Grand voyageur en outre. A travers tout l’empire
Où règnent les Césars, simple, en bonne santé,
De ce que je trouvais sachant me contenter,
Je suis allé fort loin. De pays que j’ignore
Il n’en est guère. Enfin, du couchant à l’aurore
J’ai parcouru le monde en flâneur et en curieux.
Avide de nouveau, glanant sous tous les cieux.
J’eus bientôt arpenté dans tous les sens la Grèce.
Il me fallut voir Rome, Alexandrie, Lutèce ;
J’errai du nord au sud en des lieux inconnus,
Même de vous, Romains. Des rives de l’Indus
Je revins sur mes pas, m’arrêtant en Syrie,
Souriant en passant de tant d’idolâtrie :
J’ai vu se prosterner devant cent dieux diverses
Les hommes de tout sang que contient l’univers.
Mais j’ai vu mieux peut-être : oui, c’était sous Tibère.
Des Juifs en ce temps-là je visitais la terre
― Les Juifs, cette race odieuse au genre humain.
Et que fort justement abhorre tout romain !
― Un mot, répliqua-t-il, je suis Grec donc sceptique.
Philosophe dans l’âme et doué d’esprit critique :
Toute race a son bon et son mauvais côté,
Et selon le climat change la vérité.
Vous êtes des guerriers, les juifs font du négoce.
Tel tyran est artiste et tel autre est féroce.
Donc dans Jérusalem alors je cheminais,
A l’affût des rumeurs, chaque jour j’écoutais
Les dits qui circulaient parmi ce peuple sombre.
J’entendais murmurer et chuchoter dans l’ombre
Des récits concernant un prophète ambulant.
Des prêtres détestés, qui s’en allait menant
A sa suite, un cortège, à l’aspect misérable,
De gueux, de hors-la-loi ramassis lamentable.
Il annonçait qu’en nous gît le temple de Dieu.
Il avait nom Jésus. On le prisait fort peu.
Pour insensé tenu par les uns. Pour les autres
Qui ne supportaient pas ses allures d’apôtres
C’était un de ces gens dont il faut par la mort
Débarrasser le monde. Aussi fut-ce son sort
― Ah vous voulez parler de l’être à tête d’âne
De ce Christos qu’adore un petit groupe insane
Et dont les sectateurs au milieu de la nuit,
Célèbrent en secret les mystères maudits ? ―
― On voit que vous savez comme on écrit l’histoire.
Cette secte, à mon sens, n’a pas l’âme aussi noire.
Cet homme était un tendre et dans son regard pur
J’ai toujours vu briller comme un reflet d’azur.
Quand vous l’interrogiez, comme une ardente flamme
Ses yeux semblaient scruter jusqu’en son fond votre âme.
On lui prêtait, c’est vrai, de singulières moeurs,
Même on le prétendait le mari de deux soeurs :
Marthe et Marie, je crois, mais à nous, Grecs, qu’importe
Ah ! Si nos dieux n’avaient agi que de la sorte !
Sans cesse on s’efforcerait de le prendre en défaut
Un jour, je m’en souviens car il faisait très chaud.
On traîna jusqu’à lui une femme adultère ;
La coutume des Juifs se montre très sévère
Sur ce point et veut que sans aucun jugement
On lapide la malheureuse sur le champ.
« Prophète, tu connais ce qu’édicta Moïse,
« Lui dit-on, cette en femme en faute fut surprise.
« Point de doute et tu sais aussi le châtiment
« Que ce crime comporte. » Or depuis un moment
Jésus sans regarder la femme en pleurs amères,
Ni ceux qui l’accusaient, dessinait sur la terre
Des signes ou des mots, bref, je ne sais quoi
Soudain sans se lever et sans hausser la voix,
Sûr de lui, lentement, martelant ses paroles
Humble, sans pose aucune et courbant les épaules :
― Qui n’a jamais fauté, pharisiens, d’entre vous,
Pour l’accabler ramasse le premier caillou,
Énonça-t-il ― Confus, se suivant tête basse,
Ils s’en furent, laissant libre la femme lasse ;
Et quand se redressant vers elle il se tourna
De ses accusateurs plus un seul n’était là.
E. Armand (Maison d’arrêt de La Rochelle, hiver 1940)