Ce
sont les deux guerres mondiales, qui, sonnant le glas, la première
des empires continentaux et la seconde des empires coloniaux, ont
multiplié le nombre des nations indépendantes.
Première Guerre mondiale et wilsonisme
Chaque
belligérant a voulu promettre la liberté aux peuples
asservis par ses ennemis et a même été contraint
parfois de ménager ceux qu’il opprimait lui-même. La
propagande est la plus intense de la part des alliés :
Angleterre, France, États-Unis vieux États de forme
nationale comptant toucher au point faible les empires centraux
mosaïques de peuples. De nombreux mouvements de résistance
nationale sont, aidés de l’extérieur : Polonais,
Tchèques, Arabes. Le droit des peuples disposer d’eux-mêmes
est solennellement proclamé par Wilson et la Conférence
de la Paix ne pourra pas complètement en éviter
l’application.
La
guerre entraîne la chute des 4 monarchies impériales
européennes : russe, allemande, autrichienne et turque.
De jeunes nations sont créées ou ressuscitées :
Finlande, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie, Yougoslavie.
Certaines de façon éphémère comme les
Pays baltent ou surtout l’Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie,
l’Arménie qui seront reprises par l’impérialisme russe,
comme l’impérialisme de la Révolution française
avait annexé les républiques soeurs. Néanmoins
toute l’Europe de l’Est se transforme, c’est la revanche des peuples
paysans, des peuples slaves qui échappent à la
germanisation. Envers de la médaille : quelques États
de plus. Des jeunes nationalismes qui élèvent des
barrières nouvelles entre les peuples souvent plus élevées
que les anciennes et toujours plus nombreuses. Compartimentage,
Balkanisation des « grands espaces »
Est-européens
Deuxième Guerre mondiale et résistances
nationales
Beaucoup
plus importants seront encore les contrecoups de la Deuxième
Guerre mondiale car le champ d’opération a été
beaucoup plus vaste, la lutte idéologique encore plus intense,
les sacrifices demandés encore plus profonds.
D’un
côté les alliés entretenaient la résistance
des peuples occupés ou annexés par l’Axe :
Autriche, Albanie, Éthiopie, Tchécoslovaquie, Pologne,
Yougoslavie, France, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark,
Norvège, Corée, Chine, Grèce et y encourageaient
les mouvements de partisans ; de l’autre côté
l’avance japonaise répandait le slogan l’« Asie aux
Asiatiques » et prouvait qu’il était réalisable
en installant des gouvernements nationaux en Indochine, aux
Philippines, en Indonésie, en Malaisie, en Birmanie et presque
en Inde (Chandrah Bose). À la même époque les
troupes allemandes entamaient un processus de dislocation de
l’U.R.S.S., feignant un moment de se conduire en libératrices
des nationalités opprimées par les Grands Russes :
Baltes, Ukrainiens, Caucasiens, Turco-Tartares, etc. ; des
peuples entiers semblèrent se rallier à ceux qui
apparurent plus tard comme de nouveaux oppresseurs : Tartares de
Crimée, Kalmoucks, Karatchaèves, Balkares, Ingouches,
Tchetchènes. Au retour des Russes leurs républiques
seront supprimées et les populations entières
déportées. Au Moyen-Orient l’avance de l’Afrika-Korps
apparut comme le glas de l’empire anglo-français et suscita de
grands espoirs et des concours actifs ; toutes les terres
d’Islam furent perturbées : Tunisie, (Bourguiba revient
d’Italie, déposition de Moncef-bey), Égypte (premier
complot des jeunes officiers : Nasser…), Palestine (voyage du
Grand Mufti), Syrie (escale d’avions allemands, guerre du général
Dentz), Irak (coup d’État de Rachid Ali), Iran (déposition
et exil de Rezah Chah). Fait significatif dans un seul pays musulman
un mouvement éclate contre l’Axe c’est la Libye qui lui
appartenait et où les Britanniques arrivent à soulever
les Senoussis contre l’Italie. À son tour l’arrivée des
troupes américaines en Asie et en Afrique du Nord amènera
un nouvel espoir de liberté aux peuples dépendants. Les
alliés se voyaient contraints de promettre une amélioration,
sinon un changement radical, du sort des peuples colonisés.
Ainsi de la France et des promesses qu’elle fit à Brazzaville.
Mais les mêmes concessions de principe furent faites par
l’Angleterre, les États-Unis et même la Russie à
« leurs » peuples. Ces promesses permirent de
gagner du temps, de poursuivre la guerre tranquillement en remettant
à plus tard les solutions tout en demandant aux colonisés
un surcroît d’efforts pour combattre en masse du côté
des « peuples libres ».
Sitôt
la guerre finie le réveil fut parfois brutal :
L’Allemagne abattue on pouvait à nouveau bâillonner les
colonies. Ainsi en Algérie, à Sétif le jour même
de la Victoire à l’occasion des manifestations de joie,
commença la sanglante répression qui fit 45 000
morts. Répression menée par le gouvernement de gauche
et spécialement par certains ministres communistes.
L’émancipation des « peuples de
couleur »
Le
conflit mondial cependant hâta l’évolution de nombreux
pays qui reçurent définitivement l’indépendance :
l’Irak et l’Égypte (théoriquement depuis 1930 et 1936),
l’Islande en 1944, la Syrie et le Liban en 1945, les Philippines en
1946, la Birmanie, l’Inde et le Pakistan en 1947, l’Indonésie
en 1948, la Jordanie en 1949, Ceylan en 1950, la Libye en 1952,
l’Érythrée en 1953, le Vietnam, le Cambodge et le Laos
en 1954, le Soudan, la Tunisie et le Maroc on 1956, le Ghana et la
Malaisie en 1957.
Ces
nations forment dans leur ensemble la majorité du groupe
afro-asiatique constitué à Bandumg et qui préconise
avec le plus de véhémence l’émancipation des
derniers pays demeurant sous la domination européenne. Leur
nombre s’accroît avec une sûre lenteur. L’indépendance
du Nigeria, de la Caraïbe et de Singapour se prépare sous
nos yeux. Celle de la Sierra Leone, de la Somalie, de l’Uganda et de
la Guyane et du Somaliland est d’ores et déjà prévue
pour demain.
Le
colonialisme a admis que ses jours sont comptés dans chacun de
ces pays déjà autonomes. L’autonomie a encore été
concédée à Malte, aux Maldives, à la
Gambie et au Honduras britanniques, etc. Les États-Unis ont dû
en faire autant avec Porto-Rico et les Pays-Bas avec le Surinam. La
France a admis l’autonomie du Togo et du Cameroun et la
« semi-autonomie » de l’Afrique noire et de
Madagascar.
L’impérialisme
colonial recule partout, même s’il s’accroche encore en
quelques combats d’arrière-garde : Algérie,
Chypre.
La fin des empires coloniaux
Rappelons
à titre d’exemple ce que l’impérialisme français
a dû céder depuis la guerre : la Syrie et le Liban,
Kouang-Tcheou-Wan et les concessions de Chine en 1946, Chandernagor
et les « loges » de l’Inde en 1947, le Vietnam,
le Cambodge, le Laos, les derniers Comptoirs de l’Inde et
l’occupation du Fezzan en 1954, la Tunisie, le Maroc et la Sarre en
1956.
Comme
le XIXe siècle a vu l’éviction des
puissances européennes d’Amérique, ces dernières
années ont vu leur départ de toute l’Asie continentale.
Et déjà l’Afrique est presque à demi entamée.
Situation
impressionnante si l’on se souvient qu’il y a une génération
à peine ont appartenu à 9 puissances européennes
(Portugal, Espagne, Pays-bas, Angleterre, France, Italie, Allemagne,
Russie, Belgique) TOUTE l’Océanie, PRESQUE TOUTE l’Asie, y
compris la Chine, la Perse et le Siam divisés en zones
d’influences, à l’exception du Japon, TOUTE l’Afrique, à
l’exception du Libéria, et qu’il y a moins de deux siècles
TOUTE l’Amérique leur appartenait aussi.
Chose
curieuse les empires coloniaux en se rétractant reviennent sur
leurs positions initiales des XVe et XVIe
siècles : comptoirs côtiers et îles. Leur
domination se limite de plus en plus aux bords des océans.
Quelques rares points d’Asie restés aux Anglais :
Hong-kong, Singapour, Aden et Principautés du Golfe Persique
(Mascate Oman, Qatar, Bahrein, Koweit) ou aux Portugais : Macao,
Goa. L’Océanie demeure victime de son éparpillement et
Britanniques (Bornéo, Tonga, Fidji, Samoa), Américains
(Hawaï), Français (Nouvelle Calédonie), Portugais
(Timor) et Néerlandais (Irian) s’en partagent encore une
grande partie. Situation identique pour toutes les îles de
l’Océan Indien (Réunion, Maurice, Seychelles) ou
Atlantique (Bermudes, Bahamas, etc.), mais déjà
beaucoup plus évoluée pour l’archipel caraïbe bien
que divisé en Antilles britanniques (maintenant fédérées),
américaines (Porto-Rico), néerlandaises (Curaçao)
et françaises.
L’entrée en scène des Noirs
La
presque totalité de ces derniers points d’appui du
colonialisme, de même que l’Afrique ―
son dernier domaine profond ―
sont de population noire : Indienne, Océanienne,
Africaine ou d’origine africaine (Antillaise). L’entrée en
scène des populations noires est l’aspect marquant de la lutte
anticoloniale actuelle.
Sans
compter l’opposition à la ségrégation aux
États-Unis, l’éveil politique noir domine déjà
la vie de l’Afrique du Sud. Au Kenya la lutte du peuple Kikouyou est
célèbre dans le monde entier depuis 1952 (mouvement
Mau-Mau). En Uganda et en Nigeria depuis les grèves et
manifestations de 1949 l’évolution de ces pays s’accélère.
Celle du Ghana a déjà été victorieuse à
travers le boycott de 1948 et la désobéissance civile
de 1950 bien qu’ayant servi de prétexte à des incidents
sanglants. D’autres, non moins sanglants, ont déjà
marqué l’histoire des possessions françaises en Côte
d’Ivoire (1950) et au Cameroun (1954). La terrible répression
de Madagascar en 1947 bien qu’ayant fait 100 000 victimes n’a
pas réussi à décapiter son peuple. Même au
Congo les Belges ont dû déjà recourir aux
massacres en 1924 et en 1944.
Faut-il toujours applaudir à
l’indépendance ?
S’il
ne peut être question pour nous de reprocher leur lutte aux
peuples colonisés, nous devons néanmoins examiner si
cette lutte n’est pas critiquable dans ses moyens et dans ces buts.
Quant
aux moyens nous en examinerons ailleurs la valeur éducative,
libératrice et leur efficacité. C’est-à-dire
quelle forme d’organisation contient le moins, en germe, une
exploitation future, et quelles méthodes violentes ou non
violentes sont compatibles, en général et dans chaque
cas, avec une émancipation sincère et totale de
l’homme.
De
toute façon, la création d’une armée, d’un
service militaire et d’un impôt obligatoires, de chefs nouveaux
comme d’une mystique ou d’un orgueil national sont contraires à
notre éthique comme à nos conceptions morales. À
plus forte raison, celle d’un État, d’une police ou d’une
ambition nationale. Et souvent l’un des premiers soins des jeunes
États est-il de se donner une armée et de grever ses
finances déjà difficiles d’un budget militaire
(Tunisie) signe de puissance nationale…
Mais
nous touchons là aux buts et il est certain qu’aucun État
nouveau ou ancien ne peut recueillir nos suffrages, aucun
nationalisme rodé, naissant ou en gestation ne peut recevoir
notre adhésion. La question change d’aspect si cessant de voir
chaque fois un État de plus nous considérons qu’il
s’agit en fait chaque fois d’un État qui se sépare d’un
autre, qui hérite d’une partie de la population du territoire
des biens d’un autre État.
À
la place d’un grand État, deux États, trois, quatre,
etc. Mais plus petits. Y a‑t-il là progrès ou recul,
faut-il saluer cela avec espoir ou indifférence ? Il va
sans dire que seul le sort des populations concernées entre
pour nous en ligne de compte. Or il est très difficile
d’apprécier le bénéfice matériel ou moral
réel qu’elles peuvent tirer de l’indépendance.
Des nations nouvelles innombrables ?
Mais
de toute façon, la multiplication en soi du nombre des États
n’est pas un phénomène alarmant.
Il
y a actuellement environ 80 États à l’O.N.U. plus une
dizaine qui n’y sont pas pour des raisons diverses ; le plus
souvent parce que se partageant une même nation. Cela fait
moins d’une centaine d’« États souverains ».
Sur
le nombre, à peine plus d’une dizaine (Chine, Perse, Japon,
Danemark, Angleterre, France, Espagne, Turquie…) ont une existence
qui remonte au moyen-âge. Moins d’une dizaine d’autres (Russie,
Suède, Suisse, Pays-Bas, Portugal, États-unis, Haïti)
acquirent l’indépendance jusqu’au XVIIIe siècle.
Une trentaine (Amérique latine principalement et Balkans) au
XIXe siècle. Moins de dix dans l’entre-deux-guerres
(Europe de l’Est…). Enfin, 25 environ (Pays Afro-Asiatiques) depuis
la dernière guerre. Ce dernier nombre est d’ores et déjà
plus important que celui des territoires restés non
indépendants : une vingtaine presque tous en Afrique.
Le
mouvement de prolifération est donc à cet égard
près de sa fin. Au lieu des 100 États actuels ils
seront dans quelques années 130, au grand maximum. Cela ne
fait plus une grande différence même pour ceux qui,
comme nous, haïssent les frontières. De ce point de vue
de l’inflation des « souverainetés nationales »
la révolution est déjà faite.
Vers l’égalité des nations ou vers
de nouvelles dominations ?
Ce
mouvement si profond, si général et qui fut si
irrésistible, s’il n’a rien d’alarmant dans ses conséquences
négatives pour des internationalistes, offre par contre
quelque chose de positif : l’affaiblissement des grands États
impérialistes, le ravalement des nations dominatrices au rang
des nations ordinaires, l’égalité grandissante des
peuples, la possibilité de plus en plus large de traiter les
uns avec les autres en termes d’entr’aide et de compréhension
et non plus d’intimidation et de mépris.
Ce
bouleversement des rapports de force politique, sociaux, économiques,
s’accompagne aussi d’une lente évolution de la conscience des
colonisateurs. En France alors qu’avant la guerre on glorifiait
partout et que l’on enseignait dans les écoles le terme
d’« Empire Colonial Français »,
aujourd’hui on ne parle que d’« Union française » ;
le Ministère des Colonies est devenu celui de la France
d’Outre-Mer, puis des Territoires d’Outremer. Pudeur bien hypocrite,
bien sûr, et qui n’a pour but que de prolonger la chose en
changeant de nom. Néanmoins le passage de l’Empire à
l’Union est un évènement général qui
traduit le désir de voir des peuples différents s’unir
et non plus être dominés par l’un d’entre eux.
L’Angleterre est allé plus loin, elle a aboli l’Empire
britannique pour la Communauté britannique puis la communauté
tout court « Commonwealth ». De même
l’Empire néerlandais a‑t-il tenté sans y parvenir de se
transformer en Union Néerlando-Indonésienne, et les
États-Unis ont-ils baptisé « Communauté »
leurs liens avec Porto-Rico. Ces clauses de style ne peuvent empêcher
longtemps les anciennes colonies de passer de l’autonomie interne
(« self-gouvernement ») à l’indépendance
hors de l’Union (« Dominions » comme le Canada,
l’Inde, etc. « États Associés »)
puis à l’indépendance hors de l’Union (Irlande,
Birmanie, Indonésie, etc.), voire même en sautant les
étapes. Le terme. de « Dominion » n’est
plus employé officiellement. Quant à celui d’« État
Associé » aucun de ceux à qui il était
destiné ne l’a accepté : le Maroc et la Tunisie
jamais, le Cambodge, le Laos ou le Vietnam-Sud de façon
transitoire et confidentielle. Un seul l’a réclamé et
revendiqué : le Vietnam-Nord de Ho Chi Minh ! et là,
oh ironie, sans succès.
Bien
plus importantes que toutes ces abstraites constructions politiques,
les relations économiques jouent encore un rôle
véritable. C’est par leur maintien entre pays complémentaires
que survit encore le « Commonwealth » au sein
duquel les clauses économiques (« préférence
impériale »…) gardent seules une utilité
aux liens politiques ou dynastiques. Mais même à cet
égard les prolongements des vieux impérialismes sont
caducs. La notion primordiale de zone monétaire ne recouvre
plus celle d’union ou de Communauté : le Canada comme le
Sud-Vietnam font partie de la zone dollar et non des ex-empires
respectifs ; l’Irlande, l’Égypte ou la Birmanie sont
restés dans la zone sterling après avoir quitté
le Commonwealth, etc.
Les impérialismes d’un type nouveau
L’extinction
de l’impérialisme continental de type germanique ou turc puis
de l’impérialisme océanique colonial de type portugais,
espagnol, néerlandais, anglais et français serait enfin
un signal de paix et d’unité pour la planète si un
impérialisme d’un autre type n’était apparu.
Cet
impérialisme non moins exploiteur des petites nations que
l’ancien et non moins dangereux pour la paix c’est celui dont les
États-Unis et l’U.R.S.S. sont les modèles et que
l’Angleterre essaie en vain d’imiter actuellement alors que la France
se raccroche désespérément aux formes dépassées.
Cet
impérialisme moderne a compris, assimilé l’évolution
du monde vers des formes nationales. Il contrecarre le moins possible
l’expression de ces formes nationales, il l’utilise même. Au
lieu de vouloir imposer partout son occupation et son administration
directe, il procède plus subtilement mais plus efficacement
aussi. Par exemples toute l’histoire de chaque colonie française
est un essai de passage du système de protectorat, où
colonisateurs et colonisés sont égaux, à celui
de l’assimilation théorique des colonisés, et de
l’administration directe par le colonisateur. Au contraire
l’impérialisme moderne respecte l’existence de l’état
dépendant. Il se sert des structures locales comme courroie de
transmission, se débarrasse des responsabilités et des
impopularités du gouvernement sur les cadres locaux. Il est
une domination plus occulte qui ménage les susceptibilités
et se débarrasse de ce qui n’est pas rentable pour garder le
meilleur et l’indispensable. Le meilleur c’est la sujétion
économique résultant de sa supériorité
financière, technique, des accords de commerce extérieur,
des taux de change. Ce sont les traités de commerce, les prêts
d’argent, les prises de participations dans les sociétés
et entreprises indigènes qui lui permettent d’exporter les
produits de son industrie en orientant l’industrie du protégé
vers les voies de garage ou selon les besoins du protecteur. Ce sont
les concessions minières ou pétrolières qui lui
permettent d’importer à bon marché les matières
premières indispensables. D’AILLEURS TOUS CES ASPECTS DE
L’IMPÉRIALISME MODERNE FURENT MIS EN PLEINE LUMIÈRE PAR
LA RÉVOLUTION HONGROISE DE 1956.
Le
vieux pacte colonial reste. Il est plus souple et surtout il n’est
plus imposé mais apparemment adopté de plein gré
d’égal à égal.
L’impérialisme
moderne conserve aussi l’indispensable : la sujétion
militaire. Là aussi il procède par alliance entre le
protégé et le protecteur et entre les protégés
entre eux. Les protégés se règlent sur
l’armement du protecteur, sur sa stratégie, c’est normal
puisque c’est lui qui a le plus de moyens et de capacités. Les
armées seront indigènes troupe et cadres, l’état-major
seul est « commun ». Le « Grand
Ami » étant seul à fabriquer les armements
les plus coûteux il se chargera de leur stockage et de leur
mise en place logistique. Il aura pour cela tout un réseau de
bases aéronavales d’étendue restreinte et peu
visibles, peu choquantes pour les sentiments nationaux de l’indigène,
en limitant au minimum les indispensables voies de ravitaillement et
de communications entre elles.
Mais
si l’impérialisme de type nouveau est aussi oppressif et plus
occulte que l’ancien il est peut-être malgré tout plus
vulnérable car ses alliés ne sont plus de simples
sujets. Ils ont quand même des possibilités plus grandes
de réagir, de manifester leur mécontentement. Ne
serait-ce que par inertie. Si les états-majors sont fidèles
et si dans chaque pays on trouve des Quislings et des fantoches :
des Syngman Rhee et des Kadar, il faut quand même compter avec
l’opinion. Sur ce plan on pouvait croire les Russes à l’abri
des mésaventures des Américains ou des Anglais dont le
maintien des bases militaires est sujet à un renversement de
majorité comme hier en Islande, en Jordanie ou à
Ceylan ; demain peut-être aux Philippines, au Japon, en
Libye ou en Irak. Mais les événements de Hongrie et de
Pologne montrent qu’ils sont à égalité et qu’ils
peuvent maintenir par la force ou l’intimidation ce que les
Américains obtiennent par d’autres pressions, d’autres
chantages, d’autres corruptions.
D’ailleurs
le développement des moyens de combat à très
grande distance rend de plus en plus relatif l’intérêt
de nombreuses bases à l’extérieur ; seul compte le
« glacis » dont il importe d’interdire l’accès
à l’adversaire. Les Russes abandonnent les bases de Porkalla
en Finlande ou de Port-Arthur en Chine, les Anglais celles de Fayed
en Égypte, de Trincomalee à Ceylan.
Le
nouvel impérialisme pourra donc ménager un peu plus les
nationalismes. L’avenir dira s’il en sera plus durable et s’il finira
lui aussi par céder devant la prise de conscience et le
soulèvement des peuples.
T.
et J. Presley