La commission
Pro-Hungria dont nous avions annoncé la formation dans notre
dernier numéro poursuit son effort de solidarité active
avec les victimes de la répression russo-kadarienne.
De l’enquête menée
par elle sur le sort des révolutionnaires hongrois tant en
Hongrie que dans l’immigration nous pouvons retenir :
En Hongrie
―
Selon différents rapports venant de Budapest :
Troupes russes :
Le 15 mars il y avait en Hongrie 22 divisions soviétiques
encasernées dont 15 divisions blindées. Les troupes
russes se tenaient pour la plupart aux environs de Budapest et des
grandes villes, le long des routes menant vers l’Ouest et de celles
venant de l’Est ainsi qu’à proximité des voies ferrées
nécessaires aux transports et ravitaillement. Ceci était
particulièrement nécessaire parce que les combattants
de la Liberté dirigeaient principalement leur action contre
les communications ferroviaires dans le but d’empêcher les
déportations.
Police :
Outre les unités militaires de nombreuses formations M.V.D.
(Sécurité d’état russe) sont arrivées
dans le pays pour organiser et encadrer la nouvelle A.V.H. (police
politique hongroise). Pour reconstituer les effectifs de l’A.V.H. à
Budapest on a recruté principalement des Tchèques et
des membres des nationalités allogènes… Pour échapper
aux attentats ces membres circulent en civil surtout la nuit. Dans
tous les bureaux et même dans les coopératives agricoles
les policiers recrutent des informateurs au moyen de l’intimidation,
puis cherchent à leur faire prendre du service en menaçant
de les dénoncer. On reconstruit les anciennes maisons A.V.H.
et on les a transformées en blockhaus imprenables à la
suite des expériences faites pendant la révolution,
avec dépôts d’armes et de munitions.
Répression :
Les arrestations ont lieu la nuit par escouades de l’A.V.H. Comptant
4 hommes et composées uniquement de membres du Parti ou
d’A.V.H. tchèques. Il y avait vers le 15 mars près de
9.600 détenus inscrits sur les registres d’écrou (dont
6.700 dans les prisons de Budapest) sans compter les déportés,
les exécutés et « disparus ».
Après une certaine pause au cours de laquelle le nombre des
« disparus » était minime le rythme des
déportations à destination de la Russie a repris en
février.
Des procès de
propagande sont organisés par le gouvernement dans un but
d’intimidation mais en petit nombre pour ne pas prouver a posteriori
l’ampleur de la révolution. La revanche systématique de
l’A.V.H. se poursuit dans l’ombre. Beaucoup de suspects meurent
pendant les interrogatoires menés avec sadisme.
D’autres devenus
« superflus » sont exécutés sans
procédure, audience ou formalités. Environ 980
exécutions secrètes.
Épuration :
On constate la présence de nombreux conseillers russes
(plusieurs fois le nombre des civils russes en fonction sous le
régime Rakosi) pour les questions économiques,
politiques et militaires, placés à côté
des « communistes sûrs » dans les
positions-clés. Ils ont la direction du pays complètement
en main, tout comme les Autrichiens au temps du système de
Bach après la révolution de 1848.
En plus de la garde
M.V.D. un patron russe est placé auprès de chaque
dirigeant politique hongrois le réduisant ainsi au rôle
d’exécutant servile.
Résistance :
La reconstruction de l’A.V.H. réduit les possibilités
de résistance et de sabotage publics.
Reste le travail
clandestin. Dans les usines et les gares on sabote à
l’emballage les produits expédiés en URSS. La nuit on
colle des tracts. De temps en temps on tue un A.V.H. avec un pistolet
silencieux mais ces attentats diminuent à cause des
représailles annoncées à la population
(exécution de 50 suspects poux un AVH tué).
L’esprit de vengeance et
de combat vit toujours, les armes sont cachées comme les
sentiments. On attend on ne sait quoi mais plus rien de l’Occident.
Étudiants :
Les étudiants sont l’objet de l’attention spéciale du
gouvernement.
Perquisitions,
arrestations, déportations, liquidation sans procès,
ont pour but de briser les étudiants et les obliger à
servir. Selon un rapport parvenu de l’École
Polytechnique, il manquerait environ 40 des étudiants
inscrits. Les membres de l’ancienne commission de la Mefesz (Union
nationale des étudiants hongrois) restés en Hongrie ont
tous disparu, certains pendus, d’autres simplement liquidés.
Ouvriers : Le
gouvernement n’oublie pas non plus que la classe ouvrière
s’est rangée du côté de la révolution. Les
syndicats ont repris leur ancien rôle et sont retombés
sous la direction policière de l’A.V.H. Les responsables
syndicaux, agents du régime, sont mis à la place des
membres des Conseils ouvriers. Certains conseils sont dissous. Les
autres, légalisés, ne peuvent plus tenir leur rôle
révolutionnaire.
Relations avec
l’Ouest : Il n’est plus possible de s’enfuir vers
l’Occident, la frontière étant complètement
fermée. Seules restent quelques chances minimes de passer par
la Yougoslavie.
Ceux qui rentrent
sont d’abord détenus par l’A.V.H. Ils sont questionnés
plus ou moins longtemps. Après des jours ou des semaines ils
sont relâchés. En général tout ce qu’ils
apportent avec eux de l’Occident leur est repris, afin que cela ne
puisse servir de propagande. On terrorise ces malheureux en leur
disant que l’A.V.H. possède des renseignements sur eux, que
pendant la révolution ils se sont conduits de telle ou telle
manière et que s’ils ne se tiennent pas tranquilles, ils
seront traités en conséquence. Naturellement ils
promettent de bien se conduire. Alors le régime se sert d’eux
pour faire sa propagande. Souvent on leur rend leur logement et on
leur donne un emploi. On leur fait faire des déclarations à
la radio, dans les journaux, etc. Quand on ne peut plus utilise le
revenant on l’arrête, le congédie de son emploi, le
déporte ou le place sous surveillance policière, sous
prétexte qu’il a eu autrefois une attitude anti-démocratique
ou qu’il a été vu l’arme à la main. Dans tout
« revenant » on voit un élément
douteux ou un espion.
Les dons de la
Croix-Rouge n’ont aucune utilité. Une grande partie des
secours et médicaments envoyés a été
directement expédiée aux troupes soviétiques.
Début mars, le gouvernement Kadar ne laisse entrer que les
envois arrivés par train et les faits distribuer parmi ses
proches. La commission agréée n’est qu’une enseigne
commerciale car les personnalités membres n’ont aucun moyen de
contrôler où vont ces dons. Dans les usines ils sont
utilisés comme propagande soviétique.
En France
L’escroquerie
initiale : La masse des Hongrois passant la frontière
désirait avant tout s’éloigner le plus possible de la
fournaise soviétique. À
tort ou à raison leur principal désir était de
mettre l’Océan entre eux et les tanks russes et non de
s’installer dans un pays comme la France qu’ils imaginaient
entièrement placée sous la menace extérieure
(l’Armée Rouge) et intérieure (Parti communistes
locaux) du totalitarisme stalinien. Les hésitants éventuels
étaient de surcroît mis en garde contre l’inconvénient
d’être aiguillés vers les mines ou la Légion
étrangère, cela dès leur arrivée en
Autriche. Seuls des intellectuels et des étudiants désiraient
venir à Paris. Mais la France généreuse comme
chacun sait, tenait à sa réputation et voulait elle
aussi sa ration d’âmes à accueillir. Le gouvernement
Mollet se déclarait prêt à recevoir les fugitifs
hongrois « sans limitation de nombre » alors
que tous les autres fixaient un quota. En vain ―
les Hongrois préféraient les U.S.A, le Canada, le
Brésil. On parvint enfin à faire passer quelques trains
par la France « en transit » vers les ports
d’embarquement.
C’est une partie de
cette cargaison humaine, qui, par un abus de confiance caractérisé,
fut stoppée en France, et servit de tremplin à la
propagande politique officielle en veine de bonne action.
Après accueil en
grande pompe du Préfet et de l’Évêque, après
discours, fleurs remises par les jeunes filles, embrassades générales
et dons spontanés d’une population autant trompée
qu’eux-mêmes, les Hongrois apprirent qu’ils devaient rester en
France et y chercher du travail. Et puis c’est tout. Chacun rentre
chez soi, sauf les Hongrois bien sûr !
Ils étaient
parqués dans des camps militaires gardés par des
Sénégalais ou des gendarmes.
Les camps :
Plus de dons, d’enthousiasme, de fraternité, ni même de
sollicitude administrative. C’était à l’autorité
militaire de leur donner le goût du travail.
Un lit de camp et une
gamelle (quand ce n’est pas un plat dans lequel on pique à 20
à la fois). Débrouillez-vous pour sortir de là.
Pas de bulletin en hongrois, dans la plupart des camps pas
d’interprète. Le premier mois l’armée leur remet 500 F
par semaine et 20 cigarettes ; le deuxième 500 F par
quinzaine et pas de cigarette ; le troisième pas
d’argent, pas de cigarette. Quant aux innombrables colis envoyés
par les Français sentimentaux, pas un seul n’est distribué.
Certains tentèrent
de gagner en groupe la frontière et furent rattrapés
par l’armée qui les « persuada » de
rester en France (Jura, Nancy…)
Conditions de
travail : Peu à peu de bureau administratif en bureau
de secours, de bureau de secours en bureau de placement, de bureau de
placement en bureau d’embauche le Hongrois fait l’apprentissage de la
vie en France. À
Paris ils marchaient toute la journée d’un bout l’autre de la
ville car on ne leur remettait qu’un seul ticket de métro par
jour et les camps étaient en banlieue. D’autres étaient
entassés en pleine campagne hors de portée de marche de
toute ville, sans moyen de transport (par exemple près de
Châtellerault) ceux qui ne trouvaient pas rapidement du travail
étaient quel que soit leur métier sollicités
pour les mines (sans parler de la Légion qui parvint à
glaner quelques individus lassés). Ceux qui refusaient de
travailler dans les houillères se voyaient couper toute aide
administrative comme fainéants. Ceux qui trouvèrent à
s’embaucher dans la région parisienne sont payés à
peu près décemment ; pas toujours au tarif
syndical, mais en moyenne 160 à 170 F de l’heure dans la
métallurgie, par contre en province (sauf peut-être en
Alsace) beaucoup ont le sentiment d’avoir été
honteusement exploités, spécialement dans les régions
agricoles (Camps de Digne et de Châtellerault). Enfin, dans les
bassins miniers de la Loire, du Nord et du Pas de Calais, des mineurs
professionnels furent payés au tarif minimum de 108 F
l’heure ! Souvent après 15 jours de labeur au fond de la
mine ils revenaient avec une fiche de paye sur laquelle après
retenue des frais de cantine etc., on leur payait 2.000 Frs. C’est
pour cette raison que la plupart des mineurs abandonnèrent les
mines et cherchèrent du travail dans la métallurgie.
Mais l’hostilité et la propagande communiste les poursuivaient
dans les usines une bagarre fut même organisée par les
communistes à Sochaux entre Algériens et Hongrois pour
forcer ceux-ci à quitter les usines Peugeot.
À
l’inverse de ce qui s’est passé en Autriche et en Allemagne où
les syndicats unifiés (O.G.B. Et D.G.B.) ont pris en main le
recensement et le placement des réfugiés dans
l’économie du pays, en France aussi bien F.O. que C.F.T.C. se
sont complètement désintéressés de la
question et n’ont même pas jugé nécessaire de
visiter les camps pour se rendre compte de la situation des réfugiés.
Le logement :
La question, du logement est celle qui préoccupe de la façon
la plus dramatique les réfugiés. En effet, dès
que l’un d’entre eux commence à travailler il doit quitter le
camp et chercher à se loger. Il n’y a alors que l’hôtel
garni. Dans la région parisienne cela se traduit par une
dépense de 4 à 5.000 F par semaine pour un réfugié
qui en gagne 7.000. Et il n’est pas rare que des réfugiés
sans logement couchent dans le métro.
Or des centaines
d’offres de logement émanant de particuliers, ou des offres de
familles françaises d’héberger, habiller, prendre en
charge une famille hongroise sont parvenues tant aux services sociaux
qu’au secours catholique par exemple, qui refusent de les
communiquer à quiconque. Un tri secret où entrent
en compte aussi bien la croyance religieuse (L’Assistance Sociale
d’État est en fait
monopolisée par des catholiques) que la condition sociale (on
s’occupe surtout des « gens biens ») et des
supputations sur le passé judiciaire (prison politique
confondue avec pénale) ou l’état d’esprit (les
revendicatifs sont mals côtés) élimine la plupart
des postulants. Et les offres restent dans les tiroirs.
La charité :
Il est bon de noter comment l’Église
catholique a utilisé l’accueil des Hongrois pour se mettre sur
le même pied que l’État,
voire supplanter ce dernier par tout son réseau de secours
divers. Et pourtant l’émotion soulevée, la solidarité
développée chez des milliers de braves gens anonymes
n’ont abouti qu’à une énorme tartufferie [[Les
catholiques ne sont pas seuls dans l’odieux On nous a rapporté
l’exemple de cette assistante sociale envoyée dans un
organisme de secours protestant pour habiller un réfugié :
― Est-ce un ouvrier ? ―
Si non, en voilà de neufs.”>.
Le comité,
interministériel est composé en grande partie de gens
pour qui la question des réfugiés constitue un
magnifique fromage. Ils bloquent l’argent collecté et le
détournent de sa destination. Pour eux les réfugiés
sont des empêcheurs de danser en rond ; le gouvernement
Kadar est très bien et ils ne comprennent pas que les Hongrois
désireux de rentrer en Hongrie ne soient pas plus nombreux.
Quelques convois
prennent quand même la destination de la Hongrie… Avant que
le gouvernement Kadar n’en fasse l’usage qui lui plaît et que
l’on sait (voir plus haut) il peut leur arriver bien des ennuis :
on a cité le cas de l’Ambassadeur de France en Hongrie, un
certain Boncourt, qui sur 5 camions de médicaments de la Croix
Rouge autorisés à pénétrer en Hongrie en
a fait vider un et l’a rempli de caisses de champagne pour son
ambassade à Budapest.
L’hypocrisie de l’Occident répond à
la répression « soviétique »
Insurrection armée
― Conseils ouvriers ―
Grève générale. La Révolution hongroise a
accompli le maximum qui lui était possible dans la conjoncture
internationale.
Les révolutionnaires
hongrois ont été un moment salués par l’Occident
comme des héros de sa cause.
Maintenant à
l’Ouest comme à l’Est ils ne sont plus que des gêneurs
pour la conscience ― si elle
existe ― des politiciens.
Si leur venue a été
saluée apparemment par de grandes manifestations de sympathies
à l’Ouest, il ne faut pas se cacher que les États
occidentaux n’ont pas tardé à prendre une attitude
méfiante sinon hostile envers ces « échappés
de prison », « repris de justice »,
« bandits armés », qui sont
l’incarnation même de la subversion sociale, de l’indiscipline
vis-à-vis de l’État,
en un mot de la Révolution.
La solidarité des
États de l’Ouest et
de l’Est contre ces perturbateurs s’est traduite par la passivité
subite de tous les services administratifs dérangés
avec bruit pour les Hongrois, par le blocage de tous les efforts
individuels qui avaient bien voulu faire confiance aux institutions
(État, Église,
Croix-Rouge).
Les hommes de bonne
volonté une fois de plus ont été joués
par les mécanismes officiels qui les ont ignoblement trompés.
Seule la solidarité
directe des travailleurs aurait pu, et en certains cas a pu, faire
réellement
quelque chose.
Solidarité
internationale Antifasciste (S.I.A.)
Commission de solidarité
avec la Hongrie, Président :
Albert Camus, Secrétariat :
28 rue Serpente Paris VIe