La Presse Anarchiste

Dans notre courrier

Notre der­nier numéro,
consa­cré exclu­si­ve­ment à l’é­tude et la critique
de la Franc-Maçon­ne­rie, en fonc­tion de l’a­nar­chisme, nous a
évi­dem­ment valu un cer­tain cour­rier. Fait curieux, et
d’ailleurs très récon­for­tant en lui-même, une
qua­si-una­ni­mi­té se fait pour condam­ner la F.M. et les
ten­ta­tions de son soi-disant « libéralisme »,
lequel serait de sur­croît « anticlérical »
par prin­cipe ! Il n’est de voir que la récente
pan­ta­lon­nade des cama­rades-ministres-socia­listes, frères trois
points pour la plu­part, auprès de Sa Sain­te­té pour être
convain­cu. (Le « Canard Enchaîné »
du 15 mai révèle là-des­sus certains
tri­pa­touillages entre l’Église
et les dif­fé­rentes obé­diences, qui confirment
abon­dam­ment l’a­na­lyse de nos cama­rades). L’a­vant-pro­pos de notre
numé­ro 5 pré­ci­sait : « Nous n’avons
certes pas tout dit… », pas plus que nous pensions
résoudre un tel pro­blème en si peu de place et de
temps. Bien sûr, notre but était avant tout d’ou­vrir un
pro­fond débat sur la ques­tion. Sou­hai­tons que celui-ci se
pro­longe en s’en­ri­chis­sant de toutes les expériences.

Avant les lettres
récentes nous tenons à pas­ser l’ex­trait d’une lettre
venant de la région lil­loise, laquelle nous était
arri­vée juste pen­dant la paru­tion de notre numé­ro, donc
trop tard. Le point sou­le­vé, fort inté­res­sant, motive
pour nous son impression.

D’un camarde de Nantes.

De longs extraits d’une
lettre venant de Mul­house. Comme on le ver­ra, notre correspondant
sou­lève de mul­tiples problèmes.

D’un cama­rade des
Vosges.

Et enfin, car la place
nous est limi­tée, d’un bon cama­rade de Seine & Oise.

En addi­tif à ce
cour­rier des lec­teurs, nous aime­rions savoir ce que pensent les
cama­rades du prin­cipe du « numé­ro spécial »
comme celui consa­cré par nous à la F.M. Toute opinion
sur le sujet nous sera utile.

D’un camarade de la région lilloise

[…] En ce qui concerne
le pro­chain numé­ro sur la F.M., je sup­pose que vous
cri­ti­que­rez cette orga­ni­sa­tion. C’est utile et il y a beau­coup à
dire à ce sujet. Néan­moins, je pense qu’il serait
hon­nête de men­tion­ner que des liber­taires émi­nents comme
Prou­dhon, Bakou­nine (il copia du reste « l’Alliance »
sur la F.M.), les frères Reclus (lorsque Élisée
fut pri­vé de sa chaire de géo­gra­phie à
l’U­ni­ver­si­té de Bruxelles pour avoir fait l’a­po­lo­gie de la
pro­pa­gande par le fait (affaire Rava­chol) la loge maçonnique
« les Amis Phi­lan­thropes » de cette ville
l’ai­da à fon­der l’« Uni­ver­si­té Nouvelle »
et lui prê­ta ses locaux). Sur Sébas­tien Faure, il serait
utile de don­ner les rai­sons de sa démis­sion de la F.M., à
savoir l’at­ti­tude patrio­tique d’un grand nombre de maçons en
1914 (nous pou­vons dire du reste la majo­ri­té). Nous pourrions
éga­le­ment ajou­ter Fran­cis­co Fer­rer, Paul Robin, Louise Michel
ou des révo­lu­tion­naires comme Var­lin, Jules Vallès,
Clé­mence Royer, etc. […]

D’un camarade de Nantes

[…] je ne me permets
pas de tran­cher car comme je te le dis plus haut je connais mal ce
sujet. Cepen­dant il me semble que la F.M, est une reli­gion avec ses
rites, ses cou­tumes et sa tra­di­tion et comme toutes reli­gions ou
sectes acceptent dif­fi­ci­le­ment un point de vue adverse ou
contra­dic­toire, qu’il y ait des F.M. sym­pa­thiques cela se peut, il y
en a éga­le­ment dans toutes reli­gions ou sectes, mais je me
méfie tou­jours un peu de tout ce qui a cadre, grade ou degré,
et pour moi, entre l’of­fi­cier de l’ar­mée, l’évêque
de l’é­glise catho­lique, le rec­teur des pro­tes­tants ou le
franc-maçon 30e et quelques degrés je ne
vois pas grande dif­fé­rence, leur pou­voir peut être plus
ou moins grand, ils peuvent avoir une auto­ri­té plus ou moins
abso­lue : ce sont tou­jours des chefs et des fidèles et
cela me répugne d’a­voir ou à com­man­der ou à
obéir d’une façon sys­té­ma­tique. Cela dit, je
cherche comme Dio­gène le jour­nal ou la revue qui parle
sim­ple­ment et sans péri­phrase d’an­ti­mi­li­ta­risme, de l’égalité
des humains quelle que soit leur valeur intel­lec­tuelle, de la
sup­pres­sion des fron­tières, d’une mon­naie inter­na­tio­nale. Je
cherche la revue qui parle pour et en faveur des objec­teurs de
conscience, qui s’é­lève contre la bêtise humaine,
et qui pro­pose le moyen de faire un monde meilleur. […]

D’un camarade de Mulhouse

[…] Fran­che­ment, je ne
voyais pas grand inté­rêt à un numéro
spé­cial sur la F.M. Mais après lec­ture des différents
articles je com­prends mieux pour­quoi vous l’a­vez sor­ti. Dans une
période comme la nôtre, où l’a­nar­chisme n’a plus
guère de force de pro­pul­sion dans la classe ouvrière,
cer­taines ten­dances du libé­ra­lisme et du démocratisme
de gauche peuvent appa­raître comme le der­nier bar­rage aux
tota­li­ta­rismes. Vous avez bien fait de mettre en pleine clarté
que notre but n’est pas de limi­ter le pou­voir de l’État
et l’i­né­ga­li­té sociale, mais bien d’en finir une fois
pour toutes. […]

[…] Du point de vue
phi­lo­so­phique, vous avez fait un pas très important :
l’in­té­gra­tion à l’a­nar­chisme d’un cou­rant qui a
incar­né, hors du mou­ve­ment, les exi­gences spi­ri­tuelles et
morales les plus pro­fondes de l’a­nar­chie : le surréalisme.
[…]

[…] l’a­nar­chisme doit
tendre à pré­sent à « chan­ger la vie »
en éla­bo­rant un nou­vel art de vivre et de sen­tir, en faisant
appel aux puis­sances qui consti­tuent la source vivante de notre
indi­vi­dua­li­té (forces « instinctives »,
besoin élé­men­taire de beau­té, d’épanouissement,
d’é­lé­va­tion
l’homme debout). Le fas­cisme, lui, a tou­jours su faire appel à
cer­taines ten­dances irra­tion­nelles et explo­sives de l’homme, tout en
les faus­sant et les détour­nant de leur vrai but. Le
socia­lisme, en igno­rant ces forces en les refou­lant sou­vent au nom
d’un ratio­na­lisme super­fi­ciel et dévi­ta­li­sant, a longtemps
accu­mu­lé au fond des hommes des charges considérables,
chao­tiques, que le fas­cisme a fait écla­ter au grand jour au
détri­ment de ce socia­lisme. Il en va de même pour le
paci­fisme, qui n’a jamais été capable de comprendre
tout ce qui dans l’in­di­vi­du bri­mé, étouf­fé par
une socié­té d’a­bru­tis­se­ment aspire à la violence
et à la guerre.

C’est la voca­tion même
de l’a­nar­chisme, de par ses mul­tiples sources morales, économiques,
artis­tiques, spi­ri­tuelles, d’é­clai­rer et de coor­don­ner tout ce
qui dans l’homme aspire à une vie plus haute et plus pleine,
et quels que puissent être les dan­gers appa­rents de frénésie
et de sac­ca­ge­ment. C’est la grande leçon de Bakou­nine, pour
qui un homme n’é­tait révo­lu­tion­naire s’il n’a­vait « le
diable au corps », et qui atten­dait tout du déchaînement
des ins­tincts. Depuis, mis à part Sorel et quelques autres, on
n’a fait que châ­trer l’anarchisme.

Bien enten­du, cela
n’ex­clut pas la patiente ana­lyse des méca­nismes sociaux,
l’ef­fort pour éla­bo­rer une orga­ni­sa­tion plus appropriée
à nos besoins. Mais il faut en finir avec cette timidité,
cette myo­pie qui n’a vou­lu voir en l’homme que l’in­tel­li­gence et le
besoin éco­no­mique. C’est tout l’homme qui nous intéresse,
ce que nous connais­sons de lui et ce que nous igno­rons encore. […]

[…] Ce numéro
repo­se­rait le pro­blème des réformes. Là, je suis
en désac­cord fla­grant avec cer­taines décla­ra­tions de
« N. & R. » : « une loi
pro­fite for­cé­ment d’a­bord au Pou­voir et au Capital ».
Non, car si c’est une loi sociale, elle a été imposée
le plus sou­vent par la force, dans l’in­té­rêt de ceux qui
l’im­posent par l’ac­tion directe. Qu’elle finisse sou­vent par être
lettre morte, oui ; que le pou­voir cherche, et arrive sou­vent, à
la neu­tra­li­ser, oui. Mais une réforme peut ser­vir la classe
ouvrière : dimi­nu­tion des heures de tra­vail, congés
payés, sécu­ri­té sociale, etc. Car c’est un fait
que le pro­lé­ta­riat révo­lu­tion­naire n’est pas le
sous-pro­lé­ta­riat, et qu’un tra­vailleur a besoin d’une certaine
sécu­ri­té maté­rielle, de loi­sirs, pour pou­voir se
lan­cer à fond dans la lutte révo­lu­tion­naire. Une
réforme doit tou­jours être considérée
comme un pas vers la révo­lu­tion. C’est bien ce que dit J.
Grave dans « Réformes, Révolutions »,
et E. Reclus dans « L’Évolu­tion,
la Révo­lu­tion ; et l’i­déal anar­chique ». La
réforme fait par­tie inté­grante d’une évolution
glo­bale dont le terme est la révo­lu­tion : évolution
lente, révo­lu­tion brusque et vio­lente. C’est ce que dit aussi
le texte de J. Guillaume cité dans le der­nier nº de N. &
R. ». […]

D’un camarade des Vosges

[…] Très
sen­sible en par­ti­cu­lier aux posi­tions de « Jacques »
éta­blis­sant un paral­lé­lisme entre sur­réa­lisme et
anar­chisme, et sou­li­gnant l’im­por­tance du Désir objectif.
L’ac­tion ne me semble d’ailleurs pos­sible que dans la mesure où
le pro­ces­sus de « récu­pé­ra­tion […] de
notre force psy­chique […] illu­mi­na­tion sys­té­ma­tique des
lieux cachés… » aura tant soit peu commencé
à démys­ti­fier nos rap­ports sociaux (je site ci-des­sus A
Bre­ton, second Mani­feste, 1930). […]

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