La Presse Anarchiste

Un certain ral’bol

Bien sûr, c’est pas ce qu’on fait de plus révo­lu­tion­naire que de deman­der que les « vio­leurs » passent en Cour d’As­sises ; c’est réfor­miste de deman­der une loi anti-sexiste, ou la recon­nais­sance juri­dique du viol, ça, on en est tous convain­cus ! Déci­dé­ment, ces femmes « qui luttent pour leur libé­ra­tion » » sont por­teuses de contra­dic­tions dangereuses !

Effec­ti­ve­ment, c’est plu­tôt louche de faire appel à une ins­tance répres­sive comme la jus­tice pour régler le pro­blème du viol, ou quelque pro­blème que ce soit d’ailleurs, de faire confiance aux Ins­ti­tu­tions bour­geoises ou éta­tiques etc. Par ailleurs, il est plu­tôt curieux de s’en remettre à des tri­bu­naux com­po­sés plus que majo­ri­tai­re­ment de mecs (pas des plus libé­rés, on ima­gine) et de pré­co­ni­ser la mise en place d’une loi qui se retour­ne­ra évi­dem­ment contre les plus oppri­més, ceux qui subissent le plus la misère sexuelle. Tout ça, c’est plus que contes­table, pas révo­lu­tion­naires, ni libérateur !

Ceci dit, en pas­sant, peu de groupes ou d’or­ga­ni­sa­tions ont fait ces cri­tiques, et c’est un peu curieux (ou pas ? fina­le­ment) de voir ceux dont le radi­ca­lisme est l’a­pa­nage, mar­cher dans cette opération.

En dehors des lettres inju­rieuses que Libé a reçues et publiées sur cette affaire, il y a eu quand même des prises de posi­tion cri­tiques sur la demande de loi anti-sexiste et de la pas­sa­tion en Assises des vio­leurs (l’ar­ticle du CAP pas­sé dans Libé du 28 sep­tembre, l’ar­ticle ci-des­sus et d’autres sans doute). Mais. même dans ces cri­tiques (que je peux par­ta­ger pour cer­taines) il y a quelque chose qui me gêne.

Tout d’a­bord, ça me paraît bizarre cette into­lé­rance rigide au « réfor­misme », alors qu’on finit par l’ad­mettre quand il s’a­git de la classe ouvrière, ou des immi­grés ou que sais-je d’autre, et par l’ac­cep­ter s’il s’a­git de nos condi­tions de bou­lot, par exemple, au nom de la sur­vie. On peut tou­jours rétor­quer que ce n’est pas une rai­son, qu’en l’oc­cur­rence, l’exis­tence d’une loi serait inef­fi­cace, et qu’il ne s’a­git pas là de n’im­porte quelle action réfor­miste, mais d’une action entraî­nant néces­sai­re­ment répres­sion, condam­na­tion. Il me semble néan­moins que ce beau chœur révo­lu­tion­naire est moins puriste quand c’est le sort d’une autre couche sociale ou groupe social qui est en ques­tion. Les femmes n’au­raient même pas droit au réformisme ?

Ensuite, je trouve que tous ces « dis­cours poli­tiques » de cri­tique ont pour fonc­tion d’o­pé­rer un dépla­ce­ment : le viol, puisque c’est de ça dont il est ques­tion, devient un pro­blème mineur par rap­port à l’a­na­lyse des « stra­té­gies de lutte contre le viol » ; on conteste donc le moyen pro­po­sé — et je trouve cela juste — mais pour se perdre par exemple dans un débat au niveau des argu­ties juri­diques (du genre : mais le viol, c’est les femmes qui vont !e faire exis­ter en deman­dant sa recon­nais­sance juri­dique !… Comme si ce niveau d’a­na­lyse chan­geait quoi que ce soit à la réa­li­té) ; l’a­na­lyse des contra­dic­tions de ce mode d’ac­tion tient lieu, à la limite, de réponse au pro­blème du viol.

Une autre fonc­tion des dis­cours poli­ti­cards sur le sujet, c’est de se sécu­ri­ser par « une ana­lyse poli­tique de la chose » parce qu’on n’a pas de réponse au pro­blème ; là, au moins, si on en reste à l’a­na­lyse cri­tique des modes d’ac­tions, on se donne une appa­rence de réponse, on a l’im­pres­sion de voir clair, d’a­voir dit quelque chose et ça, ça masque bien l’in­ca­pa­ci­té actuelle d’une trans­for­ma­tion des rap­ports hommes/​femmes et de la sexualité.

Les polé­miques et le débat, de par leur niveau intrin­sèque d’as­pi­ra­tion à la cohé­rence, occultent la contra­dic­tion où nous sommes en ce domaine. Eh oui, c’est dur, mais fau­drait se l’a­vouer de temps en temps que le recours aux belles ana­lyses, même si on donne l’ap­pa­rence d’a­voir les idées très claires, ça fait pas vrai­ment avan­cer les choses !

La recon­nais­sance du viol en Assises ne chan­ge­ra rien à la situa­tion des femmes, ni à la phal­lo­cra­tie, mais les cri­tiques sûres et déter­mi­nées de nos émé­rites révo­lu­tion­naires non plus ! Ce sera une entour­lou­pette de plus !

Agathe.

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