[[Article paru sans titre]]
Citoyens rédacteurs,
Je viens de lire la Circulaire privée du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs, ayant pour titre : les prétendues scissions de l’Internationale.
J’avoue que je m’attendais à autre chose : de misérables personnalités, de piètres invectives, de petites rancunes, des petits mensonges perfides, voilà le fond de ce document. En vérité, les circonstances appelaient de meilleurs arguments et une autre réfutation. Mais je ne veux pas m’appesantir là dessus. J’aborde immédiatement les faits qui me sont connus et sur lesquels tous mes amis de Londres seront, j’en suis sûr, d’accord avec moi. Je me contente de raconter.
Après le grand désastre, nous arrivions à Londres meurtris, mais pleins d’espoir. Nous espérions y trouver des amis, comme nous en avions trouvé en Belgique.
Notre espoir fut de courte durée. Notre réception à Holborn fut mauvaise. Le mot de mendiant fut même prononcé par K. Marx et vivement relevé par l’un de nous, Rouiller. Les vaincus venaient demander des secours. L’aumône fut maigre d’abord, presque nulle ensuite. On avait promis du travail, on en offrit, mais dérisoire et impossible. Puis, on ne s’en occupa même plus, prétextant que le grand Conseil n’était pas un bureau de placement.
Alors, les réfugiés se constituèrent en Société sur la proposition d’un membre du Conseil général, ancien membre de la Commune.
La Société eut avec le Conseil des démêlés qu’il serait beaucoup trop long de raconter ici. Mais ces démêlés firent naître une idée, celle de rassembler en une section les débris épars des sections parisiennes dont la plupart étaient représentées parmi nous.
Après quelques réunions préparatoires dans le courant de septembre, il y eut une assemblée générale. Avrial y donna lecture des statuts qu’il avait préparés. Et ce jour là Durand fut, en effet, secrétaire de la séance. Mais Durand n’a jamais été secrétaire de la section, et je le prouve.
La discussion n’ayant pas abouti, il fut convenu que l’on se réunirait la semaine suivante qui était, si je ne me trompe, l’avant-dernière semaine de septembre.
La réunion eut lieu. Durand y assistait et y donna lecture du procès-verbal de la précédente séance. Mais il ne revint plus parmi nous ; car quelques jours après, à la grande stupéfaction de tous ceux qui le connaissaient, il fut prouvé, en assemblée des réfugiés, que Durand était agent de police. Depuis je ne l’ai plus revu. Et je dois dire, en passant, que les préférences de Durand étaient plutôt pour le grand Conseil que pour la section française ; il allait plus volontiers du côté d’Holborn que du côté de Rupert street. J’ajouterai même que les Dieux, malgré leurs soupçons, ne refusèrent pas de le recevoir au banquet de la Conférence.
Huit jours après la section nommait son bureau. Avrial fut secrétaire-correspondant, Camélinat trésorier et Ansel secrétaire des séances. Ansel ayant été obligé de quitter Londres, je le remplaçai.
C’est ainsi que Durand a été secrétaire de la section française de 1871 !
Le Conseil jette ensuite comme une injure à la face de la section française le nom de Chautard. Il lui consacre même une note dans laquelle la méchanceté le dispute à la niaiserie. Nous avions choisi Chautard comme délégué au Conseil général. Si la section était entrée dans les vues du Conseil général, le Conseil général se garderait bien aujourd’hui d’imprimer que Chautard a été expulsé de sa section comme agent de police de Thiers.
En France nous avons une autre morale. Nous aimons les situations nettes, la publicité et le grand jour. Et lorsque nous trouvons un indigne dans nos rangs, nous le chassons avec d’autant plus d’éclat que nous avons eu confiance en lui.
L’indignité de Chautard prouvée, la section ne pouvait mieux faire que de la rendre publique. Il y avait là pour elle une question de dignité et d’honnêteté.
Le Conseil général ne semble pas comprendre ces choses-là. Tant pis pour lui.
Mais je vais clore cette lettre. Ce ne sera cependant pas sans ajouter un dernier mot.
La circulaire du Conseil général est une déclaration de guerre à tous les groupes qui ne sont pas disposés à courber le front sous la férule du grand pontife. Cette déclaration, en vérité, ne pouvait arriver à un meilleur moment. Si encore ces hommes qui semblent prendre la révolution sous leur auguste protection et lui marquer ses limites, au lieu de faire des personnalités, nous disaient ce qu’ils veulent et ce qu’ils pensent ! Mais eux aussi, comme nos parlementaires, font de la politique, et tous les moyens leur sont bons pour amener à eux les gros bataillons.
Que le Conseil général y prenne garde ! les gros bataillons pourraient bien passer du côté de ceux qu’il se plaît aujourd’hui à appeler les dissidents et les meneurs. Cela s’est vu et peut se revoir encore.
Du reste, nous verrons au prochain congrès. Il faut que la lumière se fasse, elle se fera. Et les triomphants d’aujourd’hui, qui peuvent être sans peur mais qui ne sont pas sans reproche, pourraient bien se retirer l’oreille basse.
Rappelons-nous les bâtons flottants de la fable : « De loin c’est quelque chose et de prés ce n’est rien. »
E. Teulière, Membre de la section française de 1871.