L’influence libertaire
sur les masses ouvrières est en recul. Cette influence, qui
était grande et constituait l’âme du syndicalisme, n’a
pas su se maintenir et faire tache d’huile. Bien au contraire, force
nous est de constater que l’affaiblissement de cette influence
s’accompagne d’un embourgeoisement moral et politique des syndicats,
d’une perte de confiance des ouvriers dans leur émancipation
collective et du développement, en France tout au moins, d’une
tendance individualiste ouvrière de caractère
petit-bourgeois.
Constatant cet état
de chose certains militants libertaires peuvent céder au
découragement, douter de la possibilité de la
Révolution, et se réfugier soit dans des tours d’ivoire
pour y cultiver entre initiés la fleur rouge de l’anarchie
« pure », soit se diluer dans des activité
syndicales de caractère réformistes qui, à
longueur de réunions paritaires, à force de contempler
les 213 articles, de peser le pour et le contre et de siéger à
la gauche du président (directeur général) du
Comité d’Entreprise, aboutissent à un certain
aménagement « social »
anti-révolutionnaire, dans lequel les quelques énergies
ouvrières s’engluent, prisonnières qu’elles sont de la
légalité, des commissions de conciliation, des
syndicats etc.
Cependant un bon nombre
de militants libertaires refusent d’abandonner la propagande au sein
des masses, considérant qu’elle est la première tâche
des anarchistes révolutionnaires.
Parmi les différentes
causes de l’affaiblissement de l’influence libertaire chez les
ouvriers, l’une, et non des moindres, est là faiblesse des
effectifs libertaires ouvriers.
En France les anciens
militants anarchistes ou anarcho-syndicalistes qui avaient impulsé
le mouvement ouvrier n’ont pas été relevés en
nombre et en qualité par de jeunes militants ouvriers.
Quelques-uns parmi les militants anarcho-syndicalistes ou même
anarchistes révolutionnaires, croyant parfaire leur formation
libertaire individuelle, se rapprochèrent des idées
« an-archistes » individualistes de Stirner,
lesquelles souvent mal assimilées les amenèrent à
rechercher d’abord leur épanouissement personnel les
soustrayant par-là même à la lutte pour
l’émancipation collective de leur classe.
La lutte anarchiste dans les usines depuis 10
ans.
Les militants ouvriers
anarchistes révolutionnaires sont donc peu nombreux. Cela leur
fait une obligation de rechercher sans cesse les méthodes les
plus efficaces d’action ouvrière.
Faute d’une remise en
question permanente de nos méthodes de lutte, d’une étude
approfondie de l’évolution des structures sociales, de la
psychologie ouvrière, du problème des bureaucraties
syndicales, et d’une compréhension suffisante de la
conjoncture économique, l’effort ―
souvent démesuré par rapport à leur nombre ―
des militants anarchistes pendant ces 10 dernières années,
se solde par un demi-échec.
Demi-échec et non
échec total si l’on considère que, par leur action, ces
militants ont souvent su s’attirer la sympathie de jeunes ouvriers
dont certains sont devenus par la suite des militants anarchistes.
Mais échec total,
si l’on considère que la tâche principale du militant
était de faire rayonner dans la collectivité ouvrière
une conscience de classe plus volontaire et plus lucide, seule
capable de donner un sens révolutionnaire à la
juste révolte des travailleurs face aux conditions de vie qui
leur sont faites.
En effet, si l’on
cherche à faire le bilan de l’action militante, des
anarchistes et anarcho-syndicalistes dans les usines depuis la
« Libération » que constatons-nous ?
―
Le plus souvent le militant anarchiste a fait de la propagande
anarchiste au sein de la section syndicale du syndicat le plus
« représentatif » de son entreprise
(soit F.O. Soit la C.G.T., toutes deux bureaucratiques, réformistes
et politisées). Son action soit n’a été
profitable qu’à la gloire de l’étiquette (C.G.T. ou
F.O.) sous laquelle il luttait, soit l’a fait mettre à l’index
par les bonzes syndicaux qui recourent à toutes sortes de
calomnies pour « démolir » un gars dont
l’action et les arguments trouvent un écho dans la masse
ouvrière.
―
Le militant anarcho-syndicaliste, lui, a lutté sous
l’étiquette C.N.T., concurrençant à découvert
les grandes confédérations. Une telle lutte ne pouvait
qu’échouer si l’on considère qu’un syndicat
n’existe qu’en fonction de la masse qu’il impulse. Le petit
nombre des militants cénétistes, un certain manque du
sens des réalités qui les amenait à défendre
des mots d’ordre, parfaitement justes et révolutionnaires
certes, mais rendus totalement démagogiques par l’écart
qui les séparait de la psychologie des ouvriers et de leurs
facultés de compréhension, vouèrent cette
tentative de renouveau anarcho-syndicaliste à l’échec.
Les calomnies des cégétistes et F.O. ne leur furent pas
épargnées et ils n’ont, en fait, jamais pu avoir
d’influence réelle sur les ouvriers ―
(exceptons toutefois certains secteurs, comme le bâtiment, où
parfois l’esprit libertaire subsiste encore).
―
D’autres camarades, conscients des difficultés du moment, mais
résolus, cependant, dans leur volonté d’action
concrète, improvisèrent des tactiques d’agitation qui
parfois portèrent leurs fruits, mais échouèrent
trop souvent en raison du manque de confiance de l’organisation
anarchiste envers des méthodes de lutte nouvelles échappant
à ce qu’on pourrait appeler la routine anarchiste
[[Le
lecteur pourra se trouver étonné de la formule
« routine anarchiste ». Tant mieux, car en y
réfléchissant mieux il s’apercevra que trop de
camarades se contentent, en matière de lutte ouvrière,
de formules toutes faites qui étaient sans doute valables il
y a 50 ans, ou même plus récemment en Espagne, mais
qui, dans la conjoncture sociale actuelle, se trouvent privées
de toute résonance dans le prolétariat. L’anarchisme
révolutionnaire, ne peut, croyons-nous, servir la classe
ouvrière que s’il est capable de présenter toujours un
bilan d’expériences et de faits concrets dans la perspective
de la révolution. Il lui faut, pour cela, tenter beaucoup, et
tirer chaque fois les conclusions, bonnes ou mauvaises de ses
expériences. Bref, il lui faut être vivant et
intégré à la classe ouvrière et non plus
se contenter d’opposer aux faits des solutions qui n’y sont plus
adaptées.]]. ― (Pourtant, ces camarades,
même s’ils pouvaient commettre des erreurs, n’en recherchaient
pas moins, sans attenter le moins du monde aux principes libertaires,
les formes les mieux adaptées à un combat
révolutionnaire de classe).
Quelle que soit la forme
de lutte adoptée par le militant en usine, celui-ci, dans le
meilleur des cas, aura été considéré par
les ouvriers comme un bon camarade, mais aussi comme un « original »,
différent d’eux-mêmes, et ils l’auront admis mais
sans subir son influence. Pas plus que la propagande courageuse du
militant isolé la création de syndicats
« minoritaires » ou la tentative de noyautage
de section syndicale n’ont donné de résultat concret.
À
la recherche d’une méthode
Il nous semble
nécessaire de reposer tout le problème du militantisme
en usine. C’est un problème essentiel et il nous faut
revoir toutes nos habitudes, toutes nos méthodes (notre
absence de méthode devrions-nous dire). Si nous ne sommes pas
capables de jeter les bases d’une efficacité anarchiste
dans les usines, nous demeurerons une chapelle sans aucune utilité
sociale.
Essayons de voir ce que
pourrait être une (et non la) méthode anarchiste
efficace, compte tenu du fait, que le militant anarchiste et
généralement seul dans son atelier ou son usine, compte
tenu également de la tendance individualiste grandissante dans
la classe ouvrière française (Heures supplémentaires,
scooter, télévision, maison de campagne…) et des
restes d’organisation et d’influence des syndicats bureaucratiques
souvent encore puissants en province.
―
En premier lieu l’ouvrier anarchiste devrait consacrer dès son
embauchage tout le temps nécessaire à l’étude du
milieu que constitue l’usine où il va travailler, faire
parler les ouvriers et les classer selon la réceptivité
qu’ils peuvent avoir aux positions de classe.
―
Durant toute cette période préparatoire le camarade
n’exposerait que la partie de ses idées qui peut être
comprise par les ouvriers sans jamais préciser qu’il se
rattache à l’anarchisme ce terme, mal compris des ouvriers
français, soulevant toujours des discussions stériles
ou engendrant des malentendus. En effet, et cela a été
dit lors du Congrès de Mâcon, l’important n’est pas que
telle ou telle étiquette d’organisation ou de pensée
ait la faveur des ouvriers, mais que la vérité et les
idées fassent leur chemin dans les consciences.
―
D’une façon générale le militant anarchiste n’a
pas intérêt à marquer toute la distance qui
sépare ses conceptions de celle du militant ouvrier où
il milite. Il doit être parmi les plus capables de sa catégorie
professionnelle et surtout bon camarade. Il lui faudra s’intégrer
dans la psychologie de ses camarades de travail, car c’est en
entrant, par exemple dans une discussion et en l’élargissant,
en apportant des vues qui, en restant proches des préoccupations
des compagnons, sont orientées dans la perspective libertaire
qu’il peut être compris.
La grosse erreur que
nous avons toujours commise est de nous séparer des ouvriers
d’abord en nous présentant comme anarchistes avant d’avoir
fait comprendre l’anarchisme. L’anarchisme ne pouvant être
assimilé d’un seul coup par les ouvriers, il ne faut pas
tenter de l’expliquer en bloc ce qui a pour conséquence finale
d’en écarter les ouvriers.
Exemple : Dans une
discussion où les ouvriers parlent du chef d’équipe, le
militant qui intervient et parle de suppression de la
hiérarchie des salaires choque la morale des ouvriers,
crée une scission entre eux et lui, et son point de vue,
pourtant juste, ne pénètre pas dans la pensée de
ses interlocuteurs. Parce que le militant veut aller trop vite. Nous
avons tous fait de ce genre d’erreurs.
Au contraire le militant
qui dans une telle discussion fait réfléchir les
ouvriers sur la paye du chef, sur son rôle et les amène
à convenir qu’il devrait y avoir moins d’écart entre
celle-ci et la leur déclenche une réflexion chez les
ouvriers, réflexion qui fait son chemin. Par la répétition
de telles amorces de réflexion il fait un travail beaucoup
plus éducatif et, de plus, gagne la confiance de ses camarades
sans être considéré comme « un chic
type mais une bête curieuse ».
Si l’on n’a pas le
tempérament d’agitateur (facilité de prise de parole,
quel que soit le nombre d’auditeurs, choix des arguments qui portent,
système de pensée en alerte permettant de « démolir »,
sitôt énoncé, l’argument du contradicteur, etc.),
il ne faut plus se présenter à découvert comme
anarchiste.
Alors, nous dira-t-on
comment faire de la propagande si l’on ne se déclare pas
anarchiste ?
Le tout est de
s’entendre sur ce que nous appelons propagande. Or il nous semble
plus utile de créer des réflexes et d’engendrer une
prise de conscience collective dans la perspective révolutionnaire,
par des actes, que de répéter sans cesse les mêmes
arguments auprès d’une classe ouvrière qui, dans une
situation historique donnée, n’éprouve pas la nécessité
de les entendre.
Car telle est la
réalité.
Il semble qu’en 1957 ―
où l’on constate la faillite et la dégénérescence
de tout ce qui, il y a 50 ans encore, pouvait être compris
comme éléments d’émancipation ouvrière,
et en premier lieu les syndicats ―
il faille repartir à zéro, tourner le dos
délibérément aux structures en faillite et
chercher les nouvelles voies de l’organisation de classe des
travailleurs pour cette révolution sociale qui reste à
faire.
Pour cela une voie nous
semble possible actuellement, dans les grandes usines notamment,
c’est l’action « en franc-tireur » du militant,
aussi bien à l’égard des bureaucraties syndicales ou
politiques, qu’à l’égard de la maîtrise et du
patronat.
Expliquons-nous.
Soit, par exemple un
atelier de métallurgie, comportant 100 ouvriers, des délégués
syndicaux C.G.T. et un F.O., quelques éléments F.O. et
C.F.T.C., 80 inorganisés ―
situation courante dans la région parisienne ―.
Le militant anarchiste nouvel embauché va-t-il déclarer :
« il n’y a rien à foutre avec ces gars-là »
et grossir les 80 % d’inorganisés en en choisissant un ou
deux de plus perméables à nos idées et en les
« travaillant au corps » ? Ou bien, selon
la « morale » syndicale, considérera-t-il
de son devoir de se syndiquer et grossir les 20 % qui font du
« syndicalisme » en se débinant les uns
les autres pour des questions d’étiquettes confédérales
et en se concurrençant pour savoir qui, des « cocos »
ou des « libres » pourra inscrire à son
actif la réfection des douches ?
Nous avons trop connu ce
genre de faux dilemme, qui doivent d’ailleurs bien amuser les patrons
à l’heure du whisky-soda.
Non, selon nous ―
et même tout seul ― le
militant anarchiste doit pouvoir faire le plan de son attitude et de
son action. Il est surtout important de ne pas sa laisser aveugler
par ceux qui cherchent à faire croire qu’en agissant ainsi ils
font tout ce qu’il y a à faire. ―
Ceux qui monopolisent la revendication pour mieux la canaliser
dans les voies réformistes.
Le but pour l’anarchiste
est de faire qu’un nombre toujours plus grand de ses camarades de
travail reprennent ou trouvent leur dignité d’ouvrier et la
nécessité de la solidarité qui doit les lier,
afin qu’eux-mêmes prennent leur défense en main.
Notre militant, donc,
devrait s’intéresser à tout, mais se garder de
positions trop tranchées, sauf bien sûr à l’égard
de ceux dont la présence nuit aux ouvriers.
Chaque discussion,
chaque petit incident d’atelier devrait être pour lui motif à
élargissement du débat par des commentaires, des
arguments éclairant le problème, mettant en valeur un
aspect ou une conséquence que les délégués
ou les chefs s’appliquaient à camoufler. Tout ceci, fait avec
discernement permet de trouver une approbation de la part d’un grand
nombre. Et ce sont ces petites approbations sur des petits
incidents qui font finalement penser : « ce gars-là
ne se trompe jamais alors qu’Untel, délégué,
nous avait dit… »
Et c’est cela la vraie
influence ― c’est un « jeu
de patience » ―
Toutefois le militant ne peut se borner à cette action
quotidienne.
Il peut bien souvent
créer un climat, une ambiance de résistance,
dans son atelier.
Pour cela ce sera
l’aspect « clandestin » de son action. Une
inscription à la craie sur une machine, un tract manuscrit ou
dactylographié, voire un bulletin régulier glissé
dans un tiroir ou un vestiaire avant l’heure de la prise, peuvent,
s’ils sont rédigés avec adresse, parfois même sur
un mode humoristique avoir une grande portée. (Une
plaisanterie soulignant le ridicule de tel chef devant qui beaucoup
tremblent, peut, dans certains cas devenir un « dada »
d’atelier et quand les ouvriers se mettent à rire d’un chef,
c’est souvent son autorité même qui est en perte de
vitesse, ce qui encourage les ouvriers à aller plus loin…)
Cette tactique
« clandestine » offre de nombreux avantages au
militant isolé (à condition bien sûr qu’il
n’avoue pas être l’auteur de ces manifestations, qu’il ne soit
pas pris sur le fait, etc.)
Parmi ces avantages le
militant a celui d’assister aux réactions des ouvriers à
la lecture d’un tract dont il est l’auteur anonyme, rien ne
l’empêchant d’ailleurs de donner lui aussi son avis sur le
contenu du tract ou de l’inscription. L’étude répétée
des réactions des ouvriers, permettra au militant de déceler
ceux des ouvriers qui sont le plus souvent d’accord avec ces petites
actions.
À
la longue il lui sera possible de découvrir une partie de
son jeu à un camarade de travail qui se sera révélé
le plus approbateur des positions de classe diffusées par ce
procédé.
Bien sûr l’action
« clandestine » du militant ne peut s’arrêter
là et c’est à lui d’étudier toutes les
possibilités. La machine de l’ouvrier qui dépasse la
norme demandée, faisant en cela du tort à tous, est
justiciable de poudre d’émeri dans les carters d’huile ou de
toute autre intervention discrète du militant tendant à
ramener la brebis égarée dans un rythme de production
plus conforme aux intérêts bien compris de la
collectivité…
Réfléchissons
à la psychose d’action que peut, par son travail clandestin,
créer le militant seul dans un atelier.
Tout le monde est
habitué à deux sons de cloche en usine : le
baratin patronal et le (ou les) baratin syndical (et principalement
stalinien).
Que des mots d’ordre ou
des positions de classe se fassent jour, sans que l’on sache
exactement d’où ils viennent, est de nature à attirer
l’attention de tous. Ce qui inquiétera la maîtrise, la
direction et, à d’autres titres les bureaucraties syndicales,
et ce qui encouragera les ouvriers ce sera la croyance qu’ils ont
affaire à un groupe clandestin.
Vers des cellules d’agitation
Le schéma qui
précède peut sans doute donner des possibilités
d’agitation au militant isolé, qui s’il s’en tenait à
la « méthode » traditionnelle se
trouverait quasi paralysé.
Toutefois cette action
aux conséquences collectives, si elle s’arrêtait là
ne demeurerait en fait qu’une action individuelle amplifiée
par un procédé particulier. Le militant anarchiste
devrait donc :
―
D’une part rendre compte de son action, de ses résultats
devant les camarades de son groupe local, ou dans les organes
intérieurs de son organisation, ceci aux fins de confrontation
des expériences, analyse et critique collectives avec ses
camarades anarchistes ;
―
D’autre part, sur le lieu de travail, tendre à créer
par son action les possibilités propres à organiser les
quelques ouvriers qui puisent dans une conscience de classe et non
dans une fidélité politique, une volonté de
lutte.
Là où un
militant travaillant avec méthode, aura pu trouver un
sympathisant actif qu’il aura mis particulièrement dans
le secret, les possibilités d’agitation se trouverait
doublées…
Le but vers lequel le
militant devrait tendre, dès lors, sera de constituer une
cellule ou groupe, qui continuerait l’agitation par la méthode
envisagée plus haut, tout en se préoccupant de plus en
plus de l’étude de la situation économique de
l’entreprise, de son organisation technique et administrative, ceci
afin d’être capable le cas échéant de se dévoiler
ou seulement certains de ses membres à l’occasion d’une grève
prévue et organisée à l’avance, afin
qu’elle ait toute chance de réussite.
De même, dès
qu’il y aura groupe ou cellule les possibilités de gestion
directe ouvrière devrait être étudiées
dans leurs moindres détails. Car ce sont elles qui
conditionnent la Révolution, le fait insurrectionnel n’étant
qu’une explosion meurtrière sans lendemain et dont le peuple
fait les frais, s’il n’est pas la conséquence d’une volonté
et surtout d’une organisation des producteurs les rendant capables de
mettre en place immédiatement un système coordonné
de production-répartition sans compromettre la défense
armée.
Or si on admet comme
possible la tactique exposée plus haut on doit logiquement
envisager l’établissement, par la suite, de liaisons, de
confrontation des expériences entre ces cellules ―
Ceci, bien entendu, à la condition que chaque cellule de
travail ait pour point de départ un militant de l’organisation
anarchiste-communiste spécifique afin de tuer dans l’oeuf
toute tentative de mainmise ou noyautage qui pourrait être le
fait de militants de partis politiques ayant des objectifs étrangers
aux seuls intérêts de la classe ouvrière.
― O
―
Le but de cette tactique
étant la reprise et l’extension de la lutte de classe et
l’organisation des ouvriers pour la révolution, dans la mesure
où les cellules grossiraient en nombre et en influence elles
seraient amenées à dévoiler leur existence, mais
du fait que leur action n’aura été guidée que
par une politique de classe et non une politique de parti, elles
devraient apparaître aux yeux des ouvriers comme leur
organisation de classe, futur « syndicat de producteurs »
au sein de laquelle ils choisiraient, par consultation démocratique
leurs délégués tant pour un comité de
grève que pour un conseil ouvrier.
― O
―
Notre propos n’est pas
de donner la recette de la révolution.
Il est, bien sûr,
facile de pousser une idée et de lui faire faire la
révolution… sur le papier.
Le schéma que
nous avons présenté est bien incomplet et il reste
beaucoup à dire.
Il aura sans doute
l’approbation de certains camarades qui considéreront comme
possible la mise en pratique de cette méthode dans les
conditions de travail où ils se trouvent.
D’autres, plus nombreux,
le rejetteront sans doute comme inapplicable à leur situation
personnelle ; ou bien en fonction de leur attachement à
la formule traditionnelle de lutte au sein des syndicats, ou encore
parce qu’ils auront expérimenté une méthode
proche de celle exposée sans en obtenir de résultat
concret.
À
ceux-là nous dirons que de telles cellules existent qu’elles
ont déjà enregistré certains succès,
qu’elles font un travail sérieux, mais qu’elles n’ont, de
notre point de vue qu’un défaut : celui de ne pas être
le fait de militants libertaires.
Quoi qu’il en soit il
nous semblait urgent d’ouvrir une discussion sur la lutte ouvrière,
comme urgente est la nécessité de confronter les
expériences en ce domaine tant des militants que des
sympathisants ou lecteurs travaillant on collectivité.
Que les camarades
non-membres des G.A.A.R. n’hésitent pas à entrer en
correspondance avec nous sur ce sujet. L’attitude et l’action des
ouvriers libertaires doit être coordonnée et résulter
de l’étude collective de tous les problèmes qui se
posent à la classe ouvrière compte tenu des
particularités qu’offrent les entreprises, les industries, la
situation géographique, etc.
Pour terminer nous
livrons à la méditation des camarades la statistique
suivante qui constitue en quelque sorte la feuille de température
de la combativité ouvrière de ce pays :
Années | Nombre de journées de travail chomées pour fait de grève |
1920 | 23 millions |
1947 | 14 ” |
1950 | 11,7 ” |
1951 | 3,5 ” |
1952 | 1,7 ” |
1953 | 9,7 ” |
1954 | 1,4 ” |
1955 | 3 ” |
1956 | 1,4 ” |
La comparaison du nombre
de journées de grève de 1920 (23 millions) avec celui
de 1956 (1 million 4) se trouve encore aggravée si on
considère qu’en 1920 les mouvements revendicatifs n’étaient
généralement motivés que par des objectifs de
classe, alors qu’en 1956 sur 1 million 400.000 journées
chômées il y a lieu d’en soustraire un nombre important
comme résultant d’agitation artificielle menée par des
partis dits ouvriers pour des objectifs qui leur sont propres ainsi
qu’une accumulation de débrayages sporadiques ou grèves
d’avertissement, catégorielles, tournantes, toutes actions
plus ou moins suivies par les ouvriers qui les savent inefficaces.
Devant une situation
aussi catastrophique, la lutte anarchiste ne peut plus être
laissée à l’improvisation personnelle des ouvriers
libertaires disséminés dans des entreprises différentes
et peu nombreux.
Il est temps de nous
organiser pour être plus efficaces.
Schumack
_