[(
Une des tâches
assignées par le 1er congrès des G.A.A.R. au
groupe éditeur de Noir et Rouge est la sélection
des textes des « classiques » anarchistes mal
connus ou jamais traduits et la publication de ces textes dans la
mesure où ils peuvent contribuer à clarifier telle ou
telle préoccupation idéologique actuelle.
Le problème de
l’organisation anarchiste constitue une des préoccupations
des anarchistes de ce pays.
« N.et R. »
a déjà publié sur ce sujet un article de Maria
Körn, et sous le titre « Pour la Clarté|N & R n°3 »
quelques-uns de nos camarades ont apporté quelques précisions
sur la conception de l’organisation des militants G.A.A.R.
Nous publions
aujourd’hui une traduction d’articles d’Errico Malatesta parus il
y a 60 ans dans « l’Agitazione » journal
anarchiste italien.
Nous nous efforcerons
dans les prochains numéros de publier d’autres textes relatifs
à l’organisation anarchiste.
Nous souhaitons
connaître les opinions de nos lecteurs sur ce sujet.
)]
L’organisation
I
Il y a des années
qu’on discute, entre anarchistes, cette question. Et, comme il arrive
souvent, quand on prend goût à une discussion, la
recherche de la vérité est dominée par le désir
d’avoir toujours raison, ou quand les discussions théoriques
ne sont qu’une tentative de justifier une conduite pratique inspirée
par d’autres motifs, il se crée une grande confusion d’idées
et de vocabulaire.
Rappelons, en passant et
uniquement pour nous en débarrasser, les simples questions de
mots qui ont atteint parfois les plus hauts sommets du ridicule,
comme par exemple : « nous ne sommes pas pour
l’organisation mais pour l’harmonisation » ; « nous
sommes contre l’association mais nous admettons l’entente » ;
« nous ne voulons pas de secrétaire et de caissier,
car ce sont des choses autoritaires, mais nous chargeons un camarade
d’effectuer la correspondance et un autre pour garder l’argent »
― et passons à la
discussion sérieuse.
Il y a parmi ceux qui
revendiquent le nom d’anarchistes, avec divers adjectifs ou sans
adjectif, deux fractions : les partisans et les adversaires de
l’organisation.
Si nous ne pouvons pas
tomber d’accord, tâchons du moins, de nous comprendre.
Et avant tout, faisons
une distinction, puisqu’il s’agit d’une triple question :
l’organisation en général comme principe et condition
de vie sociale, aujourd’hui ainsi que dans la société
future ; l’organisation du parti [[Dans
l’édition de 1950, faite par Luigi Fabbri il existe la
remarque suivante : « aujourd’hui le mot « parti »
n’existe plus dans notre vocabulaire. Mais quand cet article fut
écrit, il avait le sens de « mouvement
organisé ». »]]
anarchiste ; et l’organisation des forces populaires et
spécialement celles des masses ouvrières pour la
résistance contre le gouvernement et contre le capitalisme.
La nécessité
de l’organisation dans la vie sociale, et je dirais presque la
synonymie entre organisation et société, est une chose
tellement évidente qu’on a peine à croire qu’on ait pu
la nier.
Pour s’en rendre compte
il faut rappeler quelle est la fonction spécifique,
caractéristique du mouvement anarchiste et comment les gens et
les partis (anarchistes, N.d.T.) sont enclins à se laisser
absorber par la question qui les intéresse plus directement,
oubliant tous les problèmes connexes, à regarder plus
la forme que l’essence, enfin à voir les choses d’un seul côté
et à perdre ainsi la juste notion de la réalité.
Le mouvement anarchiste
commença comme réaction contre l’esprit d’autorité,
dominant dans la société civile ainsi que dans tous les
partis et toutes les organisations ouvrières, et s’est grossi
peu à peu de toutes les révoltes soulevées
contre les tendances autoritaires et centralisatrices.
Il était donc
naturel que beaucoup d’anarchistes fussent comme hypnotisés
par cette lutte contre l’autorité et que, croyant, sous
l’influence de l’éducation autoritaire reçue, que
l’autorité et l’âme de l’organisation sociale, pour
combattre celle-là devaient combattre et nier celle-ci.
Cette hypnotisation
arriva au point de les faire soutenir des choses vraiment
incroyables.
On a combattu toutes
sortes de coopération et d’entente, considérant
l’association comme étant l’antithèse de l’anarchie ;
on soutenait que sans accords, sans obligations réciproques,
chacun faisant ce qui lui passe par la tête sans même
s’informer de ce que fait l’autre, tout s’harmoniserait
spontanément ; qu’anarchie signifie que chaque homme doit
se suffire à soi-même et se procurer tout ce qu’il lui
faut sans échange et sans travail associé ; que
les chemins de fer pouvaient très bien fonctionner sans
organisation que ce serait déjà même arrivé
en Angleterre (? !) ; que la poste n’était pas nécessaire
et que si quelqu’un à Paris voulait écrire une lettre
pour Pétersbourg… il n’avait qu’à la porter lui-même
(! !) etc., etc.
Oui, mais ces bêtises
ont été dites, imprimées, propagées ;
elles ont été accueillies par une grande partie du
public comme une expression des idées anarchistes ; et
servent toujours comme armes de combat à nos adversaires,
bourgeois ou non, qui veulent gagner une victoire facile. Et puis ces
bêtises ont un rôle négatif en tant que
conséquences logiques de certaines promesses et elles peuvent
servir comme épreuve expérimentale des « vérités »
qui sont absurdes.
Certains individus,
d’esprit limité mais doués d’un fort sens logique,
quand ils ont accepté ces promesses, en tirent toutes les
conséquences possibles et si leur logique le veut, ils
aboutissent, sans manifester le moindre trouble, aux plus grandes
absurdités, à la négation des faits les plus
évidents. Il y en a d’autres plus cultivés et d’esprit
plus large, qui trouvent toujours la façon d’arriver à
des conclusions plus ou moins raisonnables, même au prix de
maltraiter la logique ; pour ceux-ci les erreurs théoriques
ont peu ou aucune influence sur leur conduite pratique. Enfin, tant
qu’on ne renonce pas à certaines erreurs fondamentales, on est
toujours menacé par des syllogismes à l’outrance et on
recommence toujours « da capo » (en rengaine).
Et l’erreur fondamentale
des anarchistes adversaires de l’organisation est de croire qu’une
organisation n’est pas possible sans autorité et de préférer,
une fois admise cette hypothèse, renoncer plutôt à
toute organisation qu’accepter la moindre autorité.
Que l’organisation,
c’est-à-dire l’association par un but déterminé
et avec les formes et les moyens nécessaires pour la
réalisation de ce but, soit une chose nécessaire à
la vie sociale, nous semble évident. L’homme isolé ne
pourrait même pas vivre la vie d’une brute : il est
incapable, sauf dans les régions tropicales et quand la
population est excessivement rare, de se procurer la nourriture ;
et il est toujours incapable sans exception, de s’élever à
une vie un tant soit peu supérieure à celle des
animaux. Étant,
pour cela, obligé de s’unir aux autres hommes ou étant
déjà uni en conséquence de l’évolution
antérieure de l’espèce, il doit ou subir la volonté
des autres (être esclave), ou imposer sa propre volonté
aux autres (être une autorité) ou vivre avec les autres
en fraternel accord en vue du plus grand bien-être, c’est à
dire être un associé. Personne ne peut se dispenser de
cette nécessité ; et les anti-organisateurs les
plus excessifs non seulement subissent l’organisation générale
de la société dans laquelle ils vivent, mais même
dans les actes volontaires de leur vie, même dans leurs
révoltes, se partagent le devoir, s’organisant avec
ceux qui sont d’accord avec eux et utilisent les moyens que la
société met à leur disposition… dans la mesure
ou il s’agit, bien. entendu, de choses voulues et faites sérieusement
et non de vagues aspirations platoniques ou de rêves.
Anarchie signifie
société organisée sans autorité,
en entendant par autorité la faculté d’imposer
sa propre volonté et non pas le fait inévitable et
bienfaisant que celui qui comprend et sait faire mieux une chose
donnée, à ceux qui sont moins capables que lui.
D’après nous,
l’autorité non seulement n’est pas nécessaire à
l’organisation sociale mais, loin de lui être utile, elle vit
sur elle en parasite, entrave son évolution et dirige ses
avantages au profit spécial d’une classe donnée qui
exploite et opprime les autres. Tant qu’il y a, dans une
collectivité, harmonie d’intérêts, tant que
personne n’a l’envie ni le moyen d’exploiter les autres, il n’y a pas
de traces d’autorité quand la lutte intestine commence et que
la collectivité se partage en vainqueurs et vaincus, alors
apparaît l’autorité, laquelle est, naturellement, du
côté des plus forts et sert à confirmer, à
perpétuer et à agrandir leur victoire.
Nous pensons, et c’est
pour cela que nous sommes anarchistes, que si nous croyions qu’il ne
pouvait pas avoir d’organisation sans autorité, nous serions
des autoritaires, parce que nous préférions encore
l’autorité qui entrave et rend triste la vie, à la
désorganisation qui la rend impossible.
Du reste, peu importe ce
que nous serions. S’il était vrai que le machiniste et les
chefs de service devraient forcément être des autorités
au lieu de compagnons qui font pour tous un travail déterminé,
le public aimerait, quand même, mieux subir leur autorité
que de voyager à pied. Si le chef de poste devait absolument
être une autorité, tout homme sain d’esprit supporterait
l’autorité du chef de poste plutôt que de porter
lui-même sa propre lettre.
Et alors… l’anarchie
serait le rêve de quelques-uns, mais elle ne pourrait jamais se
réaliser.
(« L’Agitazione »,
d’Ancone, nº 13, du 4 juin 1897)
II
Une fois admise comme
possible l’existence d’une collectivité organisée sans
autorité, c’est-à-dire sans force ―
et pour les anarchistes il est nécessaire de l’admettre, parce
qu’autrement l’anarchie n’aurait pas de sens ―
passons à la discussion sur l’organisation du parti
anarchiste.
Dans ce cas, aussi,
l’organisation nous semble utile et nécessaire. Si parti
signifie l’ensemble des individus qui ont un but commun et
s’efforcent d’atteindre ce but, il est naturel qu’ils s’entendent,
qu’ils unissent leurs forces, qu’ils se partagent le travail et
qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour atteindre
ce but. Rester isolé, en agissant ou en voulant agir chacun
pour son propre compte sans s’entendre avec les autres, sans se
préparer, sans unir dans un faisceau puissant les faibles
forces des individus, c’est se condamner à l’impuissance,
gaspiller l’énergie en petits actes sans efficacité et
bien vite perdre sa foi dans la cause et tomber dans la complète
inaction.
Mais même ici la
chose nous semble tellement évidente que, au lieu d’insister
dans la démonstration directe, nous essaierons de répandre
aux arguments des adversaires de l’organisation.
Et tout d’abord on nous
fait l’objection, pour ainsi dire, préjudicielle : « Mais
de quel parti nous parlez-vous ? » ―
disent-ils ― « nous
ne sonnes pas un parti, nous n’avons pas de programme. »
Et avec cette demande paradoxale ils veulent dire que les idées
progressent et changent continuellement et qu’ils ne veulent pas
accepter un programme fixe, qui peut être bon aujourd’hui mais
qui sera certainement surpassé demain.
Cela pourrait être
parfaitement exact s’il s’agissait de studieux savants qui
recherchent le vrai sans se préoccuper des applications
pratiques. Un mathématicien, un chimiste, un psychologue, un
sociologue peuvent dire n’avoir aucun programme, sauf celui de
rechercher la vérité : ils veulent connaître ;
ils ne veulent pas faire quelque chose. Mais l’anarchie et le
socialisme ne sont pas des sciences ; ce sont des propos, des
projets que les anarchistes et les socialistes veulent mettre en
pratique (réaliser) et qui pour cela ont besoin d’être
formulés en programmes déterminés. La science et
l’art des constructions progressent tous les jours ; mais un
ingénieur qui veut construire, ou même détruire
quelque chose, doit faire son plan, ramasser ses outils, et agir
comme si la science et l’art s’étaient arrêtés au
moment où il commença son travail. Il se peut très
bien qu’il lui arrive de pouvoir utiliser de nouvelles acquisitions
faites au cours du travail sans renoncer à la part principale
de son plan ; et il se peut aussi que les nouvelles découvertes
et les nouveaux moyens créés par l’industrie soient
tels qu’il voit la nécessité d’abandonner tout et de
tout recommencer. Mais s’il recommence, il aura besoin de faire un
nouveau plan basé sur ce que l’on connaît et possède
jusqu’à ce moment-là et il ne pourra concevoir ni
exécuter une construction amorphe, avec des matériaux
non-composés, sous prétexte que demain la science
pourrait suggérer des formes meilleures et l’industrie fournir
des matériaux mieux composés.
Par parti anarchiste
nous entendons l’ensemble de ceux qui veulent collaborer pour
réaliser l’anarchie et qui ont besoin, pour cela, d’un but à
fixer et d’un chemin à parcourir ; et nous laissons
volontiers à leurs élucubrations transcendantales les
amateurs de la vérité absolue et du progrès
continuel, et qui, d’ailleurs, ne pouvant justifier leurs idées
avec la preuve des faits, finissent par ne rien faire et découvrir
encore moins.
L’autre objection est
que l’organisation crée des chefs, des autorités. Si
cela est vrai, c’est-à-dire s’il est vrai que les anarchistes
sont incapables de se réunir et s’accorder entre eux sans se
soumettre à une autorité, cela signifie qu’ils sont
encore trop peu anarchistes et qu’avant de penser à établir
l’anarchie dans le monde, ils doivent penser à se rendre
capables eux-mêmes de vivres en anarchistes. Le remède
ne serait donc pas la non-organisation mais la prise de conscience
des membres individuels.
Évidemment, si
dans une organisation on charge quelques-uns de tout le travail et
toutes les responsabilités, si on subit ce que font quelques
personnes sans donner un coup de main et sans essayer de faire mieux,
ces quelques personnes finiront, même sans le vouloir, par
substituer leur propre volonté à celle de la
collectivité. Si dans une organisation tous les membres ne se
soucient pas de penser, de vouloir comprendre, de se faire expliquer
ce qu’ils ne comprennent pas, d’exercer sur tout et sur tous leurs
facultés critiques, et laissent quelques personnes penser pour
tous, ces quelques personnes seront les chefs, les têtes qui
pensent et qui dirigent.
Mais, nous le répétons,
le remède n’est pas dans la non-organisation. Au contraire,
dans les petites aussi bien que dans les grandes sociétés,
à part la force brutale, cette question ne se pose même
pas dans notre cas, l’origine et la justification de l’autorité
réside dans la désorganisation sociale. Quand une
collectivité a besoin de quelque chose et que ses membres ne
savent pas s’organiser spontanément pour s’en procurer, surgit
quelqu’un, une autorité, qui pourvoit à ce besoin en se
servant de la force de tous et en dirigeant selon sa volonté.
Si les routes sont peu sûres et si le peuple ne sait pas y
pourvoir, apparaît la police qui, en échange de son
service, se fait supporter et payer, s’impose et tyrannise ;
s’il y a besoin d’un produit et que la collectivité ne sache
pas s’entendre avec les producteurs lointains pour se faire envoyer
en échange des produits du pays, apparaît le commerçant
qui profite du besoin qu’ont les uns de vendre et les autres
d’acheter et impose les prix qu’il veut aux producteurs et aux
consommateurs.
Voyez ce qu’il arrivait
toujours parmi nous : moins nous étions organisés
et plus nous nous trouvions à la discrétion (à
la merci) de quelque individu. Et il est naturel qu’il en soit ainsi.
Nous avons besoin d’être
en contact avec les camarades des autres localités, de
recevoir et de donner des nouvelles, mais chacun de nous ne peut pas
correspondre personnellement avec tous les camarades. Si nous sommes
organisés, nous chargeons des camarades de tenir la
correspondance pour notre compte, nous les changeons s’ils ne nous
satisfont pas et nous pouvons être au courant sans dépendre
de la bonne volonté de quelqu’un pour avoir une nouvelle ;
si, au contraire, nous sommes désorganisés, il y aura
quelqu’un qui aura les moyens et la volonté de correspondre et
qui concentrera dans ses mains toutes les relations, communiquera les
nouvelles qui lui plaisent, à qui il
voudra, et s’il est assez
actif et assez intelligent, réussira à donner, à
notre insu, au mouvement la direction qu’il veut sans qu’il ne nous
reste aucun moyen de contrôle ; et personne n’aura le
droit de se plaindre puisque cet individu agira pour son propre
compte sans aucun mandat et sans être obligé de rendre
compte de son action à qui que ce soit.
Nous éprouvons le
besoin d’avoir un journal. Si nous sommes organisés, nous
pourrons réunir les moyens pour le lancer et le faire vivre,
nous chargerons quelques camarades de le rédiger et de
contrôler sa direction. Les rédacteurs lui donneront
certainement l’empreinte de leur personnalité mais ce seront
toujours des gens que nous avons choisis et que nous pourrons changér
s’ils ne nous contentent pas. Si au contraire, nous sommes
désorganisés, quelqu’un qui a assez d’esprit
d’entreprise fera le journal pour son propre compte : il
trouvera parmi nous des correspondants, des distributeurs, des
souscripteurs et il nous fera coopérer à ses buts, sans
que nous le sachions ou le voulions ; et, comme il est souvent
arrivé, nous accepterons et soutiendrons ce journal même
s’il ne nous plaît pas, même s’il nous semble nuisible à
la cause, parce que nous serons incapables d’en faire un autre qui
représente mieux nos idées.
Si bien que
l’organisation, loin de créer l’autorité, est le seul
remède à cela et le seul moyen pour que chacun de nous
s’habitue à prendre une part active et consciente dans le
travail collectif et cesse d’être un instrument passif dans les
mains des chefs.
Mais si on ne fait rien
de rien et si tout le monde reste dans l’inactivité complète,
alors certainement, il n’y aura ni chefs ni troupeau, ni commandants
ni commandés, mais alors finiront la propagande, le parti et
même les discussions autour de l’organisation et cela, nous
l’espérons, n’est l’idéal de personne.
Mais, dit-on,
l’organisation suppose l’obligation de coordonner sa propre action
avec celle des autres, donc elle viole la liberté, entrave
l’initiative. Il nous paraît cependant, que ce qui gêne
la liberté et rend l’initiative impossible, c’est justement
l’isolement qui rend impuissant. La liberté n’est pas un droit
abstrait, mais la possibilité de faire une chose ; cela
est vrai entre nous comme c’est vrai dans la société en
général. C’est dans la coopération avec les
autres hommes que l’homme trouve les moyens pour développer
son activité, sa puissance d’initiative.
Certainement,
organisation signifie coordination de forces pour un but commun et
obligation des organisés à ne pas faire de choses
contraires à ce but. Mais quand il s’agit d’organisations
volontaires, quand ceux qui se trouvent dans la même
organisation ont vraiment le même but et sont partisans des
mêmes moyens, les obligations réciproques, qui les
engagent tous, deviennent avantageuses pour tous ; et si
quelqu’un renonce à quelque idée particulière,
en hommage à l’union, cela veut dire qu’il trouve plus
avantageux de renoncer à une idée, que d’ailleurs, tout
seul il ne pourrait pas réaliser, que de se priver de la
coopération des autres dans les choses qu’il considère
plus importantes.
Si, d’autre part, un
individu considère qu’aucune des organisations existantes
n’accepte ses idées et ses méthodes dans ce qu’elles
ont d’essentiel et que dans aucune il ne pourrait développer
son individualité de la façon qu’il entend, alors il
fera mieux de rester dehors ; mais alors, s’il ne veut pas
rester inactif et impuissant, il devra chercher d’autres individus
qui pensent comme lui et se faire l’initiateur d’une nouvelle
organisation.
Une autre objection, et
c’est la dernière dont nous nous entretiendrons, c’est
qu’étant organisés nous sommes plus exposés aux
persécutions du gouvernement.
Il nous semble plutôt
qu’on peut se défendre plus efficacement dans la mesure où
on est mieux organisé. Et en effet, chaque fois que les
persécutions nous ont surpris désorganisés, on
nous a dispersés et on a réduit à zéro
notre travail précédent ; tandis que lorsque nous
étions organisés, elles nous faisaient plus de bien que
de mal. Et c’est la même chose en ce qui concerne l’intérêt
personnel des individus isolés : l’exemple des dernières
persécutions qui ont frappé les isolés autant
que les organisés et peut-être plus gravement en est
suffisant. Ceci est valable pour ceux qui, isolés ou non, font
au moins de la propagande individuelle ; pour ceux qui ne font
rien et cachent bien leurs opinions, le danger est, bien entendu,
moindre mais ils ne sont d’aucune utilité pour la cause.
Le seul résultat
qu’on obtient, du point de vue des persécutions, en restant
désorganisés, c’est d’autoriser les gouvernements à
nous nier le droit d’association et à rendre possible ces
monstrueux procès pour association de délit, ce qu’ils
n’oseraient pas faire contre des gens qui affirment à haute
voix et publiquement le droit et le fait d’être associés
car s’ils osaient, le résultat serait à l’avantage de
la propagande.
Du reste, il est naturel
que l’organisation prenne les formes que les circonstances
conseillent et imposent. L’important n’est pas l’organisation
formelle mais l’esprit de l’organisation. Il peut y avoir des cas où,
à cause des attaques déchaînées de la
réaction, il sera utile de suspendre toute correspondance, de
cesser toute réunion ; ce sera toujours un dommage, mais
si la volonté d’être organisés subsiste, si
l’esprit d’association reste vivant, si la période précédente
d’activités coordonnées avait multiplié les
relations personnelles, produit de solides amitiés et créé
un vrai accord d’idées et de conduite entre les camarades,
alors le travail des individus même isolés contribuera
au but commun et on trouvera vite une façon de se réunir
de nouveau et de réparer le dommage subi.
[…] Tout ce que nous
avons dit ici est pour ces camarades qui sont réellement
adversaires du principe de l’organisation. D’autre part, à
ceux qui combattent l’organisation uniquement parce qu’ils ne
sympathisent pas avec les individus qui en font partie, nous leur
disons : faites vous-mêmes, avec ceux qui sont d’accord
avec vous, une autre organisation. Nous aimerions qu’on soit tous
d’accord et qu’on réunisse en un faisceau puissant toutes les
forces de l’anarchisme ; mais nous ne croyons pas à la
solidité des organisations faites à force de
concessions et de sous-entendus et où il n’y a pas d’accords
et de sympathie réelle entre les membres. Il vaut mieux être
désunie que mal unis. Pourtant nous voudrions que chacun
s’unisse avec ses amis qu’il n’y ait pas de forces isolées, de
forces perdues.
(« L’Agitazione »
d’Ancona, nº 14 du 11 juin 1897)
III
Le 3e article
est dédié à « l’organisation des
masses des travailleurs pour la résistance contre le
gouvernement et les patrons ».
E. Malatesta