La Presse Anarchiste

Évolution féminine

Qu’est-ce, au juste, qu’une « femme évo­luée ? » Il règne autour de ce vocable une cer­taine confu­sion. On désigne cou­ram­ment ain­si ce type de femme tout en aspect qui affecte des idées larges, qui fume la ciga­rette avec des grâces étu­diées, dont les dix doigts de la main ne suf­fisent pas à dénom­brer les amants, qui lit au besoin et discute. 

Tout cela ne vaut pas cher, sans doute. On aime trop, par­mi les femmes, le super­fi­ciel, le tape à l’œil, le clin­quant, la mise en scène. C’est qu’il faut, à tout prix, gagner des points dans ce tour­noi qu’est la course à l’homme, ou en mettre plein la vue, ce qui contri­bue gran­de­ment à don­ner du volume au bon­heur du « sexe aimable ». L’or­ne­ment, de bon ou mau­vais goût, est sou­vent la pièce essen­tielle de la per­son­na­li­té fémi­nine. Et il n’est pas absurde de se deman­der jus­qu’à quel point tout, pour la femme, n’est pas une parure, de la robe à l’es­prit culti­vé en pas­sant par l’a­bîme de mys­tère cher aux poètes qui le rem­plissent, eux, cet abîme, en bras­sant de la haute fan­tai­sie à lon­gueur de vers. Cha­cune se revêt de ce qui est propre à exci­ter sexuel­le­ment ou sen­ti­men­ta­le­ment. C’est la règle du jeu de l’a­mour. Or, écrire sur les femmes sans faire allu­sion à l’a­mour est une gageure ! 

Je raille­rais volon­tiers l’a­mour tant ce mot est auréo­lé de ridi­cule, de niai­se­rie ou de sou­mis­sion lors­qu’on fait du dit amour une sorte de divi­ni­té tyran­nique. Mais je n’en ai pas le cœur, sim­ple­ment parce que je suis une femme et que cela son­ne­rait faux. Bien qu’il soit ten­tant de don­ner aux rela­tions entre sexes une face car­na­va­lesque (une clé pour se déli­vrer de l’é­tat d’en­voû­te­ment où nous plonge la recherche de « l’âme sœur »), il n’en reste pas moins prou­vé qu’une vie affec­tive ample et pro­fonde, simple et spon­ta­née est un puis­sant res­sort chez le femme. La plu­part de ses acti­vi­tés partent de ce pôle et y abou­tissent. Son intel­li­gence reste plus ou moins subor­don­née à la vie du cœur ou des sens ; simple véri­té qui touchent aus­si bien les femmes qui prient le bon dieu que celles fré­quen­tant des mou­ve­ments d’a­vant-garde. « Que vous dirai-je, cœurs amis qui m’in­ter­ro­gez ? J’aime, donc je crois » avouait la roman­cière G. Sand en son temps. 

Il n’est pas ques­tion d’af­fir­mer que la psy­cho­lo­gie fémi­nine est d’une moindre qua­li­té. Cepen­dant il fau­drait s’en­tendre et ne pas assi­mi­ler une affaire d’é­man­ci­pa­tion au lan­ce­ment d’une mode de cha­peaux. On ignore trop, par­mi les femmes, que c’est par le « dedans » que l’on peut acqué­rir un atome de valeur per­son­nelle. Or, actuel­le­ment, rien n’est plus répan­du que les idées éman­ci­pa­trices en matière de fémi­nisme et rien n’est plus rare qu’une authen­tique per­son­na­li­té fémi­nine équi­li­brée. maî­tresse de ses nerfs, joyeuse de vivre. 

Les fémi­nistes eus-mêmes se mettent de la par­tie et nous annoncent, à coups d’ar­gu­ments péremp­toires, qu’une ère nou­velle va s’ou­vrir, celle de la « femme qui pense », jus­qu’a­lors chaque uni­té fémi­nine n’é­tant qu’un paquet d’in­con­sis­tance gen­ti­ment habillé. Bien­tôt nous allons voir de « vraies femmes » pous­ser comme cham­pi­gnons après la pluie d’automne. 

Certes, la vie de la femme change : elle n’ac­com­plit plus les mêmes gestes qu’au­tre­fois. Mais on ne sait par quel miracle la vie abru­tis­sante de l’u­sine ou du bureau pour­rait don­ner plus de sel à une per­son­na­li­té que la vie étri­quée du foyer. En fait, la « femme évo­luée » n’a pas d’é­poque. Par­mi les femmes d’hier, comme par­mi celles de demain, il y a eu et il y aura de la bêtise, de la cupi­di­té, du néant ou de la géné­ro­si­té, de la finesse, de l’ar­deur, de la noblesse. Je suis per­sua­dée que, de tout temps, il a exis­té des femmes excep­tion­nelles. Nous ne leur tres­se­rons pas de cou­ronnes, car leur génie ne s’est pas conden­sé sous la forme de créa­tions abs­traites, mais s’est libé­ré, chaud et vivant, chaque jour qu’elles ont vécu, comme si le propre de la mis­sion fémi­nine était d’at­té­nuer la séche­resse de ce monde. 

S. C.

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