire, et que les représentations, les significations sont aussi « réelles » que ce qui les sous-tend. D’où la nécessité de renoncer à l’idée simpliste qu’il suffirait de dissiper ces « illusions », ces représentations idéologiques ou imaginaires, pour que la situation « réelle » apparaisse dans toute sa vérité. Or le décryptage, ou la démystification de l’idéologie dominante, ne conduisent pas forcément à la prise de conscience révolutionnaire…
Quant à l’imaginaire, quel rôle peut-il jouer dans la rupture révolutionnaire ? Globalement, les exemples historiques semblent lui assigner plutôt un rôle intégrateur, conservateur, une fonction idéologique de résistance à la rupture ; mais il peut parfois être porteur de révolte, d’opposition à l’ordre établi ; faut-il dire alors, devant cette ambivalence, que l’imaginaire révolutionnaire serait refoulé ?