La Presse Anarchiste

Réalités, vérités

À quelle sauce vou­lez-vous être man­gé ? À la sauce oui ou à la sauce non Entre les deux hésite le bon popu­lo, qui, n’ayant rien à man­ger, consent à se lais­ser man­ger. Solu­tion plus ou moins élé­gante pour résoudre toutes les crises actuelles que nous vaut la bêtise humaine.

— O —

Quand un voit à quel degré d’a­bais­se­ment sont tom­bées cer­taines filles d’Eve, on ne peut sous­crire au mot du père Hugo : « Ah ! n’in­sul­tez jamais une femme qui tombe. » Elles ne peuvent guère tom­ber plus bas. Il n’y a dans leur cer­velle rien de bon. Elles dérai­sonnent à chaque ins­tant. Le sexe faible qui aurait pu exer­cer sur le sexe fort une salu­taire influence, n’a exer­cé sur ce der­nier qu’une influence néfaste. Il a semé la haine et prê­ché la vio­lence. C’est ce que cer­tains appellent l’é­man­ci­pa­tion de la femme !

— O —

Notre époque a accou­ché de ce monstre asexué : la Femme-Sol­dat. Que les filles d’Eve ne sont-elles res­tées tout sim­ple­ment le « délas­se­ment du guer­rier », simple méta­phore par laquelle Nietzsche leur assu­rait le rôle de com­pagne de l’homme qui lutte pour son idéal, et trouve en elle un sou­tien moral autre­ment effi­cace que le sou­tien que peut lui appor­ter une adju­dante por­tant un uni­forme, avec un calot sur l’oreille !

— O —

Jadis, quand des amou­reux s’embrassaient au coin des rues, ou fai­saient l’a­mour dans les bois, les gens hon­nêtes et bien pen­sants s’empressaient d’al­ler pré­ve­nir la police. Aujourd’­hui, ces mêmes gens contemplent ces spec­tacles sans s’é­mou­voir. Cela leur semble tout natu­rel. Est-ce un pro­grès ? N’en est-ce pas un ? À cha­cun de juger selon sa conscience. 

— O —

Rien désor­mais n’est plus caché des charmes secrets de la femme, qui étale ses fesses au soleil ou montre ses cuisses à bicy­clette. Il règne dans ce domaine un lais­ser-aller sans pré­cé­dent. Les jeunes peuvent s’embrasser dans la rue sans atti­rer sur eux les foudres de l’au­to­ri­té. Ce qui fai­sait jadis bon­dir d’in­di­gna­tion le ver­tueux père de famille est tolé­ré par tous. Tant. il est vrai qu’il est des accom­mo­de­ments, même avec la morale… du moment que c’est pour pro­créer pour la « prochaine ». 

— O —

La « neu­tra­li­té armée du pen­seur soli­taire » dont parle Vigny dans Stel­lo, est la seule atti­tude logique pour un indi­vi­dua­liste. L’homme libre a contre lui tous les régimes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Il est coin­cé entre les deux. Ils sup­priment toute liber­té, au nom d’i­déo­lo­gies contraires, qui finissent par se ressembler. 

— O —

Méfions-nous des « cama­rades » dont la poi­gnée de mains est molle et le regard torve. Il n’y a rien à faire avec eux. Ce sont la plu­part du temps des traîtres, prêts à vous poi­gnar­der quand vous avez le dos tourné. 

— O —

Quand on voit les indi­vi­dus aux­quels on a affaire dans la socié­té, on se demande dans quel monde on est tom­bé. C’est un monde à l’en­vers, où les sages ont tou­jours tort et les fous tou­jours rai­son, On se heurte à l’in­com­pré­hen­sion et à la bêtise. On passe entre trente-six mains, plus mal­propres les unes que les autres. Pour trou­ver un homme, on irait loin, Com­bien Dio­gène. avec sa lan­terne, en trouverait-il ? 

— O —

Tout aug­mente… sauf la mora­li­té (je n’en­tends pas ici ce mot au sens bour­geois. qui est l’im­mo­ra­li­té même). Plus cette der­nière pro­gresse, plus dimi­nuent l’en­tr’aide, la socia­bi­li­té, la liber­té, la fra­ter­ni­té, la com­pré­hen­sion mutuelle des êtres, tout ce qui fait le charme et le prix de la vie. 

— O —

Il est des gens qui pensent — ou qui ne pensent pas — que par slo­gans. Don­nez à ces gens-là, à défaut de tout autre, une pâture intel­lec­tuelle ava­riée, ils se jet­te­ront des­sus vora­ce­ment comme sur un os à ron­ger, ce qui leur per­met­tra de patien­ter, en atten­dant des jours meilleurs. 

— O —

Ce qui eût sus­ci­té autre­fois la répro­ba­tion uni­ver­selle, — un crime de droit com­mun, par exemple — ne pro­voque aujourd’­hui aucune indi­gna­tion. Sup­pri­mer une vie humaine est chose aus­si nor­male que d’oc­cire un pou­let ou d’é­tran­gler un lapin. 

— O —

« Je n’ai plus la foi, me dit un cama­rade. Je doute de tout et ne veux plus me sacri­fier pour les autres. Ils sont si peu inté­res­sants ». On com­prend qu’un mili­tant n’ait plus la foi lors­qu’ayant consa­cré toute sa vie à une cause qu’il croit juste, il aper­çoit que seules triomphent tes mau­vaises causes. On n’a plus la foi, mais on doit conti­nuer cepen­dant d’a­gir comme si on l’a­vait, ne serait-ce que pour ne pas décou­ra­ger les cama­rades qui ont foi en vous. 

— O —

Dans une socié­té future meilleure. si jamais elle se réa­lise, à une date qu’il n’est pas pos­sible d’in­di­quer, même approxi­ma­ti­ve­ment, il fera bon vivre, l’in­di­vi­du avant renon­cé à son égoïsme sécu­laire. En atten­dant cet âge d’or, vivons dans le pré­sent en nous rap­pro­chant de ceux qui pensent comme nous, ont les mêmes aspi­ra­tions et les mêmes besoins. L’a­mi­tié est le seul bien qui nous reste au monde lorsque tous les autres biens nous sont ravis. 

— O —

La plus belle des vic­toires est celle que l’in­di­vi­du rem­porte sur lui-même, sur ses pré­ju­gés et sur ses pas­sions. Ce qui ne signi­fie pas qu’il doive se sacri­fier et muti­ler son moi. Il l’aug­mente et l’en­ri­chit dans la pro­por­tion où il renonce à bêler avec les mou­tons ou à hur­ler avec les loups, 

— O —

De quel par­ti es-tu ? deman­dait un qui­dam à l’un de nos amis. — Du par­ti de la Jus­tice et de la véri­té, répon­dait-il, vou­lant, dire par là qu’il n’ap­par­te­nait à aucun par­ti, chaque par­ti pro­non­çant ces grands mots en se gar­dant bien de les mettre en pratique. 

— O —

Il faut avoir un rude cou­rage pour s’obs­ti­ner à vivre, après tout ce que l’on a vu et enten­du. On nage dans la bêtise jus­qu’au cou. On en est satu­ré. Sous ce rap­port, point de res­tric­tions. On a beau fer­mer les yeux et se bou­cher les oreilles, elle est là qui vous guette à chaque coin de rue. Elle ne vous lâche pas d’une semelle. 

— O —

La liber­té ? un mot, comme tou­jours. Ceux qui en parlent le plus sont ceux qui l’ap­pliquent le moins. 

— O —

Pour nous, le mot « liber­té » ne signi­fie point escla­vage. S’il est un mot qui ne sup­porte point l’é­qui­voque, c’est bien celui-là. 

— O —

Le même peuple qui accla­mait tel indi­vi­du la veille le conspue aujourd’­hui. Cela nous donne une idée de la fra­gi­li­té de ses admi­ra­tions et du peu de sérieux de ses convictions. 

— O —

Aujourd’­hui comme hier, on voit la presse pré­co­ni­ser une « course des gar­çons de café ». On rever­ra une course des midi­nettes ou des gar­çons coif­feurs, On amuse le popu­lo comme on peut. Pen­dant ce temps il ne voit pas ce qui se mani­gance dans les coulisses. 

— O —

À en croire cer­tains types, ils ont tout fait, tout lu, tout écrit, tout explo­ré. Ils ont du génie et sont satis­faits d’eux-mêmes. Or ils n’ont pas le moindre savoir ni la moindre idée. Ce sont des nul­li­tés qui vous assomment avec leurs prétentions. 

— O —

Poète ! un mot que l’on ne doit point gal­vau­der. Et cepen­dant. en est-il aucun qui l’ait été autant, soit que des impuis­sants aient expri­mé sous ce nom des niai­se­ries, soit que des mys­ti­fi­ca­teurs s’en soient ser­vi pour épa­ter le bour­geois en en fai­sant un lan­gage her­mé­tique, acces­sible seule­ment à un petit nombre d’initiés ? 

— O —

En lit­té­ra­ture comme ailleurs, le slo­gan « Ote-toi de là que je m’y mette ! » a rem­pla­cé l’hon­nê­te­té et le talent. Tout confrère est un concur­rent qu’il s’a­git d’é­vin­cer et de faire disparaître. 

— O —

Quelle joie, qui n’est com­pa­rable à aucune autre, pour l’homme qui a consa­cré toute sa vie à la défense du beau et du vrai, de s’en­tendre dire par des incon­nus que le hasard lui fait ren­con­trer : « on vous aime, on vous estime ». Il n’entre dans cette joie aucune espèce de for­fan­te­rie. De savoir que l’on a un peu par­tout des amis connus ou incon­nus qui vous lisent et sym­pa­thisent avec vos idées, quelle récom­pense vaut celle-ci ? Il n’en est point de meilleure. 

Gerard de Lacaze-Duthiers 

La Presse Anarchiste