Car nous n’appartenons pas au même monde. Tu es un conquérant, toi,
un chasseur. Je ne suis, moi, qu’un pacifiste et la guerre me fait horreur.
Créer de la souffrance t’indiffère, alors que mon idéal, à moi,
est celui d’une humanité d’où la douleur aura été bannie sous toutes ses formes.
Il n’y a donc rien de commun entre toi et moi, et nous ne pouvons être
ni Amis ni Camarades !
Je sais bien que, dans ton genre, tu es une façon d’artiste,
mais au fond, soit dit entre nous, ton art est fait de vilenie et de dissimulation ;
tu portes beau, tu es courageux à tes heures, mais tout t’est bon pour arriver à tes fins.
Certes, tu sais te situer comme pas un sur le plan de la proie que tu convoites.
Tu joues à l’amant éternel ou tu t’avères hussard sans vergogne, selon les cas ;
tu jures fidélité, tu promets le mariage ; tu revêts le froc, si besoin est.
Les serments te coûtent si peu !
Tu ne sais pas aimer, Don Juan. La femme n’est pour toi qu’un gibier,
une bête qu’on traque, qu’il faut réduire à merci ; de la chair à conquête ;
tu allumes des incendies ; tu entasses, tu accumules des ruines.
Insensible, tu abandonnes tes victimes pantelantes et se tordant de désespoir.
La femme n’est pour toi qu’une expérience de plaisir passager.
Tu ne sais rien de la richesse sentimentale que recèle son cœur,
Rien de sa capacité de dévouement !
Je n’ignore pas que tu es un satisfait. Comme l’est l’homme de guerre
arrachant la capitulation d’une forteresse, tel le chasseur, tout fier
d’avoir abattu à ses pieds un volatile récalcitrant.
Mais qu’en est-il de la femme, dont la finesse et la perspicacité en défaut,
se laisse prendre à ton extérieur avantageux, à tes belles paroles, à ton inflammabilité ?
Son manque de jugement ou sa frivolité fait que nous ne saurions la choisir
Ni pour Amie ni pour Camarade !
E. Armand, 20 octobre 1942.