La Presse Anarchiste

Réflexions sur l’action libertaire dans les usines

L’in­fluence libertaire
sur les masses ouvrières est en recul. Cette influence, qui
était grande et consti­tuait l’âme du syn­di­ca­lisme, n’a
pas su se main­te­nir et faire tache d’huile. Bien au contraire, force
nous est de consta­ter que l’af­fai­blis­se­ment de cette influence
s’ac­com­pagne d’un embour­geoi­se­ment moral et poli­tique des syndicats,
d’une perte de confiance des ouvriers dans leur émancipation
col­lec­tive et du déve­lop­pe­ment, en France tout au moins, d’une
ten­dance indi­vi­dua­liste ouvrière de caractère
petit-bourgeois.

Consta­tant cet état
de chose cer­tains mili­tants liber­taires peuvent céder au
décou­ra­ge­ment, dou­ter de la pos­si­bi­li­té de la
Révo­lu­tion, et se réfu­gier soit dans des tours d’ivoire
pour y culti­ver entre ini­tiés la fleur rouge de l’anarchie
« pure », soit se diluer dans des activité
syn­di­cales de carac­tère réfor­mistes qui, à
lon­gueur de réunions pari­taires, à force de contempler
les 213 articles, de peser le pour et le contre et de sié­ger à
la gauche du pré­sident (direc­teur géné­ral) du
Comi­té d’En­tre­prise, abou­tissent à un certain
amé­na­ge­ment « social »
anti-révo­lu­tion­naire, dans lequel les quelques énergies
ouvrières s’en­gluent, pri­son­nières qu’elles sont de la
léga­li­té, des com­mis­sions de conci­lia­tion, des
syn­di­cats etc.

Cepen­dant un bon nombre
de mili­tants liber­taires refusent d’a­ban­don­ner la pro­pa­gande au sein
des masses, consi­dé­rant qu’elle est la pre­mière tâche
des anar­chistes révolutionnaires.

Par­mi les différentes
causes de l’af­fai­blis­se­ment de l’in­fluence liber­taire chez les
ouvriers, l’une, et non des moindres, est là fai­blesse des
effec­tifs liber­taires ouvriers.

En France les anciens
mili­tants anar­chistes ou anar­cho-syn­di­ca­listes qui avaient impulsé
le mou­ve­ment ouvrier n’ont pas été rele­vés en
nombre et en qua­li­té par de jeunes mili­tants ouvriers.
Quelques-uns par­mi les mili­tants anar­cho-syn­di­ca­listes ou même
anar­chistes révo­lu­tion­naires, croyant par­faire leur formation
liber­taire indi­vi­duelle, se rap­pro­chèrent des idées
« an-archistes » indi­vi­dua­listes de Stirner,
les­quelles sou­vent mal assi­mi­lées les ame­nèrent à
recher­cher d’a­bord leur épa­nouis­se­ment per­son­nel les
sous­trayant par-là même à la lutte pour
l’é­man­ci­pa­tion col­lec­tive de leur classe.

La lutte anarchiste dans les usines depuis 10
ans.

Les mili­tants ouvriers
anar­chistes révo­lu­tion­naires sont donc peu nom­breux. Cela leur
fait une obli­ga­tion de recher­cher sans cesse les méthodes les
plus effi­caces d’ac­tion ouvrière.

Faute d’une remise en
ques­tion per­ma­nente de nos méthodes de lutte, d’une étude
appro­fon­die de l’é­vo­lu­tion des struc­tures sociales, de la
psy­cho­lo­gie ouvrière, du pro­blème des bureaucraties
syn­di­cales, et d’une com­pré­hen­sion suf­fi­sante de la
conjonc­ture éco­no­mique, l’ef­fort
sou­vent déme­su­ré par rap­port à leur nombre
des mili­tants anar­chistes pen­dant ces 10 der­nières années,
se solde par un demi-échec.

Demi-échec et non
échec total si l’on consi­dère que, par leur action, ces
mili­tants ont sou­vent su s’at­ti­rer la sym­pa­thie de jeunes ouvriers
dont cer­tains sont deve­nus par la suite des mili­tants anarchistes.

Mais échec total,
si l’on consi­dère que la tâche prin­ci­pale du militant
était de faire rayon­ner dans la col­lec­ti­vi­té ouvrière
une conscience de classe plus volon­taire et plus lucide, seule
capable de don­ner un sens révo­lu­tion­naire à la
juste révolte des tra­vailleurs face aux condi­tions de vie qui
leur sont faites.

En effet, si l’on
cherche à faire le bilan de l’ac­tion mili­tante, des
anar­chistes et anar­cho-syn­di­ca­listes dans les usines depuis la
« Libé­ra­tion » que constatons-nous ?


Le plus sou­vent le mili­tant anar­chiste a fait de la propagande
anar­chiste au sein de la sec­tion syn­di­cale du syn­di­cat le plus
« repré­sen­ta­tif » de son entreprise
(soit F.O. Soit la C.G.T., toutes deux bureau­cra­tiques, réformistes
et poli­ti­sées). Son action soit n’a été
pro­fi­table qu’à la gloire de l’é­ti­quette (C.G.T. ou
F.O.) sous laquelle il lut­tait, soit l’a fait mettre à l’index
par les bonzes syn­di­caux qui recourent à toutes sortes de
calom­nies pour « démo­lir » un gars dont
l’ac­tion et les argu­ments trouvent un écho dans la masse
ouvrière.


Le mili­tant anar­cho-syn­di­ca­liste, lui, a lut­té sous
l’é­ti­quette C.N.T., concur­ren­çant à découvert
les grandes confé­dé­ra­tions. Une telle lutte ne pouvait
qu’é­chouer si l’on consi­dère qu’un syn­di­cat
n’existe qu’en fonc­tion de la masse qu’il impulse. Le petit
nombre des mili­tants céné­tistes, un cer­tain manque du
sens des réa­li­tés qui les ame­nait à défendre
des mots d’ordre, par­fai­te­ment justes et révolutionnaires
certes, mais ren­dus tota­le­ment déma­go­giques par l’écart
qui les sépa­rait de la psy­cho­lo­gie des ouvriers et de leurs
facul­tés de com­pré­hen­sion, vouèrent cette
ten­ta­tive de renou­veau anar­cho-syn­di­ca­liste à l’échec.
Les calom­nies des cégé­tistes et F.O. ne leur furent pas
épar­gnées et ils n’ont, en fait, jamais pu avoir
d’influence réelle sur les ouvriers
(excep­tons tou­te­fois cer­tains sec­teurs, comme le bâti­ment, où
par­fois l’es­prit liber­taire sub­siste encore).


D’autres cama­rades, conscients des dif­fi­cul­tés du moment, mais
réso­lus, cepen­dant, dans leur volon­té d’action
concrète, impro­vi­sèrent des tac­tiques d’a­gi­ta­tion qui
par­fois por­tèrent leurs fruits, mais échouèrent
trop sou­vent en rai­son du manque de confiance de l’organisation
anar­chiste envers des méthodes de lutte nou­velles échappant
à ce qu’on pour­rait appe­ler la rou­tine anarchiste
[[Le
lec­teur pour­ra se trou­ver éton­né de la formule
« rou­tine anar­chiste ». Tant mieux, car en y
réflé­chis­sant mieux il s’a­per­ce­vra que trop de
cama­rades se contentent, en matière de lutte ouvrière,
de for­mules toutes faites qui étaient sans doute valables il
y a 50 ans, ou même plus récem­ment en Espagne, mais
qui, dans la conjonc­ture sociale actuelle, se trouvent privées
de toute réso­nance dans le pro­lé­ta­riat. L’anarchisme
révo­lu­tion­naire, ne peut, croyons-nous, ser­vir la classe
ouvrière que s’il est capable de pré­sen­ter tou­jours un
bilan d’ex­pé­riences et de faits concrets dans la perspective
de la révo­lu­tion. Il lui faut, pour cela, ten­ter beau­coup, et
tirer chaque fois les conclu­sions, bonnes ou mau­vaises de ses
expé­riences. Bref, il lui faut être vivant et
inté­gré à la classe ouvrière et non plus
se conten­ter d’op­po­ser aux faits des solu­tions qui n’y sont plus
adap­tées.]]. (Pour­tant, ces camarades,
même s’ils pou­vaient com­mettre des erreurs, n’en recherchaient
pas moins, sans atten­ter le moins du monde aux prin­cipes libertaires,
les formes les mieux adap­tées à un combat
révo­lu­tion­naire de classe).

Quelle que soit la forme
de lutte adop­tée par le mili­tant en usine, celui-ci, dans le
meilleur des cas, aura été consi­dé­ré par
les ouvriers comme un bon cama­rade, mais aus­si comme un « original »,
dif­fé­rent d’eux-mêmes, et ils l’au­ront admis mais
sans subir son influence. Pas plus que la pro­pa­gande cou­ra­geuse du
mili­tant iso­lé la créa­tion de syndicats
« mino­ri­taires » ou la ten­ta­tive de noyautage
de sec­tion syn­di­cale n’ont don­né de résul­tat concret.

À
la recherche d’une méthode

Il nous semble
néces­saire de repo­ser tout le pro­blème du militantisme
en usine. C’est un pro­blème essen­tiel et il nous faut
revoir toutes nos habi­tudes, toutes nos méthodes (notre
absence de méthode devrions-nous dire). Si nous ne sommes pas
capables de jeter les bases d’une effi­ca­ci­té anarchiste
dans les usines, nous demeu­re­rons une cha­pelle sans aucune utilité
sociale.

Essayons de voir ce que
pour­rait être une (et non la) méthode anarchiste
effi­cace, compte tenu du fait, que le mili­tant anar­chiste et
géné­ra­le­ment seul dans son ate­lier ou son usine, compte
tenu éga­le­ment de la ten­dance indi­vi­dua­liste gran­dis­sante dans
la classe ouvrière fran­çaise (Heures supplémentaires,
scoo­ter, télé­vi­sion, mai­son de cam­pagne…) et des
restes d’or­ga­ni­sa­tion et d’in­fluence des syn­di­cats bureaucratiques
sou­vent encore puis­sants en province.


En pre­mier lieu l’ou­vrier anar­chiste devrait consa­crer dès son
embau­chage tout le temps néces­saire à l’é­tude du
milieu que consti­tue l’u­sine où il va tra­vailler, faire
par­ler les ouvriers et les clas­ser selon la réceptivité
qu’ils peuvent avoir aux posi­tions de classe.


Durant toute cette période pré­pa­ra­toire le camarade
n’ex­po­se­rait que la par­tie de ses idées qui peut être
com­prise par les ouvriers sans jamais pré­ci­ser qu’il se
rat­tache à l’a­nar­chisme ce terme, mal com­pris des ouvriers
fran­çais, sou­le­vant tou­jours des dis­cus­sions stériles
ou engen­drant des mal­en­ten­dus. En effet, et cela a été
dit lors du Congrès de Mâcon, l’im­por­tant n’est pas que
telle ou telle éti­quette d’or­ga­ni­sa­tion ou de pensée
ait la faveur des ouvriers, mais que la véri­té et les
idées fassent leur che­min dans les consciences.


D’une façon géné­rale le mili­tant anar­chiste n’a
pas inté­rêt à mar­quer toute la dis­tance qui
sépare ses concep­tions de celle du mili­tant ouvrier où
il milite. Il doit être par­mi les plus capables de sa catégorie
pro­fes­sion­nelle et sur­tout bon cama­rade. Il lui fau­dra s’intégrer
dans la psy­cho­lo­gie de ses cama­rades de tra­vail, car c’est en
entrant, par exemple dans une dis­cus­sion et en l’élargissant,
en appor­tant des vues qui, en res­tant proches des préoccupations
des com­pa­gnons, sont orien­tées dans la pers­pec­tive libertaire
qu’il peut être compris.

La grosse erreur que
nous avons tou­jours com­mise est de nous sépa­rer des ouvriers
d’a­bord en nous pré­sen­tant comme anar­chistes avant d’avoir
fait com­prendre l’a­nar­chisme. L’a­nar­chisme ne pou­vant être
assi­mi­lé d’un seul coup par les ouvriers, il ne faut pas
ten­ter de l’ex­pli­quer en bloc ce qui a pour consé­quence finale
d’en écar­ter les ouvriers.

Exemple : Dans une
dis­cus­sion où les ouvriers parlent du chef d’é­quipe, le
mili­tant qui inter­vient et parle de sup­pres­sion de la
hié­rar­chie des salaires choque la morale des ouvriers,
crée une scis­sion entre eux et lui, et son point de vue,
pour­tant juste, ne pénètre pas dans la pen­sée de
ses inter­lo­cu­teurs. Parce que le mili­tant veut aller trop vite. Nous
avons tous fait de ce genre d’erreurs.

Au contraire le militant
qui dans une telle dis­cus­sion fait réflé­chir les
ouvriers sur la paye du chef, sur son rôle et les amène
à conve­nir qu’il devrait y avoir moins d’é­cart entre
celle-ci et la leur déclenche une réflexion chez les
ouvriers, réflexion qui fait son che­min. Par la répétition
de telles amorces de réflexion il fait un tra­vail beaucoup
plus édu­ca­tif et, de plus, gagne la confiance de ses camarades
sans être consi­dé­ré comme « un chic
type mais une bête curieuse ».

Si l’on n’a pas le
tem­pé­ra­ment d’a­gi­ta­teur (faci­li­té de prise de parole,
quel que soit le nombre d’au­di­teurs, choix des argu­ments qui portent,
sys­tème de pen­sée en alerte per­met­tant de « démolir »,
sitôt énon­cé, l’ar­gu­ment du contra­dic­teur, etc.),
il ne faut plus se pré­sen­ter à décou­vert comme
anarchiste.

Alors, nous dira-t-on
com­ment faire de la pro­pa­gande si l’on ne se déclare pas
anarchiste ?

Le tout est de
s’en­tendre sur ce que nous appe­lons pro­pa­gande. Or il nous semble
plus utile de créer des réflexes et d’en­gen­drer une
prise de conscience col­lec­tive dans la pers­pec­tive révolutionnaire,
par des actes, que de répé­ter sans cesse les mêmes
argu­ments auprès d’une classe ouvrière qui, dans une
situa­tion his­to­rique don­née, n’é­prouve pas la nécessité
de les entendre.

Car telle est la
réalité.

Il semble qu’en 1957
où l’on constate la faillite et la dégénérescence
de tout ce qui, il y a 50 ans encore, pou­vait être compris
comme élé­ments d’é­man­ci­pa­tion ouvrière,
et en pre­mier lieu les syn­di­cats
il faille repar­tir à zéro, tour­ner le dos
déli­bé­ré­ment aux struc­tures en faillite et
cher­cher les nou­velles voies de l’or­ga­ni­sa­tion de classe des
tra­vailleurs pour cette révo­lu­tion sociale qui reste à
faire.

Pour cela une voie nous
semble pos­sible actuel­le­ment, dans les grandes usines notamment,
c’est l’ac­tion « en franc-tireur » du militant,
aus­si bien à l’é­gard des bureau­cra­ties syn­di­cales ou
poli­tiques, qu’à l’é­gard de la maî­trise et du
patronat.

Expliquons-nous.

Soit, par exemple un
ate­lier de métal­lur­gie, com­por­tant 100 ouvriers, des délégués
syn­di­caux C.G.T. et un F.O., quelques élé­ments F.O. et
C.F.T.C., 80 inor­ga­ni­sés
situa­tion cou­rante dans la région pari­sienne .
Le mili­tant anar­chiste nou­vel embau­ché va-t-il déclarer :
« il n’y a rien à foutre avec ces gars-là »
et gros­sir les 80 % d’i­nor­ga­ni­sés en en choi­sis­sant un ou
deux de plus per­méables à nos idées et en les
« tra­vaillant au corps » ? Ou bien, selon
la « morale » syn­di­cale, considérera-t-il
de son devoir de se syn­di­quer et gros­sir les 20 % qui font du
« syn­di­ca­lisme » en se débi­nant les uns
les autres pour des ques­tions d’é­ti­quettes confédérales
et en se concur­ren­çant pour savoir qui, des « cocos »
ou des « libres » pour­ra ins­crire à son
actif la réfec­tion des douches ?

Nous avons trop connu ce
genre de faux dilemme, qui doivent d’ailleurs bien amu­ser les patrons
à l’heure du whisky-soda.

Non, selon nous
et même tout seul le
mili­tant anar­chiste doit pou­voir faire le plan de son atti­tude et de
son action. Il est sur­tout impor­tant de ne pas sa lais­ser aveugler
par ceux qui cherchent à faire croire qu’en agis­sant ain­si ils
font tout ce qu’il y a à faire.
Ceux qui mono­po­lisent la reven­di­ca­tion pour mieux la canaliser
dans les voies réfor­mistes
.

Le but pour l’anarchiste
est de faire qu’un nombre tou­jours plus grand de ses cama­rades de
tra­vail reprennent ou trouvent leur digni­té d’ou­vrier et la
néces­si­té de la soli­da­ri­té qui doit les lier,
afin qu’eux-mêmes prennent leur défense en main.

Notre mili­tant, donc,
devrait s’in­té­res­ser à tout, mais se gar­der de
posi­tions trop tran­chées, sauf bien sûr à l’égard
de ceux dont la pré­sence nuit aux ouvriers.

Chaque discussion,
chaque petit inci­dent d’a­te­lier devrait être pour lui motif à
élar­gis­se­ment du débat par des com­men­taires, des
argu­ments éclai­rant le pro­blème, met­tant en valeur un
aspect ou une consé­quence que les délégués
ou les chefs s’ap­pli­quaient à camou­fler. Tout ceci, fait avec
dis­cer­ne­ment per­met de trou­ver une appro­ba­tion de la part d’un grand
nombre. Et ce sont ces petites appro­ba­tions sur des petits
inci­dents qui font fina­le­ment pen­ser : « ce gars-là
ne se trompe jamais alors qu’Un­tel, délégué,
nous avait dit… »

Et c’est cela la vraie
influence c’est un « jeu
de patience »
Tou­te­fois le mili­tant ne peut se bor­ner à cette action
quotidienne.

Il peut bien souvent
créer un cli­mat, une ambiance de résistance,
dans son atelier.

Pour cela ce sera
l’as­pect « clan­des­tin » de son action. Une
ins­crip­tion à la craie sur une machine, un tract manus­crit ou
dac­ty­lo­gra­phié, voire un bul­le­tin régu­lier glissé
dans un tiroir ou un ves­tiaire avant l’heure de la prise, peuvent,
s’ils sont rédi­gés avec adresse, par­fois même sur
un mode humo­ris­tique avoir une grande por­tée. (Une
plai­san­te­rie sou­li­gnant le ridi­cule de tel chef devant qui beaucoup
tremblent, peut, dans cer­tains cas deve­nir un « dada »
d’a­te­lier et quand les ouvriers se mettent à rire d’un chef,
c’est sou­vent son auto­ri­té même qui est en perte de
vitesse, ce qui encou­rage les ouvriers à aller plus loin…)

Cette tactique
« clan­des­tine » offre de nom­breux avan­tages au
mili­tant iso­lé (à condi­tion bien sûr qu’il
n’a­voue pas être l’au­teur de ces mani­fes­ta­tions, qu’il ne soit
pas pris sur le fait, etc.)

Par­mi ces avan­tages le
mili­tant a celui d’as­sis­ter aux réac­tions des ouvriers à
la lec­ture d’un tract dont il est l’au­teur ano­nyme, rien ne
l’empêchant d’ailleurs de don­ner lui aus­si son avis sur le
conte­nu du tract ou de l’ins­crip­tion. L’é­tude répétée
des réac­tions des ouvriers, per­met­tra au mili­tant de déceler
ceux des ouvriers qui sont le plus sou­vent d’ac­cord avec ces petites
actions.

À
la longue il lui sera pos­sible de décou­vrir une par­tie de
son jeu
à un cama­rade de tra­vail qui se sera révélé
le plus appro­ba­teur des posi­tions de classe dif­fu­sées par ce
procédé.

Bien sûr l’action
« clan­des­tine » du mili­tant ne peut s’arrêter
là et c’est à lui d’é­tu­dier toutes les
pos­si­bi­li­tés. La machine de l’ou­vrier qui dépasse la
norme deman­dée, fai­sant en cela du tort à tous, est
jus­ti­ciable de poudre d’é­me­ri dans les car­ters d’huile ou de
toute autre inter­ven­tion dis­crète du mili­tant ten­dant à
rame­ner la bre­bis éga­rée dans un rythme de production
plus conforme aux inté­rêts bien com­pris de la
collectivité…

Réfléchissons
à la psy­chose d’ac­tion que peut, par son tra­vail clandestin,
créer le mili­tant seul dans un atelier.

Tout le monde est
habi­tué à deux sons de cloche en usine : le
bara­tin patro­nal et le (ou les) bara­tin syn­di­cal (et principalement
stalinien).

Que des mots d’ordre ou
des posi­tions de classe se fassent jour, sans que l’on sache
exac­te­ment d’où ils viennent, est de nature à attirer
l’at­ten­tion de tous. Ce qui inquié­te­ra la maî­trise, la
direc­tion et, à d’autres titres les bureau­cra­ties syndicales,
et ce qui encou­ra­ge­ra les ouvriers ce sera la croyance qu’ils ont
affaire à un groupe clandestin.

Vers des cellules d’agitation

Le sché­ma qui
pré­cède peut sans doute don­ner des possibilités
d’a­gi­ta­tion au mili­tant iso­lé, qui s’il s’en tenait à
la « méthode » tra­di­tion­nelle se
trou­ve­rait qua­si paralysé.

Tou­te­fois cette action
aux consé­quences col­lec­tives, si elle s’ar­rê­tait là
ne demeu­re­rait en fait qu’une action indi­vi­duelle amplifiée
par un pro­cé­dé par­ti­cu­lier. Le mili­tant anarchiste
devrait donc :


D’une part rendre compte de son action, de ses résultats
devant les cama­rades de son groupe local, ou dans les organes
inté­rieurs de son orga­ni­sa­tion, ceci aux fins de confrontation
des expé­riences, ana­lyse et cri­tique col­lec­tives avec ses
cama­rades anarchistes ;


D’autre part, sur le lieu de tra­vail, tendre à créer
par son action les pos­si­bi­li­tés propres à orga­ni­ser les
quelques ouvriers qui puisent dans une conscience de classe et non
dans une fidé­li­té poli­tique, une volon­té de
lutte.

Là où un
mili­tant tra­vaillant avec méthode, aura pu trou­ver un
sym­pa­thi­sant actif qu’il aura mis par­ti­cu­liè­re­ment dans
le secret, les pos­si­bi­li­tés d’a­gi­ta­tion se trouverait
doublées…

Le but vers lequel le
mili­tant devrait tendre, dès lors, sera de consti­tuer une
cel­lule ou groupe, qui conti­nue­rait l’a­gi­ta­tion par la méthode
envi­sa­gée plus haut, tout en se pré­oc­cu­pant de plus en
plus de l’é­tude de la situa­tion éco­no­mique de
l’en­tre­prise, de son orga­ni­sa­tion tech­nique et admi­nis­tra­tive, ceci
afin d’être capable le cas échéant de se dévoiler
ou seule­ment cer­tains de ses membres à l’oc­ca­sion d’une grève
pré­vue et orga­ni­sée à l’a­vance, afin
qu’elle ait toute chance de réussite.

De même, dès
qu’il y aura groupe ou cel­lule les pos­si­bi­li­tés de gestion
directe ouvrière devrait être étudiées
dans leurs moindres détails. Car ce sont elles qui
condi­tionnent la Révo­lu­tion, le fait insur­rec­tion­nel n’étant
qu’une explo­sion meur­trière sans len­de­main et dont le peuple
fait les frais, s’il n’est pas la consé­quence d’une volonté
et sur­tout d’une orga­ni­sa­tion des pro­duc­teurs les ren­dant capables de
mettre en place immé­dia­te­ment un sys­tème coordonné
de pro­duc­tion-répar­ti­tion sans com­pro­mettre la défense
armée.

Or si on admet comme
pos­sible la tac­tique expo­sée plus haut on doit logiquement
envi­sa­ger l’é­ta­blis­se­ment, par la suite, de liai­sons, de
confron­ta­tion des expé­riences entre ces cel­lules
Ceci, bien enten­du, à la condi­tion que chaque cel­lule de
tra­vail ait pour point de départ un mili­tant de l’organisation
anar­chiste-com­mu­niste spé­ci­fique afin de tuer dans l’oeuf
toute ten­ta­tive de main­mise ou noyau­tage qui pour­rait être le
fait de mili­tants de par­tis poli­tiques ayant des objec­tifs étrangers
aux seuls inté­rêts de la classe ouvrière.

O

Le but de cette tactique
étant la reprise et l’ex­ten­sion de la lutte de classe et
l’or­ga­ni­sa­tion des ouvriers pour la révo­lu­tion, dans la mesure
où les cel­lules gros­si­raient en nombre et en influence elles
seraient ame­nées à dévoi­ler leur exis­tence, mais
du fait que leur action n’au­ra été gui­dée que
par une poli­tique de classe et non une poli­tique de par­ti, elles
devraient appa­raître aux yeux des ouvriers comme leur
orga­ni­sa­tion de classe, futur « syn­di­cat de producteurs »
au sein de laquelle ils choi­si­raient, par consul­ta­tion démocratique
leurs délé­gués tant pour un comi­té de
grève que pour un conseil ouvrier.

O

Notre pro­pos n’est pas
de don­ner la recette de la révolution.

Il est, bien sûr,
facile de pous­ser une idée et de lui faire faire la
révo­lu­tion… sur le papier.

Le sché­ma que
nous avons pré­sen­té est bien incom­plet et il reste
beau­coup à dire.

Il aura sans doute
l’ap­pro­ba­tion de cer­tains cama­rades qui consi­dé­re­ront comme
pos­sible la mise en pra­tique de cette méthode dans les
condi­tions de tra­vail où ils se trouvent.

D’autres, plus nombreux,
le rejet­te­ront sans doute comme inap­pli­cable à leur situation
per­son­nelle ; ou bien en fonc­tion de leur atta­che­ment à
la for­mule tra­di­tion­nelle de lutte au sein des syn­di­cats, ou encore
parce qu’ils auront expé­ri­men­té une méthode
proche de celle expo­sée sans en obte­nir de résultat
concret.

À
ceux-là nous dirons que de telles cel­lules existent qu’elles
ont déjà enre­gis­tré cer­tains succès,
qu’elles font un tra­vail sérieux, mais qu’elles n’ont, de
notre point de vue qu’un défaut : celui de ne pas être
le fait de mili­tants libertaires.

Quoi qu’il en soit il
nous sem­blait urgent d’ou­vrir une dis­cus­sion sur la lutte ouvrière,
comme urgente est la néces­si­té de confron­ter les
expé­riences en ce domaine tant des mili­tants que des
sym­pa­thi­sants ou lec­teurs tra­vaillant on collectivité.

Que les camarades
non-membres des G.A.A.R. n’hé­sitent pas à entrer en
cor­res­pon­dance avec nous sur ce sujet. L’at­ti­tude et l’ac­tion des
ouvriers liber­taires doit être coor­don­née et résulter
de l’é­tude col­lec­tive de tous les pro­blèmes qui se
posent à la classe ouvrière compte tenu des
par­ti­cu­la­ri­tés qu’offrent les entre­prises, les indus­tries, la
situa­tion géo­gra­phique, etc.

Pour ter­mi­ner nous
livrons à la médi­ta­tion des cama­rades la statistique
sui­vante qui consti­tue en quelque sorte la feuille de température
de la com­ba­ti­vi­té ouvrière de ce pays :

Années Nombre de jour­nées de tra­vail cho­mées pour fait de grève
1920 23 mil­lions
1947 14 ”
1950 11,7 ”
1951 3,5 ”
1952 1,7 ”
1953 9,7 ”
1954 1,4 ”
1955 3 ”
1956 1,4 ”

La com­pa­rai­son du nombre
de jour­nées de grève de 1920 (23 mil­lions) avec celui
de 1956 (1 mil­lion 4) se trouve encore aggra­vée si on
consi­dère qu’en 1920 les mou­ve­ments reven­di­ca­tifs n’étaient
géné­ra­le­ment moti­vés que par des objec­tifs de
classe, alors qu’en 1956 sur 1 mil­lion 400.000 journées
chô­mées il y a lieu d’en sous­traire un nombre important
comme résul­tant d’a­gi­ta­tion arti­fi­cielle menée par des
par­tis dits ouvriers pour des objec­tifs qui leur sont propres ainsi
qu’une accu­mu­la­tion de débrayages spo­ra­diques ou grèves
d’a­ver­tis­se­ment, caté­go­rielles, tour­nantes, toutes actions
plus ou moins sui­vies par les ouvriers qui les savent inefficaces.

Devant une situation
aus­si catas­tro­phique, la lutte anar­chiste ne peut plus être
lais­sée à l’im­pro­vi­sa­tion per­son­nelle des ouvriers
liber­taires dis­sé­mi­nés dans des entre­prises différentes
et peu nombreux.

Il est temps de nous
orga­ni­ser pour être plus efficaces.

Schu­mack

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La Presse Anarchiste